3 blocs - Tome 1 : Folies humaines: Roman
Par Denis Peeters
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À propos de ce livre électronique
Une folle course de vitesse s’engage à travers tous les continents. Qui finira par emporter ce jeu clonesque aux relents démoniaques ?
Mais aussi, comment résister à un tel pouvoir donné à l’Homme ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Denis Peeters écrit ce premier roman pour partager avec le plus grand nombre un univers bien à part, aux frontières du réel et du fantasque. Il livre, avec absurdité assumée, une Histoire, la nôtre, guidée par un scientisme de troublante actualité.
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Avis sur 3 blocs - Tome 1
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Aperçu du livre
3 blocs - Tome 1 - Denis Peeters
Prologue
L’épouvantable et étonnant vacarme entendu quelques minutes plus tôt au-dessus de l’immeuble, n’avait pas plus effrayé que cela les salariés venus travailler dans la tour ce matin-là.
La jeune femme avait atterri sur le Tarmac de l’aéroport Kennedy à New York quelques jours tôt, pour venir rendre visite à sa chère « mamie américaine ». Elle s’était émerveillée devant ces grandes tours de verre et d’acier, toutes plus immenses et belles les unes que les autres.
Ces monstres architecturaux l’avaient fascinée à tel point qu’un matin de septembre elle avait accompagné sa grand-mère à son bureau.
D’abord réticente, sa mamie américaine s’était laissé convaincre par cette jolie frimousse de petite fille venue du froid.
Fière de montrer à sa progéniture la superbe vue qui s’offrait à elle depuis son vaste bureau, de surcroît le plus haut de tous, elle en profiterait pour la présenter à ses collègues de travail. Qui ne manqueraient pas de la complimenter. Le physique exceptionnellement avantageux de sa petite-fille, âgée d’une quinzaine d’années, pouvait en faire une proie facile pour les agences de mannequins en recherche permanente de chair fraîche venue des pays de l’Est.
Elles descendirent les escaliers de secours, comme tous les occupants du building autres, avec un certain calme trompeur.
Quelques étages plus tard, la vieille dame semblait un peu moins sûre d’elle.
Une chaleur anormalement élevée et étouffante, produite à travers les murs d’enceinte, ne présageait finalement rien de bon. Un gigantesque incendie s’était-il déclaré ? Des rumeurs un peu alarmantes se firent entendre ici et là.
La grand-mère, une sacrée femme de tête, se mit en colère.
Soudain, une réelle panique parcourut l’assistance. Piquant le nez. Une forte émanation s’échappa des portes coupe-feu.
L’expression fut lâchée comme une bombe. « Sains et saufs ! »
Alors même que la majorité des gens pensaient naïvement – ou espéraient encore – à un exercice d’évacuation, les deux mots maladroitement employés dans un appel qui se voulait rassurant déclenchèrent pour le coup une précipitation effroyable.
Les hommes et femmes se mirent à descendre quatre à quatre des escaliers plutôt encombrés
Des signes vinrent confirmer les rumeurs les plus alarmistes.
Dans cette descente aux enfers, le faible espoir de s’en sortir fondit brutalement lorsque l’électricité se coupa net et qu’une fumée noire et épaisse s’engouffra brusquement dans la cage d’escalier.
La surprise fut totale et plus aucun doute ne fut permis quant à la gravité de la situation.
Avec cette hausse inexplicable de la température, les visages en sueur se contractèrent et les souffles devinrent de plus en plus courts et rythmés.
Un silence religieux s’installa soudainement, comme si tout le monde se concentrait pour descendre les horribles et étroites marches d’escalier en béton.
Ces êtres piégés formant un cortège, paniqués par une situation plus que tendue, ressemblaient à de grands automates désarticulés, de surprenants Pinocchios aux pas saccadés, aux bras bringuebalants, aux visages crispés, fermés et sans expression, comme taillés dans un bois dur.
C’est au moment où la grand-mère demanda à sa petite-fille de faire une pause vraiment nécessaire que, dans une sensation désagréable, le sol se mit à trembler fortement.
Une répétition de sifflements fantasmagoriques, de tintements interminables et de froissements sourds se fit entendre à tous les étages.
En percevant ces bruits ahurissants pour un mardi matin, des employés se mirent à courir comme des fous pour atteindre la sortie, située à plusieurs dizaines d’étages en dessous.
