Diapason

RÉCITALS

BEHZOD ABDURAIMOV

PIANO

YYYYY DEBUSSY : Children’s Corner. CHOPIN : 24 Préludes op. 28. MOUSSORGSKI : Tableaux d’une exposition.

Alpha. Ø 2020. TT : 1 h 23’.

TECHNIQUE : 4/5

S’il est resté bien rare au disque depuis son premier album (Decca, Diapason découverte), Behzod Abduraimov s’est assuré une place de choix dans l’agenda des concerts internationaux, s’imposant comme un des grands pianistes de sa génération.

Pour inaugurer sa collaboration avec Alpha, le pianiste ouzbek a jeté son dévolu sur trois cahiers de miniatures. Debussy, qui admirait tant Chopin et Moussorgski, en est la figure charnière. Ses Children’s Corner cultivent un parfum d’enfance, une ineffable douceur (Docteur Gradus), un contrôle subtil des nuances (Jimbo’s Lullaby). L’emploi exemplaire de la pédale confère à The Snow is dancing la finesse pointilliste d’un Seurat sonore.

Cette absence d’affectation nous vaut ensuite des Préludes de Cho-pin sans pathos (nos 4 et 6), d’une volubilité égale (no 3), aux accès de violence tendue (no 14), au caractère épique saisissant (nos 14, 24). Quel feu, et dans le même moment quelle maîtrise, quelle clarté des textures (no 16) ! Même les pièces lentes sont prises avec allant. Certains fronceront le sourcil devant une certaine retenue expressive, un contrôle excessif, interprétant comme un refus de l’épanchement cette approche franche, au rubato très parcimonieux. Nous y voyons une pudeur, un tact qui ne sont ici pas hors de propos.

La puissance de caractérisation de chacun des Tableaux d’une exposition explose avec plus d’évidence. Le pianiste de trente ans insiste sur la riche trame d’Il vecchio castello, étend l’emprise de Bydlo grâce à un crescendo savamment amené (jusqu’à des accords sonnant con tutta forza), avant que le pesant convoi ne disparaisse au loin. Il rend aussi bien la sauvagerie de la sorcière Baba Yaga que le caractère religieux de la Grande Porte de Kiev, dont un léger halo sonore nimbe les accords de la partie centrale (noté senza espressione par Moussorgski), tel un rai de lumière passant à travers les vitraux d’une église. L’envolée des cloches prend une ampleur qui n’en est que plus cosmique. Sommet d’une réalisation hors du commun.

Bertrand Boissard

LUC BEAUSÉJOUR

CLAVECIN

YYYY « Le Rappel des oiseaux ». OEuvres de Rameau, Dagincourt, Daquin, Couperin, Dornel, Duphly, Dandrieu, Février.

Analekta. Ø 2019. TT : 57’.

TECHNIQUE : 4/5

La musique française de clavecin n’a pas de secret pour Luc Beauséjour, qui la joue régulièrement et dont il a enregistré quelques joyaux (ses Concerts royaux de Couperin, pour Analekta en 2013, sont particulièrement réussis). Reflétant la fascination qu’a toujours exercé sur les musiciens le chant des oiseaux, de Janequin à Messiaen, le nouveau récital s’ouvre (Le Rappel des oiseaux) et se referme (La Poule) avec le génial Rameau, et réunit d’exquises miniatures comme autant de gazouillis et de roucoulements nés sous la plume de grands coloristes du clavier.

Couperin (, , etc.) y voisine ainsi avec Duphly, qui conserve le goût de la polyphonie serrée (), ou Daquin et sur lequel tant de pianistes en herbe se sont usé les doigts. A leur côté prennent place des maîtres moins connus comme Dagincourt (), Dornel (, ou Pierre Février (). L’organisation trop systématique, voire superficielle, de cette « musique dans la volière », pour citer le sous-titre du livret, engendre une certaine monotonie que peine à surmonter Beauséjour, pas tout à fait à l’aise semble-t-il dans cette atmosphère bucolique. Le claveciniste canadien est un musicien raffiné et élégant, mais on aurait aimé ici qu’il déploie plus de lyrisme contenu, de liberté quasi improvisée. A rester un peu en retrait de tout ce qu’il y a de tendresse, de grâce surannée, de délicatesse dans ces courtes pièces « caractérisées avec goût » (Titon du Tillet), il leur fait perdre une part de leur charme. On regrettera aussi que l’éditeur ne nous renseigne pas davantage sur le beau clavecin sorti de l’atelier du facteur québécois Yves Beaupré d’après le Vaudry de 1681, qui appartient apparemment à la collection de Luc Beauséjour, et dont les sautereaux ont été emplumés avec des plumes de bernache du Canada.

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