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Livre électronique408 pages5 heures

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À propos de ce livre électronique

L’inscription à Prince-charmant.com est
relativement facile. Il suffit de remplir un questionnaire, de choisir un scénario, d’envoyer une photo récente et d’effectuer le paiement par carte de crédit. Quelques jours
plus tard, un prince charmant cogne à votre porte pour vous offrir deux semaines de grand amour. Alléchant, non?

Bien des gens refuseraient de payer pour obtenir un tel service, et Jasmine Labelle faisait partie de ceux-là, jusqu’à ce que son amie Cindy — à la suite d’assauts répétés — la persuade du contraire.

Les contes de fées ne sont peut-être que pures fabulations, mais les princes charmants, eux, existent bel et bien. Jasmine l’a appris à ses dépens. Deux hommes ont prétendu au titre, mais un seul d’entre eux s’est révélé être un véritable prince. De ces deux courtisans, elle n’a pas su distinguer le gentil du méchant.

Il y a bien eu une confrontation entre l’ombre et la lumière durant cette période de sa vie, mais ce n’est qu’à la toute fin qu’elle l’a réellement compris.
LangueFrançais
Date de sortie28 mars 2022
ISBN9782898180996
Prince-charmant.com
Auteur

Michel J. Lévesque

Michel J. Lévesque a commencé sa carrière d’auteur en publiant des nouvelles fantastiques et de science-fiction dans diverses revues, telles que Solaris au Québec et Galaxies en France. Son premier roman, Samuel de la chasse-galerie, a été choisi parmi les sélections 2006-2007 de Communication-Jeunesse et a été finaliste pour le prix Cécile-Gagnon. On lui doit également les séries Arielle Queen, Soixante-Six, Psycho Boys, Menvatts ainsi que les romans Wendy Wagner, Automne et PriZon, de même que les recueils de nouvelles Noires nouvelles et Des nouvelles du père.

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    Aperçu du livre

    Prince-charmant.com - Michel J. Lévesque

    Prologue

    Il ouvrit les yeux dès qu’il reprit connaissance et réalisa qu’il était solidement ligoté, en position horizontale. Il essaya de bouger la tête pour commencer, puis les bras et les jambes, mais en était incapable. La plaque de métal lisse et froide sur laquelle il était étendu lui frigorifiait le dos et les membres. Cette plaque s’élevait à environ un mètre du sol, nota-t-il, peut-être davantage, et reposait vraisemblablement sur une table ou un autre support du même genre.

    «  AU SECOURS ! AIDEZ-MOI ! »

    Les grondements sourds d’une machine qu’il ne put identifier résonnaient à ses oreilles.

    « Personne peut t’entendre », déclara soudain une voix de femme.

    Malgré les robustes courroies qui servaient à l’immobiliser, il parvint tout de même à tourner légèrement la tête, assez pour distinguer la silhouette féminine qui s’approchait de lui.

    « Tu vois le revêtement ? dit-elle en indiquant les murs autour d’eux. Il sert à isoler la pièce. Tu peux t’époumoner tant que tu veux, il se passera rien. »

    Il arriva enfin à discerner son visage dans la pénombre.

    « Toi ? !… Mais qu’est-ce qui te prend, cibole ! Ça veut dire quoi tout ça ?

    — Température réglée à 1000 degrés Celsius, annonça la jeune femme d’une voix monotone. Combustion lancée. Flux d’air, OK. »

    La chaleur et le vacarme ambiant se firent de plus en plus intenses. Ils étaient forcément produits par cette machine infernale qui s’ébranlait derrière eux.

    « Que tu puisses m’assommer quand j’étais sans défense, ça oui, je t’en crois capable, mais que tu réussisses ensuite à me transporter seule jusqu’ici, ça non, c’est impossible. Qui t’a aidée ? T’as forcément des complices ! »

    Quelque chose attira l’attention de la femme tandis qu’il parlait. Elle se pencha au-dessus de lui et le força à ouvrir la bouche : « Il te manque quelques dents, on dirait. Il t’a servi une leçon de boxe ?

