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Intrigues au manoir Ravenswick
Intrigues au manoir Ravenswick
Intrigues au manoir Ravenswick
Livre électronique377 pages4 heures

Intrigues au manoir Ravenswick

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À propos de ce livre électronique

Angleterre, 1850. Dans le cadre princier et bucolique du domaine Ravenswick, les préparatifs du mariage très attendu entre Lord Edward Summersault et Lady Gwendoline Stoneham battent leur plein. Bals étincelants, promenades romantiques dans les jardins en fleurs, copieux banquets et chasse à courre – organisés en grande pompe – composent une toile de fond digne des plus grands romans victoriens.
Mais sous l’éclat des dorures et des sourires bienséants, les rumeurs prennent de l’ampleur. On chuchote, derrière les portes closes, qu’il s’agit d’un mariage de convenance, les deux familles impliquées souhaitant préserver leur honneur et sauver les apparences.
Dans une atmosphère à la fois festive et fastueuse, des invités triés sur le volet et des nobles de passage verront leurs destins s’entrelacer. Entre secrets bien gardés, séductions imprévues, affrontements de classes et passions naissantes, chacun devra choisir : suivre les conventions… ou son cœur ! Qui sait ce que la fête réserve aux invités ?
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditeurs réunis
Date de sortie5 nov. 2025
ISBN9782898672736
Intrigues au manoir Ravenswick
Auteur

Sonia Alain

Sonia Alain écrit dans différents genres littéraires. Ces romances se veulent un mélange de passion, de suspense et d’émotions. Elle récidive ici avec Cléopâtre, une romance historique exaltante et envoûtante.

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    Aperçu du livre

    Intrigues au manoir Ravenswick - Sonia Alain

    Cinq jours avant le mariage

    Le dos droit, Lavinia jeta un regard soucieux sur l’écritoire situé sur le petit bureau du boudoir contigu à sa chambre. Elle aurait dû composer cette missive pour le Dr Williams depuis une heure, mais le problème, c’était qu’elle était préoccupée et n’arrivait pas à organiser ses pensées. La lettre concernait Gwen, sa femme de chambre, qui la servait depuis cinq ans avec une fidélité à toute épreuve. Discrète et douce, celle-ci était devenue une confidente pour Lavinia au fil du temps. À aucun moment elle ne l’avait trahie, en plus de se montrer de bon conseil. Cela allait donc de soi que Lavinia l’aide en retour, alors que la pauvre se trouvait dans une position fort délicate, qui pouvait lui faire perdre son emploi si jamais son secret s’ébruitait.

    Gwen s’était déshonorée, et malheureusement, dans leur monde étriqué, si les hommes étaient libres de satisfaire leurs besoins primaires au gré de leurs fantaisies, ce n’était pas le cas des femmes. Si l’une d’elles était prise en flagrant délit, hors des liens du mariage, elle se voyait condamnée par la société et vouée à une vie de misère.

    Lavinia se frotta le front. Elle s’inquiétait du sort de sa domestique et de celui de sa cousine Gwendoline, qui était sur le point de se marier. Des rumeurs alarmantes circulaient à son sujet, de celles qui pourraient nuire à sa réputation et lui coûter son union avec Lord Summersault. Le comte était-il au fait des ragots désobligeants qui se chuchotaient à propos de sa future épouse ? Lavinia l’ignorait, pas plus qu’elle ne pouvait confirmer si ces ouï-dire étaient infondés.

    Elle émit un faible gémissement en sentant poindre une migraine. Elle ferma les paupières et trouva un certain réconfort en plongeant dans ses souvenirs. Sa mère, Mary, était la sœur cadette d’Elizabeth, la mère de Gwendoline. Toutes deux étaient issues d’une famille aristocratique dont le nom ancestral était plus que respectable. Aucun scandale n’avait entaché cette lignée, du moins jusque-là. Lavinia grimaça à cette pensée en songeant au déshonneur qui attendait Gwendoline. Les rumeurs la concernant devaient être étouffées dans l’œuf avant qu’elles ne prennent de l’ampleur et causent des dommages irréparables à sa cousine.

    — Grand Dieu, murmura Lavinia pour elle-même.

