Les Mésaventures de Michel Morin
Par Élie Berthet
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Aperçu du livre
Les Mésaventures de Michel Morin - Élie Berthet
Élie Berthet
Les Mésaventures de Michel Morin
SAGA Egmont
Les Mésaventures de Michel Morin
Image de couverture : Shutterstock
Copyright © 1927, 2021 SAGA Egmont
Tous droits réservés
ISBN : 9788728017388
1ère edition ebook
Format : EPUB 3.0
Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.
Cet ouvrage est republié en tant que document historique. Il contient une utilisation contemporaine de la langue.
www.sagaegmont.com
Saga Egmont - une partie d'Egmont, www.egmont.com
A
MES CHERS PETITS-ENFANTS
EDMOND & HENRI BERTHET
Je dédie cet ouvrage
composé pour leur amusement
élie berthet
Les mésaventures de michel morin
Chapitre premier
introduction.
— mon père, ma mère.
— moi.
le pantalon de daim. le traquenard.
premiere visite de m. couperet
V ous connaissez sans doute, mes enfants, une foule de traits plus ou moins fabuleux que l'on m’attribue. Il y a aussi des gens qui ont poussé l’effronterie jusqu’à soutenir que le célèbre Michel Morin, qui veut tout faire et ne sait rien, n’a jamais existé ; qu’il est un personnage imaginaire, un mythe inventé pour mettre la jeunesse en garde contre les accidents auxquels elle s’expose par son étourderie et sa témérité. Afin de rectifier les erreurs dans lesquelles on est tombé sur mon compte, je me décide à écrire cette histoire, dont le besoin se faisait on ne peut plus généralement sentir dans tout l’univers.
J’existe donc, du moins en partie, car je suis comme le maréchal de Rantzau, je n’ai qu’une oreille, un œil, un bras, une jaabe, une dent ; mais en revanche, mon nes est partagé agréablement en deux parties à peu près égales ; j’ai deux bosses, une devant et une derrière, qui me tiennent en équilibre, et ma langue va comme quatre, ainsi que vous pourrez vous en apercevoir dans le cours de ce très-véridique récit.
Hélas ! hélas ! mes bons amis, je n’étais pas né avec toutes ces difformités ! Il y a eu un temps où j’étais un bel enfant avec des dents vigoureuses pour servir ma gourmandise, des bras robustes pour asséner des coups de poing et une échine bien large pour en recevoir, un nez tout entier qui saignait quand j’étais vaincu, deux oreilles qu’on allongeait généreusement quand j’avais fait quelque sottise. J’avais deux jambes pour courir, danser, sauter, glisser et battre de glorieux entrechats à trois pieds au-dessus du sol ; j’avais surtout deux grands yeux bleus, clairs et brillants, pour voir les belles choses de la nature, les arbres, les fleurs, le ciel, les étoiles.
Hélas ! hélas ! encore une fois.
J’oublie que je ne veux pas vous attrister par mes plaintes, mais vous instruire par mon exemple. Je vais vous conter, mes chers amis, par quelle suite d’aventures funestes, d’imprudences et de témérités, je suis devenu l’édenté, le borgne, le boiteux, le bossu, le manchot, dont je vous parlais tout à l’heure. Puisse ce grave récit faire une profonde impression sur vos jeunes âmes ! puisse-t-il surtout vous préserver des fautes que j’ai pu commettre et dont je subis si cruellement la peine ! puisse mon expérience vous inspirer une frayeur salutaire pour la désobéissance et l’opiniâtreté !… ce que je vous souhaite, et je commence.
La date et le lieu de ma naissance importent peu. Michel Morin est de tous les temps, de tous les lieux où il y a des enfants indociles et turbulents. Cependant il faut que je vous donne quelques détails indispensables sur ma famille.
Mon père, Bonaventure Morin, avait été soldat, et avait rapporté des camps une rudesse de manières qui ne nuisait en rien à la bonté de son cœur. Je crois encore le voir, mon père, avec son vieil uniforme usé et son grand tricorne qu'il posait fièrement sur l’oreille ! Le soir, quand il revenait de son travail (car mon père était pauvre et vivait du travail de ses mains), il me prenait dans ses bras, moi petit garçon encore en jaquette, et il me promenait tout joyeux dans le voisinage. Il me montrait avec orgueil à ses connaissances, et il disait en pinçant légèrement mes joues rouges et rebondies :
— Regardez-le bien, ce gros enfant-là, il deviendra un homme, voyez-vous.
Cette pensée de faire de moi un homme, comme il disait, était la pensée dominante, le rêve de mon père.
— Mais, papa Morin, demandaient quelquefois nos voisins, que voulez-vous dire en répétant sans cesse que votre fils deviendra un homme ?
— Je veux dire, répondait mon digne père en portant la main à sa moustache, ce qui était son geste habituel, je veux dire que mon fils sera un luron, un gaillard qui ne se laissera pas marcher sur le pied, qui saura faire un peu de tout…
Mon père, en donnant cette lumineuse definition, ne se doutait pas qu’on ajouterait un jour au nom de son fils l’insolente phrase que des méchants y ont accolée depuis !
Ma mère, Fanchette, n’avait pas tout à fait les mêmes idées sur mon éducation ; elle eût mieux aimé me voir devenir un enfant sage et raisonnable que devenir un homme. Cette pétulance, cette humeur vagabonde, qui m’ont caractérisé depuis et qui commençaient alors à se révéler, lui causaient le plus grand chagrin. Pauvre mère ! comme elle m’aimait ! que de larmes je lui ai coûtées par mes nombreuses disgrâces ! Mais j’ai déjà dit que ma famille était dans un état voisin de l’indigence ; ma mère vaquait aux soins du ménage, pourvoyait laborieusement à nos besoins, et elle ne pouvait me donner toute cette attention qui m’était si nécessaire.
