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La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois
La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois
La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois
Livre électronique355 pages4 heures

La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois

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À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois», de Gabriel de Beugny d'Hagerue. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547434672
La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois

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    La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois - Gabriel de Beugny d'Hagerue

    Gabriel de Beugny d'Hagerue

    La vallée maudite - Derniers souvenirs de la Révolution en Artois

    EAN 8596547434672

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    LA VALLÉE MAUDITE

    I L’ÉMIGRÉ

    II L’EX-JURÉ DE LEBON

    III ARMAND BONNIÈRES

    IV LE COMTE DE CAUDRAY

    V A L’AUBERGE DE LA POSTE.

    VI L’ATTAQUE.

    VII COMPLOTS

    VIII LA BELLE JULIENNE

    IX LES DÉFILÉS DU SCHWARTZBERG

    X LES FERMIERS DE LA VALLÉE-MAUDITE

    XI PÈRE ET FILLE

    XII COMBAT

    XIII TELLE VIE, TELLE MORT

    XIV FAUSSES MANŒUVRES

    XV FRÈRE ET SŒUR

    XVI SCHMIDT

    XVII JUSTICE

    XVIII ÉPILOGUE

    SAINT-OMER

    IMP. ET LITH. H. D’HOMONT, RUE DES CLOUTERIES, 14

    1882

    LA VALLÉE MAUDITE

    Table des matières

    I

    L’ÉMIGRÉ

    Table des matières

    L’Europe coalisée se disposait à envahir la France. Pour déjouer les projets de ses ennemis, le Premier Consul franchit le Saint-Bernard et envahit la Lombardie; pendant que Moreau, qui commandait l’armée d’Allemagne, passe le Rhin, attaque l’armée autrichienne, et la rejette sur le Danube. Bientôt, la victoire de Marengo rend Napoléon maître de toute l’Italie du nord; Moreau avance de son côté, entre à Munich et marche sur Vienne. Alors, l’empereur d’Autriche, effrayé, se décide à séparer sa cause de celle de l’Angleterre, et signe l’armistice de Steyer le25décembre1800.

    Après cette glorieuse campagne, l’armée française se retira dans les places fortes qu’elle avait conquises, et dont la possession lui était nécessaire pour assurer le fruit de ses victoires.

    Mayence, qui se trouvait sur la ligne stratégique reliant avec la France une partie importante des territoires occupés, avait reçu une forte garnison.

    Toutes les maisons, et, plus spécialement, les hôtels regorgeaient de militaires de toutes armes: car, outre le corps d’armée qui y prenait ses quartiers d’hiver, la ville était encore continuellement sillonnée par des passages de troupe.

    Les officiers du3e d’artillerie venaient de quitter la salle à manger de l’hôtel de l’Aiglee; à peine-étaient-ils sortis que trois jeunes filles vêtues du pittoresque costume national, se hâtaient de disposer la table pour de nouveaux convives, et, quelques minutes après, les officiers de la26e demi-brigade prenaient leurs places, et attaquaient vigoureusement un plantureux déjeuner.

    –Le docteur ne vient donc pas? interrogea un capitaine qui paraissait avoir à peine vingt-deux ans, et dont la figure était sillonnée de deux larges balafres.

    –Tu sais bien, lui répondit un de ses camarades, que Mounotot n’a pas l’habitude d’être exact.

    –Il n’est jamais d’une minute en retard pour son service.

    –C’est vrai; mais, hors de là.

    ,–Hors de là, il est libre, et use de sa liberté.

    –Il passe ses journées à soigner les vieilles femmes, et à tâter le pouls aux petits enfants.

    –Humanité, mon cher, désir d’être utile à ses semblables; je ne vois aucun mal à cela.

    –Ni moi non plus.

    –Rien de nouveau au rapport? interrogea un capitaine qui venait d’entrer.

    –Pas grand chose, répondit l’officier balafré; ordre de service et désignation de la5me compagnie du1er bataillon pour escorter un convoi de malades qui doit rétrograder sur Kaiserslautern, et rentrer en France.

    –C’est tout?

