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Josephine chanteuse danseuse résistante espionne
Josephine chanteuse danseuse résistante espionne
Josephine chanteuse danseuse résistante espionne
Livre électronique343 pages4 heures

Josephine chanteuse danseuse résistante espionne

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À propos de ce livre électronique

Star internationale, Joséphine Baker déclare en 1939 : « Ne suis-je pas devenue l'enfant chérie des Parisiens ? Ils m'ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd'hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l'entendez. » Elle entre alors dans la Résistance.

Lorsque la France est attaquée par Hitler, en 1940, la star refuse de voir Paris sous le joug des nazis et quitte les paillettes de la capitale pour la Dordogne où elle continue sa lutte contre Hitler. Résistante antiraciste poursuivie par les nazis, Joséphine est obligée de quitter la France. Elle continue de risquer sa vie pour son pays de cœur en Afrique du Nord. Elle donne de nombreux concerts et se sert de sa célébrité pour voyager dans le monde entier et rapporter de précieuses informations au Deuxième Bureau. Après les débordements en Afrique du Nord, elle continue ses concerts pour récolter des fonds au profit de l'armée française. Pendant cinq ans, elle luttera contre les nazis.

5 étoiles sur Amazon :

Alyson L./Steff Madison – « Un exemple fantastique de la force de l'esprit humain »

Anna Mae – « Un témoignage incroyable sur une femme extraordinaire »

JanRay – « Une lecture passionnante »

LangueFrançais
Date de sortie12 févr. 2022
ISBN9781739865696
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    Aperçu du livre

    Josephine chanteuse danseuse résistante espionne - Eilidh McGinness

    Prologue

    Le 3 juin 1906, à Saint-Louis, dans le Missouri, aux États-Unis, Freda Josephine McDonald naît pauvre dans un monde où la ségrégation fait rage et où les hommes blancs font la loi. Vingt ans plus tard, elle deviendra l’une des femmes les plus riches du monde.

    Partie I

    CHANTEUSE

    DANSEUSE

    Chapitre 1

    Hôpital Saint-Louis, Missouri, États-Unis, 1913

    — Qu’est-ce que tu as encore fait, ma fille ? s’époumona Carrie McDonald, sa silhouette robuste apparaissant à l’entrée de la salle.

    Joséphine se cacha sous les couvertures. Sa mère semblait toujours ignorer béatement à quel point elle était noire. Des visages blancs, bouche bée, suivaient sa progression vers le lit de Joséphine, tel un pigeon voyageur en vue de sa destination. Même les infirmières s’arrêtèrent pour la dévisager.

    — Qu’est-ce que tu as encore fait ? répéta-t-elle.

    Joséphine leva les yeux au ciel et sourit, essayant de cacher son humiliation.

    — Excusez-moi, Mrs McDonald, interrompit la surveillante sur un ton qui ne souffrait aucune discussion. Le docteur Marshall veut vous voir immédiatement. Si vous voulez bien me suivre.

    Carrie McDonald adressa un regard noir à Joséphine avant de suivre l’infirmière en marmonnant. On lui désigna une chaise vide dans un couloir de l’hôpital et on lui demanda d’attendre.

    — Je veux voir ma fille.

    — Quand le médecin vous aura parlé, répondit sèchement l’infirmière avant de disparaître.

    Carrie McDonald resta tranquillement assise pendant une demi-heure. Puis elle se mit à arpenter le couloir de long en large. Enfin, elle revint vers la salle où se trouvait Joséphine.

    — Allez, ma fille, il est temps de rentrer à la maison, cria-t-elle depuis l’entrée de la salle.

    — S’il vous plaît, Mrs McDonald, le docteur doit vous parler.

    L’infirmière l’empêchait d’accéder au lit de Joséphine.

    — Je ne peux pas rester assise dans un couloir toute la journée. Et cette fille a du travail, ajouta-t-elle en désignant Joséphine. Je suis juste venue pour la ramener à la maison. Ce n’est pas nécessaire que je fasse perdre son temps à un médecin.

    — Vraiment, Mrs McDonald, c’est très important.

    Un homme de grande taille, aux cheveux gris et portant des lunettes et une blouse blanche apparut. L’infirmière poussa un soupir de soulagement.

