Avant, j'étais une princesse
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À propos de ce livre électronique
Complètement fauchée et à la recherche d’un toit, la jeune femme déniche la solution à ses problèmes lors d’une soirée de réseautage destinée aux entrepreneurs ambitieux. Cette solution se nomme Olivier, charmant vigneron en quête d’une experte des réseaux sociaux qui fera la promotion de ses produits du terroir. L’entente est conclue : la starlette s’occupera des communications de la compagnie en échange d’un logis.
Pour cette citadine indisciplinée, la cohabitation avec son nouveau patron méticuleux, en pleine campagne, créera un choc des cultures. Entre la fermette familiale, le décor romantique et les tonneaux de rouge, se pourrait-il qu’Émilie trouve encore mieux que son ancienne vie de princesse ?
Après la trilogie à succès Monsieur Addams et le roman percutant #MeToo, Marjorie D. Lafond nous propose ici un conte de fées moderne à la fois pétillant et savoureux.
Marjorie D. Lafond
Éternelle rêveuse et amoureuse des lettres depuis son plus jeune âge, Marjorie D. Lafond est diplômée en études littéraires et en enseignement du français. Après huit romans publiés depuis 2015, beaucoup de questionnements existentiels et du travail d’introspection, elle se lance à présent dans la rédaction de guide de bien-être avec comme approche celle de la découverte de divers univers spirituels axés sur le mieux-être.
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Avis sur Avant, j'étais une princesse
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Aperçu du livre
Avant, j'étais une princesse - Marjorie D. Lafond
De la même auteure
chez Les Éditeurs réunis
#MeToo, 2019
Le journal intime de ma femme troublée, 2018
Corps et âmes, 2017
Danse pour moi, 2016
Sous l’emprise de Monsieur Addams, 2015
À la merci de Monsieur Addams, 2015
Dans l’ombre de Monsieur Addams, 2016
À Pierre-Luc
1
D’éblouissants rayons de soleil pénètrent par la fenêtre de ma chambre. Je lève difficilement ma tête, agrippe mon oreiller et le dépose sur mon visage pour protéger mes yeux. Ma tête élance douloureusement. Ark, j’ai la bouche toute pâteuse ! Encore une autre gueule de bois. OK, je me jure que cette fois-ci, c’est la dernière. En tout cas, pour ce mois-ci où les abus semblent devenus une habitude. Il n’y a pas pire sensation que celle-là, il me semble ! Pourquoi aussi est-ce que j’ai oublié de fermer mes foutus rideaux hier soir ? Probablement pour la même raison que je n’ai pas pris le temps de me démaquiller quand je suis rentrée à… genre, quoi ? près de cinq heures du matin ? Ma cosméticienne me jetterait des pierres si elle l’apprenait. Je me risque de nouveau à découvrir mes yeux. Pas facile. Je me demande si cette grosse trace de rouge à lèvres que je découvre étampée sur ma taie blanche partira au lavage… Je jette un œil à mon cellulaire. Il est neuf heures. Donc, ça fait à peu près quatre heures que je suis au lit ! Avec tout l’alcool que j’ai ingéré hier, si je ne me tape pas au moins un sept ou huit heures de sommeil pour me remettre sur pied, impossible que je sois fonctionnelle aujourd’hui, je suis foutue pour le reste de la journée. Il faut dire que je n’ai plus vingt ans…
Alors que je cherche en moi la force de me lever pour aller mettre la main sur des comprimés d’acétaminophène, j’entends tous ces pop-up retentir sur mon téléphone. Affiché dans une petite bulle ronde tout en haut, à droite de mon écran, le coquin minois d’Isa semble me fixer avec impatience. Qu’est-ce qu’elle me veut à cette heure ? C’est à ce moment que ça me revient : la veille, elle a quitté le bar tôt dans la soirée, quand la bisbille a éclaté entre Kevin et moi, pour la énième fois ce mois-ci. Toujours la même chanson entre nous deux, mais hier soir, Isa n’a pas eu la même tolérance que d’habitude : juste avant de tourner les talons et de quitter le bar, elle m’a clairement fait savoir qu’elle n’en pouvait plus de nos prises de bec et de nos « spectacles » en public. Et je la comprends… moi aussi, j’en ai ras le bol. Mais mon amie devrait tout de même se montrer un peu plus compréhensive : s’il baisait moins bien, cet imbécile accro aux suppléments – je crois même qu’il se pique aux stéroïdes –, l’idée de le larguer pour de bon serait moins déchirante. Parce que pour l’instant, nos escarmouches déjantées compliquent la prise d’une décision qui se veut pourtant logique. Et raisonnable. Sérieusement, je ne sais pas ce que j’attends pour le faire… J’imagine que ça a à voir avec le fait que j’ai justement choisi de ne jamais être raisonnable. Être raisonnable, c’est pour les autres. Moi, la vie, je la goûte, je la déguste pleinement. J’ose, je vis de passion, d’intuition, de coups de tête et d’instabilité. C’est comme ça que je fonctionne. Et puis, au fond, le beau Kevin a tout de même d’autres qualités appréciables. Il est sportif, drôle parfois et c’est un grand voyageur comme moi. Peut-être que je ne devrais pas être si dure avec lui…
Je clique sur la petite bulle dans laquelle apparaît la frimousse de mon amie et remonte jusqu’au premier message qu’elle m’a envoyé il y a une heure.
