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TDA: Roman policier
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Livre électronique237 pages3 heures

TDA: Roman policier

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À propos de ce livre électronique

Marjolaine est une jeune femme qui souffre d’un trouble de l’attention. Comme beaucoup de TDA, elle est surdouée mais aussi inadaptée à la vie en société. À vingt ans, son ami Patrick disparaît et Marjolaine fuit Lausanne. Douze années plus tard, le squelette de Patrick est retrouvé par une plongeuse au lac Léman. Marjolaine décide alors de revenir à Lausanne. Elle se fait embaucher par ceux-là mêmes qu’elle soupçonne d’avoir assassiné son ami. De leur côté, ses employeurs ont aussi leur propre plan. Ce n’est plus pour la vérité que Marjolaine va devoir se battre, mais pour sa propre survie. Si tant qu’un TDA attache beaucoup d’importance à la notion de survie.À PROPOS DE L'AUTEUR

Imad Ikhouane
est né à Safi, sur la côte Atlantique du Maroc. Il réside depuis 2007 en Suisse où il est consultant en nouvelles technologies. Son roman Le dernier Amghar est disponible chez 5 Sens éditions.Gauche Hebdo : Le dernier Amghar Vaste fresque de la société berbère.
LangueFrançais
Date de sortie10 août 2021
ISBN9782889492886
TDA: Roman policier

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    Aperçu du livre

    TDA - Imad Ikhouane

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    Imad Ikhouane

    TDA

    Roman

    Du même auteur

    – Le dernier Amghar, roman

    5 Sens Editions, 2020

    À Imane,

    L’amour ne rend pas aveugle, tu vois bien tous mes défauts ! Pourtant tu es restée :

    L’amour rend paralytique.

    Et tout l’océan n’est qu’une chanson à l’amour de l’huitre et du rocher.

    Je t’aime.

    Imad

    Chapitre 1 : Projet de voyage

    Plus un harem est grand, plus la compétition entre les mâles est féroce et plus il est important pour un mâle d’être gros. Au vu de la différence de taille entre le mâle et la femelle humains, notre espèce est modérément polygame.

    Jared Diamond, Le troisième chimpanzé.

    Schweppes Tonic est agitée, et elle fait des bulles.

    – Il fait la roulade.

    Le rire de Mia est sans retenue, invincible. Elle est assise sur le lit. Ses petits yeux noirs sont plissés et ses pieds tapent le bord du lit.

    – Ouille ! Je prends son cul en plein ventre !

    Elle est sur le point de suffoquer. Des larmes coulent de ses yeux.

    – Sa tête !

    Elle renverse la sienne en arrière, soulève les pieds et pédale en l’air avec ses jambes un peu courtes. J’ai beaucoup de mal à garder mon sérieux.

    Elle s’arrête brusquement, se soulève puis se penche vers moi, m’ouvre d’autorité les doigts et insère dans ma main le smartphone à la pochette rose bonbon. Résignée, je regarde la vidéo. L’homme a la quarantaine, il porte un slip Kangourou, et se prend pour un représentant de cette espèce. Il opère un saut à pieds joints du sol au lit, exécute une roulade, sa tête incline dangereusement à gauche et il atterrit sur le ventre de Mia nue comme un ver. Il dodeline ensuite la tête à droite et à gauche, c’est bizarre et c’est en même temps marrant.

    – On dirait un serpent envouté par une flûte.

    – Un gros serpent envouté par ma chatte ! J’aurais pu lui mettre la caméra du PC devant les yeux qu’il l’aurait pas remarqué.

    Mia parle en thaï. C’est plus facile pour elle.

    – C’est pas ça le français qu’il devait t’enseigner ! dis-je en riant.

    Elle opine du chef.

    – J’ai pas appris un seul mot. Le pauvre chou aussi, il n’a qu’une seule bouche !

    Il t’a payée ? Et ça ne t’a pas dérangé qu’il soit marié ? J’ai envie de lui demander, mais je me retiens. Mia n’est pas le genre à faire dans le bénévolat et elle n’a pas plus de morale qu’une déesse grecque. Un jour elle m’avait dit, un air admiratif dans la voix, qu’on pouvait, en Thaïlande, commanditer la mort d’un homme pour huit cents euros. Quand je lui ai exprimé mon effroi, elle m’a répondu que j’étais drôle « Même les tueurs ont des enfants qu’ils doivent nourrir, t’as pensé à ça ? » Je suis restée sans voix devant sa répartie. Elle a souvent cette sorte de victoires intellectuelles.