    — Il est là.

    Le docteur s’approcha d’elles. Il avait immédiatement repéré Carrie. Elle était loin de passer inaperçue.

    — Mrs McDonald. Vous êtes la mère de Joséphine ?

    — C’est moi.

    — Je voudrais vous dire un mot, s’il vous plaît.

    Il fit un signe de tête vers l’enfant.

    — En privé. Vous voulez bien me suivre ?

    Ils sortirent dans le couloir. Le docteur se retourna.

    — Mrs McDonald, j’ai examiné votre fille. J’ai cru comprendre qu’elle a marché sur un clou ou un objet similaire pieds nus. Malheureusement, son pied s’est infecté. Nous allons devoir l’amputer juste au-dessus de la cheville. Je peux effectuer l’opération dans la journée et vous pourrez la récupérer demain.

    Carrie McDonald pâlit, momentanément muette tandis qu’elle enregistrait les implications des paroles du docteur.

    — Je ne comprends pas, tempêta-t-elle. Il doit y avoir une erreur. On doit bien pouvoir faire quelque chose. S’il vous plaît, docteur.

    — Il n’y a pas d’erreur. L’opération est urgente. Nous n’avons pas de place pour elle ici. Elle ne vit pas avec vous, c’est bien cela ?

    — C’est vrai. Elle travaille pour Mrs Wilson. Elle vit avec elle. Depuis un certain temps.

    — Et peut-elle y retourner pour récupérer ?

    — Seulement si elle travaille. Ce qui ne risque pas d’arriver avec un seul pied, pas vrai ?

    — Si elle peut se rétablir dans un environnement propre et sain, je pourrais essayer d’éviter l’amputation, mais cela risque de mettre sa vie en danger. Pouvez-vous me garantir qu’elle pourra baigner son pied dans de l’eau stérile tous les jours ? Qu’elle aura des bandages propres ? Un environnement désinfecté ? Elle a une chambre chez vous, je présume ?

    — Nous n’avons rien, docteur. Juste une pièce pour toute la famille. Avec des boîtes de conserve clouées au sol pour arrêter les fourmis et les insectes. Pas d’eau courante. Pas d’électricité. Je ne peux pas suivre vos conseils.

    — Dans ce cas, j’ai bien peur de ne pas avoir d’autre choix que de l’amputer.

    Elle secoua la tête.

    — Mais vous ne pouvez pas la garder ici ? La soigner comme vous l’avez dit ?

    — Mrs McDonald, c’est un hôpital pour les blancs. Nous sommes une institution caritative. Nous dépendons entièrement de nos bienfaiteurs. J’ai une responsabilité envers eux, les autres patients et le personnel. Il est inenvisageable que votre fille soit soignée ici. Nous ferons ce que nous pourrons, bien entendu. Je suis prêt à amputer son pied et à la laisser sortir demain, mais même cela dépasse normalement mes compétences. Ce n’est pas un hôpital pour les gens de couleur. Elle n’a rien à faire ici.

    — Vous devez lui dire, docteur. S’il vous plaît.

    Le médecin hocha la tête et retourna dans la salle avec la mère de Joséphine, inhabituellement calme.

    En s’approchant du lit, il observa la fillette qui y était allongée. L’infection coulait dans ses veines, l’empoisonnant, mais il y avait encore une étincelle dans ses yeux. Dans un service rempli d’enfants malades, elle sortait du lot.

    Pas parce qu’elle était la seule enfant noire, mais parce que... il ne pouvait pas mettre le doigt dessus, mais ses yeux étaient attirés par son visage, sans qu’il puisse s’expliquer pourquoi.

    Son cœur s’enfonça dans sa poitrine. Il était difficile d’annoncer à une enfant qu’on allait lui couper une partie de la jambe, mais mieux valait cela que d’apprendre à une mère qu’elle avait perdu sa fille. Il s’assit au bord du lit et commença :

    — Joséphine, as-tu regardé ton pied ?

    L’enfant secoua la tête, la mine grave. Il y avait toutefois une certaine insolence dans ses mouvements et le médecin, à sa grande surprise, se surprit à réprimer un sourire. La fillette était très attachante. Rien à voir avec sa mère.