    –Oui. Ah! pardon, j’oubliais; il est rappelé que tout Français émigré qui serait découvert doit être immédiatement arrêté, et dirigé sur le quartier général. On dit même, mais ceci n’est pas dans le rapport, que des perquisitions doivent être faites aujourd’hui à l’effet de découvrircer-tains personnages signalés comme conspirateurs.

    Plusieurs officiers eurent un froncement de sourcil à peu près imperceptible, qui prouvait que cela n’était nullement de leur goût; mais la discipline n’admet pas d’observation, et, pendant quelques minutes, on n’entendit plus dans la salle que le cliquetis des fourchettes et des verres.

    –A propos, reprit peu après le dernier arrivé, j’ai une nouvelle à vous annoncer. La petite fille du docteur est à Mayence, il est occupé en ce moment à l’installer dans un logement qu’il avait fait préparer ces jours-ci.

    –En ce cas, nous ne le verrons plus à la pension; il mangera chez lui.

    –C’est assez probable.

    Au même instant, la porte s’ouvrit.

    –Le voilà! dirent plusieurs voix.

    –Bonjour, messieurs.

    –Bonjour, docteur, vous êtes en retard.

    –J’ai été retenu, messieurs.

    –Par l’installation de votre petite fille?

    –Ah! vous le savez déjà?

    –On vient de nous l’apprendre. Vous pensez donc que nous resterons longtemps ici?

    –Je l’espère; et puis j’avais besoin de revoir ma fille.

    –Elle est arrivée en bonne santé?

    –Merci, elle va bien.

    –Et vous avez trouvé pour elle et sa bonne une installation convenable?

    –Pardon, capitaine Michaud, je suis très pressé. Permettez-moi de déjeuner.

    Le ton dont furent prononcés ces derniers mots indiquaient que toutes ces questions lui étaient désagréables, et qu’il désirait en rester là.

    Le capitaine Michaud qui avait terminé son repas, se leva un instant après, et sortit avec un de ses camarades; quand ils furent dans la rue:

    Dites-moi, Cambarès, avez-vous jamais connu un plus drôle de corps que ce diable de Mounot?

    –Pardon, mon cher, vous l’avez questionné un peu trop; ses affaires de famille ne regardent que lui seul.

    –Je ne dis pas le contraire; mais il y a des mystères dans la vie de cet homme.

    –Quels mystères?

    –D’abord, cette enfant. croyez-vous qu’elle soit bien sa fille?

    –Je n’en sais rien.

    –Ni moi non plus.

    –Alors, vous penseriez.

    –Je pense, je pense. que je n’en sais rien. Jamais Mounot ne nous a parlé de sa femme.

    –Il ne parle de personne, et il parle si peu!

    –Enfin, je ne le crois ni marié, ni veuf. Puis, cette vieille duègne qui soigne l’enfant, une Allemande qui ne dit pas un traître mot de français.

    –Je n’en sais pas plus que vous, mon cher. Il est arrivé chez nous, il y a un an, venant de la17e. Si je rencontrais un officier de cette demi-brigade, j’irais aux renseignements, mais je parie qu’il n’en saurait pas plus que nous.

    –Le fait est que le docteur ne laisse rien deviner de ce qu’il pense. Ainsi, bien qu’entre nous nous ne parlions jamais politique, et pour cause, chacun de nous connaît cependant très bien la pensée de tous ses camarades. Vous savez aussi bien que moi que quand Lajalle, Fleuriot et Berginet, sont ensemble, ils ne disent pas plus de bien du Premier Consul que de l’ancien régime, et que quand Barmontel, et Kéradec causent dans un coin avec Montivert, ils ne font pas de complots pour le rétablissement du régime de93.

    –Ni vous non plus.

    –C’est possible, mais là n’est pas la question. Avez-vous jamais deviné quelles sont les préférences de Mounot?

    –Un militaire n’en doit pas avoir.

    –Mais il en a quand même, et le contraire serait impossible. Croyez-vous qu’il puisse exister dans toute l’armée comme dans toute la France, un seul homme qui soit absolument indifférent au régime qui nous gouverne?

    –Nous ne devons pas nous occuper de ces choses-là.

