Sortie de Prison

Par Cheima Trabelsi

Je suis née dans une prison particulière.
La prison que mon père avait bâtie pour l'ensemble de notre famille.
Dans cet vous partage, je vous partage les écrits de ma vie.
Ce livre est une idée du courage, de la liberté et un soutien à chaque femme qui subi, qui encaisse, qui a peur, se tait et qui ne sait pas comment s'en sortir.
La liberté ne porte pas le même sens pour chacun d'entre nous.

Nous naissons tous libres et égaux, ce sont les circonstances de la vie qui nous différencient.

• Langue: Français
• Éditeur: Books on Demand
• Date de sortie: 22 mars 2021
• ISBN: 9782322231515

Cheima Trabelsi

Enfermé dans une prison depuis la naissance, elle s'est relevée plus forte que les circonstances Aujourd'hui elle aide et soutient les femmes à révéler leur potentiel et leur courage grâce à ses coaching. C'est par ce premier ouvrage qu'elle nous raconte son vécu.

Aperçu du livre

Partie 1

Ma grand-mère était une femme de caractère, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. Pour une femme de son époque, elle était incroyablement puissante malgré le fait qu’elle ne savait ni lire, ni écrire. Elle eut sa première fille, ma maman, née en Tunisie. Lorsque ma mère eut seize ans, ma grand-mère décida de la marier, contre sa volonté, pour qu’elle puisse fonder une famille à son tour. Elle se trouva soumise face à un mari qu’elle ne connaissait pas, qui ne l’aimait pas et qui passait son temps à se saouler. Cet homme était en réalité le fils adoptif de sa tante.

Alors âgée de dix-sept ans, elle était dans l’obligation d’attendre sa majorité pour quitter la Tunisie seule. Son mari, lui, devait rentrer en France chez ses parents afin de régulariser la situation de maman pour son arrivée. À ses dix-huit ans, elle partit le rejoindre en France pour habiter avec. Elle s’adapta à une nouvelle vie, un nouveau pays et une nouvelle culture.

Maman a étudié auprès des bonnes sœurs. Elle maîtrisait donc deux richesses linguistiques très importantes : la lecture et l’écriture française.

Ma grand-mère avait prévu d’aller en France avec mon oncle, mineur à l’époque ; c’est une personne très importante de ma vie. Avant de partir, la tante de maman leur avait promis de les héberger. Ce n’est que deux jours avant d’embarquer sur l’énorme paquebot qu’elle en décida autrement : ma grand-mère reçut un télégramme de sa sœur lui disant que le déplacement n’en valait pas la peine puisqu’ils ne les hébergeraient pas. La voilà coincée, elle ne pouvait pas annuler leur voyage à la dernière minute ! Elle y avait investi tellement d’argent ! Toutes ces heures de travail interminables sous le soleil, dans les champs, pour pouvoir payer ce voyage… Malgré le message de sa sœur, elle prit la décision de maintenir leur départ, avec courage et détermination. Coûte que coûte, elle trouvera une solution ! Dans tous les cas, elle pourra au moins revoir sa fille qui lui manquait tant.

Je n’ai jamais eu la chance de connaître ma grand-mère. Lorsque l’on me parle d’elle, tout le monde dit qu’elle était une femme belle et courageuse, une véritable guerrière ! Maman me dit souvent qu’en me regardant, elle a l’impression de revoir sa mère. À mes yeux, c’est un très beau compliment !

*

À l’époque, une femme, sans mari, qui partait en France, avec un fils de seize ans, ça n’existait pas dans la culture maghrébine. Grand-mère avait pris énormément de risques pour en arriver là. C’était un jour spécial : ils embarquaient sur l’énorme paquebot et allaient traverser la Méditerranée pour une nouvelle vie en France.

