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Une histoire de la solitude au XXI ème siècle
Une histoire de la solitude au XXI ème siècle
Une histoire de la solitude au XXI ème siècle
Livre électronique242 pages3 heures

Une histoire de la solitude au XXI ème siècle

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À propos de ce livre électronique

Fuyant la vie mais étant pourtant irrésistiblement attiré par elle, Timothée ne saura jamais se convaincre de l'amour des autres, et notamment de celui d'Éléonore. Du reste, une fois celui-ci effectivement éprouvé, le problème reste le même, puisqu’il souffre d'une parfaite incapacité à sortir de lui-même et de la fange où il se sent nager. S’impose alors un dialogue de sourd entre l'intérieur et l'extérieur, qui souligne toute la vitalité insaisissable qui meut chacun de nous, et qui est à la source, en tant qu'enfermement indépassable et caché des autres, de tous les maux du monde.

LangueFrançais
Date de sortie6 sept. 2022
ISBN9782383851080
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    Aperçu du livre

    Une histoire de la solitude au XXI ème siècle - Barthélémy Momus

    I

    Tu me manques terriblement.

    J’avais cédé – je crois même pouvoir dire que j’ai toujours cédé, me trouvant systématiquement bien faible face à la tentation. Je lui avais envoyé ce message après trois jours passés loin d’elle. Somme toute, comment aurais-je pu faire autrement ? Voilà soixante-douze heures que je pensais constamment à son corps, à ses yeux, à son visage. Et quelle réalité pour ces pensées si je ne les avais pas signifiées par ce message ?

    Nous vivons une drôle d’époque dans laquelle nous nous trouvons cernés par l’angoisse. Dans les temps anciens, l’absence devait assurément s’accepter bien plus facilement. On quittait les gens en sachant pertinemment qu’on leur abandonnait leur quotidien et que, même s’ils le voulaient, ils n’étaient pas capables de nous le faire partager. On devait accepter – c’est-à-dire, on était obligé d’accepter – l’idée qu’ils vivraient sans nous, pour un temps plus ou moins long ; et on devait s’en satisfaire très aisément, puisque telle était la seule possibilité. Tout au plus, on enfilait une ceinture de chasteté à sa promise – mais ce ne n’était là que la trace d’une peur de l’adultère. Pour les vrais amants, les fous d’amour, on se faisait une raison et on digérait l’absence, l’inconnu, pour seule nourriture de survie.

    Mais nous ne sommes plus au Moyen-Âge. Nous sommes dans l’ère de l’instantanéité, où toute information se rend disponible dans le moment. Et comment souffrir de ne pas savoir quand nous pouvons savoir ?

    Éléonore, bien qu’à plusieurs centaines de kilomètres, se trouvait potentiellement à un millième de secondes de moi. Je pouvais retrouver, en l’espace d’un instant, la réciprocité dont j’avais souvenir. La seule différence, c’est que l’écran me faisait face au lieu de son regard. Enfin, c’est ce que je croyais. Sa réponse, aussi, me l’avait fait croire ; j’y avais trouvé une confirmation, ou plutôt un réconfort – celui d’être dans un assentiment rassurant :

    Toi aussi, beaucoup.

    II

    Le téléphone vibra au moment même où le cri de la jouissance se fit entendre, de sorte qu’aucun des deux amants ne remarqua, sur le bureau se trouvant à quelques mètres du lit, le téléphone esseulé, illuminé pour un instant.

    La chambre dans laquelle le couple s’étreignait portait les traces heureuses de la vie à deux. Sur une commode près de la fenêtre, entre deux fers à repasser métalliques, une photo laissait voir un sourire à deux faces ; par terre, quelques caleçons d’homme et des culottes de femme s’entrelaçaient dans une négligence sanitaire tout à fait romantique ; et sur la porte ouverte de la salle de bain ne pendait qu’une seule serviette rose.

