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Dans l'oeil de Dorian
Dans l'oeil de Dorian
Dans l'oeil de Dorian
Livre électronique370 pages5 heures

Dans l'oeil de Dorian

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À propos de ce livre électronique

Danielle, une fonctionnaire québécoise, a quitté le Québec avec ses deux filles pour vivre avec Chad, l’amour de sa vie, à Marsh Harbour, Great Abaco aux Bahamas. 

À l’annonce de l’arrivée de Dorian pour le 1er septembre 2019, elle a travaillé fort pour préparer la maison et sa famille. Cependant, Dorian a frappé plus fort que prévu, dépassant le niveau 5 de l’échelle internationale de Saffir-Simpson avec des vents de plus de 300 kilomètres à l’heure. L’île a été secouée pendant plus de 36 heures, causant 3,4 milliards de dommages et faisant une centaine de victimes. 

Danielle nous raconte ce qu’a vécu sa famille avec un style d’écriture direct et truculent. À plusieurs moments, l’autrice nous parle d’évènements qui nous glacent le sang tant la mort a côtoyé ces Québécois.
LangueFrançais
Date de sortie21 nov. 2022
ISBN9782897757076
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    Aperçu du livre

    Dans l'oeil de Dorian - Danielle Gauthier

    ¹». Avec les néons lumineux, j’en avais enfin fini avec les cauchemars de perte de dents ou d’accidents qui me rappelait un peu trop que les derniers mois m’avaient mis à l’épreuve. Avec le recul, j’ai compris tout le courage dont j’ai eu besoin pour quitter mon projet de petite famille unie. Il m’a fallu de la volonté afin de me sortir de cette relation toxique qui ne m’aurait conduit nulle part autre que sur le chemin de la violence. J’aurais participé à ma propre autodestruction.

    Après quelques mois de fréquentation virtuelle avec Chad, j’ai ressenti ce besoin profond d’aller le voir en vrai, pour le sentir, pour le toucher et, bien sûr, pour vérifier si nos deux corps se connecteraient ! 

    Je ne me suis pas posé de questions et j’ai suivi mon instinct. Douze ans plus tard, nous éprouvons toujours, l’un envers l’autre, un grand amour. Comme le précise le dicton que mes parents se déclaraient tendrement : « plus qu’hier moins que demain… »

    Chad s’amuse aujourd’hui à dire que les coûts pour son abonnement à cette plateforme de rencontre ont été le meilleur investissement dans sa vie !

    Tu es vraiment folle !

    À l’époque, mes collègues, mes patrons, mes amis et ma famille me traitaient de folle. Quelle idée d’aller rejoindre un inconnu à l’autre bout du monde ! À l’exception de ma mère qui m’a simplement encouragée à suivre mon instinct. La rebelle en moi serait allée même sans son accord, mais le fait qu’elle me supportait dans mes choix me rendait plus déterminée encore.

    Plusieurs années ont passé. Grâce à cette folie reprochée par plusieurs et à ma créativité, notre couple a su survivre à notre relation à distance. J’étais décidée à ne pas laisser les jugements des autres interférer dans notre bonheur. Je vous le dis, ce n’était pas facile ! Je n’avais qu’une seule envie, celle de me blottir dans ses bras. Mais parfois, je me retrouvais à dormir avec un écran connecté à une webcam pour le sentir près de toi et le regarder se réveiller. Je vous rappelle que ça se passait à l’époque des iPod touch, quand les communications en vidéoconférence n’étaient pas si évoluées qu’aujourd’hui ! Nous devions user de créativité. Vous savez, il y a un côté positif à tout ! En effet, quand mon prince charmant se transformait en monstre ronfleur, je fermais tout simplement le son de la télé…

    Tu es une crisse de folle !

