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Quand la musique prend corps
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Livre électronique604 pages7 heures

Quand la musique prend corps

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À propos de ce livre électronique

La musique entretient des liens indissociables avec le corps. Toutefois, les recherches portant sur ce couple fondateur sont rarissimes. Point de départ et d’arrivée de la médiation musicale, le corps est un lieu d’expression et de communication, de techniques, de production de sons et de mouvements et mérite toute l’attention que les auteurs de ce livre – musicologues, interprètes et philosophes – lui prêtent.

Du timbre vocal à la chorégraphie cultuelle, en passant par la position des doigts sur un clavier ou sur des cordes, cet ouvrage aborde plusieurs thèmes qui intéresseront grandement les musiciens, les danseurs et tous ceux que la question du corps dans l’art interpelle.
LangueFrançais
Date de sortie22 mai 2014
ISBN9782760633827
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    Aperçu du livre

    Quand la musique prend corps - Monique Desroches

    Introduction

    Monique Desroches, Sophie Stévance et Serge Lacasse

    Ce livre aborde un thème qui peut sembler une évidence comme objet d’étude en musique, du moins en ce qui concerne la musicologie et l’ethnomusicologie; pourtant, il a rarement été analysé de façon systématique: le corps¹. Pour y parvenir, nous avons réuni des chercheurs en musique qui s’intéressent à ce sujet selon diverses perspectives. Lieu de tensions, d’idéologies et de valeurs qui souvent s’opposent de manière radicale: condamné (de Platon à Derrida) ou célébré (d’Épicure à Onfray), le corps est pourtant incontournable en musique. Lieu d’expressions, de techniques, de productions sonores et de mouvements, il est ici envisagé comme le point de départ et d’arrivée de la médiation musicale. Les modalités de cette rencontre entre corps et sons musicaux constituent l’objet de cet ouvrage collectif.

    Les auteurs s’appuient sur le principe suivant: toute musique est plus qu’un ordonnancement de données à caractère sonore. Elle est également geste vocal ou instrumental, communication entre musiciens et avec le public, et dans bien des cas, elle intègre la danse. Animés par la volonté d’approfondir la place du corps dans l’analyse musicale et son incidence dans la compréhension des musiques, notamment en matière de stylistique et d’esthétique, les trois laboratoires organisateurs – le Laboratoire d’ethnomusicologie et d’organologie (LEO), le Groupe de recherche-création en musique (GRECEM) et le Laboratoire audionumérique de recherche et de création (LARC), trois laboratoires membres de l’OICRM –, ont d’abord tenu des Journées d’étude qui se sont déroulées en janvier 2013 à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Ces journées ont rassemblé une vingtaine de chercheurs d’horizons divers – ethnomusicologues, musicologues, interprètes, philosophes –, qui partageaient un intérêt pour cette thématique. Cet ouvrage regroupant vingt contributions représente l’aboutissement de ces journées.

    À cette fin, les auteurs de ce collectif explorent notamment différents volets du corps musiquant. Les regards posés sur la thématique sont multiples. Certains chercheurs examinent le timbre vocal d’un répertoire spécifique; d’autres s’intéressent à la position des doigts et des mains sur le clavier ou sur les cordes de luths ou de vièles; d’autres encore se penchent sur la gestuelle ou la chorégraphie de la danse. Réunir tous ces regards tend à dépasser, sans toutefois l’omettre, le niveau formel de l’œuvre-objet – celui de l’harmonie, de la mélodie, de la structure des pièces musicales, par exemple – pour atteindre la performance ou la mise en acte du texte musical. En ethnomusicologie, cette approche se distingue des analyses des premiers chercheurs de la discipline qui, en s’appuyant sur une conception de la musique en tant qu’objet sonore (notamment les chercheurs de l’École de Berlin de la fin du XIXe siècle), transformaient les enregistrements de terrain en objets de transcription musicale à partir desquels on édifiait un système musical. Envisagée comme une performance, la musique ouvre l’objet d’étude en reliant de manière indissociable et dynamique l’objet sonore, les stratégies de production, les conduites d’attentes et d’écoute, la gestuelle et les agents humains, de manière à faire de la performance une pratique et un évènement.

    De manière globale, les auteurs tentent de répondre aux questions suivantes: existe-t-il des syntaxes corporelles qui caractérisent tout particulièrement certaines pratiques, certaines interprétations de répertoires? Dans l’affirmative, comment procéder pour les mettre en exergue? Et en fin de compte, que révèle de nouveau cette insertion du corps dans les analyses?

