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Les Poules ne savent pas voler
Les Poules ne savent pas voler
Les Poules ne savent pas voler
Livre électronique236 pages3 heures

Les Poules ne savent pas voler

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À propos de ce livre électronique

Seul lien entre les victimes ? Aimer la musique... Qui peut bien tuer pour cette raison ?


Une femme est retrouvée morte au fond d’un ravin. Aucun indice. Aucune piste. L’affaire a toutes les chances d’être classée sans suite. Adrien Otz, chargé de l’enquête, s’entête et se met à fouiller dans les archives. Il y exhume des précédents : cinq femmes, cinq musiciennes, décédées sans mobile apparent, sauf celui d’aimer et de pratiquer la musique. On ne tue pas pour ce motif, et l’on ne tue pas par hasard non plus.
Qu’ont-elles pu faire pour pousser le meurtrier au geste fatal ? Pour comprendre le sens de cette partition qui se répète, le gendarme, mélomane de surcroît, entre dans les coulisses d’un orchestre de musique baroque. Un ensemble en quête de reconnaissance, miné par les luttes d’ego et les affrontements de ses divas…
Au-delà des représentations musicales auxquelles il aura le privilège d’assister, Adrien Otz découvrira que, derrière la beauté et l’élégance, se cachent l’ignominie et l’horreur.
Musicien et choriste, Pierre Ménard signe ici son troisième polar. Le précédent, La Mort ne résout rien (2020), a été très bien accueilli par la critique.


Un nouveau polar signé Pierre Ménard qui saura ravir tous les adeptes du genre ! 


À PROPOS DE L'AUTEUR


Journaliste spécialisé dans le sport automobile historique, Pierre Ménard est l’auteur de La grande encyclopédie de la Formule 1 ainsi qu’une série de biographies sur certaines légendes de F1, Fangio, Moss, Ascari, Lauda, Prost, Senna et d’autres encore. Après avoir écrit les histoires des autres, il a voulu raconter « ses » histoires, via le roman policier. Son premier « rampol » Le rodeur de minuit (Atelier de presse,2007) est nominé au Festival du premier roman policier de Lens en 2008, où il atteint la finale et est battu par Michel Bussi et son Omaha crimes !
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie11 mars 2022
ISBN9782848868943
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    Aperçu du livre

    Les Poules ne savent pas voler - Pierre Ménard

    PageTitrePoulesNeSaventPasVoler.jpg

    Les termes suivis d’un astérisque renvoient

    au glossaire en fin d’ouvrage.

    En contrebas du village d’Aubazine, célèbre pour son abbaye cistercienne et son canal des Moines, se trouve un étroit chemin qui part d’une petite route, en face des ruines de l’ancien monastère réservé aux femmes, et qui longe le ruisseau du Coiroux. Chemin difficilement praticable, parsemé de ronces et de végétation croissant en toute liberté, il n’offre que peu d’accès au promeneur lambda. Mais Stéphane Macheix n’est pas n’importe qui ! Depuis des années, il vient ici traquer la truite en remontant le cours de l’onde. Il connaît tous les recoins du petit torrent qui descend furieusement du plan d’eau en amont, les caves* où se planquent les salmonidés, la gueule ouverte, prêts à gober tout ce qui leur passe à proximité des mandibules. Le côté inextricable des épineux du sentier lui va bien : il est peinard pour aller plonger son devon dans les trous et le faire nager en zigzags étudiés, puis recommencer jusqu’à ce que le leurre argenté et brillant rencontre la belle dissimulée sous les rochers, dans le courant. Et là, la bestiole ne réfléchit pas trois secondes – si tant est qu’il lui arrive de réfléchir ! Elle saute dessus, et c’est tant pis pour elle ! Macheix est réputé pour être l’un des meilleurs pêcheurs de la région. Gloire locale, certes, mais gloire certaine ! Solitude, communication avec la nature et belles pièces au bout de la ligne, voilà en fait tout ce qui plaît à Stéphane Macheix dans cet endroit sauvage, surtout quand il arrive au pied du rocher dit du « saut de la Bergère ».

