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Théories et modèles orientés sur la carrière: Des idées pour la pratique
Théories et modèles orientés sur la carrière: Des idées pour la pratique
Théories et modèles orientés sur la carrière: Des idées pour la pratique
Livre électronique962 pages15 heures

Théories et modèles orientés sur la carrière: Des idées pour la pratique

Par CERIC

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À propos de ce livre électronique

Disponible en français, ce recueil international regroupant les théories et modèles actuels et émergents du développement de carrière a pour objectif de servir de document de référence pour la pratique du développement de carrière. En plus, le recueil pourra servir d'ouvrage de référence pour les cours universitaires.


  • Il c
LangueFrançais
ÉditeurCERIC
Date de sortie28 juin 2021
ISBN9781988066721
Théories et modèles orientés sur la carrière: Des idées pour la pratique

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    Aperçu du livre

    Théories et modèles orientés sur la carrière - CERIC

    Chapitre 1

    Engagement actif : répondre à l’appel de l’imagination

    Norman Amundson

    Les principes de base de l’engagement actif ont été élaborés au fil de nombreuses années, en réponse à l’évolution de variables entourant les contextes économiques, politiques et sociaux ainsi que de la nécessité d’être plus créatif et plus efficace dans le cadre d’interventions en orientation professionnelle (Amundson, 2018). Parmi les enjeux environnementaux plus généraux touchant ces divers contextes, nous pouvons prendre à titre d’exemple l’essor de la mondialisation, les avancées technologiques et informationnelles, les changements démographiques, le terrorisme mondial ainsi que les bouleversements financiers (Amundson, 2005, 2006). Ces enjeux ont engendré, sur le plan individuel, plus d’imprévisibilité, des difficultés accrues de conciliation entre travail et vie personnelle ainsi qu’un rythme de vie toujours plus rapide. Tentant de faire face à ces défis, les individus sont soumis à l’incertitude et à l’impression d’options limitées. Ils et elles se retrouvent alors face à une « crise d’imagination », avec l’espoir que leur conseiller ou leur conseillère puisse étendre leurs perspectives et les guider vers la négociation de nouvelles trajectoires.

    Les méthodes traditionnelles d’orientation professionnelle apparaissaient « figées » et inadéquates en regard de ces nombreux défis. En guise de réponse personnelle, peut-être parce que j’étais moi-même en crise de mi-carrière, j’ai pris le temps de faire un retour sur mes propres apprentissages sur les méthodes d’orientation professionnelle. Certes, certaines avaient changé au fil des années, mais à un rythme d’escargot. Les conseillers et conseillères travaillaient toujours dans des bureaux à l’apparence morne, faisaient des rencontres planifiées selon des créneaux horaires standards, puis intervenaient essentiellement par des méthodes de discussion verbale. Il m’est apparu qu’il était temps de proposer un changement, voire d’adopter une approche plus active et engagée du processus d’orientation professionnelle. Au sein de ce chapitre, je propose un aperçu de concepts soutenant l’engagement actif et une illustration pratique démontrant toute son efficacité dans la pratique.

    Aperçu des principes et des méthodes de l’engagement actif

    Crise d’imagination

    En tant que conseiller ou conseillère, il ne suffit pas de strictement fournir des informations et des conseils aux gens. Les clients et les clientes doivent être encouragés à développer leur propre imagination de sorte qu’ils puissent accroitre leurs possibilités. Conceptualisant les problèmes comme des crises d’imagination, il n’est pas surprenant que mon accompagnement propose des solutions se retrouvant dans ce même domaine. En donnant la possibilité aux individus d’être plus imaginatifs, nous devons savoir faire appel à notre propre imagination. Nous avons besoin de devenir plus flexibles, plus curieux, plus relationnels, plus inspirés, et plus enclins à prendre des risques.

    Être, de même qu’agir

    Cet appel à l’action s’accompagne du besoin d’être conscient de la nécessité d’« être » de même que d’« agir » (Hansen & Amundson, 2009). Nous devons ancrer notre « être » avec une tranquillité d’esprit et avoir la patience d’écouter notre petite voix intérieure et avoir la patience d’écouter notre petite voix intérieure. Il m’est souvent arrivé, lors de séances de counseling d’orientation, de me sentir confus et de ne pas trop savoir quelle était la prochaine étape. Durant ces moments, il est généralement important de ralentir l’allure et de se concentrer sur le processus plutôt que de chercher à pousser trop de l’avant. Nous pouvons devenir plus familiers avec cette tranquillité d’esprit par la philosophie, l’art, la nature et la méditation. Nous pouvons prendre une posture plus réflexive et l’appliquer à notre rôle de conseil en orientation.