    Elle n’avait personne vers qui se tourner pour demander conseil. Son père et sa mère étaient décédés dans un accident de carriole, alors qu’elle n’avait que cinq ans. Orpheline, elle avait été recueillie par sa tante Elizabeth et son oncle Albert. Elle avait eu la chance d’être traitée avec bonté et non comme une parente désargentée dont il fallait s’occuper par obligation. Dès le départ, une belle amitié s’était tissée entre elle et Gwendoline, à l’inverse de Victoria, la sœur de cette dernière, avec qui elle avait moins d’affinités en raison de son caractère tranché.

    Lavinia ne pouvait donc demander l’avis de sa tante et encore moins celui de Victoria. Quant à Gwendoline, hors de question d’ajouter à son fardeau en l’interrogeant au sujet des rumeurs colportées à son sujet. Complices autant dans leurs premiers émois que dans leurs incertitudes, Gwendoline et elle n’avaient pas de secrets l’une pour l’autre, à tout le moins à ce jour. Lavinia se recula sur son siège en se mordillant la lèvre inférieure, signe de son trouble. Si les médisances étaient fondées et que Gwendoline était enceinte, elle se retrouvait dans une position aussi fâcheuse que Gwen, sa femme de chambre, l’heure était grave. Comment le comte réagirait-il si cela s’ébruitait ? Mettrait-il fin à leurs fiançailles, à quelques jours du mariage ? C’était chose possible. Et que leur arriverait-il par ricochet, à Victoria et elle, advenant le cas où cela se produirait ? Elles seraient à leur tour éclaboussées par ce scandale. Ses propres chances de contracter une alliance avantageuse seraient réduites de façon considérable, tout comme l’union fraîchement conclue entre Victoria et le duc Alistair de Ravenshore risquait d’être compromise.

    — Seigneur, Gwendoline…

    Lavinia s’appuya sur le bureau d’acajou, comme à la recherche d’un soutien solide dans cette tourmente. Elle savait que Gwendoline avait eu une liaison avec un homme provenant d’une classe sociale inférieure, puisque c’était elle qui avait servi d’intermédiaire entre les deux tourtereaux. Elle avait dû avoir recours à quelques stratagèmes pour couvrir les arrières de sa cousine en diverses occasions. Et en dépit du fait que Gwendoline et son amant s’étaient montrés discrets et extrêmement prudents, il était prévisible qu’un jour ou l’autre, leurs manigances finissent par remonter à la surface. Dès lors, les bavardages au sujet d’une possible grossesse deviendraient plus que probables.

    Lavinia secoua la tête avec lenteur. Elle ignorait qui avait médit au sujet de Gwendoline, mais elle aurait souhaité pouvoir en discuter avec sa cousine. Cependant, il n’y avait pas moyen de se retrouver seule avec Gwendoline, même pour deux petites minutes, avec toute cette agitation autour du mariage à venir. La future épouse n’avait de cesse d’être sollicitée de toutes parts.

    — Juste ciel ! souffla Lavinia en posant une main sur sa poitrine.

    Elle ne pouvait permettre à son esprit de s’égarer de la sorte. Elle devait la soutenir et ne pas se laisser distraire par les rumeurs, malgré qu’un doute subsistât en elle. De toute manière, elle ne pouvait rien changer à la situation dans l’immédiat, mais elle resterait solidaire envers Gwendoline, quoi qu’il en coûte.

    Lavinia porta les yeux sur la feuille encore vierge posée sur son écritoire. Pour l’heure, elle ne pouvait rien faire en ce qui concernait Gwendoline ; en revanche, elle était en mesure d’apporter son aide à sa femme de chambre. Gwen se trouvait dans une position fâcheuse. Elle avait cédé aux plaisirs de la chair, car elle avait eu une confiance aveugle en un homme dépourvu d’honneur. La pauvre avait cru à tort que l’individu s’était protégé adéquatement au moment de leurs ébats, mais ce dernier l’avait dupée. Pire, il refusait de prendre ses responsabilités et l’abandonnait à son triste sort, alors qu’elle était grosse de ses œuvres.

