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Le Canada et l'Arctique
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Le Canada et l'Arctique
Livre électronique650 pages8 heures

Le Canada et l'Arctique

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À propos de ce livre électronique

Le réchauffement climatique a des répercussions considérables sur l’environnement arctique, dont l’une est de rendre cette région beaucoup plus accessible au commun des mortels. Les nouvelles dynamiques géopolitiques laissent-elles entrevoir une ruée vers les ressources conflictuelle ? Au contraire, l’Arctique deviendra-t-il un territoire gouverné par l’intérêt commun et le droit international ?

Les auteurs, spécialistes reconnus des affaires arctiques, abordent ces questions fondamentales et la façon dont le Canada pourrait élaborer une stratégie pour le Nord à la fois efficace et responsable. Ce faisant, ils proposent un examen approfondi de la réalité politique et stratégique nationale et internationale qui se joue dans le continent glacé.
LangueFrançais
Date de sortie4 mai 2015
ISBN9782760632196
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    Aperçu du livre

    Le Canada et l'Arctique - Roy Huebert

    Introduction

    Le Grand Nord canadien est une région primordiale de notre pays. Cette région fait partie de notre patrimoine, de notre avenir et de notre identité nationale. Le Nord connaît des changements rapides, que ce soit en raison des changements climatiques ou de la croissance des gouvernements et des institutions autochtones. Entre-temps, sur les scènes nationale et internationale, l’intérêt pour l’Arctique prend de l’ampleur. Il en ressort que le Canada doit assumer efficacement un rôle de leader chez lui et à l’étranger pour promouvoir l’établissement d’une région stable et prospère qui répond aux intérêts et aux valeurs des Canadiens.

    Stratégie pour le Nord du Canada: Notre Nord, notre patrimoine, notre avenir, juillet 2009

    L’Arctique fait la une des quotidiens tant au Canada que dans le monde. Divers messages provenant de journalistes, d’universitaires et de représentants des gouvernements prédisent tout autant les conflits que la coopération dans la région. D’une part, on parle énormément d’une «nouvelle guerre froide» en préparation, liée à une «course aux ressources», une ruée internationale pour revendiquer les richesses d’une région nouvellement accessible, et l’édification de capacités militaires en vue de répondre aux opérations dans l’Arctique. D’autre part, les gouvernements des États côtiers de l’Arctique font allusion à une ère de coopération plus profonde, ancrée dans le droit international, le respect des droits souverains et une intendance responsable.

    Au Canada, le débat fait rage sur la signification de cette évolution pour l’avenir de l’Arctique et, de façon plus générale, du monde circumpolaire. Bien que les Canadiens soient censés éviter les conflits et préfèrent chercher à atteindre un consensus sur les problèmes, des points de vue contradictoires contribuent à clarifier les questions essentielles et à stimuler les débats concernant les occasions et les contraintes. Les trois auteurs de cet ouvrage, deux spécialistes en science politique et un historien, partagent un certain nombre d’hypothèses concernant l’Arctique. Nous avons aussi des points de vue divergents sur ce qui se passe en Arctique, ce que devraient être les priorités du Canada et la façon dont ce dernier peut le mieux se préparer à jouer un rôle de leader dans le monde circumpolaire.

    Franklyn Griffiths estime que son engagement envers les questions de politiques dans l’Arctique remonte aux intrusions dans le passage du Nord-Ouest du superpétrolier américain Manhattan en 1969 et 1970. Avec le recul, il est devenu un ardent souverainiste de l’Arctique canadien et l’est resté pendant une bonne partie des années 1980 alors même que diminuait l’intérêt du Canada envers cette région. Le 13 juin 1985, son commentaire éditorial dans le Globe and Mail, reconnu pour son autorité, a été l’élément catalyseur d’une effusion de préoccupations publiques entourant le franchissement du passage du Nord-Ouest par le brise-glace américain Polar Sea. Par la suite, cependant, alors que s’amenuisait de nouveau l’intérêt du Canada envers l’Arctique, il s’est mis à remettre en question le «souverainisme» comme assise de constance des habitants du Sud dans leur approche, non seulement de l’Arctique canadien, mais aussi de la région au-delà, une région où la nécessité d’une protection environnementale est encore beaucoup plus importante. Comme co-président du comité de travail sur le Conseil de l’Arctique jusqu’au début des années 1990, il s’est aussi mis à considérer l’Arctique du point de vue des Autochtones autant que de celui des habitants du Sud. Le rapport du comité de travail, qu’il a longuement réfléchi et rédigé, établissait en grande partie le fondement intellectuel du Conseil de l’Arctique, qui a fini par être créé par les États de la région en 1996. Sa principale préoccupation étant la gouvernance circumpolaire, il s’est par la suite objecté à ceux – principalement son collègue Rob Huebert – qui interprétaient essentiellement les changements climatiques comme une menace à la souveraineté «sur une glace de plus en plus mince» et au contrôle exercé par le Canada sur la navigation commerciale dans le passage du Nord-Ouest. Au lieu de cela, le problème du Canada était et demeure selon lui un problème d’intendance concertée dans laquelle un peuple confiant – et non un peuple inutilement craintif à l’égard de ses possessions dans l’Arctique – se présente comme première entité à proposer une gouvernance régionale bénéficiant d’un éclairage local qui non seulement réglemente mais aussi respecte et protège l’environnement naturel et toutes les choses vivantes qui s’y trouvent.