    Quand j’ai décidé de laisser derrière moi mon emploi dans le milieu carcéral et de partir avec mes deux filles pour le rejoindre, j’avançais un pas de plus dans ma folie ! « Tu risques ta carrière ? » me demandait-on en me montrant des yeux ronds de surprise. « Tu ne peux pas céder ton fonds de pension ! Tu travailles ici depuis plusieurs années ! » m’a-t-on rappelé sur un ton paternaliste. 

    Bien oui ! La crisse de folle a quitté le Québec avec ses trésors pour vivre avec cet homme. Je suis partie à la découverte d’un monde nouveau, d’un mode de vie inconnu et d’une manière de penser différente. D’île en île, j’ai eu la chance de savourer les cultures et d’explorer une richesse autre que celle de l’argent… le bonheur.

    Voir mes filles échanger avec des enfants locaux me comblait de joie. J’ai encore ce souvenir de Perle qui jouait sur une plage à Anguilla avec une fillette. Celle-ci montrait sa maison avec un visage peu rayonnant. Mes yeux d’adulte avaient peine à croire que la pauvre habitait dans cette petite cabane surpeuplée par les membres de sa famille élargie. Le regard de Perle a fait tout changer, elle a pris sa nouvelle amie par la main et lui a dit : « Wow ! tu vis avec des chats et des poules ! Tu en as de la chance. » Le visage de la gamine s’est tout à coup illuminé et c’est avec fierté qu’elle est allée présenter les animaux à Perle.

    Bien sûr, depuis ce temps, je me lève chaque matin avec le bonheur de vivre avec de magnifiques enfants et un époux qui nous montre sans cesse son affection.

    Comment Chad peut-il aimer une folle ?

    Il vous dirait sans hésiter : The craziest ladies are more fun.

    Lorsqu’il me regarde dans les yeux, je ressens l’amour qu’il a pour moi. Nous n’avons même pas besoin d’en parler. Quand, dans un moment d’exagération, je m’excuse en affirmant que parfois je suis fo-folle, mon tendre mari me répond : « Oui, mais une folle à aimer. »

    Pourtant, en ce 6 septembre 2019, cinq jours après l’arrivée de Dorian, je me tiens là, devant mes flamants chéris, à me questionner sur la vie. Depuis le passage de l’ouragan, tout me semble différent. Au cours des dernières heures, la légèreté de ma folie a été remplacée par le poids du besoin de survivre. Les cris de ces grands oiseaux roses ressemblent un peu au bavardage des oies « ka-ha, ka-ha ». Normalement, de nature verbomotrice, je me mets à leur parler. Cette fois-ci, je me tais. Je les observe remplir leur bec d’eau, mais je reste sans mots. Mon cerveau souffre d’un passage à vide.

    Ma fille Océanne et moi demeurons côte à côte. Un silence inhabituel nous habite. Quelques touristes arrivent pour admirer les flamants. D’abord, je ne les vois pas, puis tout à coup, je sens que cette femme élégante, vêtue d’un joli chapeau de plage, m’examine. Pourquoi me regarde-t-elle ainsi ? J’essaie de comprendre. 

    Je réalise soudain pourquoi elle me dévisage. Je me trouve dans un des plus beaux hôtels des Bahamas. Je porte les shorts un peu trop grands de ma voisine de Marsh Harbour et un chandail qui convient mieux à une séance de jardinage. Mes jambes sont remplies de bleus et de blessures mineures. Je touche mes cheveux, je sens toutes les saletés récoltées dans les eaux dégueulasses dans lesquelles nous avons nagé. Soudain, le désespoir m’envahit. Sur le coup, j’ai envie de m’écrouler dans la boue, près de mes flamants. Ma vie a basculé et l’adrénaline chute dramatiquement. La réalisation de ce qu’on a perdu, notre demeure et tout ce qu’elle contenait, tombe sur mes épaules comme dix sacs de sable. Notre statut de « résidents des Bahamas » s’est actualisé sans notre autorisation à « survivants de Dorian » !