Après des heures interminables de trajet, les voilà enfin devant l’appartement de sa sœur où résidaient sa fille et son gendre. Malgré le message de sa sœur, ils frappèrent à sa porte en espérant qu’elle changerait d’avis en les voyant et qu’elle ne les laisserait pas dehors, par ce froid. Sans surprise, elle resta sur sa décision et ne les logea pas. Ma grand-mère salua tout de même sa fille en pleurant et s’assura qu’elle allait bien car après tout, c’était elle qui l’avait marié à cet homme et qui avait pris le risque de la voir partir si loin d’elle, à Paris. La porte se referma et ils se retrouvèrent seuls en pleine nuit. Grand-mère se mit à pleurer : seulement quelques mètres les séparaient et pourtant, elles ne pouvaient toujours pas être ensemble ! En plus de cela, elle ne savait pas où dormir, ni s’ils allaient pouvoir manger et se laver. L’inconnu total. En sortant ses poubelles, le voisin de sa sœur avait entendu la conversation. Il proposa à ma grand-mère de les laisser dormir dans sa cave et en contrepartie, elle devait sortir ses poubelles. Elle accepta sans même se poser de question, après tout c’était bien mieux que de dormir dans la rue. Cette cave était un véritable trou infesté de rats et de cafards. Il y faisait un froid glacial et l’odeur des ordures était nauséabonde. Elle chercha du travail dès sa première semaine afin d’avoir une situation moins catastrophique. Elle en trouva très facilement : elle dut faire le ménage en échange d’un salaire. Cela ne lui faisait vraiment pas peur ! Elle fit preuve de gratitude envers Dieu d’avoir trouvé ce travail, ils allaient enfin pouvoir trouver un logement. A l’époque, ce n’était pas aussi compliqué qu’aujourd’hui mais pas simple non plus. Grand-mère avait choisi de rester en France pour être auprès de sa fille. Rien ne lui donnait envie de retourner en Tunisie, elle n’avait plus aucune attache.

Mon oncle avait seize ans et comme beaucoup d’immigrés de son époque, il fit d’énormes conneries. Il a commencé à voler des objets dans le secteur de Barbès, qu’il vendait par la suite (c’est un peu cliché, je sais, et pourtant vrai !). Pendant un temps, il squatta un appartement dans une cité, qui deviendra plus tard leur domicile. 35 rue Duris, Paris 20ème. La Banane comme l’appelaient les jeunes. C’était un squat. Ils ont bidouillé les prises de l’immeuble pour avoir de l’électricité et faire une arrivée d’eau en cherchant des tuyaux dans les murs des toilettes. C’était loin d’être le luxe mais cela était bien plus confortable que la cave ! Au moins, ils étaient épargnés de l’odeur infecte de la cave, des rats et des cafards. Voilà comment leur vie a commencé en France, à Paris.

La vie n’était pas évidente pour ma grand-mère, elle ne parlait pas un mot de français. Elle était analphabète, elle ne savait ni lire, ni écrire mais elle était déterminée. Elle avait ses astuces : elle se déplaçait en métro ou en bus et elle demandait, à maman, comment faire pour se rendre à telle ou telle adresse. Sa technique était de compter les stations et de regarder d’où elle partait pour se repérer. Et vous savez quoi ? Elle ne s’est jamais perdue ; pas une seule fois en vingt ans !

*

Quelques années plus tard, mon oncle est arrêté par la police pour vol, recel de bijoux et agressions physiques. À l’âge de vingt- deux ans, il est condamné, écroué puis expulsé de France. Ma grand-mère travailla deux fois voire trois fois plus pour l’aider et elle rechercha des personnes capables de l’aider sur place, pour sortir de prison. Elle y a laissé beaucoup d’argent en se faisant avoir par des escrocs. Être mère n’est pas facile ! Le problème est qu'une mère fera toujours tout son possible pour ses gosses. On appelle cela l’instinct maternel.