    — Je suis désolé de te l’apprendre, mais ton pied est noir et gonflé. Quand tu as marché sur le clou, il s’est infecté et le poison est entré dans ton système. Il s’est répandu, et maintenant je vais devoir te couper le pied.

    — Non ! hurla l’enfant en s’agrippant à lui et en se débattant pour sortir du lit.

    Il sentit ses doigts s’enfoncer dans son bras. Il fut surpris de constater une telle force tant elle était maigre, sans doute mal nourrie. Ses yeux expressifs le dévisageaient d’un air accusateur.

    — Je suis désolé. Il n’y a vraiment pas d’alternative. Il n’y a aucun endroit où tu peux récupérer. Je ne peux pas m’occuper de toi ici. Il y a trop d’enfants qui ont besoin de soins. Je ne peux pas te réserver un lit d’hôpital indéfiniment. Je suis sûr que tu comprends. Je ne peux pas jouer avec ta vie.

    Elle s’accrocha à lui en le suppliant :

    — Docteur, s’il vous plaît... Je vais mourir si je ne peux pas danser. Je ne peux pas danser sans pieds.

    — Je suis désolé, Joséphine. Nous n’avons pas le choix. Nous pouvons t’opérer cet après-midi, et tu pourras rentrer chez toi après.

    Il tenta de se lever, mais les doigts de l’enfant s’agrippèrent à son bras comme les serres d’un aigle, s’enfonçant dans sa chair avec une ténacité qui démentait son âge et sa stature.

    — Je vais mourir, dit-elle en plantant son regard dans le sien.

    Le docteur fixa l’enfant. Il vit qu’elle disait la vérité. Il se retourna pour regarder sa mère – elle acquiesça solennellement.

    Ses pensées étaient en ébullition. Une enfant noire, dans le service pendant six à huit semaines. Comment pourrait-il justifier cela auprès des administrateurs, du personnel, des autres patients ? Une telle admission pourrait bien mettre toute sa carrière en péril.

    Il avait réussi à résister aux pressions exercées par le Ku Klux Klan, mais il ne pouvait prétendre ignorer leur influence. L’admission de cette enfant dans un hôpital blanc pendant la durée nécessaire pour sauver son pied risquait de faire grincer des dents les administrateurs. S’il perdait ce poste, il ne pourrait plus soigner d’enfants noirs. On l’avait laissé faire de temps à autre en remerciement des services rendus de longue date à l’hôpital. Mais s’il allait trop loin,

    il perdrait son poste et, avec lui, sa capacité à aider les plus démunis des enfants noirs.

    Bien que la création d’un hôpital pour les gens de couleur à Saint-Louis soit sur la table, il faudrait attendre des années. Ce serait trop tard pour Joséphine. Son pied, une fois amputé, disparaîtrait à jamais et avec lui, si l’on en croyait sa mère et elle, toutes ses raisons de vivre.

    Mère et fille le regardaient attentivement, comme dans un film muet. Leurs vies étaient entre ses mains. Qu’allait-il décider ? Il examina les rangées de lits : des enfants blancs, tous pauvres. Sinon, pourquoi auraient-ils besoin d’aller à l’hôpital ? Un personnel blanc habitué à s’occuper d’enfants blancs. Un personnel qui avait le droit de refuser d’administrer des soins à un enfant noir. Des patients blancs qui avaient le droit d’être traités dans un service sans Noirs, même s’ils étaient dans le besoin. Dans la balance, le visage désespéré d’une enfant qui ne méritait pas d’être là, conduite jusqu’à lui par sa pauvreté et son absence de chaussures. Qu’allait-il décider ?

    Le temps sembla s’arrêter tandis que le médecin s’efforçait de concilier ses souhaits avec les règles strictes imposées par les administrateurs de l’hôpital. Enfin, il prit sa décision.

    Il se retourna vers Joséphine et lui prit la main en disant :

    — Très bien, Joséphine, nous allons essayer.

    Elle se jeta à son cou.

    — Merci, merci, dit-elle avec effusion.

    Sa mère lui serra vigoureusement la main en lui exprimant elle aussi ses remerciements.

    — Mrs McDonald, laissez-moi vous raccompagner, dit-il en l’escortant jusqu’à la porte.