    Accorder de l’importance

    Le point de départ de tout type d’intervention est l’établissement d’un climat de confiance : un environnement relationnel où chaque cliente et client sent qu’on lui accorde de l’importance et que ses préoccupations seront écoutées et prises en considération. Ils et elles ont besoin de sentir qu’ils sont plus qu’un autre client ou cliente au sein d’un système impersonnel. Le conseiller ou la conseillère peut faire naître ce sentiment d’importance par ses paroles, mais aussi à l’aide de gestes simples tels qu’accueillir les gens à l’entrée, leur offrir un verre d’eau ou un café et veiller à éliminer toute source d’inconfort. Créer un sentiment d’importance aide à accroître la confiance en soi de la personne cliente et à forger une alliance de travail. Ce sentiment d’importance est maintenu en permanence et contribue à alimenter le processus d’orientation professionnelle.

    Interventions métaphoriques dynamiques

    Le modèle d’engagement actif permet un large éventail d’interventions qui se démarquent par leur nature dynamique. Dans son ouvrage, intitulé Le Point de Bascule (The Tipping Point), Malcolm Gladwell (2000) relève l’importance de créer des expériences pertinentes, mémorables et transformatrices (le facteur d’adhérence) comme moteur du changement. Une façon de créer des expériences mémorables est de se concentrer sur les récits et les métaphores intégrées au sein des histoires de vie. Les métaphores sont malléables et apportent une dimension visuelle qui aide à affiner la pensée tout en fournissant des images directrices. Elles peuvent être utilisées pour permettre une distanciation face aux problèmes (également appelée « externalisation du problème »), après quoi les conseillers et les clients peuvent explorer, élargir et modifier les images pour créer la possibilité d’obtenir des résultats plus positifs. Pensez, par exemple, à un golfeur. Imaginez que le counseling d’orientation est ce qui procure l’élan arrière. Pour aller de l’avant, il faut d’abord aller vers l’arrière. Lorsqu’elles cherchent à résoudre des problèmes, de nombreuses personnes souhaitent parvenir directement à la solution, mais pourtant, il y a des avantages à faire un retour en arrière avant d’aller de l’avant. Ce mouvement en arrière est un moment tout indiqué pour passer en revue les réalisations passées, établir de nouvelles priorités, susciter de l’espoir et insuffler une énergie positive. Ce mouvement en arrière, bref et ciblé, est source d’énergie. Il prépare le terrain pour aller de l’avant. Il permet de donner le coup d’envoi et d’en assurer le suivi. De bien des façons les conseillers et les conseillères instiguent ce mouvement en arrière, et ce, en aidant les clients et les clientes à passer en revue leurs points forts, leurs priorités et leurs possibilités, puis les aidant à aller de l’avant avec une énergie et un enthousiasme renouvelé.

    Les métaphores font naturellement partie de notre système conceptuel. Nous pouvons demander aux personnes de réfléchir à leurs situations problématiques par l’usage de l’imagerie visuelle. En observant et en créant une image visuelle, nous ouvrons la voie pour de futures explorations et discussions. II est important de reconnaître que ces images métaphoriques ne sont qu’un reflet de notre réalité et, qu’à cet effet, elles peuvent être modifiées, voire dans certains cas, substituées. Je me rappelle d’avoir travaillé avec une jeune femme qui se décrivait comme un plancher sur lequel les gens s’essuyaient les pieds. Je lui ai mentionné que, lorsque je la regardais, je voyais une décoration murale. Ainsi, j’ai alors retiré l’image d’un tapis de plancher, afin de reconnaître la beauté intrinsèque de cette femme, faisant d’elle une œuvre d’art. Ce changement de perspective a grandement contribué à instaurer un climat de confiance et à soutenir la personne cliente vers l’adoption d’une image plus positive d’elle-même.

    Utilisation de dessins et d’activités physiques

    Recourir aux métaphores conduit naturellement à l’usage d’activités physiques et de dessins. Plutôt que de s’en tenir à parler de sa situation, la personne cliente est invitée à créer une représentation physique ou visuelle de ce qui se passe. Il peut s’agir de dessiner sur un tableau de papier ou de réaliser un exercice physique permettant de dégager les éléments importants de la métaphore. En contexte de counseling d’orientation axé sur les solutions, l’une des techniques souvent utilisée est celle de la « question miracle » (de Shazer, 1985). Cette technique invite le client ou la cliente à se représenter dans l’expérience de son problème, puis à rechercher des solutions possibles. Une solution miracle permet à la personne de se déplacer d’une position de solution, là où l’on peut regarder en arrière en regard de ce qui a besoin d’arriver pour entreprendre un changement de l’avant. Métaphoriquement parlant, le client ou la cliente amorce la résolution de son problème du haut de la colline et en regardant vers le bas, plutôt que l’inverse. Ce changement de perspective aide à générer une attitude plus positive et une plus grande souplesse. Cet exercice peut être réalisé à un niveau strictement cognitif. Toutefois, il est possible de tirer beaucoup plus de l’expérience, notamment par l’ajout du dessin ou de la visualisation, sinon de demander à la personne cliente de se lever et de se représenter physiquement la résolution de son problème en se déplaçant d’un côté à l’autre de la pièce. Quelque chose de spécial se produit lorsqu’on fait plus que simplement discuter d’un problème.