    Nous venons d’être finalement évacués de notre île Great Abaco suite au passage de l’ouragan. Les experts pensent qu’il a battu des records et que Dorian se catégorisera comme la plus violente tempête répertoriée dans l’océan Atlantique. La destruction qu’il a laissée a changé notre vie à jamais. Je meurs d’inquiétudes pour notre santé et notre maison. Puis j’essaie de vivre avec le fait que des médias tentent de nous joindre pour garnir leurs heures de grande écoute avec notre détresse. Je ressens encore cette rage noire contre ce producteur de télévision qui nous a filmés au lieu de nous aider. Il restait là, boulimique de la nouvelle, insensible, inhumain, avec son téléphone devant notre visage. Je lui ai demandé d’arrêter… plusieurs fois… Plutôt, il jouissait de faire la une et vendre ces images de nous en plein combat pour survivre.

    Dorian nous a obligés à nager dans les eaux usées remplies d’objets tranchants comme des fils barbelés, d’arbres déracinés et d’essence, à nous barricader durant des heures interminables dans des endroits insalubres. Il nous a fait ressentir la peur de mourir, nous a forcés à survivre et à nous protéger de dangers que nous pouvions à peine imaginer avant son passage.

    Me tenant debout devant les flamants, je me retourne pour regarder la plus jeune de mes filles, Océanne. Quelques heures auparavant, elle a appris le décès de son copain. Elle attend toujours la confirmation que ses autres amis sont en sécurité ! Je la trouve si belle, malgré ses traits tirés. Je sens que, pour l’espace de quelques minutes, elle apprécie sa toute nouvelle robe achetée à la boutique Lily Pullitzer, quelques instants plus tôt. Elle la touche, semblant affectionner particulièrement le confort d’un vêtement propre et coloré, le seul qui pouvait convenir aux circonstances.

    Elle me paraît si forte. Le danger l’a frappée, puis le néant l’a envahie. Pourtant, elle vit un moment plaisant. Étrenner une jolie robe et boire un café est normal pour la majorité des gens, mais après nos cinq jours de survie à l’ouragan Dorian, ces gestes portent un côté jouissif. Je l’observe savourer chaque petite gorgée de son breuvage et caresser le tissu de son vêtement.

    Mes yeux s’illuminent lorsque je vois ma belle Perle se joindre à nous. Elle galope de joie. Elle semble heureuse d’être enfin sauvée, mais derrière ce sourire se cache une grande inquiétude. Elle vient de laisser son amoureux Kevin à Marsh Harbour. Il est seul sans ses parents avec le devoir de protéger sa grand-maman. Elle sait que les gens avaient commencé à piller avant notre départ… Elle n’aura pas de nouvelles sitôt, car les réseaux de communications cellulaires rencontrent des difficultés. Elle continue de me montrer son contentement, malgré son anxiété qu’elle essaie de dissimuler.

    Mon adolescente de 17 ans réalise très bien qu’elle ne pourra pas obtenir son diplôme de fin d’études en juin prochain comme prévu. L’école de mes filles, à Marsh Harbour, a été détruite de la même manière que la majorité des édifices sur notre île : plusieurs tornades, de grands vents, une ondée de plus de vingt pieds. Malgré ce déséquilibre perceptible en elle, je la vois sourire et ça m’apaise. Je ressens une véritable joie de vivre chez elle. Ça me rassure, car il y a quelques jours, elle avait accepté de mourir. Ah non ! Hors de question !

    Tout à coup, je réalise que mon regard sur mes deux trésors a changé. Elles ne sont plus mes petites filles fragiles que je voulais tant protéger. Quelle résilience elles ont montrée au cours des cinq derniers jours où nous avons dû nous sortir de l’enfer laissé par Dorian ! Je ressens chez elles une énergie positive et je les admire.