    Rob Huebert a commencé à analyser les questions liées à l’Arctique à la fin des années 1980. Son premier grand projet a consisté en une analyse critique de la réaction canadienne au périple du Polar Sea et de ce que l’on envisage pour l’établissement d’une politique étrangère et d’une politique de défense du Canada dans l’Arctique. Au cours des années 1990, il a observé le fait que la conceptualisation centrée vers l’État et axée sur l’aspect militaire de la sécurité qui prévalait pendant la guerre froide avait été transformée par l’attention portée récemment aux préoccupations environnementales et à la «sécurité humaine» dans la région. À l’aube du nouveau millénaire, il a prédit que les changements climatiques et les nouveaux impératifs géostratégiques allaient transformer radicalement le monde circumpolaire. Dans ses articles étaient mises en évidence les sources de conflits existants et potentiels pour le Canada dans l’Arctique en concentrant son attention sur les dissensions liées à la souveraineté et aux frontières entre le Canada et ses voisins immédiats. Il a prédit qu’à mesure que l’Arctique deviendrait plus accessible en raison des impacts des changements climatiques, la position canadienne sur le passage du Nord-Ouest allait être de plus en plus remise en cause par des intervenants internationaux. Les médias ont commencé à s’intéresser à ses affirmations concernant la probabilité d’un accroissement du volume des expéditions commerciales étrangères et, par conséquent, d’une remise en question de la souveraineté, et la nécessité de mesures d’affirmation de cette dernière par le gouvernement fédéral. Ces idées ont été raffinées afin de souligner la nécessité d’un contrôle canadien dans la région afin de protéger ses intérêts nationaux. Les études de Huebert ont mis le doigt sur le besoin de saisir ce qui se passe dans le Nord canadien et d’être en mesure de réagir aux remises en question des pays étrangers. Ses principales préoccupations ont porté sur les besoins en matière de sécurité et de forces armées du Canada.

    Au cours de la dernière décennie, P. Whitney Lackenbauer (qui fut l’étudiant de Huebert à la maîtrise et au doctorat à l’Université de Calgary de 1998 à 2003) a porté un regard critique sur l’histoire de l’engagement du Canada envers le monde circumpolaire. Ses premiers travaux ont été axés sur les Rangers canadiens, des réservistes des Forces canadiennes chargés de surveiller les régions éloignées du Canada. À son avis, les Rangers sont un exemple de la réussite des militaires dans l’intégration des activités de promotion de la sécurité et de la souveraineté nationales dans les activités communautaires et la gestion locale. C’est un partenariat pratique plutôt qu’une «consultation» superficielle qui fait la promotion de la coopération, du renforcement de l’autonomie communautaire et individuelle, et de l’amélioration de la compréhension interculturelle. Entrepris en 2002, son travail suivi d’observation sur le terrain comme participant dans l’ensemble du Nord est venu compléter ses recherches intensives dans les archives concernant les politiques et pratiques officielles canadiennes depuis 1945. L’attention particulière qu’il consacre aux points de vue des Rangers, des gens ordinaires, sur la souveraineté et la sécurité met l’accent sur l’importance des relations et la nécessité de relier de manière explicite le programme de défense avec ceux de la diplomatie et du développement afin d’obtenir une stratégie pour l’Arctique intégrée et durable.

    Au mois de janvier 2002, les trois auteurs ont présenté des communications lors d’un vaste colloque à Ottawa sur le thème de «la glace de plus en plus mince», organisé par le Comité canadien des ressources arctiques, la Commission canadienne des affaires polaires et le Centre d’études militaires et stratégiques. Rob Huebert a présenté son argumentation concernant la cause de la position de la souveraineté canadienne sur une «glace de plus en plus mince» et la manière dont le gouvernement fédéral devait effectuer d’importants investissements dans la mise en application du droit et la surveillance. Bien que Griffiths ait plaidé en faveur d’une augmentation des dépenses pour la souveraineté dans l’Arctique pendant les années antérieures, il remettait désormais en question l’idée que la fonte de la banquise allait entraîner une intensification de la navigation maritime internationale, des atteintes à la compétence exclusive du Canada et de nouveaux besoins d’investissements dans la défense de la souveraineté. Il a remis en cause la thèse de la souveraineté «sur une glace de plus en plus mince» et lancé une mise en garde concernant la tendance des gouvernements canadiens à formuler des politiques arctiques en réaction à des «crises». Dans sa communication, Lackenbauer a concentré son attention sur la nécessité d’équilibrer les intérêts militaires et communautaires, laissant entendre qu’il fallait reconnaître par des paroles les priorités des habitants du Nord et en tenir compte dans la planification stratégique.

    Ces points de vue ont suscité une attention de plus en plus marquée au Canada à mesure que croissait fortement l’intérêt des médias envers l’Arctique vers le milieu de la décennie. Il y a tout d’abord eu l’aggravation du litige entre le Canada et le Danemark concernant l’île de Hans. Les Danois ont envoyé des navires vers l’île en 2002 et 2003. Le Canada a réagi en 2005 par une visite au cours de laquelle a été édifié un inukshuk et a été planté un drapeau par un petit groupe de Rangers canadiens et d’autres membres du personnel des forces terrestres, suivie d’une visite très médiatisée du ministre de la Défense nationale Bill Graham. Les médias ont commencé à faire allusion à la «guerre du flétan noir» entre le Canada et l’Espagne en 1995 et même à l’effet de la théorie des dominos, l’idée étant que si le Canada perdait l’île de Hans, d’autres îles de l’Arctique pourraient très bien connaître un sort semblable. Bien que le Canada et le Danemark n’aient pas tardé à ramener ce litige sur une voie diplomatique, l’île de Hans demeure une pierre de touche pour les malentendus au sein de la population concernant les questions de souveraineté auxquelles le Canada fait face dans le Nord.