    Il progresse lentement, détaillant attentivement les remous, sous la surface en mouvement, et guettant le moindre indice qui pourrait trahir la présence du poisson. La lumière a beaucoup baissé. Une douce soirée s’installe sur les hauteurs environnantes, en ce mois de juin ensoleillé, alors qu’une relative fraîcheur commence à envahir le fond de la petite vallée. Les conditions idéales pour que les truites prennent leur position d’affût de prédatrices aquatiques ! Stéphane s’apprête à plonger sa ligne dans une cave qui lui a souvent souri lorsqu’il entend le cri. Un cri strident ! On dirait celui d’une fille ou d’une femme. Qui vient de tout là-haut et se rapproche. Soudain, un bruit mat. Faible mais distinct. Et puis plus rien !

    Quelques mois auparavant, en décembre précisément, l’Ensemble baroque de l’Ouest aquitain – communément appelé l’EBOA – s’apprête à donner un concert au château de Fajolle-Dussac, en plein Périgord noir. La bâtisse, superbement restaurée et bénéficiant d’un immense parc protecteur, propose à chaque fin d’année un festival de musique classique. Les places sont courues, tant par les artistes que par les heureux spectateurs, car la réputation de l’événement n’est plus à établir. Pour les professionnels, il convient de jouer à Fajolle-Dussac. Pour les mélomanes, il est bon de venir y écouter ce qui se fait de mieux dans la région et, accessoirement, d’y être vu.

    La faible clarté du jour commence à s’estomper dans une froidure relativement clémente pour la saison, la faute du dérèglement climatique selon les informations propagées dans les médias, la faute d’un hiver pourri selon les plus pragmatiques… ou les plus sceptiques. Les lumières commencent à apparaître dans le château, notamment dans la grande salle d’armes, où aura lieu le concert tout à l’heure. Sur la façade sud de l’édifice, quelques fenêtres à meneaux s’illuminent à leur tour, hautes ouvertures élégantes donnant sur les chambres des invités – chambres allouées en cette occasion aux musiciens.

    Le miroir de la pièce meublée en style Louis XIII renvoie l’image d’une femme à la prestance affirmée, qui achève de coiffer, à coups de brosse vifs et précis, sa longue chevelure brune. L’endroit n’est pas immense, mais le haut plafond à caissons fait paraître le volume plus grand et donne à l’ensemble toute la dimension intimidante qui sied aux demeures de grande classe. Sur le lit, des partitions ouvertes, sur lesquelles sont posés un violon et deux archets. Anastasia Hirigoyen incline la tête pour mieux discipliner ses amples boucles sombres, éclairées de quelques notes châtain, et fixe le reflet de ses yeux verts. Parfaitement consciente de sa beauté peu ordinaire, elle sait qu’on admire sur scène autant son art que sa plastique, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Très indépendante et décidée depuis toujours à rompre avec le carcan des codes vestimentaires instaurés dans le monde rigide du classique, elle a choisi de laisser tomber la sempiternelle robe longue – sombre, de préférence – pour un pantalon de smoking noir avec un spencer gris passé sur un haut de même couleur. Elle avait même tenté, il y a quelques années, une veste de couleur corail, qui faisait ressortir à merveille sa peau mate de Basque fière de ses origines, mais l’initiative avait été assez fraîchement accueillie, autant par le public que par les musiciens.

    Violon solo, Anastasia a toujours affirmé haut et fort ses convictions, ce qui ne lui a pas créé que des amis dans le milieu. Si la maîtrise de son instrument ne prête à aucune contestation, son attitude générale peut parfois être jugée un tantinet hautaine. Mais c’est une pro indiscutable, au jeu énergique et inspiré, qui enclenche irrémédiablement avec brio la mécanique de précision de l’orchestre. Sur ce simple fait essentiel, Anastasia réunit l’unanimité autour d’elle. À vingt-huit ans, elle se considère comme proche de son sommet artistique et estime que le moment est venu pour elle de franchir un nouveau palier, l’ultime marche : accéder à la renommée nationale, voire plus ! L’EBOA, dans lequel elle joue depuis presque un an, lui procure une certaine satisfaction quant au répertoire interprété, mais une insidieuse frustration pour ce qui concerne sa notoriété personnelle. Le programme de cette fin d’année est pourtant excitant : les Concertos pour violon de Jean-Sébastien Bach* constituent un défi de taille pour tout soliste épris de perfection. Une occasion à ne rater sous aucun prétexte si l’on veut attirer la lumière sur soi. L’orchestre est de belle facture, la partition superbe : le tableau devrait être sans taches. Il ne l’est pourtant pas.