La jeune femme regarda furtivement dans sa direction, comme pour imprimer l’image d’une grand-mère si merveilleuse, si talentueuse, si exceptionnelle.
La seule véritable parente sur qui elle pouvait compter depuis la mort de son père.
Elle sortit en ouvrant la porte coupe-feu de la cage d’escalier.
Elle traversa un long couloir aux luxueuses tentures beige clair et entra dans un bureau désespérément vide.
Une absence totale de vie.
En s’approchant avec prudence des immenses baies vitrées, elle s’aperçut avec horreur que l’étage où elle se trouvait était encore très élevé. Une fumée noire et épaisse, qui s’élevait de la grande tour qui lui faisait face jusqu’au ciel magnifiquement bleu, attira son regard.
« Bon sang ! pensa-t-elle en son for intérieur. Que peut-il bien se passer ? Ça a l’air d’être une sérieuse explosion ! Merde ! »
Tandis qu’elle était figée, hypnotisée par ce spectacle, l’impensable se produisit.
Brusquement, elle entendit un son délicieux, rappelant un battement de fouet de pâtissier remuant une mousse au chocolat dans un récipient. La voix de sa grand-mère en train de l’appeler la réveilla.
La grand-mère ne se doutait alors pas à quel point sa proposition allait être immédiatement exaucée.
Les deux femmes entendirent un incompréhensible et curieux grondement de tôle se rapprocher redoutablement en direction de l’immense baie vitrée.
La petite-fille eut à peine le temps de prendre la douce et belle main de sa grand-mère qu’un faisceau lumineux d’une flamboyance immaculée vint les aveugler pour de bon.
Cette étincelante luminescence divinement radieuse, provenant d’un improbable et étrange phare planté dans le ciel, s’approcha vite et bien.
Et la lumière fut tellement phosphorescente qu’elle s’atomisa.
Fantastique ! Ce ne pouvait être que sa colère.
Celle de Dieu, évidemment ! pensa la grand-mère
Fidèle et pieuse Russe ashkénaze, elle n’eut le temps que de prononcer son nom :
— Élohim ! Qu’il te protège ma petite chérie !
La lumière s’éteignit, la vie avec…
I
Revoir le jour
Latifa Moon n’avait pas mis les pieds depuis cinq minutes sur le sol syrien qu’elle apparaissait déjà très agressive et très impatiente de voir enfin du concret.
En ce premier jour d’octobre 2020, une chaleur étouffante enveloppait Damas. Une atmosphère de plomb n’arrangeait rien au mauvais caractère mythique de la demoiselle. Elle avait passé toute une nuit harassante à convaincre du bien-fondé d’un plan considéré par le Guide suprême comme un peu trop irréaliste et dangereux.
Flanquée d’une escouade de gardes du corps, véritables forces de la nature et armés jusqu’aux dents, Latifa Moon n’aurait pour rien au monde manqué cet événement qui allait devenir, à plus d’un titre, franchement historique.
Ce projet fondamental était le sien et personne d’autre n’allait lui voler la gloire qu’elle en retirerait très bientôt.
L’équipe restreinte avait pourtant travaillé d’arrache-pied depuis des mois, mais cela ne suffisait pas à Latifa Moon.
Il lui fallait aller vite pour ne pas laisser le champ libre aux éventuels complots fomentés par certains membres de l’Assemblée des Califes, fidèles au Guide suprême et rompus aux petits jeux politiciens.
Elle savait qu’elle jouait là tout son avenir. Sa survie même.
C’était à quitte ou double.
Quant à l’issue de l’opération, le suspense n’en était pour elle que plus insoutenable. Cette femme énergique n’était pas connue pour avoir une patience particulièrement développée, malgré des préceptes appris lors de son passage à l’École Coranique Nationale d’Indonésie.
Latifa Moon, penchée en avant, scruta avec angoisse et fascination toutes les parties de l’homme gisant sur une grande dalle grise en pierre longue.
Les trois médecins imitèrent la jeune femme.
Un mouvement se produisit.
Il n’y avait plus de doutes : l’homme sans vie, étendu quelques secondes auparavant, avait bien redressé son auriculaire gauche.