    — Mais qu’est-ce qui leur arrive ? marmonna Lavinia avec désespoir. Ont-elles toutes deux perdu la tête ? se demanda-t-elle en songeant à sa domestique et Gwendoline.

    Mais à quoi bon broyer du noir ? Le mal était fait dans le cas de Gwen. Quant à Gwendoline, Lavinia ne pouvait que souhaiter qu’il s’agisse seulement de médisances. En attendant d’en avoir le cœur net, elle était en mesure d’apporter son aide à son employée. Déterminée à agir, Lavinia s’empara d’une plume qu’elle aiguisa avec soin, puis approcha l’encrier. La société serait peut-être prompte à réprouver la malheureuse, mais elle refusait de la blâmer. Puisqu’il lui était impossible de parler de la situation à qui que ce soit, elle se tournerait vers l’unique personne susceptible de lui apporter son aide et de garder le secret : le Dr James Williams, le médecin de la famille Stoneham.

    La mine soucieuse, elle se tapota les lèvres. Il lui suffisait maintenant de trouver les mots justes, afin de ne pas condamner sa femme de chambre d’entrée de jeu. Elle décida de demeurer factuelle, sans étalage d’états d’âme ni prose. Elle était connue pour être pragmatique, réfléchie et posée ; à elle, donc, de faire bon usage de ces qualités dans sa missive. Après tout, ce qui importait, c’était de réussir à convaincre le docteur de lui apporter son soutien de manière discrète.

    Plus tard, ce jour-là

    Lavinia essuya avec soin les coins de ses lèvres avec sa serviette afin d’effacer toute trace qu’aurait pu laisser sa dernière bouchée de pudding nappé de crème anglaise. En dépit de ses préoccupations, il n’était pas dit qu’elle manquerait de manières à la table de son oncle et de sa tante. Cela aurait été de mauvais goût, en particulier avec l’un des invités, qui ne cessait de la dévisager. Certaines personnes présentes semblaient avoir remarqué comme elle le manège de l’homme en question et ne se priveraient sans doute pas d’en discuter une fois qu’elles se seraient retirées. Un raclement de gorge discret sur sa droite la rappela à l’ordre. Le front barré d’un pli soucieux, Lavinia se tourna vers Gwendoline, qui nota son trouble.

    — Qu’y a-t-il ? chuchota-t-elle pour n’être entendue que d’elle seule. Êtes-vous souffrante ?

    S’en voulant de l’avoir inquiétée, Lavinia s’efforça d’afficher un sourire de circonstance. Sa cousine en avait suffisamment sur les bras avec les préparatifs du mariage sans en rajouter.

    — Ce n’est rien, s’empressa-t-elle de répondre avec un haussement d’épaules.

    — À d’autres ! Lavinia Meynell, rétorqua Gwendoline. Je vous connais, vous ne me duperez pas. Vous êtes tracassée, c’est évident.

    Lavinia se retint de lever les yeux au ciel ou d’émettre un claquement de langue agacé. Il était vrai qu’elle était perturbée, mais ce n’était ni le lieu ni le moment pour s’épancher sur les rumeurs qui couraient au sujet d’une possible grossesse de sa cousine. Cependant, incapable de lui mentir sans rougir, Lavinia chercha une parade plausible pour berner Gwendoline.

    — C’est à cause de cet homme, lâcha-t-elle en désignant du menton l’invité qui n’avait eu de cesse de la dévisager.

    Sans même tourner la tête, Gwendoline devina de qui il était question. En fait, il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer l’attention marquée que l’individu portait à Lavinia.

    — Vous devez faire allusion à Ralph Browning, suggéra Gwendoline avec une légère pointe d’amusement dans la voix.

    Lavinia pouvait se montrer pointilleuse sur les règles de l’étiquette et c’était parfois exténuant. Pour sa part, un peu de piment était toujours bienvenu, pourvu qu’elle s’assurât de demeurer discrète afin de ne pas scandaliser la bonne société.

    — Que fait-il ici ? s’informa Lavinia.

    Gwendoline plissa les paupières et scruta sa cousine. Se pouvait-il que cette dernière s’autorise enfin à sortir de sa coquille ?