    Malgré les efforts méritoires de son chef, l’Ensemble n’arrive pas à atteindre les hautes sphères de la musique baroque, dans laquelle il s’est spécialisé, même si personne ne s’interdit de jouer Beethoven, Haydn ou Mozart lors de certains programmes. Il est grandement apprécié, dans tous les lieux où il se produit, souvent invité dans les festivals de printemps ou d’été. Il n’a aucune difficulté à remplir son calendrier, mais le fait est là : il ne sort pas d’un cadre « provincial » qui commence à peser à Anastasia. Malgré de multiples prises de contact, les salles prestigieuses des grandes villes lui restent désespérément fermées. L’éternelle différence de traitement, dans une France maladivement centralisée, entre le national et le régional, opposition absurde qui met en colère la musicienne à chaque fois qu’elle ressasse l’argument !

    Elle repose la brosse devant elle et applique ses mains sur le rebord de la coiffeuse. Elle tend les bras, ferme les yeux, inspire, puis baisse les épaules en soufflant lentement et profondément. Elle puise au fond d’elle-même pour trouver la concentration nécessaire à sa performance à venir. Ses pensées vagabondent toutefois et elle ne peut s’empêcher de songer qu’il lui faudra prendre une décision sans trop attendre : le sablier du temps ne s’arrêtera pas pour elle.

    Elle sent alors une présence dans son dos et des lèvres se blottir délicatement dans le creux de son cou. Elle ne peut s’empêcher de sourire.

    – Je ne t’ai pas entendu arriver.

    – Parce que je ne voulais pas troubler ta concentration.

    – Et maintenant ?

    – J’avoue que j’ai péché. Mais il nous reste une heure avant le raccord*. Largement de quoi profiter d’un doux moment de détente.

    Anastasia se lève et repousse doucement l’homme élégant, en redingote sombre, venu interrompre ses méditations. Elle se dirige vers la haute fenêtre, d’où elle observe des gens déambuler paisiblement dans le calme de cette fin d’après-midi d’hiver, sous les châtaigniers plus que centenaires du parc. Des gens emmitouflés dans leur manteau ou leur doudoune, dont certains venus pour les écouter, elle et l’ensemble. Les mains masculines la rejoignent et enserrent délicatement ses épaules dénudées. Elle se dégage d’un mouvement lent, mais ferme.

    – Excuse-moi, Gildas, pas maintenant. Je ne veux pas perdre ma concentration, justement.

    L’homme s’éloigne légèrement, l’air ouvertement contrarié.

    – Excuse-moi à mon tour, mais tu n’as pas toujours dit ça.

    – Eh bien, il y a un début à tout. Désolée, réplique-t-elle un peu vertement en saisissant une partition sur la couverture du lit.

    Gildas se tourne alors vers la fenêtre, l’ouvre à moitié et en profite pour sortir une cigarette, malgré le froid humide qui pénètre dans la chambre. Il l’allume tranquillement, souffle la fumée au-dehors et se retourne vers Anastasia.

    – Bon, c’est quoi, le problème ?

    – Tu le connais, le problème, dit-elle sans lever les yeux des portées, mais tu refuses de le voir. Toujours et encore.

    Il tire une longue bouffée et ses yeux semblent se perdre dans le ciel, qui commence à se parer de pourpre.

    – Et tu crois sincèrement – je dis bien « sincèrement » – que c’est le bon moment pour évoquer cela ? Je pensais que tu avais besoin de concentration. Là, je suis persuadé que tu vas, au contraire, te farcir le cerveau de questionnements pas véritablement bienvenus à l’approche d’un concert.

    Anastasia laisse tomber la partition sur le lit. Elle porte la main à son front et renverse la tête comme pour essayer d’en extraire un mal puissant.

    – Ce qui m’épate réellement, c’est ton… ton incroyable faculté à toujours trouver une excuse merveilleuse pour reporter toute discussion dès qu’on aborde le sujet.