    « C’est pas le genre, voyons… » dit-elle en me mimant, sa bouche en cul de poule. « N’est-ce pas ce que tu disais ? »

    Il y a chez les gens qui paraissent respectables une part de respectabilité et une part de travail de comédien. La part de respectabilité est quelques fois toute petite ! Quarante ans, des lunettes et un visage ronds, une bonhomie d’un père Noël en formation, et un rire si enfant ! C’est une petite vedette sur le Net avec sa chaîne YouTube qui ambitionne l’apprentissage du français aux étrangers. L’homme compte plus de cinq mille abonnés. De temps à autre, il diffuse sa rencontre avec quelqu’un de son public. J’ai été charmée par une de ses vidéos et j’ai pensé à Mia. Je la lui ai montrée. Elle jeta un coup du coin de l’œil et dit en thaï : « Pfff… Pas mon genre. » J’eus envie de la mordre, ce que je fis aussitôt. « Sûr qu’il ne ressemble pas à tes clients. » Mia se redressa. Sa voix devint haut perchée et elle soutint que ses clients étaient des gens très très comme il faut. Cette petite victoire ne me suffisant pas, je poussai mon avantage : « Des hommes qui trompent leur femme, ça ne s’appelle pas des gens comme il faut. » Elle criait maintenant : « Parce que tu crois que ton pingouin à lunettes ne tromperait pas sa femme ? » « Jamais il ne ferait ça » dis-je avec un calme olympien. Elle me jeta alors son sac coccinelle sur la tête. Et voilà ! Deux semaines plus tard, Mia savourait sa revanche.

    – Tu avais absolument raison à propos de lui ! Très didactique. Il m’a aussi donné raison : tous les hommes tromperont toujours leurs femmes.

    – Ah bon ! Tous ! et toujours !

    – Tu l’entendrais tu ne douterais plus ! Les hommes ne sont pas les femmes, c’est ce qu’il dit.

    – Ton maitre d’école est un âne.

    Elle balaie des mains mes mots comme s’il s’agissait d’un essaim de mouches.

    – Comprends que ce n’est pas leur faute. Ils n’y sont pour rien, c’est biologique. Les espèces où le mâle est plus grand que la femelle sont toujours polygames. Tu le savais ça, miss morale ?

    Non, mais je n’allais pas le lui avouer, elle prendrait ça pour une victoire personnelle. Je botte en touche.

    – Je compte me dégoter un mec plus petit que moi.

    – Plus p… ! Mais tu fais un mètre cinquante-six !

    Un mètre cinquante-HUIT, j’ai envie de crier. Car plus on est petit, plus chaque centimètre compte. Je me drape dans ma dignité bafouée et ne dis rien.

    – Une épouse cherche instinctivement à domestiquer son mari. Ça ne marche pourtant jamais. Si on avait un tant soit peu de cervelle, on arrêterait même d’essayer ! À la fin, un jour ou l’autre, la femme finit par découvrir le pot aux roses. Et c’est le scandale ! Elle fait tout un drame, pleurs, cris, menaces… vraiment pathétique ! Par simple ignorance de la biologie ! Aussi, un bon mari soucieux de son couple et conscient des limites féminines, s’organise-t-il pour garder un certain mystère.

    La chaîne YouTube, mais bien sûr !

    – Ainsi, vous avez passé votre temps à papoter ?

    Mia hausse ses frêles épaules.

    – T’as vu la vidéo ou pas ! Puis les hommes font ce qu’ils peuvent. À partir d’un certain âge, les pauvres choux doivent meubler avec leur langue. S’il n’y avait pas ce souci, c’est sans modération qu’ils seraient polygames.

    – En tout cas ton prof s’exprime bien. Ton français en a au moins profité.

    – Mais tu n’écoutes rien de ce que je te dis ! On a parlé anglais, tout le temps.

    C’est vrai que Mia a une licence en littérature anglaise.

    Je respire un grand coup et pendant une seconde Mia se fige. Mon cœur se met à battre. Mon Dieu donne-moi le courage de le dire !