    –Nous ne devons. Mais, encore une fois, vous n’empêcherez pas ce qui est d’exister; et vous ne ferez jamais, par exemple, que .ceux qui ont tout perdu à la chute de nos anciens rois, n’en désirent le retour, dans le fond de leur cœur.–

    –Ces gens-là sont des factieux; nous ne de yons connaître, que le Premier Consul.

    –Et croyez-vous que Mounot ait pour le «petit caporal» un amour exagéré?

    –Cela n’est pas nécessaire, il fait son devoir, et cela suffit. Du reste, soit que je l’aie mieux observé, soit que les circonstances m’aient mieux servi, je crois pouvoir vous dire que si je ne sais ce qu’il aime, je sais ce qu’il n’aime pas; plusieurs fois j’ai remarqué que quand il est fait devant lui allusion à quelques faits de la Terreur, ses traits se contractent, et trahissent une souffrance évidente.

    –En effet, je me rappelle aussi avoir vu les souvenirs de cette époque faire tomber le masque d’indifférence dont son visage est habituellement couvert.. Alors, ses sourcils se froncent, son regard se trouble, tout son être paraît agité, et on ne tarde pas à le voir s’éloigner. Il a dû souffrir à cette époque quelque grande douleur.

    –Je le pense comme vous, et cela peut suffire à expliquer ce que sa manière d’être peut avoir d’étrange.

    Pendant que les officiers s’occupaient ainsi de leur camarade, celui-ci venait de terminer son repas, il se leva aussitôt, salua ceux qui étaient encore à table, et sortit.

    Il ne tarda pas à disparaître dans l’inextricable enchevêtrement de ruelles étroites et sombres qui composent la plus grande partie de la ville. Bientôt il s’arrêta devant une maison d’apparence modeste, et y pénétra.

    Au fond d’un corridor obscur, un escalier le conduisit au premier étage, il entra dans une chambre assez vaste, simplement meublée, et dont les fenêtres donnaient sur la rue.

    Ses regards, après avoir fait le tour de la chambre, s’arrêtèrent sur un petit lit d’enfant auprès duquel travaillait une femme d’un certain âge.

    Celle-ci, mettant un doigt sur la bouche, lui dit à demi-voix, et en allemand:

    –La petite était fatiguée, je l’ai couchée, et elle dort.

    –Vous avez parfaitement fait, reprit le docteur, en s’approchant du lit dont il écarta doucement les rideaux.

    Une enfant de quatre à cinq ans y dormait du doux et calme sommeil de l’innocence.

    Il resta longtemps immobile, et la couvrait d’un regard où se peignait l’amour et le dévouement.

    –Dors en paix, dit-il, pauvre chère victime des passions humaines; dors en paix! Puisses-tu ignorer longtemps la méchanceté des hommes! Dors, enfant, je veille sur toi, je veille pour éloigner le malheur de ta tête. le pourrai-je?. pauvre petite orpheline, sans famille, sans patrie. tu es devenue la famille du malheureux condamné à n’en avoir jamais.

    Il resta longtemps silencieux, les yeux fixés sur le petit être dont la jolie tête reposait sur l’oreiller de fine toile; et le plissement de son front indiquait les tristes pensées qui occupaient son esprit. Tout à coup, il se secoua, dit quelques mots à la bonne, et sortit.

    Il s’enfonçait plus avant dans le cœur de la vieille ville, les ruelles devenaient de plus en plus sombres, de plus en plus étroites, bientôt il se trouve au centre du quartier pauvre. Il entra dans une maison délabrée, misérable; une jeune femme aux traits amaigris était étendue sur un mauvais grabat; près d’elle, dans un berceau deux enfants pâles, chétifs, malades. De malheureuses victimes de la misère. Le docteur les examina tous trois attentivement, donna à la mère quelques conseils, et, en la quittant, lui glissa dans la main une pièce de monnaie pour l’aider à acheter les premiers remèdes.

    Un peu plus loin, dans une autre maison, il se trouva en présence de privations et de souffrances non moins navrantes; là encore il donna des conseils, des consolations, quelque peu d’argent, et il allait se retirer, quand on lui dit que dans une mansarde se trouvait un malheureux bien gravement malade, et dans le dénuement le plus absolu.