    — Pourquoi ? Il vous intéresse ?

    Elle n’avait pu s’empêcher de la taquiner et, comme elle s’y attendait, Lavinia s’empressa de protester :

    — Pas du tout ! répliqua celle-ci avec plus de vigueur qu’elle n’aurait dû en démontrer.

    Du coin de l’œil, elle vit sa tante Elizabeth la fixer avec perplexité, et l’individu dont il était question, arquer un sourcil. Elle avala sa salive de travers, manquant de peu de s’étouffer. Par chance, son oncle Albert se redressa au même moment, attirant tous les yeux sur lui.

    — Si nous laissions ces dames se retirer au salon ? proposa-t-il avec affabilité.

    Saisissant l’occasion, Elizabeth se leva à son tour avec grâce, imitée en cela par tous les hommes présents à la table.

    — Quelle bonne idée, très cher ! s’empressa-t-elle d’acquiescer en échangeant un regard de circonstance avec son époux.

    De toute évidence, ce dernier avait également noté l’attention marquée dont faisait l’objet Lavinia de la part de Ralph Browning. Et tout comme elle, ce détail ne semblait pas l’enchanter. Cet individu n’était pas de leur milieu. Il n’avait donc pas sa place parmi eux. Il avait été invité par Lord Summersault, qui envisageait de s’associer à lui dans le cadre de certaines affaires, rien de plus. En aucun cas, cela ne lui octroyait le droit de se montrer discourtois envers Lavinia en la reluquant de cette manière, à la vue de tous, au demeurant. La réputation de la petite risquait d’en souffrir si elle-même ne veillait pas au grain.

    Loin de telles pensées, Ralph, qui s’était levé avec une souplesse féline, resta immobile, les mains croisées derrière son dos, le regard rivé sur Lavinia Meynell. La jeune femme était vêtue avec élégance, mais sans froufrous superflus comme affectionnait la gent féminine en temps normal. Ainsi, sa mince silhouette était mise en valeur. Elle lui paraissait pourvue de beaux attraits, même à cette distance, et aurait pu éclipser les ladys présentes si elle l’avait voulu. Mais elle restait discrète, ainsi qu’il seyait chez une dame de valeur, et c’était tout à son honneur. Aurait-elle suscité son intérêt en des circonstances différentes ? C’était possible, car à sa façon, elle le captivait, et c’était dangereux, surtout avec ce qu’il avait découvert à son sujet avant de descendre pour le repas.

    D’emblée, il songea à la lettre qu’il avait dissimulée dans ses effets personnels après en avoir pris connaissance, là où le valet de chambre qui lui avait été attitré durant son séjour au manoir ne la trouverait pas. Le pli avait été déposé sur sa table de nuit avec deux autres missives par un autre valet. Mais, contrairement au reste de son courrier, il ne portait aucun nom de destinataire ni cachet. Il avait juste été scellé avec de la cire rouge. Néanmoins, les bords avaient été minutieusement alignés avant d’être pliés, signe que la missive n’avait pas été rédigée à la hâte. L’écriture était régulière et soignée, et les mots, circonspects. Même si l’auteure avait été méticuleuse, le message était explosif et se révélerait lourd de conséquences s’il tombait entre de mauvaises mains. S’il avait été un véritable gentleman, Ralph se serait abstenu de lire la lettre dès le départ en voyant qu’elle était adressée au Dr Williams. Il eut un sourire dérisoire à cette pensée. Il ne s’était pas hissé si haut en faisant preuve de délicatesse, aussi s’était-il montré indiscret. Quoi qu’il en soit, il avait été abasourdi en découvrant la teneur du communiqué.

    Déjà qu’il s’inquiétait de la rumeur qui circulait dans certains clubs voulant que Lord Summersault eût acquis sa fortune en s’adonnant à des pratiques douteuses en lien avec la traite d’esclaves… En tant que fervent défenseur de l’abolition de l’esclavage, Ralph refusait d’être lié à un tel individu. Il avait peut-être recours à certaines méthodes peu orthodoxes pour atteindre ses objectifs, mais il restait un homme de valeur, avec des convictions et des principes. De plus, sa situation étant précaire dans l’immédiat, il ne pouvait se permettre de voir son nom associé à un scandale. Sa mère et l’avenir de ses trois sœurs dépendaient de lui. Il ne voulait pas causer leur perte en faisant les mauvais choix.