Merde, Émilie, tu vas capoter… sur ton Instagram… Sais-tu sur quoi on t’a taguée ?
Je baisse les yeux vers son deuxième message envoyé une demi-heure plus tard :
Tu s’ras vraiment pas contente… OK, fille, t’as vraiment exagéré sur l’alcool hier… Je me sens mal, j’aurais pas dû t’abandonner avec cet imbécile de Kev ! J’aurais dû te forcer à rentrer avec moi. Quand t’es avec lui, tu fais toujours des conneries !
Je lis le texto suivant, envoyé dix minutes plus tard.
J’capote solide pour toi ! T’as vu ? C’est viral ! Le nombre de vues n’arrête pas de monter en flèche, ma pauvre chérie emoji_triste.jpg . Pis les commentaires cheaps qui pleuvent… Ouin les « pas de vie » s’en donnent à cœur joie !
Les yeux curieux et l’esprit plein d’appréhension tout à coup, je termine avec la lecture du dernier message qui date d’il y a quatre minutes à peine :
Appelle-moi pour me donner les détails de la soirée. Câline… Va falloir que tu commences à faire attention quand tu sors, c’est pas bon pour ton image.
Crime, de quoi elle parle ? Malgré mon état, mon cerveau en mode torpeur commence à s’activer et à paniquer. Hier soir au bar, il ne s’est rien passé de spécial, non ? On était au Big Shot, à l’occasion de l’une de ces soirées Tapis rouge VIP avec plein de beau monde. Une fois à l’intérieur, on a bu, on a dansé… Je me suis engueulée avec Kev, comme les dernières fois, et c’est tout, n’est-ce pas ? Après je suis partie, je pense… J’essaie de me remémorer mon départ, mais ça ne me vient pas. Quoi, black-out ? Un autre, comme le mois passé ?
Je me mets à masser mes tempes avec le bas de la paume de mes mains avec l’idée de réduire l’élancement dans ma tête. L’exercice semble du même coup m’aider à recouvrer la mémoire : oups, en effet, je crois que j’ai dérapé solide hier soir… Oh merde ! J’espère que des clients n’ont pas filmé ce à quoi je pense !
J’ouvre mon application Instagram. Dans mes notifications, je peux voir qu’on m’a taguée sur une vidéo du populaire média Narcity. Dix mille vues déjà. Fuck.
L’image figée sur la vidéo, c’est moi, avec ma coiffure remontée, mais à moitié défaite, vraiment pas la classe ! Mais ce qui fait le plus « pas de classe », c’est ma robe blanche. Ouf ! Ça frappe l’œil, cette grosse tache de vin au niveau de l’entrejambe sur le tissu blanc. Ouache, c’est quoi ça ? Honte à moi.