    — Un coup de chance, grogna l’homme. Il a profité du fait que j’étais affaibli. »

    Bouger la tête n’était pas facile. Il lui fallait déployer de grands efforts pour réussir à orienter son regard vers la jeune femme.

    « Je vais te faire regretter ça ! Crois-moi !

    — À température idéale, l’informa-t-elle en reprenant son sérieux, le processus de crémation dure environ quatre-vingt-dix minutes.

    — Quoi ?… Non, attends ! l’implora l’homme. Fais pas ça ! Libère-moi !

    — Te libérer ? Elle est bonne, celle-là ! Tu m’as libérée, toi ? Tu m’as laissé partir quand je te suppliais de le faire ? Ils croient tous que je t’ai mis à la porte ce jour-là, mais on sait très bien tous les deux que c’est pas vrai : tu es resté et tu m’en as fait baver ! » Après une brève pause, elle ajouta : « C’est moi qui ai témoigné en ta faveur quand tu étais détenu au poste de police, et pas Alice. Je voulais être certaine qu’ils te relâchent, tu comprends ? Pour mieux te rattraper ensuite !

    — T’es complètement cinglée… »

    Un bruit mécanique résonna alors dans la vaste salle du crématorium, puis le tapis roulant se mit en marche, entraînant l’homme vers son funeste destin. L’incinérateur dégageait une chaleur si intense qu’une nuée ardente enveloppa aussitôt le corps du jeune homme.

    « Non, écoute, je… c’est pas ce que je voulais dire… je vais me racheter… »

    Son ton était suppliant. Il n’y avait plus la moindre trace de combativité en lui. Se sachant vaincu, il ne lui restait plus qu’une seule stratégie à adopter : la rédemption.

    « J’irai la voir… promit-il, elle et toutes les autres, et je vais leur demander pardon. » Il s’arrêta, avala avec difficulté, puis reprit : « Je m’excuse… Je m’excuse pour tout ce que je vous ai fait, à toi comme à elles… »

    Cette tentative de dérobade n’eut d’autre effet que de provoquer le rire de la femme.

    « La sorcière poussa la petite Gretel vers le four, d’où sortaient de grandes flammes ! récita-t-elle alors avec une ferveur à la fois amusée et exaltée. Entre dedans ! ordonna la vieille femme, et dis-moi s’il est assez chaud pour la cuisson ! »

    La gueule béante du four n’était plus qu’à quelques centimètres de l’homme. Des odeurs de cendres et de roussis lui emplissaient les narines.

    « Non ! hurla-t-il alors que son cuir chevelu se consumait déjà. Non ! NOOON ! »

    L’atmosphère devint vite suffocante, même pour la tortionnaire, qui fut forcée de s’éloigner. « Gretel donna une si forte poussée à la sorcière qu’elle fut projetée tout au fond du four, poursuivit la femme avec un large sourire aux lèvres. Elle ferma aussitôt la porte de fer et y mit le verrou. Brûlée vive, la vieille femme hurla effroyablement ! »

    Malgré les cris rauques et désespérés de l’homme, elle se dirigea ensuite vers la sortie, d’un pas lent, mais allègre : « Et maintenant, dit une Gretel épuisée, mais sereine, dépêchons-nous de quitter cette forêt de démons. »

    Les restes de sa victime, elle viendrait les récupérer plus tard, afin de les déposer dans l’urne funéraire qu’elle avait spécialement façonnée pour l’occasion.

    Rédigé par Jasmine Labelle, scénariste,

    agence Prince-charmant.com

    (*Note aux régisseurs : Réalité ou fiction ? Même si je connaissais la réponse, je ne vous la donnerais pas, tout comme je ne révélerai aucun nom.)