    Pas question de jouer à la victime ! Je suis une survivante et je dois rester forte pour elles. Elles me donnent le courage de ne pas m’écrouler devant nos pertes. Elles me procurent cette folle envie de me mettre en action et de continuer à savourer chaque moment de la vie.

    Chapitre 2

    La vie d’expatrié

    Comment nous sommes-nous retrouvés aux Bahamas au cours du plus violent ouragan de l’histoire ? D’où nous venait cette idée de rester aux Abacos même avec la prévision d’une tempête ? En vérité, Chad et moi sommes de vrais expatriés, des amoureux des voyages. Un jour, nous avons chacun notre tour tout quitté au Québec pour partir d’aventure en aventure…

    Une idée complètement folle, diriez-vous ? Bien oui ! Je vous l’ai dit ! Je suis folle !

    Ça m’a pourtant pris plusieurs années avant de me décider, des années à me moquer du dicton : « Loin des yeux loin du cœur. » C’est un proverbe acerbe à mes yeux ! Chad et moi avions décidé de continuer notre chemin ensemble malgré l’océan qui nous séparait.

    Lorsque j’ai connu Chad, il habitait dans les îles Turques-et-Caïques, que les Québécois connaissent comme les îles Turquoises. Nous étions tous les deux en procédure de divorce chacun de notre côté. Nous sommes, l’un pour l’autre, un PLAN B. Je suis si contente aujourd’hui d’avoir eu le courage d’accepter que mon plan A n’ait pas fonctionné. Imaginez ça ! Je devais aller au plan B pour trouver le bonheur…

    Si le plan A ne fonctionne pas, passez au plan B puis au plan C, D… En fait, vous n’avez qu’à changer de plan jusqu’à ce que vous vous sentiez bien. Je serai toujours reconnaissante à mon médecin de famille de m’avoir fait comprendre que parfois, le plan A n’est pas le bon et qu’il ne faut pas s’y accrocher. Un jour où j’étais épuisée à essayer de me convaincre que je devais tout accepter pour garder ma petite famille ensemble, je me suis retrouvée dans le bureau de ce médecin. Je n’allais pas très bien. Mon corps me donnait des avertissements. Au cours de cette relation toxique, je me suis retrouvée brisée à des endroits que je ne connaissais même pas. J’ai eu une longue discussion avec mon médecin, ce qui m’a fait comprendre que je devais peut-être envisager sérieusement des changements…

    Je le revois me dire avec un petit sourire en coin que, parfois, le plan B était beaucoup mieux. Au début, je trouvais l’idée inconcevable, car je voulais tout faire pour garder intacte ma petite famille. J’étais prête à perdre ma dignité pour reproduire ce couple merveilleux que mes parents représentaient. Quelques mois plus tard, j’ai réalisé que mon médecin avait raison. Je devais cesser ces allers-retours entre l’amour et la haine, car ils me conduisaient toujours à un naufrage.

    En 2008, ne me reconnaissant plus, j’ai décidé d’en finir avec les naufrages. Je devais être forte et me convaincre que j’étais capable de me construire un super bateau et de naviguer en haute mer sans l’échouer ! Le 14 février de cette année-là, j’ai réalisé que je n’avais plus rien à perdre ; j’en avais assez de cette souffrance qui me brisait le corps autant que l’âme. 

    Je me suis fait le plus beau cadeau de la Saint-Valentin : j’ai pris la décision de laisser cet homme qui ne me méritait pas mon amour. Il valait mieux, pour mon bien-être, continuer mon chemin seule avec mes filles que de le laisser me diminuer comme ça.

    Attention ! La romantique en moi avait un plan ! Il ne faut surtout pas gâcher la fête des amoureux ! J’ai attendu au 15 février au matin pour agir. Je me suis levée très tôt et j’ai réveillé mon futur ex-mari. 