    Il lui expliqua le traitement proposé, qui impliquerait un drainage et un nettoyage fréquent ainsi que le changement des bandages. En lui disant au revoir, il ajouta fermement :

    — Pas de visites. Nous vous tiendrons informée quand elle pourra sortir.

    Chapitre 2

    Gratiot Street, Saint-Louis, 1914

    — Qu’est-ce que tu as encore fait, ma fille ? tonna Carrie McDonald.

    Joséphine se tenait devant la porte de leur maison. La tête baissée. À côté d’elle, Mrs Mason. Joséphine portait une jolie robe à motifs rouges et jaunes, des chaussures en cuir, qui semblaient neuves, et des chaussettes blanches. Ses cheveux étaient soigneusement coiffés et Carrie dut regarder par deux fois sa fille pour s’assurer que c’était bien elle. Ayant reconnu Joséphine, son attention se porta sur le paquet de papier brun sous son bras.

    — Je suis désolée, Mrs McDonald, expliqua poliment la dame. Nous ne pouvons plus garder Joséphine, mais elle peut conserver ses vêtements et la tenue de rechange que je lui ai achetés. Je vous souhaite une bonne journée.

    La dame hocha la tête et commença à s’éloigner.

    — Mais Mrs Mason, je suis sûre que nous pouvons nous arranger, dit Carrie, ne comptant pas abandonner. Je sais que c’est une enfant obstinée, mais elle a un bon cœur et elle travaille bien.

    — Je suis désolée, dit la dame. Nous ne pouvons vraiment pas la garder.

    Carrie aurait juré qu’elle avait les larmes aux yeux. Mais la dame partit. Sans se retourner.

    — Mais qu’est-ce que tu as encore fait ? lui demanda sa mère avec colère. Je t’avais trouvé un bel endroit. Elle t’avait acheté tous ces beaux vêtements neufs et ces chaussures, ajouta-t-elle, sa voix montant dans les aigus. Tu avais tout ça, et tu as réussi à tout gâcher ? Tu sais qu’il n’y a pas de place ici pour toi, pas avec Arthur, ton frère, tes sœurs et moi ! Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? Sans ton salaire ? Tu es l’aînée. Tu dois penser à tes responsabilités envers ton frère et tes sœurs.

    — Je n’ai rien fait, maman.

    — Tu as forcément fait quelque chose, sinon elle ne t’aurait jamais renvoyée. Tu ferais mieux de me le dire. Tu as intérêt à avoir une bonne cachette si tu as fait quelque chose que tu n’aurais pas dû.

    — Je n’ai rien fait de mal. Je faisais tout ce qu’elle me demandait. Je me levais à 6 heures le matin et je nettoyais la cuisine. Je m’occupais du charbon. J’allumais les feux de cheminée. Ensuite, à 9 heures, j’allais à l’école comme prévu. Après l’école, je repassais et nettoyais comme tu me l’as appris.

    — Pourquoi elle t’a ramenée si tu as fait tout ce qu’elle demandait ?

    — Je ne sais pas, maman. J’ai toujours fait toutes mes corvées, et je pensais qu’elle était contente. Elle a même dit que je pouvais faire venir des amis de l’école. J’avais installé une scène dans le sous-sol et je jouais pour eux. Je m’habillais en princesse de l’Est, comme dans les livres à l’école, et je dansais et chantais. Je leur faisais même payer quelques centimes et ils acceptaient, maman. Ils venaient tous les après-midi. Un jour j’étais une princesse comme dans Ali Baba et un autre une danseuse comme sur les plus belles scènes de New York, et ils adoraient ça, maman. Des enfants venaient et payaient pour me voir.

    Les yeux de l’enfant étaient comme habités. Sa voix tremblait d’excitation.

    — Ne cherche pas plus loin, ma fille. Tu t’amusais au lieu de travailler. Pas étonnant que tu aies perdu ta place là-bas.

    La voix de Carrie tremblait de rage. Joséphine esquiva une gifle, clamant toujours son innocence.