    « Il n’existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur. »

    — Franz Kafka

    « Fleur blanche et prince noir »

    Depuis quelques années, je me suis beaucoup rapprochée de Béatrice. Nous partageons un grand nombre de points communs. Elle adore le théâtre, le cinéma et la littérature, exactement comme moi. En ce qui concerne les téléphones, tablettes et ordinateurs portables, elle ne jure que par Apple ; c’est aussi mon cas. Nous mangeons dans les mêmes restaurants, achetons nos vêtements et nos souliers dans les mêmes boutiques, payons pour les mêmes soins esthétiques et convoitons sensiblement les mêmes articles de la ligne Burberry (pas question, toutefois, de se procurer des sacs à main identiques ; ce serait une pure hérésie). Je me doute bien que tout cela peut paraître superficiel, mais il n’en demeure pas moins que Béatrice et moi sommes devenues de très bonnes amies.

    Est-il possible qu’ensemble, nous ayons percé le mystère entourant la disparition de Gaspard L’Écuyer ? M’a-t-elle vraiment avoué, lors d’un dîner bien arrosé, détenir la clé de l’énigme ? A-t-elle laissé entendre que son désir de vengeance l’avait poussée à le kidnapper, puis à l’assassiner ? A-t-elle admis avoir fait griller Gaspard dans le four crématoire de son oncle pour ensuite déposer ses cendres dans une urne funéraire en forme de « crapaud » ? Ça expliquerait pourquoi on n’a plus jamais revu le jeune homme.

    Mais s’agit-il d’un récit véridique ou d’un simple fantasme ? Si les choses se sont réellement déroulées telles que je les ai décrites, alors il me faudra non seulement admettre que mon amie a un petit côté revanchard – notez l’ironie, ici –, mais aussi qu’elle sait faire preuve d’une rare brutalité. Le genre de brutalité qui peut mener au meurtre.

    Quant à moi, me serais-je réjouie ou non de son geste ? La mort de Gaspard m’aurait certes soulagée, je ne vous le cache pas, mais de là à cautionner son assassinat, il y a une marge. Éric aurait-il été d’accord avec ce châtiment ? Et ma famille ? Et mes amis ? Leur en aurais-je seulement parlé ? À moins que le P’tit troll se soit simplement volatilisé, sans le concours de qui que ce soit. Peut-être s’est-il enfin décidé à rejoindre le monde des cauchemars, là où les trolls dans son genre s’acharnent à dévorer la lumière des étoiles ?

    Interrompons un moment les suppositions hasardeuses pour revenir un peu en arrière. À l’époque où commence cette histoire, j’étais toujours amoureuse de Christophe Roy, un grand type brillant et gentil, qui aimait la lecture, le tennis, la pizza, et les films de Star Wars. Nous avions fait connaissance à l’université, dans un cours d’histoire des communications, et sortions ensemble depuis trois ans.

    — Pourquoi envoyer un seul Terminator ? m’a-t-il un jour demandé alors que nous déjeunions calmement dans un parc.

    Je me souviens que c’était une splendide journée d’été. Un soleil radieux brillait dans le ciel et il y avait très peu de nuages. Une légère brise odorante s’élevait par intermittence, assez fréquente pour que nous ne soyons pas incommodés par l’étouffante chaleur de midi.

    — Pourquoi pas envoyer une dizaine ou même une vingtaine de Terminators pour tuer John Connor ?

    — John qui ?

    Je n’avais pas la moindre idée de ce dont il parlait.

    — Le diable est dans les détails, a ajouté Christophe. Comme dans Le Retour du Jedi, par exemple, quand Luke demande à Leia si elle se souvient de sa vraie mère. Sais-tu ce qu’elle lui répond ? Que c’était une femme triste !

    Je n’apprécie guère Star Wars, Star Truk-Machin-Chose et tous ces autres récits de science-fiction puérils. Pour moi, ce sont des films de « p’tit gars ». Je ne comprends pas qu’on puisse s’émouvoir autant à regarder des chevaliers de l’espace se bagarrer à coups de sabre laser : Dzzz ! Dzzz ! Dzzz !… Ridicule.