    – Absolument pas ! J’estime, en tant que chef, qu’un avant-concert doit surtout se dérouler dans la plus parfaite des harmonies, quelle que soit la manière dont on l’obtient. C’était un peu le but de ma visite, mais bon… c’est raté, il faut croire ! En tout cas, je ne conçois pas que ce moment privilégié puisse servir de prétexte à des arguties stériles et pourvoyeuses d’ondes négatives.

    – Eh ben, voilà : des « arguties stériles » ! On y est. Ça ne sert à rien, ça n’amène à rien ! Donc, on continue à faire comme si…

    – Anastasia, la coupe-t-il, si c’est d’Aline que tu veux parler, je te répète qu’il est hors de question que je la laisse tomber en l’état actuel des choses. On en a déjà discuté plusieurs fois. C’est bien pour ça que je qualifie une discussion de ce type de « stérile » et de « très mal venue » dans une préparation scénique. Je n’ai rien à t’apprendre dans ce domaine. On pourra en reparler au calme, après la tournée, mais ne te berce pas d’illusions : je n’ai pas toutes les cartes en main et je ne peux pas accéder à tes ultimes désirs pour le moment. Je te demande d’être patiente, comme je le suis, et la situation évoluera tôt ou tard. J’en suis persuadé. Maintenant, je te laisse retrouver la sérénité nécessaire à ta concentration. Moi, je vais faire un tour dans le parc, ça va m’aérer les neurones. On se retrouve dans cinquante minutes.

    Il écrase sa cigarette à moitié consumée sur le rebord de la fenêtre, traverse la chambre et sort, sans avoir jeté un seul regard à celle qu’il devine bouillante.

    Anastasia se laisse tomber lourdement sur le lit, les yeux écarquillés. « La tournée ! Tu parles d’une tournée : sept dates réparties entre décembre et janvier, plus trois en avril. C’est plus possible, on ne peut plus continuer comme ça ! Et dès que je veux sérieusement parler de notre avenir, je me heurte à une huître, de calibre 1. Il va falloir changer de ton, ou bien… ou bien changer d’avenir. »

    Elle se redresse brusquement et saisit son instrument. Elle ferme les yeux, respire profondément, puis attaque les premières mesures du concerto en ré mineur avec une fougue et une colère qui décuplent la solennité de l’œuvre. L’archet bondit sur les cordes en un spiccato* vif et précis. Une cascade de lumière orageuse emplit la chambre tandis que le visage tourmenté d’Anastasia se crispe peu à peu et qu’une larme perle au coin de son œil. Elle lève soudainement le bras, le silence succédant à la beauté austère de la partition. Elle fixe la fenêtre et les grands arbres au loin, dont les silhouettes squelettiques se perdent sur un fond de conifères touffus. Des pensées agressives circulent à toute vitesse dans sa tête. Des pensées qui l’effraient, qu’elle tente de chasser, mais qui reviennent l’assaillir un peu plus chaque jour.

    Les derniers spectateurs ont pris place sur les chaises positionnées dans la salle d’armes du château. Les pupitres des instrumentistes sont dressés devant les antiques râteliers enserrant hallebardes, lances, piques et hampes, au-dessus desquels sont accrochés deux immenses écus. Les hauts murs en pierre taillée et le plafond à caissons constituent d’excellents matériaux pour la sonorité des instruments. Les orchestres apprécient en général de se produire en ce lieu privilégié. La nuit est désormais tombée et des lustres en fer forgé, suspendus à plusieurs mètres au-dessus du public, éclairent l’imposante pièce. Tous les sièges, environ deux cents, sont maintenant occupés : outre la notoriété intrinsèque de l’EBOA, la présence de la soliste Anastasia Hirigoyen, dans l’interprétation de ces concertos de Bach, est une vraie valeur ajoutée tant ses prestations récentes ont été remarquées. Jean-François de Marchelier, propriétaire de Fajolle-Dussac et organisateur du festival estival du même nom, ainsi que des concerts d’hiver et de printemps, ne peut que se féliciter de cette soirée qui s’annonce sous les meilleurs auspices.

