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Enquêtes au cœur de l’océan Indien
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Enquêtes au cœur de l’océan Indien
Livre électronique424 pages6 heures

Enquêtes au cœur de l’océan Indien

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À propos de ce livre électronique

L’île de La Réunion, connue et appréciée pour ses magnifiques paysages, ses plages de sable blanc, son volcan aux éruptions dantesques et sa végétation luxuriante, connaît aussi son lot de troubles. En effet, derrière ces images paradisiaques, ce petit bout de terre, comme l’ensemble du territoire national, est confronté à la criminalité avec son cortège de meurtres, d’agressions, de vols et de trafics en tous genres. Plongez au cœur de l’océan Indien et découvrez-y de nombreux faits divers, objet d’investigations passionnantes, dramatiques et parfois surprenantes.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Durant son séjour à la tête de la brigade de recherches départementale de Saint-Denis, André Daziano a mené toute une série d’enquêtes. À la retraite, encouragé par ses proches, il a souhaité partager ces affaires judiciaires avec les lecteurs, en vue de les faire voyager dans ce roman où il allie charme de l’outre-mer et noirceur de la criminalité.
LangueFrançais
Date de sortie10 févr. 2022
ISBN9791037747105
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    Aperçu du livre

    Enquêtes au cœur de l’océan Indien - André Daziano

    Chapitre 1

    Affectation...

    Saint-Denis de La Réunion

    Nous sommes à la fin du siècle dernier, plus précisément un 20 décembre. Accompagné de mon épouse et de mon plus jeune fils Éric, je suis à bord d’un avion qui se dirige vers l’île de La Réunion où je rejoins ma nouvelle affection au sein d’une brigade de gendarmerie.

    Cette île est un domaine vierge jusqu’en 1640, date à laquelle le commandant du navire le Saint-Alexis en prend possession au nom du Roi de France Louis XIII, en clouant les armes royales sur un tronc d’arbre à proximité de la ville actuelle de La Possession. Devenue département français (974) en 1946, elle est située à 11 000 kilomètres de la métropole. La mer et le feu ont façonné ce petit caillou entièrement volcanique de 210 kilomètres de circonférence, composé de deux massifs montagneux, le « Piton des Neiges » et le « Piton de la Fournaise ». Verdoyante, bordée de magnifiques plages à l’ouest et de côtes déchiquetées à l’est, cette île est posée au milieu de l’océan Indien, et sous son climat tropical vit aujourd’hui, une population d’environ 850 000 habitants.

    Le 20 décembre, c’est aussi la journée où de nombreuses festivités commémorent l’abolition de l’esclavage dans ce territoire. C’est la « fête cafre ». Les Cafres sont les descendants directs des esclaves noirs amenés de force entre 1717 et 1848 pour travailler au profit des propriétaires des champs de cannes à sucre. Ce bout de terre français s’appelait alors « Île Bourbon ». Les esclaves proviennent principalement des côtes de l’Afrique orientale et de Madagascar. Le 9 juillet 1848, ce territoire prend le nom d’Île de La Réunion, et le 20 décembre de la même année, plus de 60 000 esclaves retrouvent enfin la liberté. Les colons qui les emploient devront leur faire un contrat de travail, leur payer un salaire et les traiter humainement. Un vrai progrès de civilisation. Il était grand temps de rendre à ces personnes leur dignité.

    Cette avancée historique, les Réunionnais de l’époque la doivent à Joseph Napoléon Garriga surnommé « Sarda Garriga », commissaire général de la République. Il a été envoyé sur l’île en septembre 1848 par Victor Schœlcher, sous-secrétaire d’État à la marine et aux colonies dans le gouvernement provisoire de la toute nouvelle et éphémère IIe République. Il avait pour mission de mettre en application le décret d’abolition de l’esclavage. « Sarda Garriga » était un fervent républicain, il obtiendra, par le dialogue, l’adhésion des propriétaires terriens et l’esclavage sera aboli sans heurt majeur.

    En décembre 1851, un coup d’État met fin à la République, c’est la naissance du Second Empire de Napoléon III. Entre-temps, « Sarda Garriga », rappelé à Paris a quitté La Réunion. Il est en désaccord avec ce nouveau régime et n’assurera plus aucune fonction politique. Hormis la reconnaissance d’une grande partie de la population réunionnaise, le libérateur des esclaves est mort totalement oublié de ses contemporains.