    Dans cette phénoménologie de la production et de la réception, il revient au chercheur de mettre en lumière des opérateurs relatifs au corps et qui interviennent directement dans les définitions stylistiques. Pour saisir la stylistique et l’esthétique d’une pratique, l’analyste doit donc impérativement tenter de comprendre les modalités de mise en acte ou, si l’on veut, les composantes de la performance. Le regard systématique sur le corps nous apprend beaucoup, par ailleurs, sur la mise en relation à l’espace, sur la relation aux autres et, bien entendu, sur le genre musical lui-même. Pratiquer une musique suppose en effet la mise en place d’un espace relationnel entre les divers acteurs. La création de cet espace singulier et dynamique permet non seulement l’émergence d’une relation entre les différents intervenants, mais elle favorise aussi la création in situ de la signature du groupe ou de l’artiste singulier. Cette signature est produite en grande partie par des modalités particulières de recours au corps. Pour cette raison, nous avons jugé important, voire essentiel, de joindre à notre publication des hyperliens (sonores et multimédias) en vue d’illustrer le rôle du corps dans l’esthétique et la stylistique musicales.

    Ce livre convie donc le lecteur à une musicologie et à une ethnomusicologie incarnées, qui sont axées sur le sujet musiquant ou dansant dans sa relation spécifique à l’objet musical et orientées vers les modalités de création et d’interprétation musicales, c’est-à-dire sur la mise en acte de la musique. Plus précisément, et comme l’illustre l’organisation thématique des chapitres, l’ouvrage explore au moins quatre volets du corps musiquant: le corps comme outil du musicien, la voix comme incarnation sonore du corps, le corps comme lieu et enjeu de la performance musicale et le corps en mouvement avec la musique.

    Corps musiciens

    Les chapitres de la section «Corps musiciens» rendent compte de ce rapport intime que le joueur de musique entretient avec son instrument: le fait de jouer d’un instrument revient à s’engager physiquement, corporellement envers celui-ci. Cela revient à donner aux sons produits par le corps une envergure d’expressivité et de créativité qui dépasse le stade restrictif d’un geste essentiellement effecteur, accompagnateur et désincarné. Invisible et silencieux le plus souvent, le corps musical de l’instrumentiste est porteur de sens. Car si l’on se place à l’extérieur du contexte musical pour ne considérer que le discours, seulement 7% du sens d’une communication orale serait issu des mots; 38% proviendrait de la qualité de la voix (volume, hauteur, rythme); et 55% des mouvements corporels (Koneya et Barbour 1976). Une dimension considérable du sens d’un message proviendrait donc de l’extérieur du monde verbal. De même, l’ensemble de ces composantes ou de ces mouvements corporels nous aiderait à saisir ce sens, comme le démontrent les chapitres consacrés au corps performanciel. Pour ce qui concerne les chapitres de la section consacrée au «Corps musicien», ils s’intéressent plus particulièrement aux interactions entre le corps physique du musicien et son instrument en tenant compte des différents facteurs qui régissent leurs interactions, qu’elles soient culturelles, symboliques et sociales ou plutôt techniques, esthétiques et expressives. Somme toute, ces interactions débuteraient dès le niveau sensori-moteur. Quel est le rôle du corps dans l’élaboration de la pensée musicale? Permet-il d’extérioriser les intentions musicales et si oui, de quelles manières? En outre, existe-t-il un lien entre un geste et les sons produits simultanément? Quelle est la nature de ce rapport? Comment celui-ci s’élabore-t-il et comment peut-on l’observer? Si la fonction du corps consiste à favoriser la production du son ou à l’accompagner, quelles seraient les conséquences potentielles du corps sur le processus de création de l’interprétation musicale, de même que sur l’exécution et la réception de la musique?

    La section «Corps musiciens» s’ouvre sur une observation générale: Isabelle Héroux et Marie-Soleil Fortier, dans leur chapitre intitulé «Le geste expressif comme indicateur du processus créatif dans le travail d’interprétation musicale», proposent un état de la recherche scientifique sur le geste en tant que moyen de communication, ainsi qu’une observation éloquente visant à confirmer l’hypothèse selon laquelle les gestes musicaux, foncièrement incarnés et incorporés, sont directement reliés au processus de création dans le travail d’interprétation d’une pièce musicale. Ce premier chapitre révèle ainsi la dimension culturelle, sociale et symbolique du corps musicien, laquelle sera développée plus avant par Luc-Charles Dominique. Dans «Gestes et attitudes corporels chez les violoneux français d’hier et d’aujourd’hui», l’ethnomusicologue montre toute l’importance de la gestuelle chez le violoneux. Ainsi, les reproches adressés à ce musicien par rapport à la manière dont il tient l’instrument attestent, selon les tenants des règles, de l’ignorance de cet instrumentiste, de son mépris des règles, voire de la décadence dans laquelle il entraîne le violon, instrument noble par excellence; un violoneux est un violoniste médiocre parce qu’il se tient mal. Ces préjugés reviennent à faire fi de l’intention éminemment chorégraphique de sa musique, c’est-à-dire de l’importance du geste musicien et de la constitution de son identité.