    Publié en novembre 2004, le rapport marquant du Conseil de l’Arctique intitulé Évaluation de l’impact du changement climatique dans l’Arctique a révélé d’étonnantes réductions de l’épaisseur de la glace et de la neige dans la région. Par conséquent, les préoccupations populaires relativement à l’implication du Canada, en particulier au contrôle qu’il exerce sur le passage du Nord-Ouest, se sont intensifiées. L’Énoncé de politique internationale des libéraux de Paul Martin en 2005 a souligné l’importance de l’Arctique et révélé une volonté politique croissante d’améliorer la surveillance et le contrôle sur cette partie du Canada. Avant sa chute, le gouvernement Martin en était aux derniers stades de la rédaction d’une politique nationale de l’Arctique. Avec l’Énoncé de politique internationale, cela révélait à quel point les principaux décideurs entretenaient des préoccupations plus profondes concernant la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique.

    Au cours de la campagne électorale fédérale de 2005-2006, Stephen Harper a fait de la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique une question centrale de son programme. Une fois devenu premier ministre, il s’est rendu chaque année dans l’Arctique et s’est engagé à y effectuer d’importants investissements afin d’améliorer l’infrastructure de la sécurité canadienne. L’importance politique qu’il accorde à l’Arctique comme un de ses principaux projets à valeur de legs a suscité de nombreux débats quant à déterminer la meilleure façon pour le Canada de protéger et projeter ses intérêts nationaux dans la région.

    Les auteurs ont tous trois obtenu par voie de concours une bourse de recherche du Conseil international du Canada pour 2008-2009 dans le but d’examiner les questions arctiques et de produire chacun un «livre blanc» destiné à guider la politique canadienne concernant l’Arctique. Les résultats de leurs recherches constituent le cœur de cet ouvrage. Les chercheurs ont présenté leurs documents d’orientation préliminaires au début du mois de juin 2008 et participé ce même mois à un colloque du CIC à Toronto. Les premières réflexions des auteurs ont été publiées sous forme de numéro de Behind the Headlines, qui présentait aussi des commentaires du premier ministre du Nunavut à cette époque, Paul Okalik et de l’avocate en droit international Suzanne Lalonde. Les auteurs ont présenté la version préliminaire de leurs livres blancs respectifs au CIC à l’automne 2008, analysé leurs conclusions au cours de tournées nationales d’exposés et débattu de leurs idées clés lors d’une vidéoconférence tenue en mars 2009. Ils ont ensuite présenté leurs documents révisés au CIC en avril 2009. Celui de Griffith a été publié en juin et ceux de Huebert et de Lackenbauer le mois suivant.

    Dans cet ouvrage, leurs articles sont mis en dialogue les uns avec les autres. Dans la première partie, Souveraineté et sécurité canadiennes dans l’Arctique dans un monde circumpolaire en pleine mutation, Huebert soutient que le contrôle de l’Arctique apportera de grands avantages pour le pays qui l’exercera. Il s’attend à ce que le Canada doive faire face à l’avenir à des remises en question de sa position dans l’Arctique. Même les États qui ne font pas partie de l’Arctique comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud deviennent actifs dans la région. Les revendications contradictoires varient en ce qui a trait à des questions d’exploitation des ressources et de développement, à la division du fond marin de l’Arctique et au droit de franchir le passage du Nord-Ouest. À mesure que divers acteurs avancent leurs revendications, il existe un risque de profonde remise en question de la souveraineté et de la sécurité canadiennes dans l’Arctique. Huebert propose ce qu’il voit comme les étapes essentielles que le gouvernement canadien doit suivre pour affirmer son «contrôle» sur la région, imposer ses revendications et avoir une meilleure collaboration avec ses voisins dans l’Arctique afin de développer un cadre international qui servira d’orientation pour concevoir des règles d’implication.

    Dans la deuxième partie, Lackenbauer propose un point de vue différent, le Canada atténuant son discours alarmiste concernant de prétendues menaces à la souveraineté et à la sécurité. Il soutient qu’il n’y a pas de «ruée vers l’Arctique» et que les solutions aux litiges frontaliers seront négociées et non gagnées ou perdues au terme d’affrontements militaires. D’après lui, le message disant «exercer sa souveraineté ou la perdre» qui était sous-jacent à «l’appel aux armes» du gouvernement Harper est erroné et réducteur. Afin de concevoir une stratégie plus confiante et constructive concernant l’Arctique, le Canada doit ajouter des dimensions diplomatiques et sociales plus fortes à son programme de défense et d’exploitation des ressources. Une approche des 3D (défense, diplomatie et développement) reconnaissant la possibilité d’une coopération internationale moins axée sur une potentielle «perte de souveraineté» et encourageant le développement socio-économique durable mettra le Canada en meilleure posture pour saisir des occasions et devenir un chef de file mondial dans les affaires circumpolaires. Il laisse entendre qu’il n’est pas possible de résoudre les problèmes de l’Arctique en revenant à un discours de guerre froide et à une mentalité de crise caractérisée par la réaction, qui empêchera le Canada de saisir des occasions en collaboration avec des habitants du Nord. Les Canadiens doivent reconnaître avec confiance que la souveraineté canadienne dans l’Arctique n’est pas gravement mise en péril grâce à la diplomatie tranquille qui, historiquement, a mis les priorités de sécurité continentale en balance avec les intérêts nationaux. Ce que le Canada peut prévoir et devrait rechercher, c’est non pas une «ruée vers l’Arctique» mais une «saga arctique» fondée sur une demande plus importante pour les ressources et le commerce, couplée à une gouvernance plus stable. On pourrait créer cette saga en mettant l’accent sur le développement durable, l’engagement circumpolaire constructif et des investissements raisonnables en défense sans sacrifier la souveraineté ni la sécurité.