Les minutes passèrent, lourdes de sens historique. Plus personne ne pouvait faire machine arrière, et surtout pas Latifa Moon. Le corps flasque et couleur craie reprit vie au fur et à mesure. Il respira un air largement vicié à cause d’une pollution épouvantable. Les quatre personnes entourant l’individu furent intérieurement secouées par cette vision. Devant un phénomène aussi inouï et presque miraculeux, l’un des médecins se sentit partir dans une transe endiablée.
Le Docteur Soparno, en apparence toujours très impassible, tenta de cacher les quelques signes d’une nervosité anormale, toutefois bien naturelle en cette circonstance extraordinaire. Son homologue, le Docteur Sangh, une petite femme boulotte et sans charme, se mit à genoux et ne se releva plus. Latifa Moon ne perdit pas une miette de ce spectacle hallucinant et son agacement retomba devant cette scène inespérée et surnaturelle.
L’homme, abruti par les doses thérapeutiques, s’était assis sur une dalle spécialement et rigoureusement taillée dans un marbre blanc local. Latifa Moon ne sut que penser du tableau surréaliste qui s’offrait à la vue de la petite assemblée médusée. La vie de cet exemplaire encore sans traits bien définis du visage allait évidemment provoquer une série de conséquences incalculables. Le doute s’installa furtivement dans son esprit.
N’avait-elle pas été, cette fois-ci, un peu trop loin ?
Saurait-elle dompter la puissance du bougre qui était en train de la jauger d’un œil glauque et informe ?
N’y aurait-il pas un danger pour son propre avenir à finalement collaborer avec lui ?
Ses interrogations se dissipèrent vite, lorsque l’homme, debout devant les quatre témoins, émit un petit son.
Cela lui avait visiblement fait très mal à la gorge.
Ses traits se dessinèrent brutalement, ses muscles se développèrent de façon fulgurante.
La mutation avança comme il avait été prévu, au millimètre près.
Tel un animal, l’homme brimbala subitement tous ses membres. Les bras, les jambes, les mains, les pieds, la tête, le buste.
Les premiers témoins de cette extraordinaire transfiguration s’esclaffèrent en chœur. Même Latifa Moon, qui prenait soin de ne jamais laisser apparaître quelque émotion que ce soit, finit par esquisser un sourire devant cette curieuse rythmique macabre.
Un cri rauque et perçant arrêta net les éclats de rire.
L’homme grimaçant et aux yeux révulsés souffrait de l’intérieur. Encore sonnés par le timbre insupportable de sa voix, Latifa Moon et les trois médecins se regardèrent avec stupéfaction, désemparés devant cet animal sauvage, prêt à bondir sur des proies à portée de patte.
Le Docteur Soparno, médecin-chef d’un pool scientifique resserré, se concentra pour approcher la drôle de bête avec prudence.
Très prévoyant et ne laissant rien au hasard, il avait préparé des recharges d’endorphine puissantes. Mademoiselle Moon savait décidément choisir ses collaborateurs.
La précaution prise par Soparno lui confirma qu’elle avait bien fait de tenir tête au Guide suprême pour l’imposer. Ce génie biochimiste singapourien, de taille moyenne et non dépourvu d’une certaine finesse physique, avait suivi Latifa Moon dans ce qu’il pensait être au départ une formidable opportunité d’être utile à la cause. Il avait également accepté par fascination et parce qu’il nourrissait quelques sentiments pour la jeune femme, comme bon nombre d’hommes.
Et l’espoir de devenir un héros et un scientifique reconnu l’avait conduit à poursuivre sa collaboration à cette mission dans bien des endroits. Il se retrouvait ainsi aujourd’hui dans cette sinistre grotte étouffante.
La boulotte Sangh se retourna, prit l’objet posé sur l’étagère poussiéreuse située à sa droite et lança la seringue d’un geste brusque en direction du Docteur Soparno, tout près de la « bête ».
L’inconfort de cette excavation, enterrée à une quinzaine de kilomètres de Damas, rendit invivable le séjour des agents spéciaux qui y travaillaient. Le système de climatisation avait rendu l’âme deux jours auparavant. Ces détails s’étaient ressentis immédiatement sur l’humeur générale, épouvantable, des habitants de la tanière.
Ce n’était pas une proposition, mais un ordre. Et un ordre pour Mademoiselle Moon, ça ne se discutait pas.