    Je vais donc séjourner dans cette île dont les guides touristiques sont unanimes pour écrire qu’elle offre des sites magnifiques et une qualité de vie douce et agréable. Je suis doublement impatient de découvrir, d’une part ses charmes tant vantés, et d’autre part la façon dont va se dérouler mon activité professionnelle. L’affirmation que les gendarmes affectés outre-mer passent un séjour de vacances sous les cocotiers est-elle vraiment fondée ?

    Vous pourrez faire votre propre jugement si vous allez jusqu’au bout de ce livre.

    Je suis major dans la gendarmerie nationale et quelques semaines plus tôt, j’ai été désigné pour prendre le commandement de la Brigade de Recherches Départementale (BRD) de la gendarmerie de La Réunion. Il s’agit d’une unité spécialisée dans l’exercice de la police judiciaire, elle a son siège à Saint-Denis, chef-lieu du département. Cette unité a compétence pour traiter les affaires judiciaires importantes sur l’ensemble du territoire de l’île, mais également, sur celui de la collectivité territoriale de Mayotte (devenue depuis le 101e département français), des îles Éparses de l’océan Indien et des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

    J’ai derrière moi une longue carrière militaire débutée à l’âge de 16 ans en intégrant l’École des mousses à Brest. Après une année de scolarité, je vais suivre une formation d’électromécanicien d’aéronautique à Rochefort et je fais alors connaissance avec les avions de la Marine nationale. À l’issue, je suis affecté à la base de Nimes-Garons, plus précisément à la Flottille 22F, armée d’avions de patrouille maritime, modernes et performants : l’Atlantic. À son bord, je ferai le tour du monde et de nombreuses missions en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Destiné à la lutte anti-sous-marine, il vole encore de nos jours après avoir été modernisé au fil des années et équipé des technologies les plus modernes. Il continue à assurer ses missions au-dessus des mers du globe et participe à la lutte contre le terrorisme sur les théâtres d’opérations extérieures, notamment en Afrique.

    J’ai effectué un peu plus de 8 années de service dans l’aéronavale. Second-maître de 1re classe, je préparais le concours du brevet supérieur de ma spécialité. Mais, à la surprise de l’ensemble de mon entourage familial, amical et surtout professionnel, j’ai décidé de changer d’orientation et d’intégrer la gendarmerie nationale. En apprenant cela, mes supérieurs ont tenté de m’en dissuader, ils me voyaient à court terme intégrer le corps des officiers. Devant mon obstination, ils ont alors estimé que je n’avais plus ma place en flottille et m’ont affecté au service technique de la base. Cela a signifié pour moi, la fin des voyages et des missions à l’étranger... une sorte de placard, même si à l’époque cette expression n’existait pas encore. La chute a été rude et je me suis ennuyé durant 6 mois, le temps nécessaire à l’étude de mon dossier d’admission en gendarmerie. À quelque chose malheur est toujours bon, car durant cette période, j’ai eu du temps pour faire beaucoup de sport et me familiariser avec la rédaction des rapports, comptes-rendus et procès-verbaux. Pour cela, j’ai bénéficié de l’aide du commandant de la brigade de gendarmerie maritime de la base. Il m’a soutenu dans ma préparation pour intégrer au mieux le centre d’instruction. C’est probablement ce qui m’a permis d’en sortir major de ma promotion. J’ai quand même eu le sentiment que sur « ce coup-là », mes supérieurs de « La Royale » n’avaient pas vraiment été beaux joueurs...

    Pourquoi cette envie de quitter l’aéronavale pour intégrer la gendarmerie ?

    Je suppose qu’inconsciemment, cela remonte à mon enfance. Comme beaucoup de gamins, avec mes copains, dans mon petit village à la frontière italienne, je jouais souvent au gendarme et au voleur. Le décor de montagnes et de forêts s’y prêtait et cela se traduisait, le jeudi, par des traques sans fin et des arrestations parfois musclées de voleurs, d’assassins et de contrebandiers. J’ai toujours aimé tenir le rôle du gendarme. Même frappés par Guignol, un peu ridiculisés par certaines chansons de Georges Brassens, ou brocardés dans les films du « Gendarme de Saint-Tropez », ces militaires représentaient à mes yeux l’ordre et la sécurité. Je les voyais régulièrement patrouiller dans mon village... à vélo ou à bord de leur « Juva4 ». Ils rencontraient le Maire, les commerçants, les artisans, mon institutrice. Ils arrêtaient les personnes qui franchissaient clandestinement la frontière, verbalisaient les conducteurs imprudents, interpellaient les délinquants et les ivrognes. Tout cela m’impressionnait un peu, et le début de ma sagesse est probablement venu de cette crainte du gendarme. Plus tard, j’ai eu souvent l’occasion de rencontrer ces militaires travaillant essentiellement dans le milieu civil. Leur activité m’a tenté.