Le cœur battant de nervosité, je clique sur « Lancer la vidéo ». On me voit, une coupe de rouge à la main, en train d’engueuler Kevin, hystérique, le mascara qui coule parce que j’ai pleuré. J’exécute un numéro digne d’un clown de cirque d’horreur, avec gestes ridiculement amples et mimiques expressives à l’extrême pendant que s’échappent de ma coupe de grandes coulées de vin. That’s the moment : deux d’entre elles éclaboussent le bas de ma robe, ce qui me fait une horrible tâche là où ça peut porter à confusion… Misère, j’ai l’air d’une vraie folle. Je continue à fixer Kevin avec haine – l’air plus chipie que ça, tu meurs – pendant que mon corps se balance de manière grotesque. Je passe les doigts sous mes yeux, probablement parce que mon mascara qui coule me fatiguait, puis je les essuie à l’arrière de ma robe blanche…Vraiment ? Des traces noires à l’arrière de ma robe par-dessus le marché ? Le rouge, ce n’était pas suffisant ? Je me tourne, laisse Kev en plant et je commence à danser avec un grand gaillard musclé et tatoué, de style, on va se le dire, vraiment gino. Le gars porte beaucoup trop de gros bijoux ridicules et une chemise flashy vraiment laide. Évidemment, je me connais, je lui porte attention juste pour faire chier Kevin. Je danse lascivement avec le gars qui se frotte sur moi, alors que la bretelle droite de ma robe est tombée sur mon bras et que mon soutien-gorge est devenu trop exposé à la vue des invités. De surcroît, ma robe tachée est toute froissée et mal centrée. Décidément, j’ai vraiment l’air d’une chatte en chaleur. La caméra du maudit vidéaste anonyme se tourne maintenant vers Kevin, frustré, qui sacre son camp du bar, pendant que l’objectif revient rapidement à moi en train de grimper sur le long bar. Avec ma mini-robe, je danse à la vue de tous comme une fille complètement soûle et désinhibée le ferait. Le pire : je marche sur une serviette en papier mouillée qui se plante dans mon talon haut droit. Évidemment, je m’enfarge et tombe tandis que le gino dont je ne me souviens pas le nom – l’ai-je déjà su, au fond ? – me rattrape, fier comme un coq, avec son large sourire vicieux. Il me prend dans ses gros bras, m’assoit sur un tabouret qui longe le bar et porte un shooter de crème fouettée à ma bouche. Il m’en fait boire la moitié puis en garde quelques gouttes en réserve pour les verser dans mon décolleté qu’il se met à lécher. Ouache ! Honte ! Honte ! Honte à moi ! Une longue coulisse de liquide crémeux, genre Baileys, se fraie un chemin sur ma belle robe... blanche. Et la folle que je suis rit bêtement, la tête qui se balance de gauche à droite. OMG. J’en ai assez vu ! Je ferme la vidéo. Et j’entreprends de lire les commentaires qui défilent à sa suite. Horrible.
@Mel_Book : Pauvre fille. Tout pour se faire remarquer.
J’ai honte pour elle.
@Bravygirl : WOW. Voir qu’elle est rendue si bas…
Déjà que ses derniers posts commençaient à faire cheap…
@Emy_globetrotteuse : Elle est vraiment en déclin.
@Mag_aly : Quand on sait pas boire, on boit pas !
@Suz7654 : Dommage, c’est une belle fille… qui détient les
compétences parfaites pour se rendre hideuse et ridicule.
@MaudCawa : Fucking bitch. Va dont te rhabiller. Pis le clubbing,
c’est passé date.
@Healtygirl88 : Moi, c’est décidé : j’arrête de la suivre. Elle était
ben plus belle l’année passée quand elle prenait soin d’elle.
@Val_Strong : De toute façon, pourquoi on la suit ? C’est quoi
sa job ? Elle a quoi comme talent à part de faire chier avec
son corps entraîné, ses vêtements de luxe et ses crisses de
voyages financés par je sais pas qui ! Ben oui, on le sait ben
que t’es chanceuse d’être à l’aise de montrer ton beau cul
sur les réseaux…
@Love_Bloggeuse : Dire qu’au début je trouvais son contenu
profond et original… Aujourd’hui, sérieux, ça vole pas haut.
@SimTouin : T’es pas une rockstar, Émilie. Arrête de jouer à
l’idole tourmentée.
@VincentS : Tu fais honte au Québec. Je pense que ta carrière
d’influenceuse s’arrête là, ma grande. Tu es devenue l’antonyme
d’une influenceuse. C’est pas une maman, en plus ? Quel
exemple de merde elle donne à sa fille.