Le Docteur Soparno se renfrogna, mécontent de ne pas avoir l’honneur de piquer l’informe masse.
C’était pourtant grâce à lui que tout avait été possible. L’aboutissement d’une solution aussi réussie n’avait pas été une mince affaire. La découverte, quelques mois auparavant, de cette savante posologie moléculaire complétée d’extraits médicamenteux fondamentaux, avait été relativement complexe à fixer et avait permis de franchir une étape importante. Quelques échantillons avaient été prélevés pour être conservés dans un coffre-fort que seuls Latifa Moon et le Docteur Soparno pouvaient ouvrir.
Deux seringues contenant un liquide transparent avaient été sorties pour l’occasion.
Il fallait bien l’avouer, la vitesse des gestes de la jeune femme ainsi qu’une dextérité hors du commun avaient permis une exécution rapide de l’opération. La bête, surprise par la piqûre et l’approche de cette femme, n’avait pas eu le temps de réagir. L’homme s’affala aussitôt sur le sol, la bouche ouverte, les yeux clos et les membres désormais détendus par l’endorphine injectée sur le haut de sa cuisse droite.
Une fois anesthésié, il continua sa transformation. Sa nudité devenait à chaque instant plus belle, plus fine.
Ce devait être un homme séduisant. Certes un peu âgé, mais un individu dont la nature même de son corps en faisait incontestablement quelqu’un d’imposant.
Latifa Moon demanda aux trois médecins de la laisser seule avec le patient. Le Docteur Soparno refusa et se vit répondre par un geste fulgurant de la main qui lui fit perdre l’équilibre. Humiliés par ce brusque mouvement violent, les trois médecins, dépités, sortirent de la chambre du patient.
L’endroit avait été soigneusement choisi pour éviter toute curiosité dangereuse et déjouer d’éventuelles rumeurs de comploteurs de toutes sortes. La chambre de réveil avait été pensée pour lui et réglée dans les moindres détails. Il ne fallait prendre aucun risque et l’aménagement de la pièce devait impérativement être le même, dans le dépouillement de l’époque.
Latifa Moon, après quelques instants de recueillement et de prière devant le corps en plein repos, scruta longuement chacun des traits du visage.
Un petit rire nerveux accompagna sa posture pleine d’autosatisfaction.
Elle prit conscience de l’événement incommensurable.
Alors que l’air devint absolument irrespirable, elle s’assit quelques instants à côté de la chose pour lui susurrer quelques mots doux.
— Maintenant, Inch’Allah ! Le monde nous attend. Je t’ai retrouvé, tu as retrouvé la Terre. Sous ton apparence, tu es à moi et à personne d’autre. Ne déçois pas le Très-Haut, ne nous déçois pas, ne me déçois pas !
En sueur, Latifa Moon toucha ce corps nu.
Elle tressaillit au contact de l’inimaginable épiderme dont la palpation avait légèrement fait réagir l’homme.
Elle se leva et alla sonner pour qu’on lui ouvrît la porte de la pièce. Elle autorisa les médecins à reprendre possession des lieux et du patient.
L’essentiel était fait et elle n’avait désormais plus de temps à perdre.
Latifa Moon apprécia à sa juste valeur la remarque. Elle n’était pas dupe pour autant. Sa longue expérience des trahisons lui permit de ne regretter en rien le nettoyage qui allait suivre.
Elle extirpa du fourreau de cuir placé à sa taille son merveilleux et mythique kriss, puis passa d’un coup sec et assuré la brillante lame dans les carotides des trois gorges. Il ne fallut pas plus d’une demi-seconde pour admirer une belle fontaine de sang savoureusement éphémère. « Sans souffrance ! Qu’ils s’estiment heureux ! » pensa-t-elle laconique.
Puis elle prit congé des malheureux praticiens et sortit de l’espace médical surprotégé, demandant à ses gardes du corps « de faire le ménage et de boucler soigneusement le périmètre ».
Elle se rendit aussitôt sur une base aérienne militaire désaffectée, non loin de la capitale du territoire syriaque.
Exaltée par l’événement, elle s’engouffra rapidement dans son superbe jet, un Falcon 7X aux couleurs noir et jaune, frappé d’un blason personnel sur l’aileron arrière, dont elle avait confié la réalisation à un héraldiste palestinien de renom.