    Cette pantomime du geste sera illustrée par Ghyslaine Guertin et Jean-Willy Kunz dans leur chapitre intitulé «L’orgue et le regard de l’écoute», à partir d’une observation de l’organiste, lequel donne à voir et à entendre. En s’interrogeant sur les logiques et les finalités de la «danse du geste» de l’organiste, les auteurs nous invitent à une réflexion sur les conditions du savoir-faire de l’organiste à la lumière de son engagement gestuel pour organiser le son et lui donner du sens. Apparaissent ainsi d’autres enjeux, et non les moindres, concernant le corps musicien, notamment les structures qui entourent le jeu et ce que l’analyse du corps peut nous révéler à propos de l’interaction entre le musicien et son instrument, ainsi que les différences caractéristiques de la gestuelle du musicien d’une tradition musicale à une autre. À cet effet, Farrokh Vahabzadeh examine, à partir d’un inventaire représentatif des gestes de la main droite utilisés dans le jeu du dotâr (un instrument pouvant s’apparenter à la famille du luth à long manche), la gestuelle d’un joueur de dotâr dans différentes traditions et ce qui sous-tend la conduite de ces mouvements et gestuelles. Sa contribution intitulée «Se démarquer de l’autre: du geste instrumental à la corporalité musicale», témoigne ainsi d’une vision plus générale du geste musicien, qui se singularise en fonction de la tradition d’Iran et d’Asie centrale dans laquelle il s’inscrit, puisque la culture impose des contraintes corporelles.

    À leur façon, les deux chapitres suivants closent cette section, d’abord sous la forme d’une synthèse, puis sous la forme d’une ouverture. Le chapitre de François Delalande vient ainsi compléter l’ensemble des réflexions interdisciplinaires – dans une étude du geste culturel, symbolique et social incorporé pour organiser le matériau sonore, lequel va se charger de sens en fonction des contextes – et propose une réflexion en forme de conclusion sur le jeu sensori-moteur. Soutenu par deux protocoles d’observation empirique auprès de musiciens et à partir de projets d’études des comportements d’enfants, au stade sensori-moteur, qui explorent le son, le musicologue nous invite à envisager le geste comme une totalité qui englobe l’affect et les expériences sensorielles: le corps musicien est à la fois producteur de son et de sens et un véhicule de symboles. Quant à Yves Defrance, il propose d’abord une synthèse théorique des fondements somatiques sur lesquels s’appuieraient plusieurs pratiques musicales en convoquant de nombreuses recherches effectuées sur les rapports entre le corps et la musique, dans le but de définir ce qu’il appelle «une anthropophonie complexe». Il fait ensuite une description des nombreuses pratiques construites sur une logique spatiale d’ouverture, c’est-à-dire, comme il l’écrit lui-même, «une graduation dans la participation musicale du danseur et dans la gestuelle du musicien et du chanteur». Le chapitre annonce ainsi la structure des différentes sections du collectif: dans «Des corps musiquant» et «Performances gestiques du musicien», on poursuit, d’une certaine manière, la réflexion entamée dans la présente introduction en explorant les diverses manières dont l’instrument de musique fonctionne comme un prolongement du corps. Puis, Defrance se concentre sur les «Musiciens-danseurs», et son texte se présente comme une sorte d’introduction aux sections du collectif consacrées aux «Corps en mouvements» et aux «Corps performanciels». Il termine son chapitre en analysant les rapports entre la voix et le corps: «Mais comment les modulations de la voix agissent-elles sur le corps? Comment le corps influence-t-il les inflexions de la voix?», interroge-t-il. Cette fin de chapitre joue ainsi un rôle de transition vers la section suivante, consacrée à la voix.

    Corps de la voix

    Par les sons qu’elle produit, la voix se trouve à la jonction de l’intérieur et de l’extérieur du corps; elle est en quelque sorte le prolongement du corps. Ainsi, il n’est pas étonnant que la voix chantée soit considérée par plusieurs comme le mode fondamental de l’expression musicale, puisque, comme le souligne Allan Moore (1993: 158), «voice is the primary link between the artist and the listener, being the instrument shared by both». Plus encore, «It is arguably the most subtle and flexible of musical instruments, and therein lies much of the fascination of the art of singing» (Jander et al. 2014). Cette fascination se manifeste non seulement par la primauté de la vocalisation dans plusieurs pratiques musicales du monde; elle nourrit tout aussi intensément la réflexion théorique et philosophique.

    C’est d’ailleurs sur une analyse du fameux concept du «grain de la voix», proposé par Roland Barthes en 1972, que s’ouvre cette section. Serge Lacasse tente de clarifier ce concept, d’abord en rappelant les diverses définitions et caractérisations que Barthes en a proposées dans ses écrits, pour ensuite l’éclairer sous l’angle d’une critique posthumaniste, grâce à l’analyse paralinguistique d’exemples musicaux tirés du répertoire de la musique populaire. D’une certaine manière, le corps intérieur ainsi «artistiquement représenté» par la médiation vocale, peut être observé dans une multitude de cultures musicales. Ainsi, chacun des trois autres chapitres qui composent cette section explore un cas particulier de pratique revivaliste dans laquelle la voix joue le rôle principal. Que ce soit dans le cas de la cueca chilienne étudiée par Laura Jordan Gonzalez, du salento italien analysé par Flavia Gervasi ou de pratiques musicales judéo-espagnoles observées en France par Jessica Roda, on assiste au désir, chez les musiciens, de faire revivre des traditions vocales au sein de leurs communautés respectives. Que nous révèlent ces courants revivalistes? Quelles visées esthétiques, idéologiques ou mercantiles servent-ils?