    Affirmation de ses forces

    L’importance accordée au fait de communiquer activement avec les clients et les clientes et de les soutenir en mettant de l’avant leurs points forts constitue un autre élément essentiel de l’engagement actif. Un exercice d’engagement actif, appelé cercles d’histoire (anciennement le cercle de forces)¹ , s’amorce en demandant à la personne cliente de se remémorer des histoires de réussites, des expériences optimales de carrière² et des situations où elle fut capable de surmonter des défis de vie personnelle et professionnelle avec succès. La conseillère ou le conseiller demande ensuite plus de détails et encourage un récit complet de l’histoire. Une fois l’histoire détaillée, une importance particulière est accordée à l’analyse de ses différentes composantes et l’identification de forces qui s’en dégagent. La personne cliente est encouragée à amorcer un processus au sein duquel sa conseillère ou son conseiller contribue activement à fournir ses propres observations. En contexte de counseling de groupe, les autres membres se joignent à cette dernière pour formuler leurs propres rétroactions.

    Ce type d’affirmation structurée des forces de la personne est très puissant dans la mesure où il se fonde sur l’histoire telle que racontée par la cliente ou le client. Ce type d’affirmation active va au-delà d’une simple « attitude positive »; c’est un processus d’affirmation basé sur les comportements de la cliente ou du client, donc qu’elle peut difficilement nier. L’engagement actif encourage les conseillers et les conseillères à exprimer les forces observées chez la personne cliente à chaque opportunité.

    Évaluation fondée sur des données probantes

    Il existe d’innombrables exercices et stratégies rattachés à l’approche d’engagement actif. Au cours des dernières années, j’ai travaillé à illustrer l’impact de ces exercices dynamiques au travers de différents programmes de développement et de projets d’évaluation (pratique fondée sur des données probantes), souvent en collaboration avec des personnes menant des recherches sur la théorie axée sur l’espoir et l’action (hope-action theory). Vous trouverez plus de renseignements sur cette théorie et la pratique qui s’y rattache au Chapitre 27.

    En recherchant des pratiques fondées sur des données probantes, j’ai étendu mon approche pour inclure l’évaluation fondée sur les arts (Art-Based Evaluation), de même que d’autres plus traditionnelles (Simons et McCormack, 2007). Les résultats issus d’évaluations à la fois formatives et sommatives se sont avérés encourageants pour de nombreux types de clientèle (p. ex; personnes immigrantes ayant une formation professionnelle en santé, réfugiées et réfugiés syriens, clientes et clients sans emploi, diplômées et diplômés universitaires, et autres). Parmi les activités évaluées, notons les suivantes : Marcher avec le problème³ , Cercle d’histoire, L’expérience optimale de carrière, Surmonter les défis, Attracteurs de milieux de travail⁴, Ma vie comme un livre, Résolution de problème par deux et trois chaises.


    1 Le terme anglophone d’origine est « Story Wheels », anciennement « Circle of Strengh ».

    2 Expérience optimale est le terme le plus utilisé pour traduire le concept de « Flow ».

    3 Walking the problem.

    4 Workplace Attractors.

    Illustration pratique et analyse

    Le cas que je souhaite mettre en lumière provient d’un projet d’évaluation basé sur les arts où j’ai tenté de démontrer, sur vidéo, différents exercices axés sur l’engagement actif (Amundson, 2009). Parmi les volontaires se trouvait une étudiante universitaire âgée de 44 ans. Inscrite à la maîtrise en counseling, elle demeurait incertaine quant à savoir si elle souhaitait ou non poursuivre ses études au doctorat. L’étudiante en question, Lulin (pseudonyme), était une mère célibataire venue en Amérique du Nord depuis la Chine. Elle avait 10 années d’expérience en tant que professeure d’anglais et en tant qu’entrepreneure. Vivant en Amérique du Nord depuis 10 ans, elle appréciait grandement étudier en counseling. Arrivant à la fin de ses études, elle désirait savoir quelles étaient ses possibilités. Elle adorait enseigner et voulait obtenir son doctorat afin de pouvoir travailler auprès d’étudiants et d’étudiantes de niveau collégial. Cependant, Lulin craignait d’être trop âgée pour poursuivre ses études.