J’avais à peine cinq ans, et déjà j’étais le garnement le plus délibéré de notre petite ville. Je mordais tous ceux qui m’avaient irrité ; je n’ai jamais gardé plus de trois heures une jaquette neuve sans qu’elle fût en lambeaux, et j’étais d’une gourmandise révoltante. C’est à peu près de cette époque que mes souvenirs commencent à devenir plus nets et plus distincts. Ils datent des grands événements que je vais rapporter, et qui sont mes débuts dans cette carrière d’accidents que je dois parcourir tout entière.
C’était un jour de Pâques. Mon père avait invité quelques amis à venir célébrer la fête avec lui, et il devait y avoir gala à la maison. Dès le matin, ma mère était occupéede la cuisine, et moi, toujours content quand j’avais la perspective d’un grand repas, je regardais avec admiration ces pompeux apprêts. J’étais beau ce jour-là, et, pour la première fois peut-être, depuis ma naissance, j’étais d’une exquise propreté. J’avais été débarbouillé à fond ; on avait bouclé mes cheveux. Mais ce qui me rendait fier surtout, c’était que, pour la première fois, on m’avait vêtu comme un garçon. Je portais un pantalon de daim qui avait été extrait d’une vieille culotte de postillon, et dont la solidité devait faire honneur à mon père, inventeur de ce genre d’ajustement à l’usage des enfants peu soigneux. Mon habit était en gros drap vert foncé, et orné sur le devant d’une triple rangée de boutons de cuivre qui brillaient comme s'ils eussent été d’or. Une magnifique casquette écarlate, qui retombait sur l’oreille, complétait le costume.
Aussi il fallait voir comme je me rengorgeais dans ce somptueux équipage ! Il est vrai de dire que mon père, toujours préoccupé par ses idées de solidité et s’imaginant que je grandirais à vue d’œil, avait donné au tailleur ses ordres en conséquence. Le pantalon était d’une hauteur telle, qu’il avait fallu le relever par le bas jusqu’au genou, en attendant que je fusse de taille à en remplir la capacité. Quant à l’habit, il était si raide qu’en le posant sur ses basques, il se fût tenu debout. Mais peu importait ; ma mère s’était écriée en me voyant si propre et si bien vêtu :
— « Mon Dieu ! le joli enfant. » Mon père m’avait regardé avec complaisance, et avait dit en caressant sa moustache :
— « Allons, mon fils commence à devenir un homme ! » Pour moi, je me tâtais curieusement par intervalles, pour m’assurer que j’étais bien le même Michel que devant, et je promenais dans la maison mon habit de gros drap et mon pantalon de daim avec aussi peu d’aisance que si j’eusse été chargé du poids d’une cuirasse et de bottes à l’écuyere.
L’heure du dîner approchait, et je rôdais dans la cuisine, aspirant l’odeur savoureuse des mets, hâtant par mes vœux le moment de se mettre à table. La faim m’avait fait oublier jusqu’à mon riche costume dont j’étais si fier, jusqu’aux incommodités qu’il ne cessait de me causer. Enfin je perdis patience et je demandai à manger ; ma mère me donna un gros morceau de pain, mais rien de plus. Ce n’était pas là mon compte ; je criai, je pleurai. Ma mère me répondit qu’à table j’aurais ce qui me serait nécessaire, et elle me laissa pleurer.
En ce moment une affaire l’appela dehors pour un moment ; je restai seul dans la cuisine en présence du succulent dîner. Il y avait surtout je ne sais quel ragoût qui bouillonnait sur un fourneau, et dont la sauce abondante paraissait devoir fournir un assaisonnement confortable à ma tartine. Je profitai de l’occasion ; je grimpai sur une chaise ; je plongeai mon pain dans la casserole, et je m’empressai de le porter à ma bouche.
Il est imposible d’exprimer l’atroce douleur que je ressentis. J’aurais avalé tous les charbons ardents du fourneau, que je n’eusse pas été plus cruellement brûlé. Je poussai un grand cri ; le pain m’échappa et je tombai du haut de ma chaise en entraînant le ragoût et le vase qui le contenait.
Bienheureux pantalon de cuir qui m’empêcha d’être brûlé jusqu’aux os !
Je restai un moment à terre, tout étourdi et me roulant dans la sauce fumante. La position était peu agréable ; d’ailleurs je compris aussitôt les conséquences funestes de ce qui venait d’arriver. Le meilleur plat du dîner entièrement perdu, mes habits neufs horriblement tachés, ma bouche brûlée : il y avait là plus qu’il n’en fallait pour m’attirer de la part de mon père la correction la plus sévère et la mieux méritée. Je me relevai donc aussi lestement que me le permirent mes souffrances, et je m’enfuis dans le bûcher, où j’allais me cacher d’ordinaire après mes sottises.
Celle-ci ne resta pas longtemps secrète ; ma mère, qui rentra quelques instants après, vit tout le désordre de sa cuisine, et il n’était pas facile de méconnaître le véritable auteur du désastre, car ma casquette écarlate était restée sur les lieux, comme pièce de conviction. J’entendis la pauvre femme jeter les hauts cris, faire les plus piteuses doléances sur son dîner. Bientôt la voix irritée de mon père m’appela de manière à faire retentir la maison.
— Michel ! Michel ! disait-il, viens ici, petit drôle, ou tu me le payeras.
Je n’avais garde de bouger. J’étais blotti dans les fagots, et je ne me souciais pas de sortir de ma cachette. Mon père, qui soupçonnait le lieu de ma retraite, entra dans le bûcher. De frayeur je me laissai tomber dans un étroit espace qui se trouvait entre la pile de bois et la muraille ; je m’y trouvai pris comme