    — Non, ça n’a rien à voir avec ça. Elle m’a prêté ses rideaux et de vieilles robes pour mes costumes. Parfois, elle venait même me voir. Elle riait beaucoup devant mes spectacles. Elle disait : « Mon enfant, tu fais du bien à mon cœur. Tu es faite pour la scène. »

    — Eh bien, elle avait sûrement une bonne raison de se débarrasser de toi pour te ramener sans même envoyer un mot. Qu’est-ce que tu as à dire à ce sujet, ma fille ? Et tu as intérêt à avoir une bonne explication, parce que je ne sais pas où tu vas trouver une autre famille qui t’accueillera comme ça.

    — C’était le fantôme, maman. J’avais peur du fantôme.

    — De quoi tu parles ? Tu sais très bien que tes ancêtres étaient des Indiens qui parlaient aux esprits et des Noirs qui connaissaient la magie noire. Qu’est-ce qui t’a pris d’avoir peur des fantômes ?

    — Ce n’était pas un fantôme comme les autres, maman. Il venait la nuit. J’avais ma propre chambre avec mon propre lit. Avec des draps et des oreillers et tout le reste. J’étais allongée dans mon lit une nuit et je l’ai entendu. Il y avait des bruits de plus en plus forts dehors. Puis j’ai entendu taper sur mes volets. J’ai eu tellement peur que j’ai hurlé. J’ai réveillé Mrs Mason et elle est venue en courant dans ma chambre et elle est restée avec moi jusqu’à ce que je m’endorme.

    L’enfant racontait son histoire les yeux exorbités.

    — Et la même chose s’est produite la nuit suivante et la nuit d’après. J’avais tellement peur, maman. Et Mrs Mason s’est montrée si gentille. Elle a dit qu’elle allait rester avec moi toute la nuit jusqu’à ce qu’on trouve le fin mot de l’histoire. Elle m’a promis que les fantômes n’existaient pas. Je suppose qu’elle n’a jamais entendu parler des esprits de la grande plaine, chuchota l’enfant. J’étais reconnaissante qu’elle ait promis de rester avec moi, et elle s’est assise dans un fauteuil à bascule près de mon lit. J’étais si heureuse et si fatiguée que je me suis endormie directement. Tout ce que je sais ensuite, c’est que Mr Mason était dans le lit à côté de moi et que Mrs Mason a crié. Ce sont ses cris qui m’ont réveillée. Pas le fantôme. Elle était très en colère contre Mr Mason. Elle a dit qu’il n’avait pas le droit de venir dans ma chambre la nuit. Il a dit qu’il voulait voir si j’allais bien. Elle s’est énervée et a dit qu’il n’avait rien à faire dans mon lit, même si j’avais peur. Elle lui a crié dessus et il est allé dans leur chambre. Le lendemain, je ne l’ai pas vu, mais Mrs Mason m’a dit qu’il était temps pour moi de rentrer à la maison. Et me voilà. Je n’ai rien fait de mal, maman. Je le jure.

    Sa mère rit.

    — Il y a des fois, ma fille, où je me dis que tu as perdu la tête. Une chose est sûre, tu ne trouveras pas d’autre endroit comme celui-là.

    Chapitre 3

    Saint-Louis, États-Unis, 1916

    La pluie martelait le carton. Le bruit s’adoucissait à mesure que le matériau s’humidifiait et se détrempait. Joséphine remonta sa couverture pour se protéger du froid, essayant d’arrêter de frissonner.

    Une flopée de jurons transperça la nuit noire. Le cœur battant la chamade, Joséphine se recroquevilla dans son abri humide. C’était le clochard qui s’était installé à côté d’elle. À en juger par ses propos, il était à court d’alcool. Elle sursauta en entendant un bruit de verre brisé. Ses doigts agrippaient les pièces qu’elle avait gagnées en dansant dans la rue ; suffisamment pour manger le lendemain, mais pas assez pour un asile de nuit ce soir-là. Étirant ses membres, elle se prépara à courir. Elle avait appris à la dure comment survivre en ville la nuit.

    Elle entendit l’homme partir dans l’autre direction. Elle était en sécurité – pour le moment. L’oreille aux aguets, elle était toutefois déterminée à ne pas pleurer. Une de ses jeunes sœurs, Willie May, était venue la trouver ce jour-là.

    — S’il te plaît, rentre à la maison, l’avait-elle suppliée. Maman dit que tu peux : il y a toujours une place pour toi.