    Les mots sortent de ma bouche avant que je ne puisse les retenir.

    – J’ai un entretien d’embauche.

    Je lui ai parlé en Français, langue qui a le toucher assuré d’un fusil de précision.

    Dans ses grands yeux d’enfant, le regard est plein d’incompréhension. Mais c’est une bonne nouvelle, dit le regard. N’es-tu pas en fin de droits de chômage ? Pourquoi alors cette gravité ?

    – C’est à Lausanne, en Suisse.

    Elle hoche la tête comme pour dire qu’elle a capté. Elle regarde maintenant ses chaussures. J’ai envie de me jeter sur elle, de la prendre dans mes bras. Je me sens obligé d’aller jusqu’au bout, malgré, oui, malgré ma peur. Ma peur de casser ma Schweppes tonic.

    – Si je suis prise, je vais devoir libérer l’appartement.

    Au soulagement que je ressens, je comprends que j’ai bien fait de tout dire.

    – Si je ne suis pas prise aussi, ajouté-je.

    Je ne lui dis pas où j’irais alors, ni si j’irais quelque part ; cela, je ne le sais pas moi-même. Mais Schweppes ne pense en ce moment qu’à elle. Ce que cela signifie, elle le comprend. De nouveau la vie dans les hôtels ou dans la rue si elle ne trouve pas de client. De nouveau la vie comme avant que je ne lui mette la main sur l’épaule un jour qu’elle pleurait sur un banc du jardin du Luxembourg. Elle reprend le smartphone et de nouveau semble entièrement absorbée par la vidéo.

    – Là il me suce les orteils ! J’ai des chatouillis rien qu’à le regarder faire.

    Je m’impatiente.

    – Schweppes ! Tu dois m’écouter. Si je décroche ce boulot, je t’enverrai des sous. On peut envoyer de l’argent par téléphone, tu le savais ?

    Elle me regarde droit dans les yeux. Et c’est à mon tour d’avoir envie de changer de discussion. Je m’attends à une de ses incontrôlables colères. Ma Schweppes à moi n’arrive pas à garder sa tête froide. Mais c’est en Thaï et d’une voix douce qu’elle me parle.

    – Je n’ai pas besoin de l’argent que tu veux m’envoyer, ce dont j’ai vraiment besoin c’est que tu gardes l’appartement. Je vais payer le loyer. On m’a proposé du travail à la rue Fourcroy, au salon de massage dont je t’ai parlé. Je gagnerai toujours assez, laisse-moi vivre ici, s’il te plaît s’il te plaît !

    Elle a joint les mains et les a portées au niveau de son menton en forme de cœur. Je me sens me liquéfier. Je ferme les yeux et je revois la fois où j’ai laissé Mia une nuit seule dans l’appartement. Tous les travestis et les prostituées asiatiques de Paris étaient venus y faire la fête. Ma voisine qui appelle la police quand je me retourne deux fois la nuit dans mon lit a eu un malaise vagal et fut emportée par ambulance à l’Hôpital Cochin. La police, qu’elle a appelée dans ses derniers moments de conscience embarqua toute la joyeuse troupe. Et j’ai reçu une convocation au commissariat.

    – Je ne peux pas.

    – Tu as toujours trouvé du travail quand tu le voulais, pourquoi partir en Suisse ?

    – Je n’y vais pas que pour le travail. Garde cette vidéo, je lui dis, tu me l’enverras sur mon numéro. Euh… je vais prendre un téléphone portable une fois en Suisse, si tout se passe bien…

    Pour une raison quelconque, ma voix ne me convainc pas. Mia me prend les mains et les tire vers elle. Je suis obligé de la regarder dans les yeux.

    – Pourquoi tu y vas ?

    La simplicité de la question me laisse sans réaction.

    – Tu peux le dire à Mia, non ?

    Ma faiblesse prend le dessus. Elle prend la forme de la sincérité, de l’honnêteté ou même d’une certaine humanité. Je ne suis pas dupe, ce n’est que pure lâcheté. Je n’ai jamais supporté la pression.

    – L’ami dont je t’ai parlé ? avouais-je d’un air penaud. Celui qui a disparu.

    – Celui qu’on a fait disparaître, tu veux dire !

    – Ses… assassins, et le mot me fit déglutir, ils veulent m’embaucher.