    Christophe a choisi une pomme dans la glacière, puis me l’a offerte avant de poursuivre :

    — Dans la prélogie de Georges Lucas, celle qui se passe avant l’autre, on voit que Padmé, la mère de Leia et de Luke, meurt tout de suite après leur avoir donné naissance. Leia avait à peine dix secondes quand Padmé est morte, comment elle peut se souvenir que sa mère était triste ?

    Je me rappelle avoir soupiré bruyamment ; je me foutais royalement de Luke et Leia Skywalker.

    — Même chose pour Obi-Wan Kenobi, a repris Christophe sur un ton beaucoup plus posé cette fois.

    Ce retour au calme, c’était une manière de me ménager. Il se doutait que j’étais sur le point de décrocher. J’aurais voulu le supplier de changer de sujet, mais c’était inutile ; quoi qu’il en coûte, Christophe irait au bout de sa diatribe.

    — Ce vieux sénile d’Obi-Wan avait une seule chose à faire : mettre Luke Skywalker à l’abri pour éviter que son père, Dark Vador, lui mette la main dessus. C’est pas compliqué, me semble, quand on sait qu’il y a au moins deux cent cinquante milliards de planètes dans leur galaxie « très, très lointaine ». Mais non, au lieu de cacher Luke sur une planète totalement inconnue, située à l’autre bout de la galaxie, Obi-Wan le ramène sur Tatooine, la planète d’origine de son père, pour le confier au gros Owen Lars, le demi-frère de Vador ! Il change même pas le nom du petit ! Allô l’anonymat !

    — Tu sais, moi, Star Wars…

    J’avais atteint ma limite ; il me fallait à tout prix réorienter la discussion, quitte à contrarier mon copain. Assez parlé de Jedi et de princesses de l’espace, j’avais envie d’aborder des questions autrement plus importantes.

    — Christophe ?

    Enfin, il s’est interrompu.

    — Quoi ?

    — Quelle est ton histoire d’amour préférée ?

    Moment de brève hésitation.

    — Hmm, je dirais… celle de Han Solo et de la princesse Leia !

    Je m’attendais à ce genre de réponse, ce qui ne m’a pas empêché d’espérer davantage d’originalité. Je ne lui en ai pas tenu rigueur, cependant, même si je m’étais efforcée de lui en donner l’impression, juste pour la forme :

    — Tu fais quoi de Roméo et Juliette ? De Catherine et Heathcliff dans Les Hauts de Hurlevent ? De Chloé et Colin dans L’Écume des jours ? D’Elizabeth Bennet et Mr Darcy dans Orgueil et Préjugés ?

    J’étais persuadée que nous passerions le reste de notre vie ensemble, et ce, depuis notre toute première rencontre à l’université. Nous avait-il suffi d’un seul regard pour tomber amoureux ? Non, un seul regard n’est jamais assez ; il peut être employé comme outil de séduction, mais ne garantit rien pour la suite. L’essentiel pour durer, c’est de démontrer du respect et de la tendresse en tout temps, de même qu’une absolue complicité, et ça, nous l’avions : nous étions si proches, si forts tous les deux ensemble, que rien au monde ne pourrait jamais nous séparer. C’est pourtant ce qui s’est produit, d’une façon aussi soudaine que tragique.

    — Orgueil et préjugés ?… a répété Christophe. Non, ça me dit rien.

    La place disponible dans mon cœur était entièrement occupée par Christophe. Nous avions échafaudé de grands rêves : « Les siens et les miens, disions-nous, qui, à force de complicité et d’amour, sont devenus les nôtres ». Je n’avais qu’une vie à partager et c’est avec lui que j’espérais le faire. Mais le destin en a décidé autrement.

    — La plus belle histoire, c’est la nôtre, s’est habilement racheté Christophe avec son petit sourire espiègle, celui qui, chaque fois, me faisait craquer.

    Je me suis mise à rire :

    — Bien rattrapé, Han Solo.