    Il se fit conduire; par une échelle branlante, il parvint à un galetas obscur ouvert à tous les vents; dans un coin, un homme était couché sur un peu de paille à demi pourrie; pour se couvrir, le malheureux n’avait que ses vêtements et un vieux manteau. Pas une chaise, pas un meuble; une cruche en poterie grossière composait tout le mobilier.

    –Se peut-il, pensait le docteur, que des hommes soient réduits à une situation qu’on n’accepterait pas pour des animaux?

    Cependant, il se penche vers le malade, lui prend le bras pour lui tâter le pouls; le malheureux tourne vers lui deux grands yeux hâves au regard vitreux.

    –Vous souffrez, mon ami?

    –Oui, beaucoup. Je suis bien malade, je crois que je suis perdu.

    –Bien malade, oui, mais perdu, j’espère bien que non. La première chose à faire, est de vous retirer d’ici; vous ne pouvez pas rester dans ce misérable réduit; je vais m’adresser aux autorités pour vous faire transporter à l’hôpital.

    –A l’hôpital! s’écria le malade avec effroi, non, je ne veux pas, j’aime mieux mourir ici! laissez-moi mourir!.

    Le docteur accoutumé à rencontrer dans le peuple cette répugnance pour l’hôpital, insista, déclarant que là seulement il aurait des chances de guérison, lui affirmant qu’il y trouverait tous les soins désirables.

    –J’aime mieux mourir ici, continuait le malheureux.

    –Vous n’avez aucune ressource! vous n’avez pas de famille?

    –C’est vrai. je n’ai plus rien.

    –Vous voyez donc bien qu’il est indispensable de vous laisser transporter.

    –Jamais!. laissez-moi mourir ici!

    Cette conversation avait lieu en allemand, mais le docteur remarqua bientôt dans l’accent de son interlocuteur certaines intonations qui dénonçaient une origine étrangère. Il pensa alors que ce refus de se laisser porter à l’hôpital avait une autre cause que la répugnance à laquelle il l’avait imputée d’abord.

    –Vous êtes étranger? lui dit-il alors en fran

    çais.

    Le pauvre patient se retourna sur sa couche, regarda tout autour de lui; le médecin était seul dans son galetas..

    –Oui, fit-il à demi-voix, je suis Français, et émigré; ne me trahissez pas! laissez-moi mourir! Je ne vous demande que cela!

    –Vous laisser mourir!. Un Français! un compatriote! jamais! je vous sauverai malgré vous. Que me fait à moi votre qualité d’émigré? vous êtes malade, vous êtes malheureux, je ne veux savoir que cela. Qui donc abrogera enfin ces infâmes lois de proscription? Ah! ils sont bien coupables, les hommes qui, dans un moment de fureur édictent de semblables lois contre leurs frères! Folie de la raison humaine qui ne sait quel moyen nouveau inventer pour persécuter ceux qu’elle proclame ses frères.

    La première pensée du docteur avait été de faire transportele malheureux dans son propre appartement; mais il avait la fièvre typhoïde, une maladie contagieuse. c’eût été exposer la vie de sa fille.

    Il resta un moment silencieux.

    –Je réfléchis, dit-il, vous ne pouvez ni rester ici, ni être transporté à l’hôpital, il faudrait donc pouvoir trouver autre chose.

    –Non, docteur, laissez-moi: ma fin est proche, je le sens. Vous vous compromettriez inutilement.

    –Vous n’en savez rien; et quant à me compromettre. J’en ai vu d’autres! Ce soir, vous serez transporté, où? je n’en sais encore rien; mais je trouverai parce que je veux trouver. Oui, il faut que je trouve!

    Et, sans rien ajouter, il disparut par le trou de l’échelle.

    En pays étranger et ennemi, il ne connaissait absolument que les officiers et les hommes de son régiment; et ceux-là ne pouvaient lui être d’aucun secours; il était même nécessaire de se cacher d’eux. Et les malades qu’il avait soignés?. Mais en quoi pourraient-ils lui être utiles? C’étaient des pauvres qui avaient à peine pour eux le strict nécessaire. Et pouvait-il se fier à eux? Il ne les connaissait nullement. Pour eux, un Français était un ennemi.