    Pour Jordan Gonzalez, ce n’est pas tant la pratique de la cueca elle-même qui constitue le principal objet de son chapitre, que le discours critique qu’elle nourrit. Selon l’auteur, les efforts déployés par des auteurs chiliens bien en vue afin de situer les origines de la cueca dans l’esthétique musicale arabo-andalouse fournissent des arguments à une vision idéologiquement orientée de la pratique. Le courant revivaliste actuel devient ainsi le lieu d’une redécouverte, mais aussi un lieu de débats. On observe une situation similaire dans les Pouilles, au sud de l’Italie, comme l’évoque Flavia Gervasi dans son chapitre qui se penche sur la pratique du Salento. L’auteure propose un dialogue épistémologique entre les descriptions scientifiques de la pratique et celles, endogènes et intuitives, de ceux qui l’exercent. S’opposent ainsi, entre autres, l’esthétique des anciens (paysans) et celle, plus urbaine, des nouveaux praticiens qui cherchent, à travers une «opération de simplification», à atténuer la rugosité de la pratique traditionnelle afin de la rendre plus accessible au public actuel. Par le biais d’une fine analyse d’enregistrements, Gervasi illustre les limites du vocabulaire musicologique traditionnel pour rendre compte de cette pratique véritablement ancrée dans le corps. Tout aussi révélatrices sont les pratiques vocales judéo-espagnoles qu’étudie Jessica Roda dans son chapitre «Redéfinir l’expérience musicale par la singularisation». Également sujettes à des transformations de pratiques ancestrales, les manifestations observées par Roda sont examinées sous l’angle théorique de l’«artification musicale», de manière à éclairer le processus menant à une valorisation symbolique de la pratique, qui elle-même se manifeste à travers le processus de professionnalisation de ses acteurs. Ici encore, ce processus d’un supposé anoblissement (et donc, d’une certaine manière, d’un éloignement du corps) provoque de nombreux débats au sein de la communauté actuelle.

    Corps en mouvement,

    corps performanciels

    Les deux dernières sections du livre inscrivent au cœur de l’analyse un corps qui bouge, qui transmet le savoir, qui signe et crée singulièrement la représentation musicale. Comme le précise Monique Desroches, en regardant jouer un clarinettiste, en examinant sa posture et ses mouvements, on percevra aisément s’il interprète une œuvre de Mozart, une musique klezmer ou un morceau de jazz. L’image du corps en mouvement, par delà la structure de l’œuvre, révèle à elle seule des éléments de stylistique musicale.

    Mais au-delà de l’importance du corps dans la création et l’interprétation des genres musicaux, c’est toute la mémoire culturelle d’un peuple qui est imprégnée dans le corps du musicien, du chanteur ou du danseur, ainsi que le souligne à juste titre Virginie Magnat. La performance de chants traditionnels peut devenir, écrit-elle, un acte politique, une revendication identitaire, ou encore l’incarnation d’une culture considérée minoritaire, mais toujours vivante. La mémoire se transmet ainsi par des gestes concrets qui sont parfois de nature profane, parfois à caractère sacré ou rituel. Ainsi transmis et perpétrés, ces gestes se transforment alors en gardiens de la mémoire, comme en témoignent les propos de Marie-France Mifune dans son regard sur la musique du rituel bwiti du Gabon. Le corps performanciel s’inscrit non seulement dans la foulée d’une pratique musicale, mais aussi dans une sorte de performativité sociale à laquelle chaque membre de la communauté se reconnaît et s’identifie. Le corps en mouvement est ainsi plus que chorégraphie et gestuelle: en plus de définir précisément un genre musical, il est aussi et surtout un marqueur social. Les chapitres de Catherine Harrison-Boisvert sur la capoeira du Brésil, de Karen Nioche sur les sonneurs et chanteurs bretons, de même que celui de Monique Desroches sur le bèlè de la Martinique sont révélateurs de ces processus de création centrés sur une réelle corporéité musicale et sociale.

    Cette mémoire perpétuée par la performance n’est pas seulement collective. C’est par le corps performanciel que l’artiste crée sa signature singulière, comme le montrent bien les analyses de Sophie Stévance et de Desroches. L’artiste créateur qui s’intéresse à la préservation du patrimoine musical entre en dialogue avec ce dernier, pour le transcender en apposant sa signature à la fois dans le champ patrimonial et dans celui de la contemporanéité. Tout en conservant un lien affectif et émotionnel avec la dimension patrimoniale du répertoire musical, l’artiste va au-delà de celui-ci pour atteindre, à travers diverses explorations de recours au corps, sa propre authenticité, qu’il positionne ensuite dans la sphère plus large de la transnationalité contemporaine. C’est dans ce contexte, souligne Stévance, qu’émerge cette nouvelle vague d’artistes dont la pratique multidisciplinaire et transnationale à la fois nourrit et reflète un mouvement volontaire non pas d’une quête, mais d’une reconquête de soi. Ici encore, le corps porte cette démarche créatrice complexe.