    Encore quelques coups de reins provoquèrent des gémissements emplis de plaisir. Des mains agripaient des hanches, en harmonie avec le rythme suggéré par la danse lascive ; et puis ce fut le baroud d’honneur masculin – l’éjaculation nécessaire. Cela marqua la fin de l’acte – habitude patriarcale oblige. L’homme se retira, avec douceur, ne la quittant pas des yeux, comme pour dire Merci pour ce moment, et l’embrassa enfin, pour clore définitivement l’épisode de l’étreinte.

    L’homme, en s’extirpant du lit, murmura :

    — Attends Éléonore, je sais exactement quelle musique il nous faut.

    Il se précipita vers une table où trônait un tourne-disque trente-trois tours, chercha énergiquement dans l’un des tiroirs du dessous, parmi les innombrables pochettes d’album qui étaient rangées là, et sortit enfin une jaquette noire qui montrait un triangle blanc lévitant, d’où scintillait, par la magie diffractive, un arc-en-ciel éclatant.

    — Voilà, Hey you

    Éléonore, en réponse, lui sourit ; il insista :

    — Pas mal, hein ?

    — Pas mal, oui. Merci Maxime, répondit-elle en fermant ses paupières.

    Porté par sa douceur, il alla s’allonger à nouveau à côté d’elle. Les deux restaient silencieux, l’un contre l’autre, la musique qui lévitait pour seules paroles.

    À la fin du titre, Éléonore se releva en se défaisant des bras de Maxime. Quittant le lit, elle se dirigea directement vers le bureau pour chercher son portable. Elle put lire sur l’écran allumé Timothée Profitendieu. Alors son pouce glissa ; elle tapa promptement les quatre chiffres et le message se dévoila à sa vue.

    Tu me manques terriblement.

    Sans attendre, sans même un regard vers le dehors, c’est-à-dire vers la porte qui venait de servir de sortie à son aimé, ses doigts se déplacèrent sur le clavier, sûrs d’eux :

    Toi aussi, beaucoup.

    III

    Une réponse rapide, oui. Qu’espérais-je, alors, en envoyant ce message ? Rien de plus qu’une confirmation, que j’avais obtenue. Alors, pourquoi persistait en moi la méfiance (douleur indicible) ? À quoi cela sert-il d’exprimer des sentiments si l’on se défit de la réponse ? Quelle joie, pourtant, cela a été (pour un instant au moins). Comme une joie inédite… Mais, à me replonger dans mes souvenirs, j’avais souvent eu des confirmations. C’est que la vie est un combat quotidien, chaque seconde happant la précédente pour la faire chuter dans les limbes de l’oubli (seconde oubliée qui ressurgit là ici maintenant). Je devais en cet instant partir rencontrer des amis ; et une fois rassuré (ego assuré) par ce message, je ne l’avais fait suivre de rien. Quelque part, dans ces instants-là, où l’on maîtrise le rythme du dialogue, on se complait dans l’idée que l’autre est dans l’attente. C’est aussi que (nécessité d’être) je devais vivre ma vie, dans tous ces instants où je me trouvais loin d’elle. J’étais donc bientôt avec des visages présents, bien réels, qui ne se trouvaient pas médiatisés par l’horreur de l’écran. Non, en face de moi, j’avais maintenant des visages avec leurs sourires incarnés et leurs gestes performés. Se trouvaient là trois de mes amis. C’étaient des personnes qui avaient fait partie de mon existence depuis ce moment où l’on commence à partager sa propre conscience. Mais, tandis qu’ils étaient restés à Rennes, lieu de nos premiers émois, j’avais bien vite quitté la ville-foyer. Pourquoi étais-je parti ? C’était peut-être que ce lieu, finalement, m’était étranger. Ou plutôt : que j’étais étranger à ce lieu. Pourtant, quand je replonge dans mes souvenirs d’adolescence, je sais combien les mois précédant mon départ avaient été éplorés. Chaque semaine, à l’occasion de nos soirées avinées, je m’épanchais un peu trop bruyamment sur mon absence future ; j’avais ce sentiment en moi, qui ne pouvait rester tu, qu’ils allaient m’oublier comme ils m’avaient apprécié – d’une manière toute aussi contingente. J’avais pourtant eu tort, puisque je me trouvais avec eux, une dizaine d’années après, avec ces gens de mon enfance, de ma jeunesse. Je les revoyais peu ou prou tous les six mois ; le reste du temps, nos échanges se faisaient au travers d’un groupe de discussion par messagerie instantanée, opportunément nommé Les Rennais zythologues (bières toujours). Cela, je ne l’avais pas anticipé au moment de mes angoisses. Je n’avais pas compris que le vingt-et-unième siècle nous offre la possibilité constante du contact – autrement dit, l’impossibilité de l’oubli. « Oui… C’est vrai… » Notre conversation se finissait laborieusement. Une heure que nous étions ensemble, et voilà nos sujets de discussion déjà épuisés. J’avais envie, comme trop souvent, d’envoyer un message à Éléonore pour trouver un refuge à mes pensées divagantes. Mais (non non) étrangement, je ne parvenais pas à m’y résoudre (parle il faut parler pour oublier faire oublier ou pire Timothée pire). Ils me manquaient dans leur absence ; alors pourquoi leur présence me lassait-elle ?