    Le chemin que nous avions tracé menait à une impasse. Seule et égarée, j’allais devoir en défricher un autre. Avec Christophe, j’avais vécu un véritable conte de fées, et les contes de fées, ça se conclut toujours bien. C’est du moins ce que je croyais à l’époque, raison pour laquelle je refusais d’envisager la fin de notre amour.

    — Tu crois vraiment qu’on va passer notre vie ensemble ?

    — Sûre et certaine, ai-je répondu avec une détermination à toute épreuve. On s’aime, non ?

    Christophe a hoché la tête avec contentement :

    — Bien sûr qu’on s’aime.

    L’hiver suivant, il est mort dans un accident de voiture.

    Philippe Baron, le copain de Cindy, l’accompagnait. Tous les deux devaient se rendre au Massif de Charlevoix pour un week-end de ski. C’est Christophe qui se trouvait derrière le volant. En règle générale, il conduisait de façon prudente, mais pas ce jour-là. Les analyses ont en effet démontré qu’il y avait de l’alcool dans son sang, ainsi que dans celui de Philippe. Apparemment, ils se sont arrêtés dans un bar tout juste avant de quitter la région. Une petite taverne mal famée, située aux limites de la ville et fréquentée uniquement par des ivrognes invétérés.

    Le taux d’alcool de Philippe était beaucoup plus important que celui de Christophe, qui dépassait à peine la limite permise. La chaussée était glissante. Il a suffi d’une perte de contrôle et d’une brève embardée pour nous priver, Cindy et moi, de nos amoureux. Chris et Phil, les deux meilleurs amis du monde, ont été tués lors d’une horrible collision frontale. Mais l’ampleur de la tragédie ne s’arrête pas là : dans l’autre véhicule se trouvaient la petite-fille et le petit-fils de madame Merryweather, ma patronne. Sa petite-fille était installée du côté conducteur. Elle est morte sur le coup. Le petit-fils, lui, s’en est sorti avec quelques blessures mineures. Je ne les ai pas connus, je ne les ai jamais même rencontrés, mais il m’arrive parfois de penser à eux, surtout lorsque ma patronne, ignorant que je l’observe, se permet un bref instant de tristesse.

    Après la mort de Christophe, j’ai renoncé à connaître un autre amour. Cette éventualité me paraissait invraisemblable. Comment un autre « homme de ma vie » pouvait-il exister ? Là encore, le destin me réservait son lot de surprises. Heure après heure, mois après mois, année après année, la vie se fait un malin plaisir de vous ébranler dans vos certitudes les plus absolues, et c’est encore plus vrai en amour. Vous pensez avoir rencontré l’homme de votre vie ? Détrompez-vous, ce n’est pas celui-là. Il y en aura d’autres. Il y en a toujours d’autres, selon madame Merryweather : « Certains seront bons, d’autres moins, mais ils se tailleront tous une place dans ton cœur. Ce sera à toi de décider laquelle, mais la plupart du temps, tu n’auras pas le choix : tu aimeras sans savoir pourquoi et ce sera bien. Parce que l’amour est un mystère : tu peux y croire sans avoir la moindre preuve, sans être forcée de convaincre qui que ce soit, surtout pas toi. Deal with it, Sweetie, c’est la seule chose à faire. »

    Les contes de fées ne sont peut-être que pures fabulations, mais les princes charmants, eux, existent bel et bien, j’allais l’apprendre à mes dépens. Deux hommes ont prétendu au titre, mais un seul s’est révélé à la hauteur. De ces deux courtisans, je n’ai pas su distinguer le gentil du méchant. L’ombre et la lumière se sont affrontées durant cette période de ma vie, mais ce n’est qu’à la toute fin que je l’ai réellement compris.

    Mon nom est Jasmine Labelle et voici mon histoire, un scénario désormais connu par les usagers de l’agence sous le titre de Fleur blanche et Prince noir.