    Dans la troisième et dernière partie, Vers une stratégie canadienne pour l’Arctique, Griffiths décrit comment les changements climatiques, la perspective d’un accès et d’un transport plus faciles et l’attente de la croissance à long terme de la demande mondiale de pétrole et de gaz ont suscité un intérêt sans précédent de la part du monde en général et des huit nations de la région en particulier: le Canada, le Danemark/Groenland, les États-Unis, la Fédération de Russie, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède. Alors que l’importance stratégique de l’Arctique s’accroît rapidement, le Canada ne dispose toujours d’aucune stratégie pour l’ensemble de la région.

    Griffiths détaille ce genre de stratégie, visant à canaliser le chapitre en cours de l’histoire de la région dans un sens qui atténue le conflit et permette à tous de faire preuve de la précaution nécessaire dans l’exploitation et la jouissance d’un environnement naturel partagé. Il considère que, sans lésiner de quelque façon que ce soit sur le besoin d’assurer la possession souveraine, une stratégie canadienne pour l’Arctique devrait viser l’intendance concertée dans toute la région. À ce point de vue, il explore trois grands thèmes: l’élévation à l’échelon politique le plus élevé, l’encouragement de la participation des États-Unis et de la Fédération de Russie et la dynamisation du Conseil de l’Arctique (en tant que forum de coordination et de soutien à l’action collective). Étant donné la rareté des conditions préalables à une coopération à l’échelle de la région, le Canada devra contribuer à leur instauration en élevant les relations internationales dans l’Arctique du niveau officiel au niveau politique le plus élevé qui soit, en faisant participer d’abord les États-Unis puis la Fédération de Russie à une stratégie d’intendance et en dynamisant la gouvernance régionale par l’entremise du Conseil de l’Arctique. Dans tout ce processus, il enjoint au premier ministre d’assumer en personne la responsabilité non seulement du développement du nord du Canada mais aussi de l’avenir du Canada en tant que nation arctique parmi d’autres nations de la région et, en réalité, de nations autres que celles de l’Arctique également.

    Rédigées par Whitney Lackenbauer, les conclusions abordent la Stratégie pour le Nord du gouvernement, dévoilée en 2009, ainsi que les développements internationaux et nationaux ultérieurs concernant l’Arctique, y compris la publication, en août 2010, de l’Énoncé de la politique étrangère du Canada pour l’Arctique. Plutôt que d’essayer d’en arriver à un «consensus» sur ce qu’il faudrait faire, les auteurs réclament un débat permanent parmi les Canadiens sur ce que nous devrions faire dans notre propre cour – et dans la région au-delà – à une époque de changement rapide.

    Il existe un certain nombre de points de convergence dans les trois chapitres. Tous les auteurs affirment que le statu quo est inacceptable et que le Canada a besoin d’une stratégie plus forte et plus claire concernant l’Arctique. Les responsables de l’élaboration des politiques doivent non seulement interpréter les changements dans la région mais aussi s’y ajuster, et les discours politiques ne constituent pas des actes. L’Arctique n’est plus une région exigeant de vastes énoncés de politique laissés sans suite; les décideurs doivent donner une suite à leurs engagements successifs à «faire quelque chose» pour réagir aux défis et saisir les occasions. Comme le montre cet ouvrage, ce «quelque chose» va de l’amélioration des moyens et des instruments de contrôle à l’établissement de nouvelles compréhensions et réalisations d’intendance dans la région. La bonne gouvernance exige des fonctionnaires canadiens qu’ils se préparent maintenant et qu’ils effectuent des dépenses dès à présent pour assurer que la politique canadienne pour l’Arctique ne soit pas une politique ponctuelle et visant à parer au plus pressé mais qu’elle soit bien élaborée et soutenue par des ressources adéquates de manière à protéger et promouvoir les intérêts et les valeurs du Canada.

    Les auteurs s’entendent aussi sur la nécessité d’une approche plus multilatérale et régionale des affaires arctiques. Ils recommandent en particulier que le Canada sollicite une plus grande participation des États-Unis, de la Russie et de l’Europe. Les bases normatives de leurs points de vue respectifs sont toutefois différentes. Tous trois laissent entendre qu’il existe un danger possible de conflit extrarégional progressant dans l’Arctique; mais Huebert le considère plus probable que Lackenbauer et Griffiths. L’analyse de Huebert (qu’il mène d’un point de vue réaliste) assimile la souveraineté et la sécurité au contrôle et met l’accent sur la nécessité des capacités militaires pour répondre aux menaces venant de l’extérieur. Lackenbauer et Griffiths ont une plus grande confiance à l’égard de la solidité de la souveraineté canadienne et de l’avenir de collaboration dont laissent augurer les intérêts partagés par les États circumpolaires. Lackenbauer mêle à une analyse constructiviste de l’élaboration des politiques au Canada une croyance normative envers le droit international et les mécanismes bilatéraux et multilatéraux de résolution des conflits. Tout comme Griffiths dans ses ouvrages antérieurs, Lackenbauer laisse entendre que le programme gouvernemental de sécurisation de l’Arctique prône une «mentalité fondée sur la crise» alarmiste qui met trop l’accent sur la divergence des intérêts et pas assez sur les intérêts communs en plus de limiter la coopération. Griffiths propose un puissant message internationaliste, qui appelle à la coordination volontaire des principes de base des relations internationales dans l’Arctique, une coordination qui engloberait les dispositions relatives au contrôle des armes, les mesures régionales destinées à bâtir la confiance et les engagements réciproques à éviter les «incidents présentant un potentiel d’affrontement». S’il désavoue la nécessité ou les perspectives d’un traité global sur l’Arctique (quelque chose que Huebert a réclamé dans d’autres écrits, quoique uniquement parmi les États de l’Arctique), il est le promoteur le plus actif de la stimulation de la participation – en particulier des États autres que ceux de l’Arctique – et maintient catégoriquement que les États de l’Arctique doivent lier leurs intérêts régionaux à des processus mondiaux.