Ses papiers d’identité et de condamnation n'étaient pas encore numérisés lorsqu’on l’a ramené en Tunisie, il purgea sa deuxième peine de prison puis fut libéré. Il songeait déjà à revenir en France. Ça ne fut pas si compliqué pour lui, malgré son expulsion. À cette époque, le service militaire était obligatoire en Tunisie. Mais mon oncle, ayant été opéré du cœur, obtint un certificat médical le dispensant de cette obligation, grâce à un ami. Cet ami était en vérité le voisin de ma grand-mère à l’époque où elle vivait en Tunisie. Il l’avait amené face à un général qui lui avait délivré, assez facilement, ce certificat même sans ses papiers d’identité. Il a simplement dû passer un examen médical. À partir de ce moment-là, son retour ne fut plus qu’une question de temps. Cet ami devint comme un fils pour ma grand-mère car il avait « sauvé » son fils, d’un emprisonnement terrible. Il prit un avion et atterrit comme prévu en France. Un douanier l’a reconnu mais son nom était différent, une légère différence qui poussa le douanier à se taire, bien qu’il l’eût démasqué. Lui, qui avait été expulsé de France, quelques mois avant. Cette situation ne serait vraiment pas imaginable aujourd’hui et j’en ris encore en y repensant ! Il débarqua fièrement à l’aéroport, en costume, prêt à reprendre sa vie et à conquérir Paris. Quelle prestance ! C’était un très bel homme, il les faisait toutes craquer ! Il avait un charme fou et dégage un charisme sans égal. Il rencontrait beaucoup de femmes et avait eu beaucoup de conquêtes. Un véritable Don Juan. Il se mit en couple une première fois avec une française, issue d’une famille catholique qui ne rigole pas avec les traditions. Leur relation avait à peine commencé que les parents de cette jeune fille leur demandèrent, immédiatement, de cesser de se fréquenter. La relation entre un arabe musulman et une blanche catholique était inconcevable et surtout, quelle honte ! Que diraient les voisins et les gens du village d’eux ? Malgré leurs réticences, ils se marièrent. C’était tellement facile de se marier à cette époque ! Quel bonheur et quelle simplicité pour mon oncle, il était enfin libre. Du moins, jusqu’à ce que la gendarmerie débarque chez eux... Il fut à nouveau arrêté mais il fut honnête et raconta, comment il avait pu à nouveau rentrer en France. La chance a alors tourné et il fut relâché après seulement quelques heures d’interrogatoire. C’était un homme ambitieux qui avait toujours rêvé de réussite et d’argent. Il a créé des sociétés de tout et n’importe quoi, il a arnaqué énormément de gens juste pour avoir de l’argent. L’honnêteté, c’est uniquement lorsque ça nous arrange, n’est-ce pas ?

*

Maman avait vingt-quatre ans lorsque son divorce a été prononcé. Son mari en avait fait la démarche. Elle ne l’aurait pas fait d’elle-même, elle ne pouvait pas le quitter, cela aurait voulu dire qu’elle désobéissait à sa mère. Ils étaient pourtant malheureux ensemble. Bien que malheureuse, elle serait restée sous prétexte que, « chez nous », on ne divorce pas. On encaisse, on assume et on la ferme. Elle retourna alors vivre chez sa mère.

Entre-temps, des fonctionnaires de la mairie étaient venus recenser les habitants du squat et avaient inscrit les noms de tous ceux qui y vivaient. Ma grand-mère a dû mentir et donner son nom. N’oublions pas qu’elle squattait cet appartement et ne vivait pas là, à l’origine. J’appelle cela, un mensonge nécessaire, de survie. Ils l’ont alors enregistré et elle garda cet appartement, qu’elle rénova et remis au propre quelques temps après. C’était merveilleux ! Qui a dit que la chance n’existait pas ? Dieu dit dans le Coran « fais ce que tu peux, prie-Moi et Je t’exaucerai. » Une magnifique parole qui s’est avérée vraie pour ma grand-mère.

Maman parlait très bien français, elle savait lire et écrire. Elle trouva du travail facilement. Elle faisait du ménage, de la garde d’enfants, du repassage et divers métiers. Elle rencontra des gens incroyables et leur vie continua ainsi. Maman avait une pathologie, elle était angoissée et dépressive, une forme de dépression chronique qui peut basculer en schizophrénie. Elle était suivie par un psychiatre. C’était difficile pour ma grand-mère de la voir ainsi. Elle l’a beaucoup soutenue et aidée. Tellement aidée qu’elle a fini par tout contrôler et tout gérer, sans arrêt jusqu’à sa mort. Ma grand-mère était une femme forte et exceptionnelle. L’erreur qu’elle a commise avec ma mère fut de ne pas lui apprendre à être autonome et responsable. Maman ne savait pas gérer sa vie seule, elle dépendait beaucoup de sa mère.

*

Le temps a passé et la vie aussi. Maman avait bientôt quarante ans. Mon oncle vivait sa meilleure vie, il avait atteint les millions ! Il avait pris beaucoup de risques et ces risques lui avaient permis une belle réussite. C’était et c’est toujours un exemple pour moi. Lorsqu’il avait huit ans, son père lui donnait des beignets frits et de la citronnade qu’il allait vendre sur la plage pendant que ses copains jouaient et se moquaient de lui. Maintenant qu’il avait réussi, c’était difficile pour lui de ne pas les prendre de haut, par fierté. Lorsque que mon oncle était client dans un