    A qui donc pourrait-il s’adresser?

    Il se faisait cette question pour la centième fois, quand il se croisa avec un homme qu’à son costume il reconnut pour un prêtre catholique.

    Le docteur Mounot hésita un instant, puis, faisant le geste d’un homme qui, en présence de sa dernière ressource, prend une résolution désespérée, il alla droit à lui.

    –Monsieur, dit-il, pardonnez-moi de vous arrêter ainsi, mais je désirerais vous parler. Pouvez-vous m’écouter un instant?

    –Je suis à vos ordres, répondit le prêtre.

    –Comme vous le voyez, monsieur, je suis étranger, et l’uniforme que je porte me dispense de vous dire qui je suis.

    –Pour le prêtre, il n’y a pas d’étranger, et, qui que vous soyez, je serai heureux si je puis vous être utile.

    –Merci, monsieur. Je cherche en ce moment le moyen de réaliser un projet qui me tient au cœur; mais tant de difficultés se dressent devant moi que je commençais à désespérer de le mener à bonne fin quand je vous ai aperçu; la pensée m’est alors venue que vous pourriez, et que vous voudriez bien m’aider.

    –Je vous répète que je serai heureux de vous être utile, si cela est en mon pouvoir. De quoi s’agit-il?

    –Il s’agit d’une bonne œuvre, de sauver un homme, un de mes compatriotes, d’un double danger de mort.

    –En ce cas, je vous remercie de vous être adressé à moi, et je vous promets de faire tout ce qui me sera possible.

    Mounot expliqua alors en quelques mots la rencontre qu’il venait de faire.

    –Certainement, fit le prêtre, certainement il faut sauver ce pauvre homme. Voyons, comment pourrions-nous nous y prendre?. Je vous offrirais bien ma maison, mais je loge des militaires français, et il me serait impossible de leur cacher la présence de votre compatriote. Je connais bien des bonnes âmes en ville qui seraient heureuses de coopérer à votre bonne action; mais toutes sont dans le même cas que moioi; il y a des soldats partout.

    –Que faire, monsieur l’abbé?

    –C’est ce que je cherche. je ne vois pas dans toute la ville une cachette assez sûre pour votre protégé. Attendez, je pense que j’ai trouvé: ma sœur habite un petit village à une lieue d’ici; c’est un hameau enfoncé dans les terres, loin des routes, un coin perdu; ma sœur est une bonne vieille fille qui se fera un bonheur de s’associer à votre pensée. Le docteur eut un soupir de soulagement.

    –Je dois vous prévenir, monsieur l’abbé, que le cas est urgent, demain, mon malade ne sera plus transportable. Pourrez-vous faire prévenir tout de suite mademoiselle votre sœur?

    –Je vais m’en occuper à l’instant; dans une heure elle saura ce que nous attendons d’elle, et, dès ce soir, nous pourrons lui amener son malade.

    –Je ne puis pas le faire transporter par des hommes de mon régiment, il faudrait que vous ayez encore la bonté de vous procurer quatre hommes, avec un brancard.

    –Vous les aurez, et je réponds de leur discrétion. A quelle heure, les voulez-vous?

    –A la nuit tombante, à cinq heures, si vous voulez m’assigner un rendez-vous, j’irai vous prendre, vous et vos porteurs.

    –Très bien. Vous connaissez la cathédrale?.. En face du petit portail du nord, se trouve une maison dont la porte est encadrée de deux pilastres; il y a trois marches; c’est là que je demeure et que je vous attendrai à cinq heures précises.

    –Seriez-vous?.

    –Je suis le curé de la cathédrale.

    –Monsieur le curé, c’est un bien heureux hasard, pour mon malade et pour moi, qui m’a mis sur votre chemin.

    –Le hasard est un mot vide de sens, c’est la divine Providence qui a bien voulu se servir de moi pour vous aider à accomplir une bonne action, et j’espère qu’elle réalisera tous nos désirs, et toutes nos espérances.