    Lorsque j’ai commencé à travailler avec Lulin, je lui ai demandé d’utiliser une métaphore pour décrire comment elle voyait sa situation. Elle a indiqué qu’elle se percevait « comme un papillon qui veut voler, mais pas très haut ». De là, nous sommes passés à un exercice où je lui ai demandé de dessiner ce papillon sur un tableau à feuilles de papier. Après une certaine hésitation (estimant qu’elle n’était pas très artistique), elle a dessiné le papillon. À partir de cette illustration, nous avons discuté de la façon dont elle percevait sa situation et de comment elle se sentait. Lulin était convaincue qu’elle voulait poursuivre un doctorat et devenir enseignante au niveau collégial. Cependant, elle éprouvait également certaines craintes en raison de son âge et de ses problèmes de santé. Je lui ai alors demandé de faire avec moi l’exercice « Marcher avec le problème ». Pour commencer, je l’ai invitée à se lever et à se déplacer vers un côté de la pièce. À cet endroit, elle se trouvait dans la situation jugée problématique et regardait en avant pour tenter de voir les possibilités qui pouvaient s’offrir à elle. Un avenir idéal pour elle consisterait à voler haut dans le ciel avec son doctorat complété et un poste d’enseignante au niveau post-secondaire. Je l’ai alors informée qu’un miracle s’était produit et qu’elle pouvait maintenant se diriger vers son avenir idéal situé de l’autre côté de la pièce. Je l’ai encouragée à changer sa position, sans se soucier de la manière dont elle y parviendrait – elle devait simplement accepter le miracle et passer de l’autre côté de la pièce. Dans cette nouvelle perspective, elle souriait et était manifestement très satisfaite de la façon dont les choses s’étaient déroulées. Je lui ai demandé de regarder d’où elle arrivait et de se demander quels conseils elle pourrait s’offrir à elle-même. Après une courte réflexion, elle a répondu : « Juste d’y aller, faire un pas par en avant ». J’ai alors joué le rôle de son moi craintif, précisant que j’avais peur d’aller de l’avant. Elle m’a assuré que « Tout ira bien; tu t’es rendue si loin et as fait tant de choses; tu as maintenant plus de soutien ». Lulin a élaboré les étapes à suivre en commençant par finaliser sa thèse, puis d’acquérir quelques expériences de travail et enfin de faire sa demande d’admission au doctorat, avec une forte dose de confiance et de support de la part de son conjoint. Ce résumé semblait être le moment idéal pour mettre fin à cette partie de l’exercice.

    Lorsque Lulin et moi sommes retournés nous asseoir, nous avons conclu l’exercice par quelques réflexions et certaines modifications au papillon dessiné au départ. Elle a exprimé sa passion pour l’enseignement et son désir de s’engager dans cette voie. Il était également évident qu’il y avait un deuxième papillon dont il fallait tenir compte, à savoir son conjoint. Lulin a indiqué que son conjoint volait plus haut qu’elle et regardait droit devant. Il était déterminé, résolu, prêt et disposé à lui offrir tout son soutien. Lulin a ajouté ce deuxième papillon à son dessin et a indiqué que son conjoint l’avait encouragée dans cette voie depuis leur rencontre il y a six ans.

    Pour conclure la séance, nous avons fait un compte-rendu en mettant l’accent sur ce qui se passerait si Lulin ne prenait pas ces mesures. Lulin a déclaré qu’elle vivrait avec « des regrets pour le reste de sa vie ». C’était là très cher payer pour son inaction. Lulin était si enjouée par ses buts qu’elle devait aller de l’avant.

    À bien des égards, cette première séance était idéale dans la mesure où elle démontrait la portée d’un processus de counseling dynamique. Un plan d’action précis a été établi et tout semblait en place. Cependant, ce n’était là que le début de cette histoire. Lulin a bel et bien terminé sa maîtrise et a obtenu un poste de conseillère dans un collège. Toutefois, elle a également connu quelques tourments lorsque sa relation avec son conjoint prit fin (un événement que les théoriciens du chaos appelleraient l’impact d’un attracteur étrange; voir le Chapitre 33). Il fallait soudain tout réévaluer.

    Cette réévaluation s’est amorcée en revoyant son objectif. Lulin souhaitait toujours trouver un emploi où elle pourrait enseigner, animer de petits groupes, offrir des services-conseils et conseiller personnellement des étudiants et étudiantes de niveau postsecondaire. La grande question était de savoir si un doctorat était indispensable pour cela. Existait-il d’autres voies pouvant mener à ce même objectif ? Ces réflexions et ces explorations plus étendues ont permis de réaliser qu’une maîtrise était le seul titre de compétence dont elle avait besoin pour travailler dans un centre de conseil et d’orientation au niveau collégial. Dans ce rôle, elle serait en mesure d’enseigner, de conduire des séances de counseling individuel et de groupe ainsi que d’offrir des services conseils. Sur le plan personnel, elle a trouvé un nouveau conjoint qui la comble de bonheur et a adopté une vie plus équilibrée. Elle a adopté un style de vie plus équilibré. Avec tous ces changements, le « petit papillon » est devenu plus fort et plus sûr pour affronter les prochaines étapes. Lulin a réussi à se créer un emploi qu’elle jugeait satisfaisant et en mesure de répondre à tous ses besoins au sein du collège où elle travaillait. Elle a continué à travailler avec la métaphore consistant à marcher avec le problème et a pris des mesures en accord avec ce nouveau plan de carrière. Il serait faux de dire que Lulin n’a pas regretté le fait de renoncer à son doctorat. Elle reconnait que ce diplôme lui aurait également conféré un grand prestige. Cependant, après avoir examiné tous les aspects de la question, elle a conclu que c’était une bonne idée de se concentrer sur son travail au collège.