    L’homme-orchestre est un autre exemple patent de cet arrimage singulier du corps et de la musique. Pour Julian Whittam, les mouvements de l’homme-orchestre et sa façon d’interpeler les spectateurs sont sans aucun doute les procédés les plus singuliers et caractéristiques de la performance, où le visuel dialogue avec le sonore. Le jazz n’est pas non plus étranger à la réhabilitation du corps dans les analyses musicales: tel que le montre bien Vincent Cotro dans son chapitre, c’est avec le corps redevenu premier, et pas seulement avec les éléments épars d’un langage musical, que le jazz a construit sa matière sonore et visuelle.

    Qu’advient-il toutefois quand le corps disparaît ou semble disparaître lors des performances? Cette question intéressante et intrigante est notamment posée dans la contribution d’Anthony Papavassiliou à propos des musiques enregistrées. Depuis l’apparition de l’enregistrement sonore, la présence de l’interprète n’est plus indispensable lors de la diffusion de l’œuvre. À son tour, ce changement de paradigme vient mettre en doute la place et le rôle du corps performanciel lors de cette étape de diffusion. Par son œuvre phonographique, l’artiste n’est plus obligatoirement convoqué dans sa part de recréation de l’œuvre. Papavassiliou examine alors les moyens utilisés par les musiciens pour arrimer leur pratique avec les possibilités offertes par les technologies. Pour sa part, François Picard convoque le lecteur autour de la relation de l’acteur à la marionnette vue comme signe, symbole et métaphore du rapport entre le musicien – en son corps – et son instrument de musique. Dans cette analyse, une marionnette du Fujian qui joue d’un instrument de musique représente-t-elle précisément un musicien? L’auteur se penche alors sur la distinction entre corps, outil, instrument et machine.

    Marcel Mauss, dans ses «Techniques du corps» (1936), comme aussi Marcel Jousse (1969), dans son ouvrage L’anthropologie du geste, avaient bien pressenti la richesse du regard sur le corps. Pour Mauss, le corps est l’instrument premier et le plus naturel de l’homme, et l’objet technique le plus naturel (1936: 372). Ainsi que Desroches le souligne dans sa contribution, Mauss cherche à mettre en évidence les particularités culturelles des sociétés à partir d’une observation minutieuse des techniques corporelles chez l’humain, ces techniques étant perçues comme des révélateurs, ou plutôt comme des marqueurs sociaux à la jonction des sphères biologique, sociologique et psychologique.

    Dans l’ensemble de ces contributions, le terme le plus important est «relation», car toute performance suppose un espace de communication permettant à tous les acteurs d’entrer en relation les uns avec les autres. Que ce soit par le regard, par la danse ou par une série de dialogues rythmiques entre musiciens, le corps joue un rôle fondamental, guidant et signant le déroulement de l’œuvre.

    Remerciements

    Cette publication n’aurait pu voir le jour sans la collaboration de nombreuses personnes. Nous pensons tout particulièrement à Pascale Duhamel; sa compétence et son dévouement sur le plan de la révision des textes et de la mise en page ont été appréciés de tous et de toutes. Il nous faut aussi souligner le travail remarquable de Farrokh Vahabzadeh au chapitre de la mise en ligne des exemples sonores et multimédias inclus dans cette publication. Kathleen Verdereau a, pour sa part, joué un rôle important de liaison entre les auteurs et les responsables de ce collectif, et ce, depuis la tenue des Journées d’étude. Nous remercions également Marie-Christine Parent, Anne-Claire Riznar et Ariane Couture pour leur soutien logistique lors de ces Journées d’étude. Nous ne pouvons passer sous silence la collaboration amicale et professionnelle des Presses de l’Université de Montréal, plus précisément, de son directeur, Antoine Del Busso, de Nadine Tremblay, directrice de l’édition, et de Sylvie Brousseau, chargée de projet. Nous remercions également la peintre Rita Ezrati dont l’œuvre Flamenco illustre de façon éloquente tout ce que ce livre a souhaité esquisser. Enfin, nous tenons à remercier sincèrement le Conseil de recherches en sciences humaines et sociales du Canada (CRSHC), le Conseil franco-québécois de coopération universitaire (CFQCU) ainsi que les sites de Montréal et de Québec de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM) pour leur appui financier dans la réalisation des Journées d’étude et de cette publication.

    Références

    Godøy, R., et Leman, M., dir. (2010), Musical Gestures: Sound, Movement, and Meaning, New York: Routledge.

    Hawkins, S. (2013), «Aesthetics and Hyperembodiment in Pop Videos: Rihanna’s Umbrella», dans J. Richardson, C. Gorbman et C. Vernallis (dir.), The Oxford Handbook of New Audiovisual Aesthetics, Oxford: Oxford University Press, p. 466-482.