    Mia tombe sur le cul, sans aucune métaphore, d’un coup. Elle s’assied sur le carrelage les pieds en tailleur et me regarde comme si je suis un poisson saugrenu dans un aquarium.

    – Tu comptes y aller ?

    Je fais oui de la tête. Mia a un air songeur. Elle doit se demander ce que j’ai dans la tête.

    Un cerveau grillé à moitié, mais avec un QI de 190.

    – Mon poussin, tu n’es pas de taille !

    Je suis sûre qu’elle ne fait pas seulement allusion à mon 1 mètre 58.

    – Ils vont te massacrer ma chérie, dit-elle d’un air définitif, puis sa voix se fit cajoleuse, presque maternelle. Fait pas ça poussin, ça ne vaut pas la peine, c’est tellement loin derrière toi. Regarde-toi, tu es si belle, oublie le passé.

    Cela fait douze ans que je n’ai d’autre avenir que ce passé. Je suis comme un rocher qui dégringole, je ne peux m’arrêter qu’arrivée au bout. Dans mes yeux Mia lit mon entêtement. Elle se lève d’un geste. Son agilité m’a toujours surprise. Elle se penche vers moi et j’ai la certitude qu’elle va me hurler dessus. Au lieu de quoi, elle me donne un léger baiser sur les lèvres. Elle tire sur la laisse de son sac coccinelle, la chose la plus chère qu’elle ait jamais eue, et s’en va vers la porte le traînant presque par terre.

    – T’as intérêt à avoir un téléphone bébé. Tu vas te mettre dans une sacrée merde.

    Elle s’arrête deux secondes, me dévisage et pousse un soupir.

    – Appelle-moi une fois que tu seras en plein dedans. Mia sera là pour toi.

    Ses mots me rassurent. Une maman ! Et j’ai tellement besoin d’une maman. Je ferme les yeux espérant qu’elle me prenne dans ses bras et qu’elle me protège. J’entends la porte qui claque derrière elle. À quoi je m’attendais ?

    J’aurais peut-être dû lui laisser l’appartement.

    Je mets mon visage dans mes mains, mais je n’arrive pas à pleurer. Mon cœur bat fort. Je me dis que Mia a raison, que je ne suis certainement pas de taille. Ma lâcheté commence doucement à prendre le dessus.

    Tu n’es rien ! me dit la voix à l’intérieur de ma tête. Pourquoi avoir peur pour un rien ? Mon cœur ne l’entend pas de la même manière et bat, bat, bat.

    Chapitre 2 : L’aventure de sortir de chez soi

    La musique permet de jouir des émotions, même de la douleur. Il n’y a qu’un seul état d’âme qui lui est inaccessible et c’est la solitude.

    Les sujets qui souffrent du Trouble de Déficit de l’Attention, TDA, ont la zone mémoire endommagée, un peu comme un smartphone qui aurait pris l’eau et dont la moitié des touches ne fonctionne plus. Beaucoup de TDA ont comme moi des QI élevés. Une stratégie de survie qui a prouvé son inefficacité. Mais nous avons quelque chose qui est plus précis chez nous que chez les gens normaux, nous avons l’intuition.

    Le processus de réflexion ressemble à un client affamé. Un super menu, type restaurant chinois, lui est proposé instantanément par la mémoire. Les informations circulent dans les deux sens du client au restaurant et du restaurant au client. Chaque fraction de seconde, ce super menu est redéfini, présenté autrement, amélioré selon les envies et les répulsions détectées chez le client. La mémoire produit ces images à la vitesse d’un internet cinquième génération. Le client n’a qu’à contempler les images finales, éliminer les plats les plus improbables, comparer les couleurs, sélectionner selon ses besoins et ses critères et passer la commande.