    Les quatorze musiciens entrent un par un dans la salle et gagnent leur pupitre et le clavecin sous une ovation de circonstance. Le maître des lieux vient alors se placer devant l’orchestre pour une allocution destinée à valoriser les artistes de la soirée, et bien évidemment l’action efficace des membres de son organisation dans la pérennité des programmes musicaux du château. L’organisateur est conscient que son temps de parole doit être bref afin d’éviter d’agacer les mélomanes venus pour Bach, et non pour des discours assommants. Quelques claquements de mains polis accompagnent sa sortie, auxquels succède un moment de silence relatif, avant l’entrée d’Anastasia Hirigoyen sous des applaudissements nourris. Elle arbore une petite rose jaune à la pochette de son spencer. Elle est suivie par le chef Gildas Fauvert, tout sourire dans sa belle redingote sombre rehaussée de légers brocarts, son épaisse chevelure poivre et sel à peine disciplinée voletant, comme en apesanteur, à chacun de ses pas. Après un rapide salut au public, il se retourne vers l’orchestre et se recueille quelques secondes. Puis, bras à hauteur d’épaules, il balaie d’un regard bienveillant son Ensemble, prêt à vibrer à l’unisson, en insistant plus particulièrement sur Éléonore Desmond, le premier violon, qui jouera en duo avec Anastasia le « 1043 ». Il tourne légèrement la tête vers sa soliste altière, qui lui indique, d’un imperceptible clignement d’yeux, son attente du geste libérateur. La main droite fouette l’air et les premières mesures du majestueux Concerto en mi majeur BWV 1042 résonnent sous les voûtes de Fajolle-Dussac.

    La bibliothèque du château vibre des conversations enjouées d’après-concert, lorsque les musiciens, les organisateurs, et surtout les personnalités locales se pressent autour du buffet. Jean-François de Marchelier est un épicurien : les belles choses de la vie doivent être vécues intensément et la qualité doit servir le plaisir. Il en va de la musique comme de la table. Les grandes représentations méritent d’être célébrées dignement autour de bons produits du cru, et celle de ce soir en fait assurément partie. L’EBOA a été longuement ovationné, avec une mention spéciale pour Anastasia Hirigoyen, dont la fougue dans l’interprétation n’a eu d’égale que sa prestance toujours très remarquée, surtout par la partie masculine de l’auditoire !

    – C’était ma-gni-fi-que ! J’ai beau la connaître depuis un petit bout de temps maintenant, elle me scotche toujours autant quand je la vois jouer. Ah, ça envoyait grave, hein ? Bravo, mon amour !

    L’homme enthousiaste, au teint légèrement rubicond et aux petites lunettes à fine monture rouge, tient Anastasia par la taille et ponctue sa tirade par un sonore baiser sur la joue de la violoniste, qui sourit du compliment. Gildas, avec à ses côtés une femme brune au visage émacié et au chignon tiré vers le haut, contemple avec une apparente bienveillance le couple d’amoureux.

    – Lucas est le plus indulgent des publics : il me pardonne tout ! Il faut être plus critique : je n’ai pas été parfaite, tu le sais, ajoute Anastasia en poussant de l’index le bout du nez de son compagnon, qui rougit sous la pichenette.

    Anastasia Hirigoyen et Lucas Bigeois forment un couple relativement singulier pour ceux qui les connaissent – voire incongru pour les plus sévères… ou les plus langues de vipère. Ils habitent dans une belle maison à Sarlat, où Lucas possède une florissante entreprise de jardinerie et de parcs paysagers. Ils ne sont pas mariés. Lui aimerait beaucoup, mais elle est trop indépendante pour accepter un fil à la patte. En vérité, quelque chose de plus puissant l’empêche de suivre son soupirant devant M. le maire. Elle vit avec lui depuis quelques années, à la suite d’une jolie rencontre qui s’est transformée en vie commune. Elle l’aime d’un amour que d’aucuns qualifieraient de « tranquille », mais elle n’a jamais véritablement été folle de cet homme, pourtant attentionné et parfois drôle. Or, dans tout ce qu’elle vit et entreprend, Anastasia cherche avant tout l’éclair et la fougue, qui donnent à l’existence ce goût prononcé si particulier de la surprise perpétuelle. Elle n’a rien de fondamental à reprocher à Lucas, mais il devient malheureusement manifeste à ses yeux qu’ils n’ont pas grand-chose de palpitant à partager en dehors d’une vie confortable et harmonieuse. Au début, elle pensait que leurs différences

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