@Djuuu_ Mont : Si je me tiens encore dans les bars à son âge et
que je fais encore le party comme si j’avais 18 ans, svp, amenez-
moi une corde, c’est tellement pathétique.
OK. Assez, je pense que je peux me passer de lire les cent cinquante autres commentaires. Je dois absolument écrire au média pour qu’il supprime cette maudite vidéo qui, en effet, nuit à ma réputation, laquelle, comme le mentionnent certains abonnés, n’est pas à son meilleur ces temps-ci.
Je jette un œil par terre du côté gauche de mon lit. La fameuse robe est là, en tapon. Je la prends, juste pour être certaine… Oui, elle est bien là, l’horrible tache rouge violacé ; les coulisses de Baileys aussi. C’était pas un crisse de montage, cette foutue vidéo…
Dire qu’il y a trois ans, alors que je gagnais ma première compétition fitness, j’avais le vent dans les voiles, j’étais sur une lancée de feu ! Six mois plus tard, je publiais un livre dans lequel je parlais de dépassement de soi, d’objectifs fitness, de trucs santé. Je décrivais aussi comment j’étais devenue une influenceuse internationale. J’ai écrit Émilie ou l’art de se bâtir une vie rêvée à son image, un best-seller québécois dont j’étais tellement fière et qui s’est même très bien vendu de l’autre côté de l’Atlantique. Ma vie de rêve sur mesure, je me l’étais bâtie en travaillant avec acharnement et en profitant d’une bonne dose de chance, je dois l’avouer. L’an passé, j’ai également publié un petit guide intitulé 50 trucs pour développer sa sexitude. La sexitude, c’est mon invention ! C’est un état d’esprit que j’ai inventé et qui signifie « être à la fois zen et sexy dans son quotidien ». Être bien dans son corps, être fière de le mettre en valeur, que l’attitude devienne naturelle, créant ainsi une aura sexy et attrayante qui te suit partout et rend ta vie et celle de ceux qui te croisent plus lumineuse. Disons que les chiffres de vente ont été moins intéressants que ceux de ma première publication. J’ai eu droit à quelques brèves apparitions à la télévision, on a parlé du livre pendant quelques semaines, mais je m’attendais à davantage de publicité. De plus, mon guide a reçu des critiques, disons-le, mitigées. Certains ont trouvé le concept original, d’autres l’ont plutôt trouvé marrant. Cela dit, j’ai reçu plusieurs commentaires désobligeants de la part de lectrices féministes outrées par mes conseils. Malgré tout, je suis tout de même heureuse de constater que le mot « #sexitude » a su persister, le hashtag circulant toujours sur Instagram, ce dont je suis fière. Évidemment, on rêve toujours que ses écrits soient traduits en plusieurs langues, mais ce ne fut pas le cas. J’adore écrire, mais le fait que ce soit si peu payant considérant le temps accordé m’a démotivée un peu. À présent, je suis malgré tout à la recherche d’une idée géniale pour amorcer l’écriture d’un troisième livre, mais l’illumination ne vient pas. Je suis en panne d’inspiration.
Depuis les deux dernières années, grâce à mes commanditaires, je voyage partout dans le monde, je pose sur les plus belles plages des cinq continents, je porte des vêtements, des accessoires, du maquillage des plus grandes marques. Ma voiture est une belle Audi blanc éclatant et convertible, évidemment. La vie de rêve, oui, mais qui exige tout de même beaucoup de sacrifices, dont toujours être, ou du moins paraître, à son meilleur. Toujours au top de la forme. Toujours avoir un look impeccable à chaque sortie. À la longue, c’est clair que ça peut devenir éreintant, mais je ne le cache pas, ça m’allume, comme style de vie. Une vie de découvertes, de plaisir et d’exotisme. Pour moi, il n’y a que ça de vrai. Ça… et ma fille, Alicia, ma belle cocotte qui aura cinq ans dans quelques semaines. Son père et moi nous la partageons une semaine sur deux. Mon statut de starlette en cavale, je l’occupe seulement à mi-temps, car quand elle est avec moi, j’essaie de me dévouer entièrement à ma puce que j’aime à l’infini.