    Chez nous les TDA, la mémoire n’est au mieux qu’un plat du jour, le pain étant en supplément et les images sont floues, car servies par un internet bas débit. Parfois les images sont simplement absentes, le provider ayant coupé internet. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas avoir la même façon de réfléchir que les gens normaux, on finirait par ne plus rien avaler. C’est là que l’intuition entre en jeu, nous avons d’autres façons de relier les choses, nous nous basons sur des moitiés d’idées, des bouts de ressentis et finalement nous tombons juste. Là où les gens normaux n’ont pas assez d’éléments pour prendre une décision nous sommes à notre avantage, comme un aveugle est à son avantage dans une pièce obscure. Nous pouvons presque lire dans l’avenir. Mais nous portons notre malédiction avec nous. Un TDA va constamment à l’encontre de ses intérêts. Nous sommes des prophètes qui avons perdu la foi quelque part et au lieu de nous sauver, notre savoir nous perd. Nous voyons les trappes de l’avenir et nous nous jetons dedans. Dans le jargon, on appelle cela immaturité du développement neurologique des fonctions exécutives induisant des problèmes d’attention, d’impulsivité et de gestion des émotions ainsi que des difficultés sociales. Car nous n’avons pas que des difficultés cognitives. Nous n’avons souvent aucune aptitude à vivre avec les autres. Aussi Les TDA sont souvent de grands solitaires qui vivent avec leurs dettes pour compagnon. Un TDA avec des économies, ça n’existe pas. Nous nous débarrassons de nos revenus comme si l’argent nous brûlait les doigts. Nous conduisons à tombeaux ouverts et allons dans les rues où nous avons senti l’assassin se cacher dans le noir. C’est peut-être la vie qui nous incite à faire ainsi, qui tente de se débarrasser au plus vite de nous avant que l’on se multiplie. Peut-être que pour protéger l’espèce il faut éliminer les porteurs du mauvais gène à moins qu’elle ne veuille nous éliminer parce que nous sommes réellement des êtres dangereux.

    *

    La nuit est tombée. Je tire sur moi la couverture comme on tire un trait sur sa journée. La phrase de la vieille dame, un chat sur les genoux, se glisse avec moi à l’intérieur. Elle était assise droite comme si elle se tenait au milieu d’un salon parmi des gens qui l’intimidaient. Le chat avait une robe gingembre. Elle sentait l’ail et l’huile d’olive. C’était au milieu des fleurs du jardin du Luxembourg.

    « On promène son chien » me dit-elle en guise de bonjour alors que je m’asseyais à côté d’elle « mais un chat, ça vous retient à la maison. Ces bêtes vous font sentir que vous êtes moins seule puis ça vous coupe du monde. »

    Ma solitude est mon chat. Son poil est rugueux et elle est entière, rustre et vaincue. Elle reste là allongée à mes côtés comme un vieux fauve qui lècherait ses blessures, à qui l’ombre ne sert plus à chasser, mais à se cacher. Elle ne me procure ni joie ni tristesse, la solitude étant le pH7 des sentiments. S’il n’y avait pas les tracasseries quotidiennes, on resterait elle et moi toute notre vie ici, sans autre mouvement que celui de l’accordéon régulier et silencieux de mes poumons. On éviterait de réfléchir. On cocherait les minutes après chaque paquet d’expirations et on attendrait à quai le vieux capitaine.

    Pour moi réfléchir c’est hésiter, et dix ans de méditation ne constituent pas une protection suffisante. Il ne faut qu’un instant de distraction pour que les rouages tournent à une vitesse folle. Air, ressort, levier, soupape, anse et chauffe Marcel, chauffe ! Nourries par un QI de 190, les notes hésitantes jaillissent faisant perdre à l’accordéon toute sa régularité, toute sa sérénité. Je me mets à creuser des galeries avec des embranchements et des sous-embranchements. J’énumère les cas et les possibilités comme un joueur d’échecs méditerait le septième coup à venir. Sauf que le monde n’est pas un petit carré d’échecs, il y a toujours des dizaines de coups que le sort garde sous sa manche. À la fin, je ne peux que perdre à ce jeu-là. Il y a dix ans, j’ai pris les devants et j’ai décidé d’arrêter d’hésiter. Mais on ne se refait pas. Aujourd’hui encore, je continue à me demander si ce fut une bonne décision.

    Je dois mettre l’alarme sinon mon rendez-vous pour demain est cuit. Cette injonction opère sur moi comme une caresse, comme une comptine d’enfant. Je ferme les yeux. Mon rendez-vous peut aller se faire foutre. Mes paupières sont lourdes et grasses comme si elles avaient été marinées dans l’huile d’olive et farcies de plomb.

    Au moment de sombrer dans le sommeil, je glisse, physiquement, ma jambe se tend tout d’un coup et se lève comme si je tombais

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