    Conclusion

    L’engagement actif offre une approche efficace et efficiente en matière de développement de carrière. Cela débute par l’établissement d’un climat de confiance entre la personne conseillère et la personne cliente. Cela contribue à faciliter l’exploration créative de soi et l’exploration des possibilités du marché du travail par l’emploi d’un ensemble d’interventions dynamiques et flexibles. Il y a une volonté, au travers de ce processus, de créer des expériences mémorables (durables) pouvant agir comme force de changement.

    Au sein du modèle d’engagement actif se retrouve une forte attention portée sur l’élaboration, l’exploration et l’extension de métaphores inscrites dans les récits racontés. Le recours à l’imagerie visuelle prévoit l’utilisation de dessins et de mouvements physiques. Une attention est également portée sur la communication de rétroactions plus approfondies, fondées sur des récits d’expériences optimales de carrière, de même que sur des réalisations et des défis rencontrés par la personne cliente. En travaillant en collaboration avec son conseiller ou sa conseillère, la personne cliente est amenée à saisir chaque occasion d’affirmer ses forces.

    Au fur et à mesure de l’avancée du processus, les personnes conseillères et clientes établissent une orientation claire. À cet égard, je considère utile d’employer le modèle de développement de carrière axé sur l’espoir et l’action (voir le Chapitre 27). Cette approche fournit un cadre permettant d’évaluer les domaines qu’il convient de développer davantage. Un programme de recherche en cours permet en ce moment d’examiner différents exercices d’engagement actif utilisés dans le cadre du modèle de développement de carrière axé sur l’espoir et l’action. Ces études d’évaluation mettent l’accent sur de nombreux groupes différents et les résultats qualitatifs et quantitatifs illustrent la force de la théorie et du modèle axés sur l’espoir et l’action utilisés conjointement avec certaines stratégies d’intervention de l’engagement actif.

    Références

    Amundson, N. E. (2005). The potential impact of global changes in work for career theory and practice. International Journal for Educational and Vocational Guidance, 5, 91-99. DOI :10.1007/s10775-005-8787-0

    Amundson, N. E. (2006). Challenges for career interventions in changing contexts. International Journal for Educational and Vocational Guidance, 6, 3-14. DOI :10.1007/s10775-006-0002-4

    Amundson, N. E. (2009). Active engagement in action [DVD]. Richmond, BC : Ergon Communications.

    Amundson, N. E. (2018). Active engagement: The being and doing of career counselling, anniversary edition. Richmond, BC : Ergon Communications.

    De Shazer, S. (1985). Keys to solution in brief therapy. New York, NY : Norton.

    Del Corso, J. J. et Briddick, H. S. (2015). Using audience to foster self narrative construction and career adaptability. Dans P. J. Hartung, M. L. Savickas et W. B. Walsh (dir.). APA handbook of career intervention, Volume 2 : Applications (p. 255-268). Washington, DC : American Psychological Association.

    Gladwell, M. (2000). The tipping point: How little things can make a big difference. Londres, Angleterre : Abacus.

    Hansen, F. T. et Amundson, N. E. (2009). Residing in silence and wonder: Career counselling from the perspective of being. International Journal for Educational and Vocational Guidance, 9, 31-43. DOI:10.1007/s10775-008-9149-5

    Simons, H. et McCormack, B. (2007). Integrating arts-based inquiry in evaluation methodology. Qualitative Inquiry, 13, 292-311. DOI :10.1177/1077800406295622

    Biographie

    Norm Amundson est professeur en psychologie du counseling à la faculté d’éducation de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, au Canada. Il est également titulaire d’un doctorat honorifique de l’Université Umeå, en Suède. M. Amundson est un auteur et un conférencier bien connu. Il vient tout juste de publier la 20e édition de son ouvrage primé, Active Engagement. Ses publications comprennent plus de 100 articles scientifiques, des DVD de formation, ainsi que des livres et des manuels, dont bon nombre ont été traduits dans différentes langues.