    Et voilà que cette note incriminante tombait miraculeusement entre ses mains. Et, plus surprenant, l’auteure de cette missive se trouvait face à lui, de l’autre côté de la table. La jeune femme devait ignorer que le pli qu’elle avait rédigé se trouvait désormais en sa possession et non en celle du Dr Williams. En effet, la dame semblait préoccupée, mais pas paniquée pour autant, du moins, pas pour le moment. Il était à prévoir que ce serait différent une fois qu’elle serait avisée de cette méprise. Quant à lui, il était prêt à user de subterfuges pour découvrir si la Gwen mentionnée dans la lettre était bel et bien Gwendoline Stoneham, comme il le suspectait. Si ce n’était pas le cas, il ferait amende honorable auprès de Lavinia Meynell. Mais, s’il avait raison, il s’empresserait de quitter le manoir et de mettre un terme à son association avec Lord Summersault. Restait à espérer que Lavinia Meynell se montrerait coopérative et qu’il n’aurait pas à exercer de pression sur elle pour lui soutirer la vérité.

    Lavinia aurait souhaité se retirer tôt, car elle n’était pas d’humeur à se divertir tant elle était tracassée. Pourtant, l’ambiance était légère et agréable. Sa cousine Gwendoline venait de terminer de jouer une magnifique pièce au piano, l’une des préférées de Lavinia. Victoria l’avait également accompagnée de sa voix mélodieuse, soulevant des applaudissements sincères des invités. Les hommes, qui avaient fini de boire leur porto et de fumer leur cigare, s’étaient joints à l’assemblée. Lavinia se massa le front, en proie à une migraine. Que n’aurait-elle pas donné pour avoir la possibilité de s’éclipser ? D’autant plus que les discussions autour d’elle semblaient vouloir prendre une tournure trop délicate à son goût.

    — Que pensez-vous de la nouvelle réforme sur les heures de travail des enfants ? questionna l’une des convives.

    — Elle est justifiée, selon moi, dit Gwendoline avec vigueur.

    À sa droite, Lavinia la dévisagea avec stupeur. Normalement, sa cousine se montrait plutôt discrète sur ses opinions politiques. Mais d’un autre côté, Lavinia savait qu’il s’agissait d’un sujet important pour elle. D’ailleurs, Gwendoline était très engagée dans une œuvre de bienfaisance qui luttait contre le manque d’hygiène dans les quartiers pauvres. Voyant les sourcils se froncer chez certains invités, Lavinia crut bon d’intervenir :

    — Même si le temps de travail de ces petits a été diminué à six heures par jour, il n’en demeure pas moins que la place des enfants n’est pas dans les usines ou, pire, les mines, déclara-t-elle à son tour avec ferveur.

    — Que voilà des propos étranges dans la bouche d’une jeune lady, répliqua l’un des gentlemen présents, qui était en désaccord avec ces propos.

    Lavinia baissa la tête, s’en voulant d’avoir parlé. Tout comme Gwendoline, elle n’aimait pas attirer l’attention sur elle.

    — Et où devraient se trouver ces gamins, selon vous, mademoiselle Meynell ? s’informa un individu dont elle ne reconnaissait pas la voix.

    Piquée au vif, Lavinia releva les yeux et croisa le regard intrigué de Ralph Browning. C’était lui qui venait de poser cette question et, manifestement, le reste des convives attendaient une réponse de sa part avec un intérêt marqué. Tout comme Victoria, assise devant elle, qui la dévisageait avec stupeur. En temps normal, c’était cette dernière qui n’hésitait pas à bousculer les convenances en défiant les attentes sociales de la haute société. D’ailleurs, elle ne cachait pas son désaccord face au mariage arrangé de sa sœur avec Lord Summersault, qu’elle considérait comme un sacrifice de son aînée. Encore plus mal à l’aise, Lavinia se retint avec peine de prendre ses jambes à son cou. Ce devait être à cause de Ralph Browning, qui la fixait sans pudeur, son sourcil gauche relevé avec arrogance. Cet homme dégageait une assurance confondante et aurait pu l’intimider si elle n’avait pas été agacée par son attitude. C’est sans doute la raison pour laquelle elle redressa le menton avec détermination. Résolue à ne pas s’en laisser imposer, elle le fixa franchement.