    « Allez ! Sors du lit ! J’en ai assez ! Je te laisse ! », que je lui ai dit. Quel soulagement ! J’étais enfin capable de le dire et de penser à moi ! Voilà que je venais de déclencher mon plan B. Quelques mois plus tard, je me retrouvais à Providenciales, les îles Turques-et-Caïques, avec Chad, l’amour de ma vie, un homme intègre, respectueux et dévoué.

    La vie m’avait fait faire un grand détour pour trouver l’amour, mais sans aucun doute dans ma tête, j’ai retrouvé ma lumière lorsque j’ai rencontré Chad. Je me sentais si légère dans ses bras.

    Ces îles seront gravées dans mon cœur, pour tous les moments précieux que Chad et moi avons partagés dans ces endroits. C’est toujours un grand plaisir pour moi d’y retourner surtout à Providenciales. Je retrouve avec plaisir notre JOJO, un dauphin sauvage qui se plaît à interagir avec les humains. En 1981, JOJO s’est lié d’amitié avec un Américain nommé Dean Bernal. Ce dernier a travaillé fort afin de faire avancer la protection des animaux marins. En 1989, le gouvernement des îles Turques-et-Caïques a déclaré notre dauphin préféré « trésor national ». Je ressens toujours une joie immense d’aller à la rencontre de JOJO. D’ailleurs, mes filles et moi avions même composé une chanson pour l’appeler lorsque nous y allons en bateau.

    Si vous visitez l’île Providenciales et que vous voyez un dauphin recouvert de cicatrices, il y a de fortes chances que ce soit lui. Malheureusement, il aime s’approcher trop près des bateaux, ce qui lui a valu de nombreuses blessures. Soyez attentifs si vous décidez de visiter cette région, car il n’est jamais loin. D’ailleurs, avec l’arrivée des réseaux sociaux, on le voit de plus en plus sur Internet.

    Retourner aux îles Turquoises me rappelle que ce coin du monde est l’endroit où mon plan B est devenu réalité, là où j’ai réalisé qu’il est possible d’aimer et d’être aimé dans le respect et sans être blessée ! J’y ai pris conscience que, avant de rencontrer Chad, je n’avais aucune idée de ce qu’était une relation saine. Je me souviens des premières fois où nous n’étions pas d’accord. Je montais le ton de ma voix… pour me défendre. Chad me disait simplement : « Moi je ne fonctionne pas comme ça. Nous allons nous respecter. Je ne sais pas où tu t’en vas, mais moi je ne vais pas dans cette direction ! »  Oh ! C’était si bon de se faire remettre à l’ordre de cette manière. J’ai compris que la dynamique de violence était enfin un chapitre fermé de mon passé.

    Chad m’a montré la valeur du respect dans une relation. Chad ne croit pas que la baise est meilleure après une bonne dispute. En fait, avec Chad, on ne se rend pas à la dispute. Il nous arrive de ne pas être d’accord sur un point, mais Chad et moi finissons par régler ça en nous exprimant verbalement, avec le souci de comprendre l’autre. Avec Chad, j’ai appris ce qu’était l’amour simple, pur, vrai et sans condition. Quel bonheur de pouvoir rester soi-même avec un homme ! Chad me fait souvent sentir comme si je suis le plus beau trésor du monde.

    C’est aussi sur cette île de Providenciales qu’il m’a demandé de l’épouser, en juin 2014. Très bon choix pour une demande en mariage. Chad savait bien que, depuis qu’il avait quitté Providenciales pour devenir directeur du territoire d’Anguilla, les îles turquoise me manquaient. Bien sûr, le changement nous a permis d’explorer Anguilla, un petit territoire Britannique qui se situe tout près de l’île Saint-Martin dans les Caraïbes. Pourtant, je pleurais mes îles Turquoises.