J’adore ma vie, mais je dois me rendre à l’évidence : je ne suis pas sur une bonne lancée. Même qu’on dirait que l’élastique que j’étire depuis un moment vient de rompre et de m’éclater en plein visage. Incapable de supporter une minute de plus mon crâne qui élance, je vais fouiller dans la pharmacie de la salle de bain puis en profite pour sauter dans la douche. Pendant que l’eau qui coule sur ma peau m’agresse plus qu’elle ne me fait du bien, je repense à mes dernières semaines. C’est vrai que dernièrement, je me suis un peu éparpillée. On le remarque sur mes dernières publications Instagram avec un contenu de qualité moindre que ce que j’avais l’habitude d’offrir à l’époque, ce qui m’avait apporté une popularité appréciable et rapide. Aujourd’hui, je partage beaucoup moins de vidéos inspirantes et je n’offre pratiquement plus de tranches de vie songées, comme celles qu’appréciaient mes fans. Même constat pour les conseils santé. Dernièrement, après une semaine passée à Cancún, une autre à Ibiza puis plusieurs apparitions dans des clubs de Montréal avec la gang ou avec Kevin, je suis plutôt devenue en mesure de donner des conseils de beuveries… Ça saute aux yeux que je trippe fort, sans réellement faire avancer ma carrière.
Mais quelle carrière, au juste ? Les abonnés ont raison. En effet, je ne sais plus trop quelle direction lui donner. Il faudrait sérieusement que je ralentisse la cadence avec les partys et les grosses dépenses et que je me fasse plutôt un plan de match pour la suite, surtout si je compte conserver mes commanditaires.
Quand je sors de la douche, mon téléphone sonne. Merde ! Pas lui ! C’est Jonathan, le père de ma fille, qui doit avoir vu la vidéo et veut une fois de plus m’engueuler pour me dire combien je suis une mère indigne, que je donne le mauvais exemple à ma fille en fêtant constamment et en changeant de chum tous les trois mois, etc. Bla bla bla bla, je connais la chanson ! Il devrait pourtant comprendre que c’est en grande partie à cause de lui et de notre relation toxique que j’ai du mal à m’engager avec un homme aujourd’hui. Mais il a l’esprit bien trop fermé pour comprendre ça ! Je laisse sonner, pas question que je parle à Jonathan aujourd’hui, je ne suis pas du tout en état d’encaisser.
Je me rends à la cuisine. Peut-être que manger du gras me replacera l’estomac ? J’ouvre le frigo et je mets la main sur des restes de pizza toute garnie. Pizza froide pour déjeuner le lendemain d’une brosse, il n’y a pas mieux ! Je sens que ce sera un cheat day. Mon entraîneur n’approuverait pas, car hier, c’en était un également. En effet, le chef d’un nouveau resto branché m’a invitée gratuitement à faire l’essai de mini-burgers fancy, de poutine au foie gras, de gâteau au fromage, caramel et fleur de sel, de vin et digestif hyper calorique, all the kit !
Vicky, ma coloc, me rejoint. Son air trop sérieux m’effraie, ce matin. Je n’aime pas ça… Qu’est-ce qu’elle a en tête, celle-là ?
2
Vicky s’assoit à côté de moi pendant que je dévore mon morceau de pizza.
— Il faut qu’on parle !
Je finis à peine ma grosse bouchée que je saute tout de suite aux conclusions :
— T’as vu la vidéo ?
— Oui. Et sérieux, c’est moche, m’envoie-t-elle avec dédain. Mais c’est à propos d’autre chose que je dois te parler d’urgence…
— OK, c’est quoi ? Mais je t’avertis : il faudrait pas que ça soit trop lourd, parce que mon cerveau se fait détruire par une tonne de marteaux piqueurs présentement, t’as pas idée.
— Tu sais quoi ? Ivre comme tu étais hier, oui, j’ai ma petite idée…
Elle s’est manifestement levée du mauvais pied ce matin. Elle poursuit, d’un ton navré, cette fois-ci :
— Émilie, il va falloir que tu partes.
— Quoi, maintenant ? que je lui réponds entre deux bouchées de pizza. Sérieux ? Là, tout de suite ? T’as besoin du condo juste pour toi et ton beau Miguel, ma tannante ? Ça peut pas attendre un peu ? J’suis…
— Non, Émi. Je parle pas de là, tout de suite, mais dans quelques jours. Tu vas devoir te trouver un autre endroit où habiter. Miguel va emménager ici, à ta place.