    Dans le présent ouvrage autant que dans d’autres publications, tous les auteurs se déclarent favorables à des investissements dans les opérations des Forces canadiennes dans l’Arctique. Leurs arguments en faveur de ces investissements révèlent toutefois de profondes différences dans l’interprétation et l’évaluation des menaces. L’affirmation de Huebert selon laquelle le Canada s’est trouvé aux premiers stades d’une «course aux armements» dans l’Arctique oriente son argument concernant la nécessité pour le Canada d’investir dans de fortes capacités de défense et une présence plus sentie des Forces canadiennes, sans quoi il perdra graduellement le contrôle sur les activités dans les eaux de l’Arctique. Contrôle signifiant souveraineté, celle-ci exige des capacités de défense pour assurer le contrôle.

    Lackenbauer presse le gouvernement de remplir ses promesses actuelles concernant la défense en justifiant chaque dépense par ses contributions à une stratégie pangouvernementale dans laquelle les Forces canadiennes jouent un rôle de soutien. Il remet en question la rengaine selon laquelle le Canada a besoin de plus de présence sur le terrain pour renforcer et préserver sa souveraineté; il justifie aussi son soutien aux annonces antérieures concernant la défense en expliquant que l’armée possède un ensemble unique de compétences et de capacités essentielles pour permettre au Canada de réagir à des situations d’urgence dans la région. Huebert met l’accent sur le besoin de capacités militaires (principalement de matériel naval et aérospatial) pour défendre les droits du Canada contre des voisins à l’attitude péremptoire; Lackenbauer insiste sur l’exercice de responsabilités de surveillance. Tout en arrivant à leur conclusion en partant de points de vue différents, ils s’entendent sur le caractère essentiel d’une surveillance et d’une connaissance du domaine accrue. Quant à Griffiths, il souligne la nécessité, grâce à une intendance concertée des questions non militaires ou civiles, de canaliser les relations internationales concernant l’Arctique vers une plus grande civilité en évitant les conflits.

    Un autre point de désaccord concerne le rôle de l’histoire dans la formulation des attentes. Huebert soutient que nous entrons dans une nouvelle ère de l’Arctique dans laquelle les Canadiens ne peuvent plus compter sur de grandes distances et d’extrêmes conditions climatiques pour tenir le monde extérieur à l’écart de leur Grand Nord. À mesure que les changements climatiques transforment fondamentalement l’ensemble de la région et que la combinaison de nouvelles technologies en facilite l’accès, le Canada fait face à un contexte de souveraineté et de sécurité en complet bouleversement dans lequel les expériences antérieures ne constitueront pas un guide fiable pour la prise de décision. Au mieux, l’histoire révèle la capacité restreinte du Canada à protéger sa souveraineté et sa sécurité dans la région et explique pourquoi d’autres nations ont ouvertement cherché à pousser leurs revendications dans l’Arctique, souvent au détriment de la position du Canada. Par contre, Lackenbauer laisse entendre que le passé non seulement dépeint une image de la coopération bilatérale plus favorable que celle de Huebert, mais révèle également une tendance vers des relations de plus en plus positives avec les voisins circumpolaires. En faisant remonter l’idée «d’acceptation mutuelle des désaccords» de Griffiths aux séquelles de la Seconde Guerre mondiale, Lackenbauer laisse entendre que le Canada a conçu une stratégie responsable qui a débouché sur une position de souveraineté aussi forte que le droit international le permet et qui évite de placer le Canada dans une situation de «double perdant» par rapport aux États-Unis. Comme Huebert et Griffiths, Lackenbauer se désole des hauts et des bas qu’a connus l’histoire des intérêts du Canada dans la région, une histoire alimentée par les «crises» intermittentes de l’Arctique, qui n’ont pu soutenir l’investissement stratégique. Pour cette raison, il partage l’insistance de Griffiths sur la nécessité d’un nouveau message stratégique débordant de confiance qui n’est pas fondé sur la crainte primordiale de perte de souveraineté des Canadiens.