    Ne vous trompez pas ! Anguilla est une île magnifique. Je dirais même un paradis exceptionnel. On dit souvent que c’est l’un des secrets les mieux gardés des Caraïbes. Beaucoup de célébrités profitent de cet endroit paisible. Anguilla me plaît pour son côté pittoresque. Ses trente-trois plages sont sans doute un atout touristique important, mais Anguilla se démarque surtout pour ses nombreux restaurants. Je n’ai jamais vu une si petite île offrir autant de choix culinaires, tous uniques. Il y a cette petite cabane au bord de mer qui nous offre des expériences culinaires parmi les plus savoureuses. Je me souviens comme c’était bon d’aller dîner au Blanchards Beach Shack. Si vous visitez un jour Anguilla, je vous suggère cet incontournable dès votre arrivée. Ça ne prend que quelques minutes pour comprendre l’efficacité de ce restaurant. On donne sa commande et, en échange, on nous remet un téléavertisseur. Ça permet d’apprécier la mer en attendant notre repas. On peut admirer à loisir les mégas yachts appartenant à de riches multimillionnaires. Quelle joie nous avions de faire vivre ces expériences à nos visiteurs. Une des meilleures consistait à vivre l’expérience des restaurants de style barbecue sur le bord de la rue ou sur le terrain des insulaires. Notre restaurant maison préféré était Le B & D, que de convivialité vous me direz ! 

    J’aime la simplicité des lieux. Une petite toile du type abris Tempo abrite une mini cuisine, sur le terrain d’une famille anguillaise. Il est toujours agréable de voir les gens des îles cuisiner leur menu à la saveur des Caraïbes, que ce soit des côtes levées, du poulet ou du poisson. Mes filles, Perle et Océanne, se plaisaient toujours à fouiller dans la glacière pour prendre elles-mêmes leur jus. Comme si l’on était dans une fête familiale.

    Je me souviens de la première fois où j’ai demandé la direction des toilettes. « La deuxième porte après la chambre », m’a répondu la gentille Anguillaise. Je suis convaincue que mon expression faciale a complètement changé lorsque j’ai compris qu’on me laissait utiliser la toilette des propriétaires ! La gentillesse et la bonté font partie du bonheur à Anguilla. On s’arrête dans la rue quand les chèvres et les poules décident de traverser. Ça me fait toujours sourire.

    Malgré sa beauté extraordinaire et la chaleur de ses citoyens, j’ai mis du temps à m’adapter à la nouvelle résidence à Anguilla. Bien sûr que ma présence intermittente n’aidait pas à mon adaptation. Je devais compter mes jours de séjours, car je travaillais encore comme agente des services correctionnels. Puis, un jour, j’ai réalisé que j’étais incapable de vivre le moment présent. Il m’a fallu une bonne introspection de plusieurs mois afin de réaliser que j’étais folle de ne pas apprécier cette île charmante. En fait, pendant que je comparais, à qui bien voulait l’entendre, notre nouvel environnement à celui des îles Turquoises, je restais incapable d’apprécier pleinement la beauté d’Anguilla. Heureusement, au fil des ans, j’ai compris que les îles Turquoises sont gravées dans mon cœur et que je ne les oublierai jamais. Par contre, il y a tellement de beauté dans les Caraïbes qu’il ne faut pas s’arrêter à un seul endroit. À cette époque, Chad avait compris que lorsqu’il avait envie de me faire rêvasser, il devait parler des îles Turquoises. Voilà pourquoi, en juin 2014, il a décidé de me demander de l’épouser sur l’une de nos plages préférées à l’abri des touristes de Providenciales, l’île principale des îles Turquoises.

    Que fait une folle quand elle reçoit une demande en mariage ? Eh bien, elle ne répond pas ! J’ai accueilli la question par un grand silence. Puis j’ai réagi en pleurant : « Tu n’as pas le droit de me niaiser comme ça ! Comment oses-tu me faire ça, Chad ! »  Malgré mon manque de romantisme passager, quelques minutes plus tard, sur cette plage paradisiaque, nous avons célébré notre amour en buvant une bouteille de champagne. Bien sûr, j’ai dit « oui » ! Ce fut un moment mémorable d’autant plus que je n’avais pas visité les îles Turquoise depuis deux ans. Dès que je pense à ce paradis sur terre, un sentiment de joie m’envahit. La joie associée à la renaissance de ma liberté et le bonheur de se sentir désiré. Le désarroi associé à mon premier mariage se glissait derrière moi.