    — Hé ! Je vous ai raconté l’histoire du caramel ?

    (Alex Hugo Emmanuel têtes levées ils m’écoutent ils m’entendent rictus sur les lèvres oreilles attentives terre connue en approche oh) J’avais trouvé de quoi les satisfaire avec la même nourriture que toujours : j’allais être le fou des rois. C’était la solution que je choisissais souvent : au moins, dans ces moments-là, je maîtrisais les avis que je provoquais. Je me lançais.

    — Il était tard, déjà. Nous étions chez Gabriel – vous connaissez, Gabriel ? – et il m’avait sollicité pour aller chercher de quoi égayer notre soirée : du shit. Dans la nuit noire lyonnaise, je me suis enfoncé vers les quais, tout seul. Vous savez comment c’est, d’aller toucher ? On doit chercher le regard qui cherche lui-même. C’est une histoire de sensation ; mais aussi de chance. Et j’avais cru trouver le bon : il m’a vu et a hoché la tête – habituellement, c’est un signe qui ne trompe pas. (sourire aux lèvres ils savent oui savent qui est la poire de l’histoire rien d’autre sinon le rire) Je me suis donc approché de l’homme, comme l’usage le veut. « Vous êtes du coin ? » – ce qui, vous le savez, ne consiste qu’en une approche timide pour ne pas se dévoiler trop vite, étant malgré tout conscient du risque pris. Le mec me répond : « Ouais bien sûr, il te faut quoi ? ». Oui ! J’avais trouvé mon graal ! Je me réjouissais par avance pour Gabriel. Vu l’heure, ça n’était pas gagné, et j’avais pourtant atteint mon objectif, le rôle qu’il m’avait assigné !

    — T’es long !

    Emmanuel avait parlé – au moment attendu. Les deux autres explosèrent de rire – au moment attendu – et Hugo glosa :

    — Tu ne veux pas nous parler de ce que t’avais fait la veille ? – (ne rien dire sourire c’est le jeu le jeu du rire merci à toi merci) Et donc, je lui réponds, avec l’air sérieux – parce qu’il s’agit aussi d’avoir confiance en soi, ne pas paraître novice, hein : « Cent euros, de vert. ». Alors l’autre me répond tout de go : « Ah, j’ai pas, non. C’est que du marron. » Chute de la joie en moi ; mais je sais que Gabriel m’attendait plein d’espoir – et comment aurais-je pu le décevoir ? Donc, forcément, qu’importent les conditions, j’accepte. Et là, le mec me dit : « Donne-moi tes cent balles, je reviens. ». Vous voyez le dilemme ?

    — Non non, on ne le voit pas, mais on sent que tu vas nous faire plaisir…

    — (encore des rires toujours des rires) Toujours soumis à l’angoisse de ne rien ramener, j’accepte ce qu’il m’impose. (oui évidemment chute attendue vous le saviez pourtant) Je lui donne donc mes cent euros, et puis il s’en va. Et là, j’attends. Puis j’attends encore. Et encore. (pause visages dégoulinants moqueries parées amusement assuré) Une heure.

    — T’es vraiment trop con Tim !