    Après ma réussite aux différentes épreuves de sélection, je mets un terme à mon engagement dans la marine, et je suis admis en qualité d’élève gendarme. Je dois suivre un stage de formation de 6 mois. Officier marinier, ayant eu des responsabilités d’encadrement, technicien confirmé, je redeviens un élève. Je dois apprendre les bases d’un métier totalement différent et me familiariser avec la culture « gendarmique ». Cela ne m’a pas posé de difficultés.

    Mon stage de formation et mon intégration dans ma première Brigade Territoriale (BT) se déroulent sans encombre et 3 ans plus tard, c’est la réussite à l’examen d’Officier de Police Judiciaire (OPJ), diplôme donnant accès à des responsabilités dans la conduite des enquêtes. C’est, de plus, l’une des conditions essentielles pour concourir à l’avancement et accéder aux grades supérieurs. Une carrière passionnante s’offre à moi. Toutes mes affectations seront par la suite en Brigades de Recherches (BR). J’ai pu ainsi donner libre cours à ma passion pour l’exercice de la police judiciaire. Je concrétisais mes jeux d’enfants... en beaucoup plus sérieux, et souvent malheureusement, bien plus dramatiques. À mon départ pour La Réunion, j’ai déjà accompli 25 années en gendarmerie, dont 20 en unités de recherches.

    C’est dans le cadre de ce parcours professionnel qu’une fois de plus, ma famille et moi avons fait nos bagages. J’étais affecté depuis 5 ans au commandement d’une brigade de recherches départementale sur la Côte d’Azur, où mon épouse occupait un poste d’assistante de direction dans un cabinet privé de recherches. C’est avec une réelle appréhension que nous avons donc quitté un environnement confortable pour découvrir la vie en outre-mer.

    Allions-nous nous adapter à cette nouvelle vie dans un territoire dont nous ne connaissions rien ?

    C’est à 9 heures que nous atterrissons sur l’aéroport de « Roland Garros » à Saint-Denis de La Réunion, chef-lieu du 100e département de la République française. Le voyage s’est effectué sur un vieux « Douglas DC8 » du groupement de transports de l’armée de l’Air. Cette unité assure, entre autres, les déplacements des hautes autorités étatiques dont le président de la République et les ministres. Pour cet avion, c’était l’un de ses derniers vols, m’a confié un membre de l’équipage.

    Ce jour-là, pas de ministres ni de personnalités à bord mais uniquement des militaires et leurs familles, affectés pour quelques années dans les différents corps d’armée de La Réunion (Armées de terre, de l’air, marine et gendarmerie). Nous étions tous en civil, arrivions de tous les horizons, et aucun d’entre nous ne se connaissait. J’ignorais, à ce moment-là, que je retrouverais au cours de mon séjour, dans des circonstances dramatiques, le gendarme qui occupait le siège situé à côté de nous. Il était originaire de La Réunion et m’avait parlé avec passion de son île.

    Nous avions décollé de Roissy–Charles-de-Gaulle, avec une température de – 2oC, mais à peine sortis de l’enceinte climatisée de l’aéroport, nous avons l’impression qu’une chape de plomb s’abat sur nous. L’air est difficilement respirable, la température est de 30oC, le taux d’hygrométrie flirte avec les 80 %, une véritable fournaise. Quel contraste avec la métropole ! Ce n’est pas la brève escale faite au cours de la nuit à Djibouti qui a pu nous préparer à ce spectaculaire changement des conditions climatiques. La sueur coule très vite sur nos visages et nos vêtements deviennent aussitôt très humides… Nous avions laissé l’hiver de la métropole, et nous venons de découvrir l’été austral de l’océan Indien.

    « BIENVENUE EN OUTRE-MER, BIENVENUE SUR L’ÎLE INTENSE ».