    À partir du 16 août 2008, la date de notre première rencontre en personne, le soleil ne cesse de briller dans nos yeux. Au cours de notre fréquentation à distance, une joie immense me faisait trembler chaque fois que je sortais de l’avion. J’avais hâte de sentir la chaleur du sud sur mes épaules et de savoir que je pourrais enfin me blottir dans ses bras, sentir sa peau ! Les dernières minutes du vol, juste avant l’atterrissage, étaient critiques. Camouflée dans l’une de ces petites toilettes d’avion, je devais me faire belle, brosser mes dents, appliquer ma petite crème sur la peau et me parfumer. Je pensais à tout afin d’être sûre que les heures de vol ne gâchent pas notre premier câlin si attendu ! Ça ajoutait un grand plaisir à la joie d’arriver sur l’île Providenciales.

    Quand Chad et moi explorions les îles, j’avais l’impression de flotter dans un magnifique rêve. Malheureusement, la sensation s’éteignait chaque fois que je devais remonter dans ce foutu avion qui m’amenait loin de lui. Mes retours au Québec étaient toujours difficiles. Je ne faisais plus que travailler dans une prison. Pire, d’une manière un peu tordue, j’étais devenue prisonnière de mon amour pour Chad. Je me sentais perdue, car je n’avais pas trouvé d’arcs-en-ciel assez grands pour traverser cet océan qui mettaient une telle distance entre les amours de ma vie. 

    Mes deux filles, Perle et Océanne, m’attendaient au Québec, chez mes merveilleux parents. D’ailleurs, j’ai pu vivre ce début de véritable amour, par tous ces nombreux voyages, grâce à eux. Avec leur grand cœur, ils s’occupaient bien de mes deux filles durant mes absences. En 2009, j’avais établi un système assez efficace pour l’époque. Une caméra dans leur chambre qui me permettait de voir mes petits anges. Malgré les 30 000 pieds d’altitude, je pouvais me connecter à wifi dans l’avion et les regarder s’endormir. Bien qu’elles n’étaient que des petites filles de 7 et 5 ans, elles savaient que la petite lumière rouge allumée sur la caméra signifiait que maman les regardait. Alors, elles me disaient : « Bonne nuit, maman. Je t’aime et je te fais de gros câlins. » Elles me parlaient chacune à leur tour en m’envoyant des bisous avec leurs petites mains délicates ! Elles n’ont jamais su que je pleurais derrière ce petit iPod. Chaque fois, je ressentais une grande confusion. Étais-je une mère indigne en les abandonnant pour aller rencontrer un homme qui n’était pas leur père ?

    J’en avais assez de ne pas être là à 100 % pour elles. J’avais mis du temps à accepter de divorcer de leur père parce que je me sentais incapable de me séparer d’elles, ne serait-ce que pour le temps d’une fin de semaine. Par contre, quelques mois après ma séparation, j’étais rendue à les laisser avec mes parents une ou deux semaines à la fois. Je m’en voulais de les laisser pour aller voir Chad, mais j’avais besoin de me faire du bien, de me reconstruire une vie de couple. En plein vol, entre mes deux vies, je pleurais en regardant mes filles sur un petit écran. Je fermais mes yeux et j’écoutais dans ma tête, la chanson de Lynda Lemay :               

    « Donnez-lui la passion, donnez-lui ce qui fait,

    Que quand tout est bidon, quelque chose reste vrai,

    Donnez-lui cette flamme, qui ne s’éteint jamais,

    Qui survit même aux drames, les plus longs, les plus laids.