À ces mots, je retire la deuxième pointe de pizza que j’avais portée à ma bouche et la dépose dans mon assiette. Ça me prend un petit bout de temps avant de comprendre que j’ai bien entendu. Puis un autre petit bout avant d’être en état de répondre.
— Arrête, Vicky, voyons ! T’es pas sérieuse, quand même ?
— Désolée, ma belle, mais oui. Il est grand temps que tu te prennes en main. Et j’t’aide pas en te gardant chez moi.
— Merde, on est colocs. On s’entraide, non ?
— Peut-être au début, mais à l’heure qu’il est, ça fait déjà trop longtemps que ta vie est chaotique. Tu ne paies même plus ta part de loyer au complet, et certains mois, tu la sautes carrément. Et tu te laisses traîner… Misère ! Tu ne fais pratiquement jamais de ménage !
— On a une femme de ménage pour ça.
— Oui, peut-être, mais tu devrais malgré tout faire le minimum quand elle n’est pas là. Et surtout, tu es toujours sur le party. J’suis vraiment tannée que t’invites du monde chez moi. Parfois, j’ai l’impression d’être de trop dans mon propre condo ! Sérieux, tu m’étourdis, Émilie. Tu dois reprendre le contrôle de ta vie et je pense que je vais t’aider à avancer en t’incitant à prendre tes responsabilités d’adulte ! Tu vis ici comme une ado aux études. Mais t’as plus dix-huit ans, OK ?
— Voyons, Vicky. J’suis pas toujours sur le party. Je suis calme et tiens mon rôle de maman la moitié du temps avec Alicia. Et tu l’adores, ma puce, non ?
— Oui, j’aime passer du temps avec ta fille. On en passera encore, j’suis pas inquiète. Mais j’ai besoin de retrouver mon espace, tu comprends ? Et surtout, j’ai envie de vivre l’expérience de partager mon quotidien avec un homme, d’expérimenter la vie de couple et non plus celle de coloc qui a fait son temps.
— T’es donc bien pressée avec ton beau Mexicain ! Ça fait quoi, deux mois à peine que vous vous fréquentez ?
— Ça fait sept mois, ma grande. T’en perds des bouts ! Je te le dis, tu es devenue tellement narcissique que tu t’intéresses même plus à ce qui se passe dans la vie de ta meilleure amie !
— Je m’excuse, Vic. Tu as raison, j’ai pas assuré en tant que meilleure amie dernièrement.
— Peu importe. L’emménagement de Miguel ici, c’est pas si rapide que ça, d’autant plus qu’on est rendus exactement à la même place, lui et moi, sur un beat pas mal plus relax que le tien, mettons !
Je me mets à paniquer :
— Mais Vic, tu vas pas me laisser tomber au moment où je traverse une passe plus difficile ? Merde, mon amie, c’est vraiment pas le temps ! T’as bien vu la vidéo. Je vais avoir besoin de support ! Oui, OK, je l’avoue. Je m’éparpille un peu professionnellement ces temps-ci, mais en attendant, je continue à alimenter mon Instagram de belles photos pour mes fans, je m’entraîne fort. J’essaie, en tout cas, et je fais de mon mieux pour demeurer active même si l’inspiration est un peu moins au rendez-vous. C’est pas facile.
— Je sais, je comprends. Tu as peut-être besoin de faire un temps d’arrêt pour te réinventer, pour te refaire un plan de match professionnel solide.
— Oui, c’est exactement ce que je me disais tout à l’heure !
— Parce que tu sais, la carrière d’influenceuse sur Instagram peut être courte. Encore plus que celle d’un mannequin professionnel.
Cette dernière phrase, c’est la goutte de trop. Je craque en me mettant à pleurer à chaudes larmes.
— Tu penses que ma carrière est finie ? J’suis finie, c’est ça ?
Finalement, je deviens presque hystérique :
— J’suis bonne à jeter à la poubelle ! C’est ce que tu veux dire ?
— Franchement, la drama queen, arrête d’exagérer. Tu es pleine de potentiel, t’es belle, fonceuse, brillante quand t’es pas soûle… Tu sais quoi ? Moi, je ne te prends pas en pitié. Et j’ai besoin de me détacher un peu. Désolée