    Ce sont les paroles prononcées par l’adjudant-chef qui, pendant quelques mois, sera mon adjoint. Il est accompagné de son épouse, de plusieurs gradés et gendarmes de mon unité venus nous accueillir à l’aéroport, comme le veut la tradition. Magnifique bouquet de fleurs tropicales pour mon épouse, poignées de mains chaleureuses pour moi. Je suis particulièrement touché par la présence de deux camarades venus à titre purement amical. Il s’agit de Maurice, major à la brigade de Saint-Pierre, nous nous sommes connus lors de nos premiers pas en gendarmerie et Roland, capitaine à Saint-Benoît avec qui j’ai eu le plaisir de travailler durant plusieurs mois en métropole. Nous venons de prendre pied sur cette île à 11 heures de vol de notre famille, de nos amis et cet accueil très sympathique estompe un peu le dépaysement brutal ressenti.

    Nos valises chargées dans les véhicules de service, nous empruntons la « quatre voies » en direction de la caserne Vérines, du nom du chef d’escadron de gendarmerie Jean Vérines, résistant fusillé le 20 octobre 1943 à Cologne (Allemagne) à l’âge de 49 ans. Ce casernement abrite l’état-major de la gendarmerie de l’océan Indien et les locaux de mon unité… mais également notre logement. Je remarque aussitôt combien la circulation est difficile sur cette île, et ce malgré la courtoisie et la patience des usagers.

    La caserne est située au centre-ville de Saint-Denis. Elle a belle allure. J’y découvre mon logement de fonction. Il s’agit d’un appartement situé au troisième et dernier étage. Il est en parfait état. Les pièces sont spacieuses et lumineuses, meublées sobrement mais confortablement. L’attention de mon épouse est surtout attirée par la grande terrasse abritée offrant une vue superbe sur le centre-ville, les montagnes environnantes et l’océan Indien. Elle me confiera plus tard qu’elle a aussitôt pensé au plaisir que nous aurions à recevoir et passer d’agréables soirées sur cette terrasse.

    Quelques heures pour nous détendre, ouvrir les valises et nous installer sommairement, et déjà nous partons vers un restaurant au bord de l’océan pour un premier repas avec l’ensemble de mon personnel. Nous faisons ainsi connaissance avec leurs familles. C’est un moment sympathique où, après les présentations personnelles, les conversations s’orientent immédiatement vers les premières informations concernant les conditions de vie sur l’île. Nous avons tout à découvrir et nous sommes très attentifs à tout ce qui nous est dit. Mon épouse pose mille questions sur les conditions matérielles de la vie, supermarchés, médecins… et moi mille questions sur l’activité de ma future unité, enquêtes, relations avec les magistrats...

    À l’issue du repas où nous avons eu un avant-goût de la cuisine réunionnaise, c’est fourbus et la tête déjà pleine d’images à venir que nous nous écroulons sur notre lit. Nous trouvons très rapidement un sommeil réparateur, légèrement rafraîchis par le souffle des alizés et bercés par le bruit des vagues de l’océan Indien.

    Quatre jours, même délai qu’en métropole, sont gracieusement offerts par la gendarmerie afin de procéder à notre installation. Je vais mettre ces journées à profit pour récupérer notre voiture et les affaires personnelles expédiées par bateau trois semaines auparavant. Cela va nous permettre de personnaliser notre nouveau lieu de vie avec quelques bibelots, photos… et aussi garnir nos armoires de vêtements adaptés au climat tropical. Nous retrouvons avec plaisir et une certaine émotion notre vieille Renault Laguna. Elle n’a pas souffert du tout de son long voyage maritime. J’ai l’impression qu’elle est très heureuse de nous retrouver, car la batterie à peine rebranchée… elle démarre immédiatement en ronronnant.

    Ce délai d’installation terminé, je prends officiellement le commandement de mon unité. À 7 heures 30, heure de début du service normal sur l’île, l’ensemble de mon personnel est présent en salle de réunion : 25 gradés et gendarmes ayant tous la qualification d’Officier de Police Judiciaire (OPJ) et possédant une solide expérience dans la conduite des enquêtes. Certains sont spécialisés dans la police technique et scientifique, ce sont les Techniciens en Identification Criminelle (TIC), d’autres ont une qualification dans le domaine économique et financier. Plusieurs militaires sont des « originaires », c’est-à-dire qu’ils sont natifs de l’île de La Réunion. Ce nombre augmentera par la suite pour permettre aux Réunionnais servant en métropole de regagner leur île natale.