    –La Providence!. se disait le docteur après avoir salué le prêtre, la Providence!. Y a-t-il une Providence?

    Et il courut annoncer à l’émigré la rencontre qu’il avait faite, et le secours inespéré qu’il avait obtenu.

    –Comment vous remercier? dit le malheureux en lui tendant la main.

    –En vous laissant soigner et guérir. Dans deux ou trois heures, on viendra vous prendre, les porteurs auront l’ordre si on les interroge de répondre que vous êtes un paysan tombé malade ici, et qu’ils transportent chez lui. Vous n’avez donc pas à parler, et, si quelque circonstance vous y contraignait, vous savez l’allemand, je n’ai pas besoin de vous recommander de ne vous servir que de cette langue.

    A l’heure dite, le docteur était au presbytère, et, un quart d’heure après, le petit convoi franchissait les portes de la ville. Les hommes de garde, voyant un malade étendu sur une civière, et suivi d’un prêtre et d’un médecin militaire français, les laissèrent passer sans même les questionner.

    Ils suivirent pendant un moment la grand’route, puis ils prirent un sentier qui s’avançait dans les prairies.

    Le docteur marchait côte à côte avec le curé de la cathédrale.

    –Je pense, dit celui-ci, que c’est une bataille gagnée.

    –Je suis de votre avis, monsieur le curé, relativement à la première partie de notre entreprise, mais j’ai une autre bataille à livrer. Il s’agira maintenant d’attaquer la maladie, et il ne faut pas se faire d’illusion, le succès est loin d’être certain; le malheureux est bien gravement atteint; dans le début, les soins ont complètement fait défaut, et. Il y aura fort à faire, monsieur le curé, fort à faire.

    –J’ai confiance en votre savoir, monsieur, et la divine Providence, qui nous a aidés jusqu’ici, achèvera son œuvre.

    –Comme le médecin ne répondait pas:

    –Est-ce que vous ne croyez pas à la Providence, monsieur?

    –Moi, monsieur le curé, je ne crois qu’à la scélératesse de l’espèce humaine, à la lâcheté, à la cruauté, à l’infamie de tous ces êtres qui ne parlent que de vertus, et qui n’ont que des vices, qui réclament à grands cris l’égalité pour écraser ceux qui leur barrent le chemin, la fraternité pour étouffer ceux qu’ils appellent leurs frères, la liberté pour opprimer ceux qui ne veulent pas se mettre à genoux devant eux!

    –Vous devez avoir bien souffert, monsieur, pour avoir de semblables idées. Il est vrai que vous avec dû voir de près les horribles scènes de la Révolution française.

    –C’est vrai, monsieur, j’ai vu tout ce que l’on peut voir de plus horrible, j’ai souffert tout ce qu’un homme peut souffrir.

    –Si vous avez vu des bourreaux, vous avez dû voir aussi de nobles et saintes victimes?

    –Oh! oui, j’en ai vu, et c’est ce qui m’a fait prendre le genre humain en horreur!

    –Avec vos idées, comment se fait-il qu’ayant besoin de secours, ce soit à moi que vous vous soyez adressé, à moi, dont vous ne connaissiez absolument qu’une chose, le caractère sacerdotal, qui vous était signalé par le costume que je porte?

    –Je n’en sais rien; je cherchais, je me creusais la tête pour trouver un endroit quelconque où je pusse cacher ce malheureux, et le soigner, sans l’exposer au danger d’être arrêté. Quand je vous ai aperçu, je me suis dit: cet homme est prêtre, il doit être un ministre de paix, de miséricorde et de charité. Il me semblait impossible que vous me repoussiez, impossible surtout que vous trahissiez le secret que j’allais vous confier. je sentais que seul je me heurtais à des difficultés insurmontables. et le temps pressant, toute hésitation devenait impossible; c’est alors que j’allai à vous, persuadé que vous m’aideriez. et vous voyez que mes pressentiments ne m’ont pas trompé.

    –Tout prêtre aurait fait ce que j’ai fait.

    –Je ne voudrais pas vous contredire, monsieur le curé; cependant j’en ai vu de bien infâmes!