    — (insultes insultes insultez moi donc je suis là pour cela là l’amour dégouline là la rencontre irradie ils oublient l’ennui oublient l’insignifiance l’inanité) Et alors au bout d’une heure, l’homme revient et me presse : « Tiens, tiens, fais vite, j’ai vu les flics ! ». Alors, moi, candidement, n’ayant même pas un mot pour sa lenteur qui m’avait fait subir le froid, j’accepte mon sort et son injonction. Je prends ce qu’il me tend, et lui s’en va.

    — Attention ! Attention !

    — (oui j’ai votre attention) Ce n’est qu’en arrivant chez Gabriel que j’ai découvert l’escroquerie… Un bon carambar, bien tassé, pour un poids qui valait… dix euros. Large !

    Et les voilà tous les trois suffocant d’éclats d’ivresse, la face rouge de bonheur, et les yeux pleurant d’allégresse. À ce moment-là, bercé par le bruit de leurs rires et face à leurs visages à la joie sincère, j’étais heureux. Cela a duré trois secondes. Et puis j’ai saisi mon portable, et j’ai envoyé un message à Éléonore.

    Alors, cette arrivée au ski ?

    Je suis rentré à l’hôtel trois heures plus tard, sans avoir reçu de réponse. La fin de soirée s’était passée, bon gré, mal gré. Mais un étrange sentiment de manque me tiraillait les entrailles. Je me levai le lendemain à six heures trente – ou plutôt quarante-trois, m’étant octroyé treize minutes de marge par rapport à mon objectif. Je pris mon train à huit heures cinquante-deux. J’arrivai à Berlin, où j’avais un rendez-vous professionnel le lendemain, à dix-sept heures trente. J’étais devant le deuxième hôtel de ma journée à dix-huit heures cinquante-cinq. À dix-huit heures cinquante-neuf, je rentrai dans ma chambre, vide, naturellement. Je mangeai à dix-neuf heures vingt-deux devant un épisode d’une série allemande quelconque qui dura vingt-sept minutes. Je me couchais enfin à vingt-et-une heure trente-trois. Combien de fois, entre-temps, ai-je regardé ce message resté sans réponse, sous lequel le « Vu hier à 23h05 » me narguait de toute son indifférence ? Peut-être trente-deux fois ; mais sûrement beaucoup plus.

    IV

    Après avoir répondu à Timothée, Éléonore s’était prostrée devant son armoire avec la volonté de faire ses affaires, les deux portes grandes ouvertes. Elle regardait chacune des étagères, paraissant cependant troublée par le choix qui s’offrait à elle. Elle soulevait chacun de ses pulls l’un après l’autre, mais n’en prenait jamais aucun. Elle plongeait ses mains dans ses culottes, mais n’en ressortait aucune là non plus. Elle ouvrait le tiroir des chaussettes, et le refermait aussitôt.

    Avec une nouvelle vigueur, elle se dirigea d’un seul coup vers son bureau, là où se trouvait toujours son portable. Elle appuya sur le bouton central pour faire s’allumer l’écran – aucun nouveau message. Privée d’excuse, elle alla finalement chercher sa valise en dessous de son lit en se mettant à quatre pattes, et l’approcha de l’armoire encore pleine. À l’inverse de sa première tentative, elle l’emplit rapidement d’affaires opportunes. Tout fut prêt en quelques minutes.

    — Maxime ! Je pars ! J’ai mon train dans une heure trente !

    Maxime apparut à la porte par laquelle il était sorti un peu plus tôt.

    — Tu as besoin d’aide ? Tu veux que je t’emmène ?

    — Non, non, ça ira bien toute seule, ne t’en fais pas.

    Eléonore empoigna l’anse de sa valise à roulette, mit son sac à main sur l’épaule et embrassa son homme. Sa main droite, à cet instant, enveloppa la hanche de celui-ci, pour joindre d’un même élan affectif ses lèvres à son doigté.

    — Oh, attends ! sursauta Éléonore.

    Elle se retourna vers le bureau et courut chercher son portable. Son pouce, main droite, appuya sur le bouton : une notification du Monde apparaissait : « Risque maximum de tsunami sur les côtes chinoises ». Sans y accorder d’attention, elle glissa le messager numérique dans son sac.