    Autour d’un café, je me présente brièvement, développe mon parcours, indique les orientations que j’envisage de donner au fonctionnement de l’unité. J’en profite pour leur préciser que j’apprécie les talents individuels... dans la mesure où ils sont mis au service de l’ensemble de l’unité, une façon d’expliquer que je privilégie tout particulièrement le travail d’équipe. À l’issue de mon propos, ils se présentent individuellement me précisant les grandes lignes de leur carrière. Je ne connais aucun d’entre eux, certains sont affectés depuis plus de deux ans et d’autres sont arrivés quelques mois avant moi. Vient ensuite un dialogue à bâtons rompus où chacun s’exprime et la discussion sera franche et empreinte de courtoisie. Elle va durer toute la matinée. Certains évoquent des contacts difficiles avec mon prédécesseur. Mais qui en est responsable ? Il n’est pas là pour s’en expliquer et je préfère parler de l’avenir. De nombreuses questions sur ma façon de diriger l’unité ont été posées, je comprends leur légitime curiosité. Je les rassure, j’ai une longue expérience des unités de recherches et je suis très ouvert au dialogue, mais j’ai la responsabilité du bon fonctionnement de l’unité et il arrivera sûrement que certaines de mes décisions ne fassent pas l’unanimité. À l’issue de ce premier contact, je pense avoir recueilli quelques éléments me permettant de me forger une idée sur la personnalité de certains de mes subordonnés. Comme dans chaque unité, il y aura ceux qui m’apporteront un soutien loyal, les indécis à mon égard et évidemment ceux qui risquent de m’être hostiles… quoique que je fasse ou décide. Une brigade est constituée de militaires ayant des personnalités différentes, et mon rôle est de les faire « fonctionner » ensemble. L’équation est parfois délicate... mais pas impossible.

    Une brigade de recherches est une unité un peu particulière. Ses personnels sont souvent confrontés à des situations dramatiques, effectuent des enquêtes longues et délicates et il leur incombe de tout mettre en œuvre pour solutionner ces affaires. Ils doivent faire preuve d’un grand professionnalisme, d’une totale disponibilité, mais également d’humanité. Il leur faut aussi avoir beaucoup d’humilité car la brillante résolution d’une affaire ne doit pas laisser croire que cela conduira immanquablement à d’autres succès. L’échec existe malheureusement et des crimes odieux restent impunis. Il nous faut l’assumer.

    Les militaires servant dans ces unités ont souvent une personnalité atypique. Ils sont un peu frondeurs, presque caractériels, pugnaces, pétris d’envie de réussir parfois à tout prix. Ce tempérament, à titre personnel je dois en convenir, je le développe un peu aussi. Il m’appartiendra donc de les « encadrer » en douceur pour éviter d’éventuels débordements ou fautes de procédure, mais je devrai aussi leur laisser une grande autonomie dans la gestion de leurs dossiers. C’est le rôle du commandant de brigade et l’expérience acquise au cours de mes 20 années de fonction dans différentes unités de recherches va m’aider à mener à bien cette tâche.

    Après ce premier contact avec mon unité, je suis reçu par le colonel commandant la gendarmerie du sud de l’océan Indien. C’est mon supérieur hiérarchique direct. À ma grande surprise, il n’aborde absolument pas le domaine judiciaire et ne me donne aucune directive concernant mes missions. Il me dit simplement avoir consulté mon « carnet de notes », connaît mon expérience et mes antécédents et me fait entièrement confiance pour diriger mon unité. Par contre, il sera intarissable sur les relations avec les médias locaux. Il m’expliquera longuement qu’il existe 2 quotidiens (le Journal de l’île de La Réunion – le JIR – et le quotidien de l’île), 2 chaînes de télévision locales (une publique et une privée) et surtout la radio Freedom. Cette dernière a émis avant la loi sur les radios libres et les gendarmes en poste à l’époque avaient saisi son matériel pour la réduire au silence. À son avis, un « petit reste de rancune » de cette radio envers la gendarmerie existerait et elle ne laisserait rien passer, surtout si elle peut mettre en évidence le moindre dysfonctionnement de notre institution.