Latifa Moon faisait toujours sensation sur toute personne arrivant à s’en approcher.
Sa plastique avantageuse, un goût sûr dans la manière de s’apprêter et son assurance, en faisaient quelqu’un d’exceptionnellement attirant.
Les hommes étaient fascinés, les femmes la jalousaient, les enfants l’enviaient.
De nature sportive, grande aux épais et longs cheveux de jais, à la peau de couleur légèrement mate et aux traits fins, elle ne laissait pas indifférent son proche entourage qui la suivait partout, notamment à cause de sa particularité unique : des yeux brillants comme des diamants extraordinaires, l’un vert émeraude, l’autre jaune ambre.
Onze gardes du corps, deux assistantes personnelles, un responsable des communications, son frère Abdul Aziz Moon et son étonnant et seul compagnon fidèle, un splendide petit teckel à poil long couleur fauve baptisé Janus, veillaient sur cette autorité du régime vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Adopter un petit chien était pourtant rigoureusement interdit par les préceptes de l’Islam. Rien que pour cela, elle pouvait être amenée à répondre à tout moment de ce péché devant les Tribunaux de la Pureté Coranique. Mais personne, pour l’instant, n’avait osé s’attaquer à elle sur ce sujet délicat.
L’avion décolla pour une longue destination.
Le Guide suprême ne lui facilitait en rien la tâche, puisqu’elle ne devait effectuer ce long déplacement d’environ dix mille kilomètres que pour « récupérer des vêtements de cérémonie » au profit du gaillard de la grotte. Sous un prétexte de sécurité maximale légèrement tiré par les cheveux, le Guide suprême, Al Muhtadee Billah, avait en effet exigé la garde de cette étincelante et divine garde-robe dans l’enceinte du Palais Royal de Brunei.
Il connaissait trop bien cette rebelle asiatique pour savoir qu’il lui était régulièrement nécessaire de la convoquer à Brunei pour rendre compte de ses actions parfois limites avec les lois commandant le système.
En sa qualité de bras armé n° 1, sur cinq en mission permanente, Latifa Moon lui devait naturellement allégeance et fidélité.
La distance entre Damas et Bandar Seri Begawan, la capitale du sultanat de Brunei située au nord-est de Bornéo, ne permettait pas à l’équipage de souffler. Même si la fatigue se faisait sentir et malgré une vitesse de 280 nœuds en moyenne, l’ambiance à bord de l’appareil était électrique et détendue.
À l’approche du petit État pétrolier, le chef des communications exécuta comme d’habitude le numéro de code permettant l’identification du Falcon 7X vers le centre des télécommunications installé aux abords de l’Istana Nurul Iman, le palais du sultan depuis 1984.
Le Guide suprême avait été prévenu de la venue de Latifa Moon « avec une bonne nouvelle », aux alentours de 12 h 30, heure locale.
L’engin à peine posé sur le sol brunéien, Latifa Moon se débrouilla pour rencontrer au plus vite le Guide suprême. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi Al Muhtadee Billah avait décidé de formaliser la remise de ce linceul, qu’elle considérait pour sa part comme un vulgaire bout de chiffon sans valeur.
Un chauffeur posté devant la lourde porte blindée et ouverte d’une longue Rolls gris perle l’attendait sur le Tarmac de l’aéroport, à quelques kilomètres au sud de Bandar Seri Begawan.
Ses arrivées en Asie du Sud-Est étaient de plus en plus mal vécues à cause de la lourdeur de l’atmosphère. Elle, l’enfant des faubourgs de Djakarta en Indonésie, ne supportait plus cette chaleur écrasante saturée d’humidité.
Introduite immédiatement dans l’enceinte du Palais Royal par le Grand Chambellan, Latifa Moon et trois de ses gardes du corps pénétrèrent dans une antichambre discrète à la décoration chargée d’or, de marbre et de mobilier au bois précieux. Tête baissée, elle s’avança vers le Guide suprême, assis sur un fauteuil pourpre brodé de fils d’or de style Louis XV, et fit la révérence protocolaire. Sans aucune autre convenance, il lui lança :
Le Guide suprême n’était pas habitué à l’émotion qu’exprimait Latifa Moon. Il comprit par son attitude inhabituelle toute la gravité de la situation et souhaita la remercier en lui demandant, insigne honneur, de la suivre et d’entrer dans sa mosquée privée.