    La toute première version, que j’ai depuis maintes fois modifiée, débutait par la formule traditionnelle : « Il était une fois deux filles endeuillées qui traînassaient devant un MacBook Air… »

    Des années plus tôt

    « Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté : il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête… Interrogez le diable il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue. »

    — Voltaire

    « Dans les vieux contes européens, les héroïnes sont courtisées par des princes charmants. Au Québec, elles sont séduites par le diable. Une autre illustration de notre optimisme légendaire. »

    — Gaspard L’Écuyer, scénario de Fleur blanche et Prince noir

    « Si vous pouviez choisir votre histoire d’amour, qui serait votre prince ? »

    À l’université, je me suis inscrite en communication en espérant devenir journaliste. Ce n’est pas gagné ; bien que j’aie terminé mes études, je n’ai encore trouvé aucun boulot dans le merveilleux monde des médias, qu’ils soient traditionnels ou alternatifs. Je travaille donc toujours comme préposée aux prêts à la bibliothèque de la ville. Cindy, ma meilleure amie, n’a pas changé ses plans, malgré son deuil. Ce qui l’intéresse par-dessus tout, ce sont les langues : le français, l’espagnol et l’allemand. Son diplôme en main, elle est officiellement devenue traductrice.

    Prince-charmant.com, c’est Cindy qui m’en a parlé la première. Sa cousine a eu recours à leurs services au printemps dernier. Depuis, elle n’arrête pas de lui casser les oreilles avec ça. Selon Elsa (la cousine en question), l’expérience est fantastique. Blessante, à la toute fin, mais tout de même mémorable. On s’en remet vite, paraît-il, mais j’ai de gros doutes à ce sujet.

    La plupart des filles rêvent d’une grande histoire d’amour. C’est ce que Prince-charmant.com vous offre, moyennant une importante somme d’argent. Cet argent sert à payer un acteur qui, pendant quinze jours, vous fait croire au grand amour. Qui a prétendu que l’amour ne s’achète pas ?

    L’inscription est relativement facile ; il suffit de remplir un questionnaire, de choisir un scénario, d’envoyer une photo récente et de payer avec une carte de crédit. Quelques jours plus tard, un prince charmant cogne à votre porte pour vous offrir deux semaines de grand amour. Alléchant, non ? Bien des gens refuseraient de payer pour obtenir un tel service, et je faisais partie de ceux-là, jusqu’à ce que, à la suite d’assauts répétés, mon amie me persuade du contraire. Sous les pressions de Cindy, donc, j’ai décidé de me lancer. Ce ne sont pas les éloges de la cousine Elsa qui nous ont convaincues, c’est plutôt l’envie d’être cajolées pendant quelques jours avec l’espoir, peut-être, d’atteindre une certaine forme de sérénité.

    Les parents de mon amie sont riches. Ils nagent carrément dans l’opulence, je ne trouve pas d’autres façons de le dire. Leur fortune, ils l’ont accumulée grâce à l’entreprise fondée par Robert Leduc, le père de Cindy. Il est en effet l’unique propriétaire de Faërie Marketing, une agence de publicité qui, depuis sa création en 1988, décroche de prestigieux contrats, des projets forts lucratifs provenant autant du secteur privé que public. Faërie Marketing est une référence dans le domaine. C’est l’une des agences les plus connues au Canada et l’une de celles, aussi, qui engrangent le plus de bénéfices. Pour protéger ses avoirs, monsieur Leduc a diversifié ses activités. Il est non seulement propriétaire de trois restaurants, mais aussi le principal actionnaire de la société Pentamerone, qui produit des capsules Web pour divers organismes et entreprises.

    C’est donc grâce à Robert Leduc et à sa femme Anita si j’ai obtenu une partie de l’argent nécessaire pour compléter mon inscription à Prince-charmant.com. Si les parents de Cindy m’ont donné cet argent, c’est avant tout parce qu’ils s’inquiètent pour leur fille. Et peut-être aussi un peu pour moi.