    –Vous voulez parler des apostats qui se sont jetés dans les excès de la Révolution; ceux-là, je vous les abandonne, mais vous devez reconnaître que leur nombre a été bien petit; et les autres.

    –Les autres, en France, n’existent plus. Ceux qui n’ont pas pu émigrer, la Révolution les a tués.

    –Pas tous, monsieur; vous ne devriez pas ignorer que dans votre malheureux pays, un très grand nombre de prêtres ont continué pendant toute la Terreur à excercer en secret les devoirs de leur saint ministère: et aujourd’hui que votre Premier Consul a réouvert les églises, le clergé est à son poste. Si la Révolution a éclairci ses rangs, elle a eu aussi ce bon résultat de l’épurer.

    –C’est possible; du reste, depuis huit ans que je suis entré dans l’armée, je n’ai fait que traverser deux fois la France, et j’avoue que je ne sais presque rien de ce qui s’y passe.

    Les porteurs venaient de s’arrêter devant une maison de modeste apparence, la porte s’ouvrit, et une vieille femme apparut tenant une lumière; elle les fit entrer dans une salle où un lit était préparé. On y déposa le malade.

    Le docteur après l’avoir installé, et avoir indiqué les soins à lui donner, s’en reviut à Mayence, toujours en compagnie du prêtre allemand qui s’efforça en vain de réveiller chez lui des sentiments religieux.

    Le lendemain et les jours suivants, il revint voir son malade, chez qui, un mieux sensible ne tarda pas à se manifester; les bons soins de la demoiselle Gutenhaus faisaient merveille.

    Il se demandait même déjà comment il parviendrait à lui faire passer les lignes françaises quand il serait complètement rétabli. Cette pensée le préoccupait, du reste, médiocrement, il se disait qu’à chaque jour suffit son mal, et qu’au besoin, il aurait recours au bon prêtre qui lui avait été déjà si secourable.

    Ses allées et venues au village dé Herfelstein avaient été remarquées; hâtons-nous de dire qu’elles n’étaient l’objet d’aucune interprétation malveillante: sa qualité de médecin, et ses habitudes bien connues de bienfaisance suffisaient complètement à les expliquer.

    –Docteur, lui dit cependant un soir le capitaine Cambarès, on prétend que vous avez des goûts agrestes, on vous voit faire de fréquentes excursions à la campagne.

    –C’est vrai, reprit Mounot, j’ai un malade qui m’a été recommandé, et auquel je m’intéresse; je vais le voir de temps en temps.

    –Cela n’a rien que de très honorable; mais il paraît que vous vous attardez quelquefois.

    –Je ne suis pas toujours libre, et je vois mes malades quand et comme je puis.

    –J’admets que vous ne puissiez faire autrement; mais il serait peut-être prudent de vous faire accompagner; les environs de la ville ne sont pas sûrs.

    –Un médecin passe partout, et est respecté de tout le monde.

    –Prenez garde, docteur, il y a en Allemagne des sectes d’illuminés, pour lesquelles tuer un Français constitue un acte méritoire et héroïque; déjà, plusieurs de nos soldats sont tombés sous leurs coups, et je doute fort que votre uniforme soit un talisman capable d’arrêter leurs poignards.

    –Messieurs, depuis huit ans que j’ai l’honneur de servir dans l’armée française, votre exemple m’a appris à faire mon devoir, sans me préoccuper des dangers auxquels il pourrait m’exposer.

    –Faites votre devoir, docteur, appuya un autre officier; mais, croyez-nous, faites-vous accompagner par un de vos camarades; demandez au besoin un homme de garde; on ne vous le refusera pas.

    –Vous ririez trop de moi, messieurs, si j’allais voir mes malades suivi d’un garde du corps; pourquoi pas un peloton tout entier? Vous risquez votre vie tous les jours, laissez-moi risquer la mienne une fois en passant, ne fût-ce que pour me démontrer à moi-même que je suis digne d’être votre camarade.

    Le soir, en entrant chez lui, et en voyant l’enfant jouer avec la bonne, la conversation qu’il avait eue à la pension lui

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