    Points de pratique pour l’engagement actif

    Norman Amundson

    Prendre un temps d’arrêt. Prenez le temps de prendre du recul et d’examiner ce qui se passe dans le travail que vous faites. Faites-vous des ajustements pour répondre aux besoins des clientes et des clients ou vous contentez-vous simplement de suivre un cadre habituel? Est-ce que votre pratique du counseling est un espace créatif favorable à la collaboration?

    Réflexion sur les relations. Examinez la nature des relations que vous entretenez avec votre clientèle. De quelle façon les aidez-vous à sentir qu’ils sont vraiment importants? Quelles mesures concrètes prenez-vous pour leur transmettre ce message?

    Répondre au sentiment de frénésie. Dans la poursuite de votre travail, vous retrouvez-vous envahi par toutes les actions qu’il importe d’entreprendre? Prenez-vous le temps de prendre du recul sur l’agitation du quotidien et d’écouter votre petite voix intérieure qui essaie de se faire entendre?

    Utilisez les métaphores de manière créative. Êtes-vous attentif aux métaphores que vous entendez dans le discours de vos clients et vos clientes et plus conscient de celles que vous utilisez? Êtes-vous capable d’employer des métaphores pour résumer les récits racontés? Savez-vous comment faire usage de dessins et d’activités physiques pour l’élaboration, l’expression et le changement en regard des métaphores de vous entendez?

    Appliquez des stratégies d’intervention mémorables. Utilisez-vous des stratégies d’intervention mémorables (adhérentes)? Avez vous le courage d’introduire des activités qui sortent du cadre traditionnel de pratique du counseling d’orientation?

    Soutenez les forces. Utilisez-vous des stratégies d’affirmation de forces fondées sur les histoires d’expériences optimales, d’accomplissement et de défis vécus par vos clients et vos clientes?

    Se montrer collaboratif. Essayez-vous d’en faire trop par vous-même? Faites appel à vos collègues pour obtenir leur collaboration et leur soutien.

    Chapitre 2

    Comprendre le développement de carrière des enfants atteints de dyslexie : le modèle de développement de carrière axé sur le processus de préparation culturelle

    Sajma Aravind et Gideon Arulmani

    À mesure que le counseling de carrière et l’orientation professionnelle se sont imposés comme disciplines indépendantes, les recherches se sont progressivement étendues à des groupes et des populations jusqu’alors peu investis. Les individus ayant des besoins spéciaux sont l’une de ces populations. Une revue de la littérature a révélé que bien que ces personnes doivent faire face à plusieurs défis et obstacles en matière de développement de carrière, la plupart des théories sur le développement de carrière ne tiennent pas compte de ces populations dans leurs formulations (McMahon, 2014). Une recension d’écrits réalisée par Enright, Conyers et Szymanski (1996) sur l’incidence d’un handicap¹ en regard du développement de carrière a permis d’identifier quelques facteurs prépondérants : la capacité de prendre des décisions, le concept de soi, l’âge auquel le handicap est apparu, le type de déficience ainsi que le genre.

    Pour tracer un portrait propre à un pays, l’Inde comptait, en 2011, 27 millions de personnes avec handicap (registraire général et commissaire au recensement; http://censusindia.gov.in/2011-Common/CensusData2011.html). Par conséquent, l’orientation professionnelle auprès de personnes avec handicap est un besoin croissant qui appelle à une attention particulière. Le modèle du processus de préparation culturelle (Arulmani, 2011, 2014; également connu sous le nom de « modèle de préparation culturelle ») est une plateforme utile pour aider à mieux comprendre les notions conjointes d’handicap et de développement de carrière, puisqu’elle permet « d’adapter les interventions relatives à la carrière aux contextes locaux » (McMahon, 2014, p. 23). Au sein des prochaines sections, les fondements théoriques du modèle de préparation culturelle sont décrits et appliqués au sein d’une illustration pratique où une démarche de counseling de carrière est mise en œuvre auprès d’un étudiant diagnostiqué d’un trouble de dyslexie.


    1 La traduction du texte d’origine propose l’emploi de « handicap » pour désigner le terme « Disability » employé par les auteurs. Dans la langue française, d’autant plus selon une perspective biopsychosociale dont se réclament les auteurs, le handicap concerne l’incapacité ou la limitation relative à des obstacles de son environnement.