    « On a de tout avec l’argent, m’a prévenue le père de Cindy lorsqu’il m’a remis le chèque, hormis des cœurs et de bons citoyens ». Citation de Jean-Jacques Rousseau. Monsieur Leduc a la réputation de citer les grands philosophes lorsqu’il souhaite passer un message clair. Déformation professionnelle, sans l’ombre d’un doute. Un jour, alors que Cindy et moi traînions dans son bureau, j’ai entraperçu une pile de livres sur sa table de travail, constituée essentiellement de dictionnaires de citations. Ce qui n’est pas étonnant, me suis-je dit alors, pour un spécialiste de la pub et des slogans « punchés ». Conclusion : bien peu de choses suffisent pour développer une vive répartie. C’est l’une des pratiques auxquelles madame Merryweather m’a initiée, d’ailleurs : « Toujours retenir une ligne ou un passage d’un livre que tu as apprécié, car un moment viendra où ces mots te seront utiles, soit pour te tirer d’affaire, soit pour prêter main-forte à d’autres. »

    Oui, les livres parlent, je peux en témoigner : j’entends la voix de Nick Poussin, mon auteur fétiche, chaque fois que je relis ses livres. Et plus je les relis, plus ses paroles deviennent claires et perceptibles, comme s’il se rapprochait de moi à chaque lecture. À ce rythme, je croiserai bientôt sa route.

    Anita Leduc ne comprend pas pourquoi sa fille tient tant à « se payer une histoire d’amour ». Ce sont ses propres mots. Une histoire dont la triste fin est déjà annoncée. Cindy lui a répondu qu’elle paierait elle-même les coûts de ce caprice, qu’Anita le veuille ou non. Après maintes discussions et disputes, Anita a finalement avoué son impuissance, et c’est alors qu’elle m’a demandé mon aide. (Cindy et moi nous connaissons depuis si longtemps que ses parents me considèrent un peu comme leur fille.) Je lui ai assuré que si j’avais l’argent, je ferais exactement comme Cindy.

    — Pourquoi ? m’a demandé Anita.

    Je lui ai expliqué que Cindy ne parvenait pas à oublier Philippe, pas plus que je ne réussissais à chasser Christophe de mes pensées. Nous étions incapables de faire notre deuil. La douleur était toujours aussi vive.

    — La sérénité, ça ne s’achète pas, a alors protesté la mère de Cindy, beaucoup plus soucieuse que mécontente. Et l’amour non plus, tout le monde sait ça.

    J’ai acquiescé sans retenue ; elle avait raison.

    — J’ai bien essayé de la faire changer d’idée, ai-je répondu, mais c’est finalement Cindy qui a réussi à me convaincre. Elle dit que c’est ça ou rien. Rien, vous comprenez ?

    « Il faut tenter l’absurde pour atteindre l’impossible », ai-je songé en me rappelant les écrits de Miguel de Cervantès, l’auteur de Don Quichotte. Nous devions vite passer à autre chose, Cindy et moi, pour ne pas sombrer dans la dépression. Tenter n’importe quoi, même si ça paraissait complètement absurde aux yeux de certains. L’inertie et le marasme n’étaient pas envisageables.

    — Il faut faire des folies, ai-je ajouté pour justifier notre décision.

    Anita Leduc a finalement compris et accepté le choix de sa fille – « accepté » et non « approuvé », la différence est importante –, mais seulement après m’avoir fait promettre de veiller secrètement sur Cindy et de la prévenir en cas de problèmes. J’ai accepté, bien entendu, car nous partagions les mêmes craintes à propos de Cindy. Mon amie est si affectée par la disparition de son fiancé que je me demande parfois si cette blessure se cicatrisera un jour. Elle n’a plus envie d’attendre que la douleur passe et que le souvenir de son amoureux s’estompe peu à peu ; elle a assez souffert, et moi aussi. Elle a besoin d’un véritable électrochoc.