    Par ailleurs, une affaire douloureuse est toujours en cours. Lors d’une manifestation de dockers, l’un d’entre eux a perdu un œil touché par le tir tendu d’un gendarme, d’une cartouche non réglementaire. Ce type de tir et ce genre de munition ne doivent en aucun cas être utilisés au cours d’opérations de maintien de l’ordre. L’opinion publique reproche à la gendarmerie et à la justice de tarder à faire toute la lumière sur cette affaire. Elle pense que les magistrats hésitent à exercer des poursuites judiciaires contre les auteurs, le tireur et l’officier qui était responsable de cette opération de maintien de l’ordre. Les médias se font donc régulièrement l’écho de ce triste fait divers et de ses conséquences afin qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Mon supérieur est très clair et résume ainsi son long monologue sur le sujet :

    — Les journalistes ici ne nous apprécient pas et ils sont redoutables d’efficacité. Ils bénéficient de la collaboration de la population qui leur communique toutes les informations. Vous devrez vous méfier d’eux en permanence, ils ne vous feront pas de cadeau et seront à l’affût du moindre faux-pas de votre part. D’ailleurs, je vous interdis de leur donner des d’informations, toutes les communications vers les médias passent par moi.

    Le ton est péremptoire, la consigne et le discours sans appel.

    Le contexte est sensible je l’admets, et il convient en effet d’observer une certaine prudence dans les relations avec les médias pour ne pas risquer d’envenimer une situation qui paraît déjà tendue. Je prends donc acte de ses directives. Par ailleurs, je comprends parfaitement les préoccupations de cet officier supérieur dont le séjour, durant lequel il a dû gérer des moments difficiles, va bientôt s’achever. Après son départ, j’aurai confirmation que ses relations avec les médias, en particulier avec le JIR et radio Freedom ont été houleuses. Certains journalistes m’ont confié qu’il l’avait un peu cherché en adoptant une attitude méfiante, rigide et peu coopérative.

    Le colonel Brison lui succédera quelques mois plus tard et aura une autre approche dans ce domaine. C’est un officier très ouvert, avec beaucoup d’entregent, calme, sachant commander avec discernement. Il fera face à toutes les situations et sera, je crois, très apprécié de l’ensemble des personnels et également des autorités judiciaires et administratives locales et améliorera les relations de la gendarmerie avec la presse. Avec son accord, je pourrais ainsi établir des contacts plus conventionnels avec les journalistes locaux. Cela m’a permis de mettre en exergue le travail de la gendarmerie en général et de mon unité en particulier. Mes interlocuteurs ont toujours attendu le moment opportun pour publier les informations sans risquer d’interférer dans le déroulement d’une enquête. Ils n’ont jamais « trahi » ma confiance.

    Ma présentation à mon « patron » et aux différents officiers de l’état-major effectuée, je rends une visite aux brigades de recherches rattachées auprès des trois compagnies de gendarmerie réparties sur l’île. L’accueil est particulièrement sympathique. J’ai le plaisir de retrouver certains gradés et gendarmes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler dans l’hexagone. Ils m’assurent de leur totale collaboration et cela se confirmera tout au long de mon séjour.

    Autres obligations incontournables de mes premiers jours sur l’île : me présenter aux différents acteurs de la sécurité et aux magistrats avec qui je devrai collaborer. Tout d’abord les magistrats des parquets et de l’instruction de Saint-Denis où je réside, et de Saint-Pierre, ville située à l’extrême-sud de l’île. L’accueil est plutôt chaleureux, tous ces magistrats m’expriment la confiance qu’ils ont dans la gendarmerie et dans mon unité en particulier. Ils me confirment qu’ils continueront à la saisir de toutes les affaires importantes ou « sensibles ». Ils me précisent que cette expression concerne en particulier les faits impliquant des personnalités politiques dont un certain nombre devrait, à très court terme, faire l’objet d’enquêtes préliminaires voire d’ouvertures d’informations judiciaires.