    Donnez-lui la passion, avant de m’inviter,

    Dans votre grande maison, dans votre éternité,

    Ce sera sa bouée, son instinct de survie,

    Quand j’irai vous r’trouver, dans votre paradis.

    Donnez-lui la passion, creusez-lui l’appétit,

    Pour qu’elle ait des raisons, de mordre dans sa vie. »

    « Donnez-lui la passion »… Quelle superbe chanson ! La passion ! Voilà ! Lynda avait trouvé le secret du bonheur : être passionné dans la vie aide à passer à travers beaucoup d’épreuves. Je sais maintenant que j’ai toujours eu cette passion, ce feu en moi qui brûle même quand ça ne va pas. Vous direz bien ce que vous voudrez, je m’assume entièrement ! Lynda Lemay est mon artiste préférée et elle a su m’interpeller avec ses chansons, surtout celle-là. Je devais mordre dans la vie, moi aussi.

    Je voulais redonner un sens à ma vie.

    Pourtant, je me sentais pris entre mes filles et Chad et je souhaitais profondément que ce déchirement s’arrête. Peu importe où je me trouvais, il me manquait toujours un morceau pour que mon bonheur soit parfait. Que fait-on quand on n’est pas satisfait ? On se met en mode changement. J’ai décidé qu’il était temps de passer à l’action. Le moment était venu de me donner une deuxième chance afin de réunir tous les amours de ma vie et de créer ma nouvelle famille.

    Mes filles devaient dorénavant faire partie également de cette aventure. Je n’étais pas inquiète pour leur relation avec Chad. Lui qui n’avait pas de progéniture réussissait à maintenir leur relation à distance via la webcam. Il leur racontait des histoires et s’amusait à faire des animations. Il m’impressionnait. Il agissait avec mes filles comme s’il avait toujours été là pour elles. Comme un père.

    Je me souviens de notre premier voyage, à trois, aux îles Turques-et-Caïques. Ces premiers moments en famille restent encore indescriptibles, même aujourd’hui. Ça nous paraissait normal d’être tous ensemble, comme si c’était l’évidence même, simplement notre destinée. Chad était épuisé le soir venu, mais il était si heureux. Chaque fois que nous arrivions pour le visiter, il avait tout préparé pour nous combler de joie et me recevoir avec mes deux petites filles remplies de vitalité.

    Je savourais mon bonheur ! J’étais sur le point d’avoir une vie presque normale ! Imaginez une folle comme moi avec une vie normale ! Pas sûre du tout ! C’est pour ça que j’ai bien dit « presque normale ».

    Puis, après avoir exploré les îles Turquoises pendant quelque temps, nous avons décidé de faire l’école à la maison durant nos voyages. Hein ! Vraiment ? « T’es folle ou quoi ? » m’a-t-on dit. Pourtant, durant plusieurs mois, j’ai scolarisé moi-même mes filles. Nous avons fait la maternelle et une partie de la deuxième année et leur troisième année ensemble. Je pourrais discuter longtemps

    sur le sujet, car j’ai essuyé tellement de jugements négatifs et d’incompréhension lorsque j’ai mentionné à des Québécois que pendant une certaine période, j’ai scolarisé moi-même mes enfants. Pourtant, tant aux États-Unis que dans les Caraïbes, ça arrive souvent que les parents fassent ce choix. Ma mère m’a toujours dit de me moquer de ce que les gens allaient dire. Elle m’encourageait à me concentrer sur ce qui est bien pour moi.

    Dans notre cas, ce n’était pas toujours l’école à la maison, lorsque nous étions dans les îles, les leçons se déroulaient à la plage. Mes filles ont appris une partie de leurs fractions au Québec et l’autre avec des coquillages. On s’est amusé à faire des situations d’apprentissage en roulant en golf kart, tout en observant les iguanes. Lorsque nous étions au Québec, nous

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