    Jander, W. et coll. (2014), «Singing», Grove Music Online, Oxford Music Online, Oxford University Press.

    Jousse, M. (1969) L’anthropologie du geste, Paris: Éditions Resma.

    Koneya, M., et Barbour, A. (1976), Louder Than Words: Non verbal Communication, Columbus, Ohio: Merrill.

    Lebrun, B., dir. (2012), Chanson et performance: Mise en scène du corps dans la chanson française et francophone, Paris: L’Harmattan.

    Le Guin, E. (2006), Boccherini’s Body – An Essay in Carnal Musicology, Berkeley: University of California Press.

    Mauss, M. (1936), «Techniques du corps», Journal de psychologie, vol. 32, nos 3-4: [en ligne], édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay pour la collection Les Classiques des sciences sociales, UQAC, 2002: http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html

    Middleton, R. (1993), «Popular Music Analysis and Musicology: Bridging the Gap», Popular Music, vol. 12, no 2, p. 177-190.

    Moore, A. F. (1993), Rock, the Primary Text: Developing a Musicology of Rock, Buckingham: Open University Press.

    1. Le corps a évidemment fait l’objet de recherches, notamment en anthropologie ou en psychologie (comme on le verra plus loin). Toutefois, peu nombreux sont les travaux ayant spécifiquement porté sur les rapports entre le corps et la musique. Mentionnons, dans le domaine de la musicologie plus traditionnelle, Le Guin (2006), ou encore, dans celui des sciences cognitives appliquées à la musique (musicologie systématique), Godøy et Leman (2010). On trouve également quelques chercheurs intéressés par les rapports entre musique et corps dans le domaine des études en musique populaires. En s’inspirant de modèles issus d’autres disciplines, en particulier les études culturelles, ces chercheurs explorent diverses questions (par exemple, le plaisir ou l’identité sexuelle) à travers l’analyse des rapports entre la musique et le corps. Citons, entre autres, les travaux de Middleton (1993) ou de Hawkins (2013), publiés à 20 ans d’intervalle, ou encore Lebrun (2012) dans le domaine de la chanson.

    le corps comme outil

    du musicien

    1. Le geste expressif dans le travail

    d’interprétation musicale

    Isabelle Héroux et Marie-Soleil Fortier

    Notre intérêt pour la gestuelle du musicien s’est manifesté de manière inopinée, soit lors d’une étude de cas visant à développer une méthodologie pour étudier le processus de création du musicien expert lorsqu’il travaille une pièce musicale. Si l’analyse de la gestuelle du musicien ne figurait pas dans nos objectifs de recherche, nous nous sommes cependant heurtées à sa présence et aux liens potentiels que notre sujet a entretenus avec le processus de création durant la réalisation de l’étude. Ainsi, nous avons utilisé les données recueillies dans ce projet pour effectuer une deuxième étude de cas, qui porte cette fois sur la gestuelle du musicien, et dont l’objectif consiste à répondre à nos hypothèses quant à sa fonction. Ce chapitre propose donc un état de la littérature scientifique et une analyse des gestes présents chez notre sujet lors du travail d’une pièce musicale. De plus, il fait état de la manière dont l’observation de ces gestes nous a fourni de l’information sur le processus de création de l’interprétation musicale.

    Le mouvement, l’action et le geste

    Plusieurs écrits précisent les différences qui existent entre mouvement, action et geste. D’abord, pour Dahl et coll. (2010) le mouvement représente un changement dans la position du corps, d’une partie de celui-ci, ou même d’un objet qui peut être objectivement mesuré. Quant à l’action, Jensenjus et coll. (2010) la définissent comme un ensemble cohérent de mouvements toujours réalisés de manière intentionnelle et dirigés vers un objectif. Ainsi, prendre un verre d’eau pour boire et prendre un instrument de musique dans ses mains pour en jouer sont des actions. Pour ce qui est du geste, le grand dictionnaire terminologique de l’Office de la langue française (1997) le définit comme un mouvement du corps, de la tête, des membres ou des mains ayant une signification symbolique, comme le geste d’au revoir de la main. Bien que le geste soit aussi visible que le mouvement ou l’action, il a la particularité d’être expressif, tout comme le langage duquel il se différencie fondamentalement. Ainsi, McNeil (1992) affirme que si le langage est linéaire, segmenté et qu’il s’étend dans le temps, le geste, lui, est global, synthétique et spontané. De plus, selon Trevarthen, Delafield-Buttand et Schögler (2011), le geste transmet des informations d’une manière multimodale. En effet, s’il est évidemment perçu par la vue, le geste est porteur d’une intention qui est aussi ressentie par sympathie, grâce aux neurones miroirs (Gallese Keysers et Rizzolatti 2004), et sa signification est interprétée à la lumière du contexte, dans un mode émotionnel.