    Ma dernière rencontre sera avec les responsables de la police nationale, en particulier au commissariat de Saint-Denis. À ce moment-là, il n’y a pas de Service Régional de Police Judiciaire (SRPJ) et une Sûreté Départementale (SD) est en cours de mise en place. À cette occasion, je remarque le découpage assez étonnant des zones de compétence. En effet, les villes importantes comme Saint-Denis et Saint-Pierre présentent la particularité d’avoir leur centre-ville sous la responsabilité d’un commissariat de police. Par contre, dans les quartiers périphériques, plusieurs brigades de gendarmerie sont chargées de la sécurité publique, de la police administrative et judiciaire. La ville de Saint-Paul, deuxième ville la plus peuplée de l’île avec près de 100 000 habitants, est entièrement sous la surveillance de la gendarmerie. La présence des gendarmes est donc très importante sur l’ensemble du territoire et cela implique une charge de travail très conséquente pour mon unité. Ma collaboration avec les services de police sera de qualité, sans aucune rivalité et l’échange d’informations permanent. Nous entretiendrons des relations très étroites, voire amicales, avec les personnels de l’identité judiciaire, les TIC de la police, et nous partagerons régulièrement nos fichiers photographiques et d’empreintes digitales, ainsi que les renseignements de nos bases documentaires.

    Cette période consacrée aux visites protocolaires m’a laissé quelques moments de détente, et avec ma famille, je les ai occupés à découvrir les paysages idylliques de l’île. Nos premières randonnées autour de Saint-Denis nous ont permis de sillonner de magnifiques sentiers parfaitement entretenus, très bien balisés, offrant des vues splendides et conduisant dans des sites à couper le souffle. Nous avons fait également la connaissance particulièrement « gourmande » avec la gastronomie locale : « rougail saucisses », « civet de zourit », « carry poulet »… Voilà deux activités que nous développerons durant notre séjour, pour notre plus grand bonheur... chaque fois que mon activité professionnelle le permettra.

    Oui, cette île nous paraît vraiment être un petit paradis.

    Autre moment très agréable dans notre vie personnelle, c’est la visite de Philippe notre fils aîné, gendarme en région parisienne. Il viendra très vite passer quelques jours avec nous… et nous amènera notre chat « Léo » que les militaires de l’armée de l’Air avaient refusé de prendre en charge lors de notre transit. De ce fait, nous avions dû, forcés et contraints, le laisser à la garde de notre fils.

    Nous profiterons de la présence de Philippe pour faire avec lui notre première randonnée au « Piton de la Fournaise », caractérisé par son approche semblable à un paysage lunaire. C’est une randonnée incontournable et nous la ferons chaque fois que des membres de notre famille ou des amis métropolitains viendront nous rendre visite. Ce volcan, très actif, culmine à 2 630 mètres et durant notre séjour, il nous enchantera de plusieurs éruptions absolument grandioses, dantesques, avec des gerbes de feu et des coulées de lave impressionnantes.

    Les deux premières semaines passées et les formalités de ma prise de fonction ayant été accomplies, je suis enfin prêt pour m’impliquer totalement dans le commandement de l’unité et dans la prise en compte des dossiers en cours... et à venir. Je suis en mesure « d’affronter » les affaires judiciaires qui se présenteront. J’aurai la possibilité soit de prendre la direction de certaines enquêtes, soit de confier cette responsabilité à un gradé ou un gendarme de l’unité. Je prendrai à ma charge les affaires les plus délicates.

    L’une des premières enquêtes à laquelle je vais être confronté va concerner un vol commis avec une très grande violence. Le comportement de l’un des auteurs me surprendra, et je vais réaliser combien la présence dans mon unité d’un gendarme originaire de l’île va être pour moi un véritable atout.

    Chapitre 2

    Razzia sur les téléphones portables

    Je suis de permanence, un dimanche, il est 3 heures du matin, et l’on m’appelle pour intervenir sur une agression commise dans la localité de La Possession. Un vol à main armée vient d’être commis dans un magasin de téléphonie mobile. La gendarmerie locale est déjà sur les lieux.

    La Possession est une commune située au sud de Saint-Denis à proximité de la rivière des Galets. Nom parfaitement justifié car le lit de ce fleuve, très large, est constitué de galets... au milieu desquels passe un mince filet d’eau, mais qui peut se transformer rapidement en un torrent violent et dangereux en période de fortes pluies.