    Mes parents s’inquiètent pour moi, de la même façon que je m’inquiète pour Cindy. J’ai beau leur dire que je me porte bien, ça ne suffit pas. Tous les deux jours, j’ai droit à l’interrogatoire : « Tu te sens bien, ma chérie ? », « Tu penses encore à lui ? », « Il t’arrive encore de pleurer ? », « Promets-nous de ne pas faire de bêtises, hein ? », etc. Parfois, à bout de patience, j’ai envie de répliquer que si Christophe est encore aussi présent à mon esprit, c’est à cause d’eux. Mais, chaque fois, je me retiens, consciente qu’ils ne souhaitent que mon bien, tout comme je souhaite celui de Cindy.

    Bien sûr, je ne leur ai rien dit à propos de mon inscription à Prince-charmant.com. Jamais ils n’accepteraient que je gaspille de l’argent dans ce genre d’extravagance. Car pour mes parents, ce ne serait rien d’autre qu’une démarche farfelue et déraisonnable. Et je me voyais mal leur annoncer que les riches parents de Cindy avaient non seulement soutenu mon adhésion, mais qu’ils avaient également contribué à la financer. Ils ne comprendraient pas.

    Ce dont j’ai besoin maintenant, c’est d’une béquille, de quelqu’un sur qui m’appuyer, quelqu’un qui m’aidera à oublier Christophe. Une relation curative, en d’autres mots. Je pourrais aisément trouver un garçon pour tenir ce rôle – et là je pense à mon ami Gus – mais il est hors de question d’utiliser consciemment un autre être humain pour alléger ma souffrance ou pour consoler mes peines, sachant que cette entreprise sera temporaire, qu’elle n’aura rien d’authentique et que je ferai souffrir le pauvre garçon qui s’attachera à moi. Non, c’est trop cruel. Alors pourquoi ne pas faire appel à des gens dont c’est le métier ? Des gens qui sortent de votre existence aussi vite qu’ils y sont entrés, et qui sont payés pour vous faire oublier les tracas de la vie. Mon amie a aussi besoin de ce traitement pour oublier Philippe. Qu’il s’agisse ou non d’une idée stupide, ça n’a plus d’importance. C’est une question de survie, comme je l’ai mentionné plus tôt. C’est ça ou rien, got it ?

    C’est donc pour cette raison que nous nous trouvons en ce moment même devant mon MacBook Air. Après avoir tapé l’adresse www.prince-charmant.com sur le clavier, nous retenons notre souffle. Tomberons-nous réellement amoureuses des candidats que l’agence nous enverra ? Non, et ce n’est pas notre but, mais la perspective de faire autre chose cet été que de pleurer Christophe et Philippe nous paraît réjouissante. À bien y penser, « réjouissant » n’est pas le mot qui convient. Nous ne souhaitons pas nous réjouir, en réalité, seulement nous « divertir ».

    Divertir, selon le Larousse : « Égayer quelqu’un, l’amuser, lui procurer une distraction. Littéraire : Détourner quelqu’un de quelque chose, faire que ses pensées se tournent ailleurs. »

    Que nos pensées se tournent ailleurs, oui.

    C’est avec cet espoir en tête que nous posons toutes les deux une main sur la souris de mon ordinateur et que nous appuyons ensemble sur l’onglet INSCRIPTION, situé tout juste au-dessus du slogan de l’agence : « Si vous pouviez choisir votre histoire d’amour, qui serait votre prince ? »

    « C’était toi mon prince. »

    Cindy est la première à entrer ses coordonnées sur le site :

    NOM : Leduc

    PRÉNOM : Cindy

    ÂGE : 25 ans

    MODE DE PAIEMENT : Carte de crédit

    SCÉNARIO : La petite Pantoufle de verre

    Elle indique son adresse électronique et le nom de certains endroits qu’elle fréquente : plages, restos, centres d’achat, etc. Le questionnaire suivant concerne les préférences physiques : le jeune homme doit être beau, grand, mince et blond, exactement le portait de Philippe. Je lui demande si elle est réellement certaine de son choix. Sans la moindre hésitation, elle me répond par l’affirmative, même si je la préviens que

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