Ses efforts n’avaient pas été vains et elle jugea à ce moment qu’elle ne connaîtrait jamais plus que l’ascension d’un pouvoir dont elle rêvait depuis tant d’années. Le Grand Chambellan, peu disposé envers elle, lui jeta un regard noir fort antipathique. Ce geste prouvait les bonnes grâces que lui accordait avec trop de facilité le Guide suprême.
L’événement dépassait les fréquentes oppositions connues de tous entre Latifa Moon et Al Mutthadi Billah. Ils prièrent communément, sincèrement et avec ferveur tous les deux. Ce serait la première et dernière fois.
Peu après, le Guide suprême se retira dans ses quartiers, non sans avoir donné quelques commandements à son bras armé. Latifa Moon avait récupéré la magnifique parure à destination de l’homme de la grotte. Lorsqu’on la lui remit en grande pompe, mais seulement en présence du Guide suprême et de deux dignitaires du Bloc, elle comprit enfin pourquoi elle avait dû faire tout ce voyage qu’elle pensait un peu trop hâtivement inutile. Les vêtements en question étaient d’époque et ils lui appartenaient…
L’escouade de Latifa Moon repartit immédiatement en direction du lieu qui allait devenir sacré.
À bord du Falcon 7X, Latifa la rebelle n’en revenait toujours pas.
Tant de temps avait passé sans qu’elle n’ait rien su. Sans que personne ne l’informe de l’histoire de l’ornementale parure. Elle avait encore décidément beaucoup à apprendre de ce Guide suprême, qu’elle détestait tout autant qu’elle le respectait pour son esprit aussi malin que pragmatique. Peu soucieuse de faire preuve de zèle vis-à-vis de sa religion, elle ne décida pas moins d’engager les hostilités en ouvrant une bouteille de champagne de provenance certifiée « Bloc ennemi ». Elle choisit de goûter pleinement à ce moment d’intense espoir avec ses plus proches collaborateurs. À quelque quinze mille pieds, la fête battait son plein, les bouchons sautaient à une cadence effrénée et les esprits s’échauffaient. Princesse Moon était dure, mais elle savait récompenser ses lieutenants les plus fidèles. Même Janus eut droit à sa part de gâteau !
La fatigue commençait à s’accumuler. Elle profita de ce moment pour s’éclipser dans une cabine spécialement aménagée. Cet avion revêtait les toutes dernières innovations de l’avionneur privé Dassault. Son Falcon 7X datait de 2009. Il avait été acheté à l’époque par l’ex-gouvernement ploutocrate de Syrie. Depuis le krach mondial, l’avionneur Dassault n’avait en effet pu développer de nouveaux produits sur ce marché très concurrentiel, faute de moyens financiers. Mais ce dernier modèle de Falcon était resté le plus spacieux, le plus rapide et le plus confortable de tous. Le champagne, en réserve, de provenance française également, était un produit tout aussi luxueux et agréable, mais interdit aux papilles des musulmans à bord.
Dans son intimité retrouvée, assise dans un fauteuil en cuir crème aux surpiqûres de fils de coton noir, seule face à ses rêves de future gloire, Latifa Moon se laissa emporter par les souvenirs d’une enfance heureuse et tumultueuse. Elle se rappela le chemin qu’elle avait parcouru depuis son entrée en guerre contre l’ennemi. Elle n’était pas habituée à boire de l’alcool et le champagne l’avait suffisamment enivrée pour qu’elle s’endormît profondément, bercée par de nombreuses illusions.
*
« De toutes les odeurs, celles de Damas sont uniques. Je ne me lasse pas de nourrir mon être des effluves d’épices, d’écorces d’oranges, de café, de tissus et de parfums entêtants. Enroulé dans ma longue robe de soie, avec une fièvre plus intense que d’habitude, je sors de ma couche pour regarder mon visage d’une cinquante d’années sur un carreau de verre de la fenêtre qui fait face à ce formidable petit jardin. Il semble fatigué des longs combats menés au cours de ma vie. Mes traits sont tirés, et la couleur de ma peau paraît un peu plus blanche que d’habitude.
Je n’ai pas peur, même si la