    À mon arrivée sur les lieux de l’agression, je constate avec plaisir que les gendarmes du Port ont mis en place un périmètre de sécurité pour préserver les indices. C’est le « gel des lieux ». Les techniciens en identification criminelle qui m’accompagnent se mettent aussitôt à la recherche de traces et indices. Le vigile chargé de la protection du magasin est sérieusement blessé et a été transporté au centre hospitalier de Saint-Denis. Il a expliqué très brièvement que trois hommes arrivés à bord d’une Audi de couleur claire l’ont agressé. Ils étaient cagoulés et deux d’entre eux portaient une arme de poing. Ils l’ont frappé avec violence à plusieurs reprises au visage avec la crosse d’un pistolet. Il est tombé à terre, et ils se sont acharnés sur lui à coups de pied et de poing sur tout le corps. Il n’a pu opposer aucune résistance et il a perdu connaissance. Quand il a repris conscience, ses agresseurs étaient partis. Il a vu que la grille de protection était forcée et la porte vitrée avait volé en éclats. Il a appelé la gendarmerie et la responsable du magasin. Celle-ci nous indiquera que le magasin a été totalement fouillé, de nombreux téléphones portables et cartes prépayées ont été volés ainsi qu’un fond de caisse de faible importance. Le vigile n’ayant pas tenté de s’interposer, les agresseurs ont fait preuve d’une violence inutile. Sa présence est uniquement dissuasive, et il a pour consigne de donner l’alerte et de ne pas s’opposer à des malfaiteurs. Cet homme sera hospitalisé plusieurs jours, gardera des cicatrices importantes sur la tête et le visage, et bénéficiera de 4 mois d’interruption de travail temporaire (ITT).

    Pas de traces exploitables, pas de témoins, pas de soupçons de la part de la gérante installée depuis peu dans cette agglomération. Je rencontrerai le vigile 3 jours plus tard à l’hôpital, il ne peut fournir qu’un vague signalement des trois individus : grands, minces, cagoulés et gantés, et parlant créole. Aucun élément complémentaire sur le véhicule. Fort de ces seules indications, je me dis que ma première enquête en outre-mer ne prend pas le chemin d’une résolution rapide !

    La population locale et les élus sont émus par cette agression. Les médias en parlent abondamment, d’autant plus que les vols avec arme, et avec un tel déchaînement de violence ne sont pas fréquents sur l’île. Ma hiérarchie, tout en y mettant les formes, me dit que l’arrestation des auteurs serait… souhaitable. Je n’en doute pas un seul instant. Le parquet a ouvert une information judiciaire et le juge d’instruction, que j’informe très régulièrement de notre enquête, me fait confiance et ne me « met pas la pression ».

    Sur ce dossier, je dirige une équipe constituée de deux gendarmes de mon unité et deux gendarmes de la brigade du Port. L’un de mes équipiers, Paul, est un gendarme « originaire » qui connaît bien les petits délinquants sévissant sur l’île. Mais cela ne nous suffit pas. Les diverses vérifications effectuées, les interpellations de personnes déjà impliquées dans des faits similaires ne donnent absolument rien… pas même un début d’hypothèse de travail.

    Les jours passent, l’envie d’aboutir est toujours là, mais toutes les pistes abordées nous conduisent à des impasses. Le vigile agressé s’informe régulièrement de l’avancée de l’enquête. Des liens de sympathie se tissent entre nous. Il est natif de Saint-Paul, marié, et déjà père de trois enfants malgré son jeune âge. Je lui rends quelques fois visite dans la case en bois sous tôle qu’il occupe avec sa famille. La case en bois sous tôle est un logement sommaire occupé par les familles réunionnaises peu aisées. La sienne est bien entretenue, fleurie, presque coquette… et à proximité immédiate de la plage. Il a eu très peur et m’indique qu’il voudrait bien trouver un autre travail quand il sera rétabli… mais ce ne sera pas facile. Le taux de chômage est très important…

    À notre demande, l’opérateur a mis sous surveillance les numéros de téléphone des cartes « pré-payées » volées. Il nous informe rapidement et régulièrement de leur emploi. Les utilisateurs, pas vraiment naïfs, s’en servent pour appeler… d’autres cartes « pré-payées » ou des numéros attribués à des bars ou des salles de jeux vidéo. Impossible donc d’identifier un utilisateur malgré la pugnacité de Paul et Pascal, chargés d’exploiter toutes les informations fournies par l’opérateur de téléphonie.

    Pourtant, au bout de deux mois, un matin, Paul entre dans mon bureau, un sourire rayonnant aux lèvres :

    — Patron, une des cartes volées a été utilisée pour appeler un portable qui appartient à Marie-Rose, une jeune fille qui habite chez ses parents à Plateau-Caillou. Je la connais et je pense que c’est son copain Jessy qui l’a contactée. J’ai participé à leur arrestation dans le cadre d’une affaire de trafic de stupéfiants il y a quelques mois. Deux petits usagers de « zamal » qui ont

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