    Le geste musical

    Dans son sens général, le geste est réalisé pour être vu et il est souvent silencieux. Par contre, le geste musical, lui, implique automatiquement une séquence de sons, sans pour autant faire référence au mouvement physique, perceptible par la vision. En effet, pour certains auteurs, dont John Rink, Neta Spiro et Nicolas Gold (2011), l’organisation du matériau musical abstrait contenu dans une partition en entités expressives (phrases, patrons rythmiques) qui sont audibles grâce au jeu d’un interprète, constitue un ensemble de gestes musicaux qui peuvent s’étudier à l’écoute d’enregistrements sonores. Ainsi, entendu dans ce sens, le terme de geste musical fait référence à l’intention ou à la direction musicale; bref, au résultat sonore, plutôt qu’au geste physique observable. Par exemple, chaque interprète peut privilégier un geste musical différent pour la réalisation d’une même phrase musicale.

    Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes intéressées au geste musical visible que produit l’interprète lors de son jeu. Selon Zbikowski (2011), il n’y a pas toujours une corrélation entre le geste musical et la production du son. Prenons pour exemple un geste de la main et du bras effectué par un guitariste qui décrit un cercle très lent dans les airs après l’attaque d’un accord sur une valeur longue. Bien que le son soit déjà produit, le geste de la main et du bras continue. Ainsi, pour qu’un mouvement contribue au geste musical, il n’a pas besoin d’être relié à la production du son, mais il doit signifier ou exprimer quelque chose, même de manière inconsciente, car il a une signification expressive pour l’auditoire.

    La représentation mentale et le geste

    L’efficacité du geste comme moyen de communication a été démontrée dans les travaux de McNeill (1992 et 2005) sur le langage. Cet auteur souligne que si l’être humain fait souvent des erreurs de langage, il fait rarement des erreurs de gestes. Par exemple, en donnant une indication routière, une personne peut dire à son interlocuteur de tourner à gauche, alors que sa main indique spontanément la droite, c’est-à-dire la bonne direction. De plus, selon Davidson (2005), on observe un phénomène semblable en musique. En effet, cette auteure souligne que, chez certains sujets, les gestes musicaux illustrent l’intention musicale avant même que le patron moteur nécessaire à l’exécution de l’idée musicale ne soit intégré dans le jeu instrumental. Ainsi, un mouvement de la tête peut évoquer une ligne mélodique legato très douce – une intention de l’interprète – sans pour autant que le résultat sonore soit conséquent. Les gestes d’accompagnement servent donc aussi à communiquer des intentions musicales et à rendre explicite la structure de l’œuvre et le sens du discours musical de l’interprète.

    Les aspects fonctionnels

    du geste musical

    Selon la littérature, le geste musical comporterait différentes fonctions, regroupées en trois catégories dans le tableau suivant. La première concerne les gestes qui servent directement à produire le son de l’instrument, telle l’attaque de la note au piano. La deuxième est constituée des gestes qui ne sont pas essentiels à la production du son, mais qui la soutiennent (par exemple, la main du pianiste qui s’élance de loin pour attaquer la touche d’une manière particulière), ou encore qui accompagnent la musique (comme le pied qui bat la mesure ou le mouvement de la tête qui suit le legato de la mélodie). Toutefois, comme peu d’auteurs font une distinction entre les gestes de soutien et les gestes accompagnateurs, nous avons regroupé ceux-ci au sein d’une même catégorie¹. La troisième catégorie regroupe les gestes qui n’ont qu’une valeur symbolique et ne servent qu’à communiquer avec le public ou avec les autres musiciens.

    La différenciation entre ces trois fonctions du geste n’est, bien entendu, pas toujours facile à faire. En fait, les gestes accompagnateurs et symboliques sont encodés sous forme de chunks – c’est-à-dire regroupés en une seule unité – dans le système nerveux de l’interprète avec ceux qui servent à la production du son. Ils sont, comme l’explique Godøy (2011), «coarticulés» c’est-à-dire présents simultanément lors du jeu et perçus de manière holistique par le public. De plus, certains gestes sont propres à chaque musicien et constituent une forme de grammaire personnelle.

    Pour la suite, nous adopterons la terminologie proposée par Delalande (1988) pour désigner les différents types de gestes. De plus, nous regrouperons tous les gestes non effectifs, donc non essentiels à la production du son, sous les termes «gestes expressifs», en accord avec la terminologie de Davidson (2005).