    — Amuse-toi bien là-bas, lui dit Maxime.

    — Je ferai tout pour.

    Et les deux amants se quittèrent sur le pas de la porte.

    Eléonore se fit récupérer cinq heures après sa montée dans le train parti de Gare de Lyon. Là, sur les quais de la gare de Chamonix l’attendait un homme vers lequel elle se dirigea immédiatement en criant, le bras levé « Yannick ! ». L’homme extirpa son visage de la foule et l’aperçut. Il en sourit immédiatement.

    Yannick était grand, une barbe brune travaillée de près et les cheveux gominés vers l’arrière. On sentait l’effort d’apprêtement, et les exhalaisons qui émanaient peu subtilement de son cou renforçaient cette idée dans l’esprit des passants contournant son corps planté au milieu du passage.

    Les sourires précédèrent la bise, et les habituels discours qui font les retrouvailles de deux amis de longue date y succédèrent : Éléonore racontait son voyage qui s’était déroulé dans des conditions acceptables, malgré la présence dérangeante d’une famille nombreuse ayant bruyamment rythmé son trajet ; l’homme lui expliquait à son tour que les dieux semblaient avec eux pour ces deux jours ; le temps serait au beau fixe et – « Dieu merci ! » – ils pourraient profiter sans gêne de la blancheur des pistes.

    Ils arrivèrent dans le chalet où le feu de la cheminée brûlait déjà de toute sa vigueur. C’était un vrai logis d’hiver, aux couleurs rouges et brunes, fait de meubles en bois et d’une architecture à la modernité subtile. Éléonore lâcha un souffle d’étonnement. Yannick lui demanda tout de suite :

    — Tu veux boire, manger quelque chose ?

    — Je n’ai pas faim du tout. En revanche, un verre de rouge…

    — Madame boit du rouge, hein… glissa Yannick en souriant.

    Il sortit avec dextérité du placard au-dessus de l’évier deux verres ballon puis se pencha pour attraper l’une des bouteilles confinées dans la petite cave à vin.

    — C’est bien la première fois que tu viens ici ?

    Éléonore répondit promptement, la lèvre moqueuse :

    — Oui, tu ne m’as jamais invitée.

    — Menteuse ! se précipita Yannick. Tu as souvent été la bienvenue… Mais on sait tous les deux que tu es une femme occupée.

    Éléonore rit légèrement et lui tapa doucement l’épaule avec son poing. Tout au long du premier verre qui se vidait, ils parlèrent de leurs dernières nouvelles respectives, ce qu’ils avaient accompli, lu, vu ou entendu depuis leur dernière rencontre. Yannick lui reprocha au détour d’une réplique qu’il apprenait trop de choses en une fois, et que ce déferlement d’informations malvenu était à mettre sur le compte de son absence de réponse à ses messages ; elle répondit qu’il le savait bien, qu’elle était comme ça, absente de loin, son portable n’étant pas sa priorité première. Ils burent un deuxième verre et celui-ci fut l’occasion de se remémorer leurs souvenirs plus vieux, communs : l’école de dessin ensemble, les vacances en Italie avec le groupe, et puis son départ, et alors les autres rencontres, innombrables, à Paris, à Lyon.

    — Et cette fois où on a fini tous les deux dans une boite de gays !

    Ils rirent ainsi à chaque nouveau souvenir qui paraissait plus comique que le précédent. Mais à la fin du deuxième verre, Éléonore dit, alors que le silence s’était immiscé entre eux pour la première fois depuis plus de cinq secondes :

    — On va se coucher ? Il est déjà 23 heures, tu sais. Pour demain, je veux profiter entièrement de la journée de ski.

    Elle avait regardé son portable en disant cela. Et tandis que Yannick la confirmait, elle faisait glisser son doigt sur l’écran et lisait le message de Timothée, les yeux tombés et immobiles.

    — Oh, tu m’as entendu ? fit alors brusquement Yannick.

    — Hein ? Non, tu m’as dit oui, non ? Je t’écoute,

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