    Conceptualisation de la notion de handicap

    Les conceptions les plus récentes du handicap renvoient à une perspective biopsychosociale où il est le résultat d’interactions entre la santé, de même que des aspects psychologiques et sociaux de l’environnement de la personne (Organisation mondiale de la santé [WHO], 2002). Les connotations culturelles constituent donc un facteur clé pour comprendre l’expérience du handicap. Deux personnes présentant le même type de déficience sur le plan de la santé peuvent expérimenter des niveaux différents d’handicap selon l’interprétation qui en est faite au sein de la culture. Le présent chapitre focalise sur un trouble spécifique d’apprentissage – dyslexie – en l’abordant sous l’angle de l’interface entre culture et dyslexie. Nag et Snowling (2012) proposent une brève description de la dyslexie en tant que « trouble du développement affectant les habiletés impliquées dans la lecture et l’épellation de mots, et ce, en l’absence de toute déficience intellectuelle. Les symptômes peuvent être classés de bénins à sévères. » (p. 6). Elle peut se manifester en différents sous-types. La classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexe (version 11 Betâ; https://icd.who.int/dev11/l-m/en) classe la dyslexie au sein des troubles de développement de l’apprentissage. Ces derniers sont décrits en tant que « caractérisés par des difficultés signifiantes et persistantes d’apprentissage d’habiletés académiques, ce qui peut inclure la lecture, l’écriture et l’arithmétique » (par 1).

    Le modèle du processus de préparation culturelle : un cadre théorique

    Le modèle de préparation culturelle examine le développement de carrière en tant que processus imprégné culturellement (Arulmani, 2014). Ce modèle illustre l’impact de forces culturelles façonnant les buts, les besoins ainsi que les défis individuels en matière de développement de carrière. Comme mentionné par la personne auteure du modèle, la préparation culturelle résulte de l’accumulation d’apprentissages et d’expériences d’un certain groupe d’individus au fil du temps. Ces individus ont tellement assimilé et systématisé des façons propres d’interagir avec le monde qu’il est possible d’identifier ce groupe et de le distinguer des autres. Ces façons d’interagir reposent sur un environnement sociocognitif caractérisé par une organisation sociale et un système de croyances, de valeurs, de rituels et de mœurs interreliés qui sont désormais profondément ancrés dans les conventions et les routines auxquelles le groupe visé s’est habitué (Arulmani, sous presse).

    Le présent chapitre focalise sur quatre concepts qui sous-tendent le modèle du processus de préparation culturelle, à savoir l’apprentissage culturel, l’enculturation, l’équilibre du statut de préparation culturelle et l’acculturation. Ces concepts sont résumés ci-dessous.

    Un construit important sur lequel repose le modèle est l’apprentissage culturel. L’apprentissage culturel réfère à l’habileté unique de l’être humain d’acquérir des connaissances au-travers l’apprentissage par imitation, soit la manière par laquelle une personne absorbe les coutumes, les traditions et les valeurs par l’observation des autres membres du groupe. Cette capacité d’apprentissage par imitation permet à l’être humain de devenir un transmetteur de connaissances par l’intermédiaire de la culture. Selon ce modèle, cette capacité d’apprentissage culturel transforme l’engagement des êtres humains à l’égard du travail en une expression de leur culture.

    Le deuxième concept, l’enculturation, est défini comme « le processus par lequel les gens se voient inculquer les obligations propres à la culture à laquelle ils appartiennent, assimilent les valeurs de cette culture et acquièrent les comportements qui y sont jugés appropriés et obligatoires - pour des pratiques particulières » (Arulmani, 2014, p. 86). L’enculturation amène les individus à se conformer aux attentes du groupe, en regard de trois facteurs :

    L’organisation sociale individualiste-collectiviste. Les liens entre les individus dans les sociétés individualistes sont moins serrés que les relations dans les communautés collectivistes. La liberté de choix et l’indépendance sont prisées dans le premier type d’organisation sociale, tandis que l’interdépendance et le maintien de la cohésion du groupe sont valorisés dans le second. Par exemple, dans un environnement social collectiviste, les intérêts exprimés peuvent être fortement motivés par l’obligation enculturée de se conformer aux valeurs et aux croyances de la collectivité. En revanche, une société individualiste est plus susceptible d’accorder une plus grande latitude et d’encourager ses membres à exprimer leurs préférences personnelles;

    Les attributions de valeurs et de croyances liées à carrière. La préparation culturelle est influencée par la manière dont certains phénomènes se voient conférer une valeur et une signification dans une culture donnée. Les différents groupes professionnels peuvent se voir attribuer une valeur positive ou négative en fonction des processus de préparation culturelle qui prévalent. Le travail des cols bleus et des cols blancs peut être considéré avec une indifférence relative au sein d’une culture, tandis que pour une autre, l’un de ces deux groupes peut être perçu comme appartenant à une classe sociale ou à une caste inférieure. De telles mentalités génèrent des croyances en matière de carrière qui « influencent l’idée que les gens se font de la carrière ainsi que leur engagement dans le développement de carrière » (Arulmani, 2014, p. 90). L’idée que « les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques et en sciences » ou que « les enfants dyslexiques ne peuvent pas réussir sur le plan professionnel » sont quelques exemples de croyances courantes en matière de carrière;

    Le processus d’attribution des rôles. Les rôles définissent la relation qu’entretient chaque individu avec un groupe social donné. Par exemple, un élève ou une élève dyslexique se voit généralement conférer le statut d’élève faible qui ne pourra qu’accéder à des métiers demandant moins d’études. Par ailleurs, les rôles atteints sont ceux qu’une personne obtient délibérément de par ses réalisations. Un élève ou une élève dyslexique peut acquérir les compétences nécessaires pour gérer les difficultés que lui pose sa dyslexie et se voir conférer un changement de statut. Les forces dynamiques de la préparation culturelle peuvent fortement influencer la question de savoir si les acquis (compétences en lecture) changent le statut assigné (faible au niveau scolaire).