    Le poids des relations bilatérales avec les États-Unis se fait sentir dans les trois chapitres, comme dans les débats politiques et publics en général. Huebert espère faire progresser la relation «difficile» avec les États-Unis dans des domaines d’intérêt commun; mais il souligne également la nécessité de réduire au minimum, voire de résoudre les litiges concernant les frontières et la souveraineté, soit ceux qui portent sur la mer de Beaufort et le passage du Nord-Ouest. Indépendamment de cela, il ne précise toutefois pas comment on pourrait sortir d’une impasse juridique qui remonte à longtemps. Griffiths continue de faire la promotion de l’idée de «convenir d’un désaccord» concernant le passage et presse le gouvernement canadien d’envisager des formules de gouvernance innovatrices pour celui-ci. Pour être plus précis, il présente son argumentation en faveur de l’établissement d’un régime dans lequel les eaux internationales de l’archipel seraient régies comme s’il s’agissait d’un détroit international. Soutenant cette idée, Lackenbauer arrive à une conclusion semblable, soit que des ententes officieuses et une conformité volontaire sont plus faciles à atteindre que de longues négociations du genre de celles qui ont peu de chances de mener à la résolution d’un conflit juridique entre deux amis proches et alliés.

    Lackenbauer appuie aussi la position officielle selon laquelle les litiges frontaliers avec nos voisins sont bien gérés et la menace à la souveraineté et la sécurité canadienne a été amplifiée. Tandis que Huebert souligne la nécessité de résoudre ces conflits, qui ne servent qu’à maintenir constantes des tensions dans les relations circumpolaires, Lackenbauer ne voit aucun besoin immédiat de le faire aussi longtemps qu’ils sont gérés de façon diplomatique.

    Les trois auteurs notent aussi que les gouvernements successifs ont consacré d’importantes ressources à s’assurer que les preuves scientifiques soutenant les revendications canadiennes concernant le prolongement de son plateau continental soient bien étayées avant d’être présentées à la commission des Nations Unies en décembre 2013. Si Griffiths et Lackenbauer reconnaissent qu’il y a des intérêts nationaux en jeu et que les questions frontalières exigeront des négociations, aucun d’eux ne prévoit de conflit armé. Lackenbauer en particulier note que toutes les nations circumpolaires partagent un même intérêt, celui de voir les processus de délimitation des frontières se dérouler en conformité avec le droit international. Moins convaincu d’un résultat optimiste, Huebert rappelle aux lecteurs que le cadre juridique permettant de déterminer les prolongements des plateaux continentaux ne renferme aucun mécanisme d’arbitrage des conflits, un point qui est laissé à la discrétion des États eux-mêmes. Les Américains n’ont pas adhéré la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ce qui enlèvera de la force à la présentation de leur revendication officielle. De surcroît, si la zone revendiquée par le Canada chevauche celle qui est revendiquée par la Russie, cela peut mettre à l’épreuve les engagements pris par les deux pays à Ilulissat en 2008 de résoudre ces différends de façon pacifique et en collaboration. Étant donné la ferveur nationaliste que soulèvent les questions de souveraineté dans l’Arctique dans les deux pays, il sera peut-être difficile de trouver un compromis.

    Les auteurs rappellent à leurs lecteurs que les relations du Canada s’étendent au-delà de ses voisins de l’ouest de l’Arctique. Tous trois parlent de la nécessité pour le Canada d’avoir des relations constructives avec la Russie étant donné les intérêts évidents de celle-ci envers la région. Tandis que Lackenbauer et Griffiths soulignent les intérêts communs de la Russie et du Canada envers les questions environnementales et les enjeux de développement, Huebert met l’accent sur la nécessité d’alliances défensives afin d’atténuer l’agressivité russe. (Ironiquement, Huebert considère la mer de Barents comme le grand point de friction entre la Norvège et la Russie alors que Griffiths la cite comme exemple de coopération.)

    Huebert met également en exergue l’assurance croissante de l’Islande, du Danemark, de la Finlande, de la Suède et de la Norvège dans la mise en œuvre de leurs politiques concernant l’Arctique, ainsi que sur l’activisme de plus en plus perceptible des États autres que ceux de l’Arctique comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Au fur et à mesure que ces divers intervenants présentent leurs revendications, ils constituent un défi potentiel à la souveraineté et à la sécurité du Canada dans la région. Bien que Lackenbauer reconnaisse les références européennes en désaccord avec la position du Canada concernant le passage du Nord-Ouest, il soutient que «cela n’empêche pas le maintien d’une bonne relation de travail avec les Européens dans d’autres dossiers». Dans la même veine, il presse les décideurs de favoriser des relations bilatérales avec la Russie en dépit des doubles messages que celle-ci envoie parfois, et d’éviter de lier la coopération dans l’Arctique avec des événements qui se déroulent ailleurs dans le monde. Griffiths va même plus loin dans la promotion de la collaboration circumpolaire et de l’intendance régionale. De son point de vue, celles-ci doivent tenir compte de nouvelles forces au sein du système international, comme l’Union européenne et la Chine, en les faisant participer directement au dialogue sur l’Arctique. Si les ententes subrégionales continueront à produire un «incrémentalisme fragmenté», Griffiths presse le groupe des Huit États arctiques d’adopter une approche multilatérale et à l’échelle de la région, qui promulguera une vision pan-arctique et une pratique régionale d’intendance concertée intégrée à une stratégie mondiale (un thème auquel Lackenbauer fait écho dans le contexte des changements climatiques).