    Mais Joséphine ne pouvait pas revenir en arrière. Pas dans ces circonstances. La dernière fois qu’elle était allée chez elle, elle avait tiré un trait là-dessus. Rien ne pourrait effacer les paroles qui avaient été prononcées. C’était une question qui brûlait tout son être. Sa mère refusait de comprendre.

    Elle était le coucou dans le nid. Elle était noire, mais pas autant que sa mère, son frère et ses sœurs.

    Elle avait entendu des bribes de ragots ici et là provenant de sources dont elle ne se souvenait plus, des chuchotements, des rires dans son dos, des taquineries et des moqueries à l’école.

    Pourquoi sa mère avait-elle été confinée dans un hôpital réservé aux Blancs pour sa naissance alors que son frère et ses sœurs étaient nés à la maison, comme tous les autres enfants de son école ?

    Pourquoi sa mère avait-elle été autorisée à rester dans un hôpital pour Blancs pendant six semaines ? Inimaginable pour une domestique noire. Et plus mystérieux encore, qui avait payé ? Pas Eddie Carson, qui était censé être son père. Pas sa mère. Qui alors ? Et si c’étaient les employeurs de sa mère qui avaient payé, pourquoi en faire un tel secret s’il s’agissait d’un acte de pure générosité ? Les souvenirs de sa dernière dispute avec sa mère tournaient en boucle dans sa tête.

    — J’ai le droit de savoir qui est mon vrai père.

    — Eddie Carson est le seul père que tu auras jamais. Ne te mets jamais autre chose en tête.

    — Il ne peut pas être mon père.

    — Je n’ai rien à dire, ma fille.

    — Maman, les enfants à l’école se moquent de moi. Regarde-moi, avait-elle crié en retenant ses larmes alors qu’elle levait les bras. Je ne suis pas de la même couleur que toi, Eddie Carson ou que mon frère ou mes sœurs. Tout le monde dit que mon père est blanc. Dis-moi, maman.

    — Tu n’as pas de père blanc. Ne pense jamais ça, ma fille. Tu ne fais qu’attirer les ennuis sur nous tous avec ce genre de discours.

    Carrie avait giflé Joséphine. Alors que sa fille se remettait du coup, Carrie s’était emportée :

    — N’oublie pas qu’ils lynchent les femmes comme les hommes. Ne t’avise pas de penser que tu as un père blanc.

    — Je ne peux pas rester ici si tu ne me dis pas la vérité.

    — Où vas-tu aller, ma fille ? Je n’ai rien à te dire.

    Sa mère l’avait prise fermement par les épaules et l’avait secouée.

    — Tu dois me promettre d’arrêter de dire ça. Tu n’as pas de père blanc.

    Chapitre 4

    Box Town, Saint-Louis, 2 Juillet 1917

    — Debout ! cria sa mère.

    Joséphine serra la couverture et se blottit contre sa sœur. Il faisait encore nuit. Il était trop tôt pour se lever. Des mains la saisirent violemment par l’épaule.

    — Maintenant !

    Moins assoupie cette fois, Joséphine entendit des cris et des hurlements. En ouvrant les yeux, elle vit la terreur sur le visage de sa mère.

    Des coups de feu. Forts. Proches. Qui se rapprochaient.

    Joséphine ressentit une terreur comme jamais auparavant. Elle aida sa mère à forcer son frère et ses sœurs à sortir du lit qu’ils partageaient.

    — Courez, cria sa mère alors qu’une torche enflammée s’écrasait sur la fenêtre.

    Joséphine jeta un regard en arrière alors qu’ils s’enfuyaient dans l’obscurité. Les flammes léchaient le wagon de marchandises qui leur avait servi de maison. Les boîtes de conserve qu’ils avaient enfoncées entre les fissures du plancher pour empêcher les rats de pénétrer dans la maison étaient impuissantes face aux flammes qui grimpaient maintenant le long des murs.

    Joséphine revint en courant pour sauver un de ses chiots qui s’était échappé. Elle vit à la lueur des flammes un bébé qui pleurait être projeté en l’air. Un coup de feu retentit. Les pleurs du bébé s’arrêtèrent quand la balle pénétra. Luttant contre la nausée qui la gagnait, elle

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