    La représentation mentale

    et les étapes de travail

    Certains chercheurs ont étudié le travail que l’interprète doit accomplir pour arriver à jouer une œuvre. Wicinski (1950) a été le premier à émettre l’hypothèse que les musiciens utilisent une représentation mentale de l’œuvre pour guider leur travail selon des étapes précises. Par la suite, les concepts d’étapes de travail et de représentation globale de l’œuvre ont également été repris par Miklaszewski (1989), Lehmann (1997), Chaffin et coll. (2003) et Sloboda (1985). D’ailleurs, les recherches de Chaffin et coll. (2003) confirment que le musicien professionnel se construit une image mentale d’une œuvre, ou Big Picture, dès sa première écoute ou lecture, en repérant les parties constituantes de sa structure (sections, phrases, harmonie, etc.). Ensuite, pour ces auteurs, le musicien oriente son travail de manière à rendre audible cette structure dans un processus en étapes. La première étape, Scouting-it-Out, consiste à lire lentement le texte musical pour acquérir une représentation mentale de l’œuvre en identifiant différents éléments, telles les sections de l’œuvre ou les difficultés techniques. Dans la deuxième étape, Section-by-Section, le travail consiste à rendre audible la structure de l’œuvre grâce à divers choix esthétiques en lien avec ses connaissances antérieures (connaissances musicologiques, techniques de l’instrument, etc.). Le travail est alors concentré sur de petites sections qui permettent l’acquisition des gestes moteurs et leur automatisation. La troisième étape, Gray stage, est caractérisée par le travail d’enchaînements en plus grandes sections et, par conséquent, l’automatisation du jeu. La dernière étape, Maintenance, est consacrée à la consolidation des apprentissages et à la fixation des derniers détails, à la lumière de la représentation mentale de l’œuvre, en prévision d’une prestation publique. Après l’étape Gray stage et juste avant l’étape Maintenance de Chaffin et coll. (2003), Héroux et Fortier (2013 et 2014) proposent l’ajout d’une étape supplémentaire, l’«appropriation artistique», qui se poursuit en parallèle avec l’étape Maintenance. Dans l’«appropriation artistique», le musicien recherche une justesse d’expression dans son interprétation (caractère, nuances, sonorités, phrasés, etc.) qui résulte d’une adéquation entre son image mentale de la pièce et le résultat sonore. Pour y arriver, le musicien utilise des supports extramusicaux (images mentales et trames narratives) qui sont analogues au discours musical et qui permettent de donner un sens plus personnel au texte, de favoriser une interprétation plus juste et de stabiliser le résultat sonore. Par exemple, dans cette étude de cas, le sujet utilise l’analogie de la grisaille pour réaliser le son d’un accord de manière juste et constante.

    Pour Héroux et Fortier (2013 et 2014), la recherche du sentiment de justesse d’expression dans l’interprétation d’une œuvre, grâce à l’utilisation de supports extramusicaux, représenterait une part importante du processus créatif qui est présent dans le travail d’interprétation. En effet, cette action ferait appel à des opérations mentales qui sont propres à la conception de la créativité de Guilford (1950 et 1968) et Lubart (2011), soit, l’alternance entre la pensée convergente et divergente, ainsi que le recours aux analogies ou aux métaphores pour réaliser des associations créatives.

    Par ailleurs, à notre connaissance, aucune recherche ne s’est intéressée aux gestes expressifs des musiciens et à leurs relations potentielles avec les étapes de travail d’une œuvre et les processus créatifs qu’ils utilisent. Par contre, lors d’une étude de cas sur le développement d’une méthodologie pour étudier le processus créatif des musiciens, pour laquelle nous avons filmé l’ensemble du travail d’interprétation d’une œuvre d’un musicien, nous avons dû faire face aux gestes expressifs de notre sujet, ainsi qu’à leurs liens potentiels avec son processus de création. En effet, lors de sa deuxième répétition, le sujet s’est mis à bouger discrètement avec la musique dans un but qui nous est apparu expressif plutôt que technique. De plus, nous avons observé un changement dans la nature de ces gestes entre les premières et les dernières répétitions, entre autres en ce qui a trait à la fréquence et à l’amplitude des mouvements effectués. Ainsi, nous présentons les résultats d’une deuxième étude, effectuée à partir des données recueillies pour la première étude, afin de comprendre pourquoi notre sujet bougeait différemment d’une répétition à l’autre, et quelles étaient la nature et la fonction des gestes observés.

    La littérature nous informe que les gestes du musicien sont des signes liés à l’organisation des sons pour donner un sens expressif à la musique. Ils peuvent exprimer les intentions musicales du musicien, et cela, parfois mieux que son jeu instrumental. Nous avons donc voulu vérifier si ces gestes pouvaient nous donner des indications sur la représentation mentale de l’œuvre du musicien, soit sa compréhension de la structure musicale et la conception expressive de son interprétation. De plus, nous voulions savoir si les gestes pouvaient nous aider à confirmer les étapes de travail instrumentales identifiées au préalable et s’il existait des liens entre les gestes expressifs et le processus créatif à l’œuvre dans le travail d’interprétation de notre sujet.

    Nous avons utilisé les données recueillies lors d’une étude de cas portant sur le développement d’une méthodologie pour expliciter les processus créatifs mis en œuvre pendant le travail d’interprétation d’une pièce musicale. Pour ce faire, nous avions enregistré sur bande vidéo la première séance, consacrée à la lecture de la pièce, ainsi que les 14 répétitions réalisées par notre sujet, un guitariste-concertiste de haut niveau. Ces enregistrements ont fait ensuite l’objet d’une analyse de contenu afin de déterminer les types

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