Les Papiers de Jeffrey Aspern
Par Henry James
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À propos de ce livre électronique
Ce fut elle qui découvrit le raccourci et trancha le nœud gordien.
En général, on ne croit pas qu’il soit facile aux femmes de s’élever à une vue large et libre des choses — des choses à faire — mais elles lancent parfois telle conception hardie (devant laquelle un homme aurait reculé) avec une sérénité singulière : « Faites-vous tout simplement prendre chez elles en qualité de pensionnaire. » Je crois que, livré à moi-même, j’aurais reculé devant cela. Je battais les buissons, m’essayant à être ingénieux, rêvant aux combinaisons qui me permettraient de faire leur connaissance, quand elle suggéra si heureusement que le moyen de faire leur connaissance était de pénétrer dans leur intimité. Elle n’en savait guère plus long que moi sur les demoiselles Bordereau ; je puis même dire que j’avais acquis en Angleterre plusieurs renseignements précis qu’elle ignorait. Leur nom avait été associé, bien des années auparavant, à l’un des plus grands noms du siècle — et maintenant elles vivaient obscurément à Venise, avec de très modestes ressources, sans relations, volontairement séquestrées dans un vieux palais croulant et solitaire : telle était, en résumé, l’impression que mon amie avait d’elles.
Henry James
Henry James (1843-1916) was an American author of novels, short stories, plays, and non-fiction. He spent most of his life in Europe, and much of his work regards the interactions and complexities between American and European characters. Among his works in this vein are The Portrait of a Lady (1881), The Bostonians (1886), and The Ambassadors (1903). Through his influence, James ushered in the era of American realism in literature. In his lifetime he wrote 12 plays, 112 short stories, 20 novels, and many travel and critical works. He was nominated three times for the Noble Prize in Literature.
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Aperçu du livre
Les Papiers de Jeffrey Aspern - Henry James
II
« Il faut que je tire parti du jardin, il faut que je tire parti du jardin », me disais-je à moi-même cinq minutes plus tard, tandis que j’attendais, là-haut, dans la sala longue et obscure dont le sol de scagliola luisait vaguement grâce à un interstice des volets clos. L’endroit était émouvant, bien que quelque peu secret et froid ; Mrs Prest s’était envolée, me donnant rendez-vous d’ici environ une demi-heure sur les degrés d’eau voisins. Et, après avoir tiré une sonnette à chaîne rouillée, j’avais été introduit dans la maison par une petite servante rousse au teint blanc, toute jeune et pas laide, qui portait des patins sonores et son châle sur la tête comme un capuchon.
Elle ne s’était pas contentée d’ouvrir la porte en manœuvrant la poulie gémissante de l’étage supérieur, suivant le système en usage ; elle m’avait d’abord regardé du haut d’une fenêtre, en me posant cette interrogation défiante qui en Italie précède toujours l’acte d’admission. Je me sentis irrité, pour le principe, de cette survivance de mœurs moyen-âgeuses, quoique j’eusse dû l’apprécier en amateur si passionné — bien que très spécialisé — des choses d’autrefois. Mais, plein de la résolution d’être affable à tout prix dès le début, je tirai ma fausse carte de visite de ma poche et la lui montrai d’en bas, en souriant, comme si c’eût été un talisman, et de fait, cela en eut tout l’effet, car cela la fit descendre, comme je l’ai dit, jusqu’à l’entrée.
Je la priai de la porter à sa maîtresse, ayant tout d’abord écrit en italien les mots : « Auriez-vous l’extrême bonté de recevoir un instant un voyageur américain ? »
La petite bonne ne se montra pas hostile ; cela était peut-être déjà quelque chose de gagné. Elle rougit, elle sourit et parut à la fois amusée et effrayée. Je voyais bien que mon arrivée était toute une affaire, que les visites étaient rares dans cette maison et qu’elle était de ces personnes qui aiment les places à remue-ménage. Quand elle referma la lourde porte derrière moi, je sentis que j’avais pris pied dans la citadelle et me promis fermement de ne pas m’en laisser déloger. Elle trottina à travers la grande salle humide tout en pierre du rez-de-chaussée, et je la suivis sans hésitation le long du haut escalier, qui me parut encore plus en pierre que le vestibule. Je crois qu’elle avait eu l’intention de me faire attendre en bas, mais telle n’était pas mon idée, et je m’arrêtai dans la sala.
Elle disparut, tout au bout, dans des régions impénétrables et je regardai autour de moi avec un battement de cœur qui me rappelait ceux que j’avais éprouvés dans des salons de dentiste. La pièce était d’une majesté austère, mais elle devait ce caractère presque uniquement à ses nobles proportions et aux belles portes vraiment architecturales, aussi hautes que des portails, qui menaient aux autres chambres et se présentaient avec symétrie sur chaque paroi. Elles étaient surmontées de vieux écussons peints, mais décolorés, et ici et là étaient appendus aux panneaux des tableaux noircis, que je jugeais particulièrement mauvais, dans des cadres abîmés et dédorés, néanmoins encore plus désirables que les toiles elles-mêmes.
En dehors de quelques chaises de paille adossées au mur, la grande salle obscure ne contenait rien de nature à satisfaire la curiosité. Il était évident qu’elle ne servait jamais que de passage, et encore