    Tous les auteurs soutiennent le renforcement des mécanismes de gouvernance internationale, mais mettent l’accent sur différents niveaux et différentes problématiques. Si le principal message de Huebert est que le Canada doit revendiquer le contrôle sur sa partie de l’Arctique, il reconnaît cependant que le pays ne peut agir seul. Il se déclare dès lors favorable à des structures de protection de l’Arctique et de renforcement de la coopération par l’entremise du Conseil de l’Arctique. Il voit des possibilités de coordination dans la recherche et le sauvetage, la prévention de la pollution de l’environnement, la gestion des pêches, la réglementation du tourisme et la réglementation obligatoire du transport maritime. Huebert insiste cependant encore sur le fait que toute mesure prise doit protéger les intérêts et la souveraineté du Canada. Lackenbauer soutient lui aussi que le Canada devrait jouer un rôle de chef de file dans la promotion des activités du Conseil de l’Arctique, et il se fait le plus ardent défenseur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme cadre de résolution des problèmes de souveraineté dans le bassin arctique. Huebert et Griffiths reprochent aux États côtiers de l’Arctique (le groupe des Cinq) de tenir des réunions «exclusives» ne faisant pas de place aux trois autres États de l’Arctique ni aux «participants permanents» et aux observateurs du Conseil de l’Arctique. Mais Lackenbauer estime que ces séances de travail conviennent bien à la discussion de points particuliers aux droits et responsabilités du groupe des Cinq dans le cadre de structures juridiques internationales interpellant uniquement des États. Griffiths en appelle vigoureusement au renforcement du Conseil de l’Arctique, «le forum central de la collaboration pan-arctique», qu’il espère voir un jour atteindre le respect obligatoire de «règles et de principes consensuels». Ce point rejoint le débat international en cours sur l’avenir du Conseil de l’Arctique et de la gouvernance régionale, débat abordé dans le dernier chapitre.

    L’opportunité de ce débat ne laisse planer auncun doute. Le Canada a repris la présidence du Conseil de l’Arctique en mai 2013 et cela donne l’occasion d’exercer du leadership sur le plan de l’amélioration du principal instrument de gouvernance arctique, mais pas sans difficultés ni sans susciter la controverse. Le Conseil doit encore statuer sur les États autorisés à y adhérer et à quelles conditions, notamment en regard des observateurs de plus en plus nombreux qui s’y pressent. Griffiths et Huebert sont tous deux en faveur d’une réforme du Conseil de l’Arctique, Griffiths allant jusqu’à prôner la suppression de l’actuel statut d’observateur et son remplacement par un nouvel échelon auquel des États autres que ceux de l’Arctique pourraient adhérer au Conseil comme parties consultatives avec droit de parole. Ces États devraient toutefois contribuer à un fonds de l’Arctique, fournissant ainsi une aide financière en échange du titre de participant. Griffiths prône l’élargissement du statut d’observateur permanent à l’Union européenne et à divers États non arctiques; Lackenbauer est celui qui est le plus favorable à l’approche de «droit volontaire» (soft law) du Conseil de l’Arctique et fait part de ses préoccupations concernant l’élargissement du mandat du Conseil, qui rejoignent celles des participants permanents. Tous s’entendent cependant sur la nécessité pour le Conseil de l’Arctique de trouver des façons de combler son manque chronique de ressources.

    Les auteurs insistent tous trois sur l’importance d’une gouvernance et d’une prise de décision nationales afin de favoriser la souveraineté, la sécurité et l’intendance. Lackenbauer, en particulier, souligne la nécessité d’une approche pangouvernementale, également mentionnée par Huebert. Ce dernier insiste sur la défense, Griffiths sur la diplomatie et Lackenbauer sur une vaste approche impliquant la défense, la diplomatie et le développement. Autant Lackenbauer que Griffiths mettent en évidence la nécessité d’une gouvernance ayant des assises locales, dans laquelle les habitants du Nord joueraient un rôle central dans le dialogue sur leurs intérêts en tant que résidents et intendants de cet environnement unique en son genre.

    Les auteurs expriment aussi le besoin d’une meilleure direction politique dans le dossier de l’Arctique. Se désolant de l’orientation de la politique canadienne vers l’intérieur, Griffiths est le plus virulent pour souligner le besoin de faire passer les dossiers relatifs à l’Arctique de l’échelon bureaucratique à celui plus élevé du politique. Par extension, Huebert et lui proposent que le premier ministre dirige un genre de comité ou de groupe de haut niveau du Cabinet sur les affaires arctiques. Griffiths recommande que le Cabinet du premier ministre supervise la prise de décision interne du gouvernement, avec un nouveau secrétaire d’État chargé de coordonner les politiques de l’Arctique avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et de représenter le Canada dans les négociations internationales. Huebert croit lui aussi que le premier ministre devrait se faire le promoteur d’une politique globale de l’Arctique et recommande qu’il préside un comité spécial du Cabinet consacré à cette région, ce qui contribuera à maintenir l’attention populaire. Si Lackenbauer voit dans l’Arctique une occasion pour le premier ministre de se tailler un héritage en matière d’édification de la nation, il se concentre sur la manière de rendre la bureaucratie plus efficace et plus représentative. Afin d’améliorer la participation du Nord à l’établissement du programme et à la prise de décision, il recommande une série de nouvelles institutions, dont un Conseil canadien de l’Arctique, un comité consultatif interministériel sur la sécurité et l’intendance dans le Grand Nord et des conseils maritimes inuits constituant un groupe de travail sur le milieu marin de l’Arctique. Il termine cependant en implorant au gouvernement de changer la devise officielle du Canada, qui est D’un océan à l’autre, pour inscrire explicitement dans l’esprit national son troisième océan.