    — Ces enfants devraient se trouver sur des bancs d’école, monsieur, déclara-t-elle avec un aplomb qu’elle n’affichait qu’en de rares occasions.

    Tante Elizabeth émit un petit hoquet étranglé à ces mots, alors qu’un sourire satisfait se dessinait sur les lèvres de Victoria. Elizabeth était habituée au caractère tranché de sa benjamine, mais pas au fait que Lavinia se porte à la défense des miséreux avec autant de conviction.

    — Dieu du ciel ! s’exclama l’invité qui s’était insurgé un peu plus tôt. Où ira notre société si nous permettons aux pauvres de s’éduquer ?

    Le courroux de l’homme était palpable, ce qui excéda Ralph. Il s’était amusé à asticoter la jeune lady et avait été surpris par son audace, mais il ne supportait pas le discours archaïque de l’individu pompeux qui venait de s’exprimer. Tous ces aristocrates hypocrites lui soulevaient l’estomac et mettaient sa patience à rude épreuve.

    — Pour ma part, je suis d’accord avec Mlle Meynell. Après tout, les Britanniques se targuent d’avoir mis fin à l’esclavage. N’est-ce pas une forme d’esclavage de vouloir garder ces enfants dans l’ignorance ? contreattaqua-t-il avec une pointe cassante.

    Le visage de son interlocuteur s’empourpra instantanément de colère, alors qu’un froid glacial tombait sur la pièce. Même Lord Summersault semblait mal à l’aise, tout à coup, et Ralph s’en félicitait. Il avait lâché ces paroles sciemment, afin d’en apprendre plus sur les rumeurs entourant le futur époux à propos de la traite d’esclaves.

    — Messieurs, un peu de retenue, intervint Albert Stoneham d’un ton paternel. Nous sommes en présence de dames, non dans un club. De surcroît, Lord Summersault et ma fille se marient dans cinq jours, l’heure devrait être plutôt à la réjouissance.

    — Vous avez raison, mon oncle, s’exclama Lavinia, rougissante. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais me retirer.

    — Oh, ma chérie, s’inquiéta sa tante en venant la rejoindre. Ce sont vos migraines, poursuivit-elle avec compassion.

    — En effet, mentit à moitié Lavinia.

    Un mal de tête menaçait effectivement de poindre, mais il s’agissait davantage d’un besoin de se soustraire à l’attention générale, et en particulier à celle de Ralph Browning.

    — Allez vous reposer, dans ce cas. Vous devez être au mieux de votre forme pour le bal de demain soir.

    La sollicitude de sa tante toucha derechef Lavinia. En effet, il était préférable pour elle de monter à sa chambre tôt. Préoccupée, elle partit sans jeter un regard en arrière, aussi ne vit-elle pas Ralph Browning se faufiler avec discrétion par la porte vitrée menant au jardin. D’un pas rapide, l’homme gagna une seconde porte-fenêtre qui donnait dans la bibliothèque, la franchit et traversa le cabinet vide à grandes foulées, ce qui lui permit d’atteindre le hall au même moment que Lavinia. La jeune femme sursauta lorsqu’il surgit de nulle part sur sa droite.

    — Monsieur Browning ! s’écria-t-elle d’une voix mi-aiguë.

    Mais avant qu’elle n’ait pu ajouter quoi que ce soit d’autre, il la saisit par le coude et l’entraîna vite fait vers la pièce qu’il venait de quitter.

    — Mais qu’est-ce que vous faites ? se révolta-t-elle, en tentant de se dégager d’une secousse.

    Elle ne connaissait pas cet homme et se retrouver seule avec lui dans cette pièce, à l’écart de tous, était proscrit. Elle risquait gros si quelqu’un les surprenait. Redoutant d’être compromise, elle chercha à s’esquiver, mais Ralph lui

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