    Les auteurs reconnaissent tous trois l’incertitude implicite dans l’élaboration de scénarios d’avenir pour l’Arctique. Certains événements peuvent être prévus, comme la rotation de la présidence du Conseil de l’Arctique, mais bien des embûches apparaîtront sans prévenir. Il est possible de faire des prédictions relativement à leur nature et à leur description en général, mais il n’est pas facile de savoir quand elles surgiront et à quoi elles ressembleront. Il y aura sans doute de nouvelles difficultés ou crises liées aux changements climatiques, à l’exploitation des ressources ou aux actes politiques internationaux. Griffiths et Lackenbauer maintiennent catégoriquement que le Canada doit chercher à réaliser le scénario d’une «saga polaire». Huebert partage un espoir semblable tout en faisant une mise en garde: on ne peut écarter la possibilité d’un autre avenir, plus sombre, celui d’une «ruée polaire».

    L’évolution de l’Arctique présente des aspects impensables il y a quelques années seulement. Personne ne sait où tout cela mènera, mais cette évolution représente aussi bien des défis que des occasions pour le Canada. Elle exigera de la prévoyance, une pensée critique et un débat afin de s’assurer de finir par servir, protéger et promouvoir les intérêts et les valeurs des Canadiens. Les auteurs espèrent que les arguments avancés susciteront un dialogue suivi sur les stratégies que le Canada devrait mettre en œuvre pour trouver sa voie dans cette nouvelle ère passionnante de l’Arctique.

    Chapitre 1

    Un monde circumpolaire en pleine mutation

    Rob Huebert

    La question de la souveraineté et de la sécurité du Canada dans l’Arctique, une région du monde qui connaît des changements fondamentaux, est au cœur de ce chapitre. Il examine tout d’abord les concepts de souveraineté et de sécurité, puis analyse les facteurs qui transforment le tissu du milieu arctique, notamment les changements climatiques, le développement des ressources et les forces géopolitiques en présence.

    La rapidité avec laquelle se transforme l’Arctique a surpris les Canadiens et le monde entier. Impossible d’ouvrir un journal ou d’allumer la télévision sans entendre parler d’un nouveau projet dont les répercussions s’étendent dans le Nord canadien. Toute discussion sur le sujet commence inévitablement par la question de la «protection» de la souveraineté du Canada dans l’Arctique. La souveraineté est un enjeu qui suscite toujours l’intérêt des médias, des décideurs et de la population canadienne en général. Il suffit d’évoquer la «perte» de la souveraineté du Canada dans l’Arctique pour déclencher des débats passionnés. L’Arctique et les Canadiens traversent une période de leur histoire particulièrement intéressante.

    La politique du Canada pour l’Arctique fait face à quelques-uns des enjeux les plus passionnants et les plus complexes de l’histoire du pays. Jamais auparavant la nature même de la région n’a subi l’influence d’un aussi grand nombre de facteurs. Le plus grand défi du pays aujourd’hui réside sans doute dans le fait que le monde entier prend conscience que la fonte de l’Arctique rend la région plus accessible que jamais auparavant. Le Canada doit donc se préparer à la pénétration du monde extérieur dans la région. Devant l’émergence des problèmes internationaux que pose le contrôle canadien de la région, le Canada ne peut ignorer plus longtemps la partie arctique de son territoire.

    La souveraineté

    La définition de la souveraineté tire son origine d’un terme juridique utilisé pour caractériser les moyens par lesquels les souverains, tels que les rois ou les reines, exerçaient leur pouvoir sur leurs sujets. Le terme est apparu pour définir les droits et les responsabilités des dirigeants à l’égard de leurs terres. Avec l’évolution du féodalisme vers l’État moderne, le concept s’est transformé et la souveraineté est devenue la pierre angulaire théorique du système judiciaire international¹.

    La souveraineté s’articule autour de trois composantes: un territoire donné, un système de gouvernance et une population vivant sur ledit territoire. Pour être souverain, un État doit se prévaloir de ces trois composantes². Il doit être doté d’un gouvernement pleinement fonctionnel capable de prendre des décisions sans appel qui sont appliquées aux citoyens dans les limites de son territoire géographique. Individuellement, chacune de ces conditions peut sembler facile à remplir, mais dans les faits, toutes trois sont difficiles à réunir dans l’Arctique. L’existence ou non de la souveraineté d’un État est donc souvent liée à la mesure dans laquelle ces conditions sont remplies.

    Le problème que l’on rencontre le plus fréquemment pour déterminer le fait de la souveraineté est lié à l’existence d’un système de gouvernance reconnu. La souveraineté d’un État serait menacée lorsque plusieurs parties rivalisent pour gouverner. Le cas échéant, jusqu’à ce qu’une des parties soit défaite, politiquement ou militairement, ou que les parties négocient un accord selon lequel elles acceptent de partager le pouvoir en tant que seule entité, aucun organe n’est souverain. La détermination de la souveraineté est compliquée par le fait que, même si les rivalités sont réglées à l’interne, la nouvelle entité souveraine doit être reconnue par la communauté internationale.

    Dans l’Arctique canadien, l’existence d’un système de gouvernance accepté n’est pas remise en question. Ce système peut évoluer en cas de dévolution du pouvoir du fédéral aux territoires, mais dans la mesure où cette dernière s’effectue pacifiquement, tout État souverain a le droit, à l’intérieur de ses frontières, de répartir le pouvoir à des sous-unités politiques. À l’intérieur des frontières de l’Arctique canadien, la population du Nord canadien reconnaît entièrement le droit du gouvernement fédéral de gouverner. Ainsi, ce dernier n’amoindrit en rien la souveraineté de l’État canadien en transférant des pouvoirs aux trois territoires du Nord: les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Yukon.

    Ce transfert de pouvoirs suscite des questions en ce qui a trait à la seconde composante de la souveraineté, selon laquelle le territoire géographiquement défini de l’État doit abriter une

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