    Le troisième concept, l’équilibre du statut de préparation culturelle, réfère à un état unique d’équilibre interne en regard de son développement de carrière. Il résulte des interactions entre l’apprentissage culturel et l’enculturation. Cet équilibre reflète une stabilité interne ainsi qu’une balance mentale et émotionnelle équilibrée résultant de l’habitude de faire des choses d’une certaine manière (Arulmani, 2014).

    La quatrième construction mentale, l’acculturation, fait référence à la manière dont l’équilibre du statut de préparation culturelle existant est influencé par d’autres forces externes. Les forces d’acculturation peuvent s’accorder ou non avec cet équilibre de statut chez l’individu. La concordance indique que l’acculturation favorise ou soutient l’équilibre existant, tandis que la discordance perturbe cet équilibre.

    Les descriptions précédentes de ces quatre concepts démontrent clairement que, pour rendre les interventions en orientation professionnelle plus efficientes, elles doivent se baser sur la réalité expérimentée par les personnes à qui elles s’adressent (Arulmani, 2011). Le prochain chapitre permet d’examiner l’application possible du modèle de préparation culturelle en regard des défis de développement de carrière rencontrés par les étudiants et les étudiants avec dyslexie, et ce, à partir d’une étude de cas réalisée en Inde.

    Illustration pratique : le cas de JS

    JS (pseudonyme) est un garçon de 16 ans de Bangalore, en Inde, issu d’une famille de revenu moyen. Le père de JS est propriétaire d’un magasin de textile en ville et sa mère est une femme au foyer. JS a reçu un diagnostic de dyslexie. Son dernier rapport d’évaluation (produit lorsqu’il avait 14 ans) indique qu’il souffre d’un « un trouble d’apprentissage caractérisé par des difficultés de lecture, d’écriture et d’épellation des mots ». JS a passé la majeure partie de sa scolarité au sein du système d’éducation « régulier », lequel intègre presque exclusivement des personnes ne présentant pas de difficultés scolaires. L’historique scolaire de JS se compose de nombreux changements d’école liés à de faibles résultats scolaires. Il fut dans l’obligation de reprendre sa 8e année en raison d’un rendement académique insuffisant. JS a commencé à fréquenter son école actuelle en 9e année et il termine actuellement la première année du programme de 10e année qui s’étend sur 2 ans. Il s’agit d’une école qui intervient sur les besoins des enfants avec des besoins spéciaux, tels que les difficultés d’apprentissage. De telles écoles « alternatives » permettent à la communauté étudiante ayant des besoins spéciaux de combiner une formation à la fois académique et professionnelle. Les méthodes d’enseignement sont adaptées aux conditions d’apprentissage de chaque personne étudiante. Après avoir passé la majeure partie de sa vie scolaire dans des écoles régulières, JS s’est ajusté à son nouvel environnement d’enseignement où il bénéficie d’un soutien un à un important. Cependant, il importe de garder en tête que l’expérience de difficultés d’apprentissage s’associe à celle de forte stigmatisation. Les élèves qui fréquentent des écoles alternatives sont souvent étiquetés comme atteints de déficience intellectuelle. Compte tenu des faibles rendements scolaires de JS, la valeur accordée à la réussite scolaire semble s’être érodée au sein de son environnement familial. Les attentes semblent s’être amoindries et le père de JS espère simplement que son fils complète une certaine éducation de base pour ensuite rejoindre l’entreprise familiale.

    JS fut rencontré par l’auteure principale de ce chapitre lorsqu’il complétait la première partie de sa 10e année. Les échanges démontraient une estime de soi et une motivation toutes deux extrêmement faibles, de même que l’absence d’engagement dans les différentes activités d’exploration de carrière. Cependant, les personnes qui lui enseignaient mentionnaient que ses performances s’amélioraient et qu’il s’intégrait bien à ce nouveau système.

    Analyse de l’illustration pratique

    Apprentissage culturel et enculturation

    Les premières expériences de scolarisation de JS, dans les écoles ordinaires régulières, représentent des expériences d’enculturation que vivent couramment la plupart des élèves indiens atteints d’un handicap. On s’attend à ce que les élèves se conforment aux exigences du système d’éducation régulier qui met fortement l’accent sur la capacité de l’élève à lire et à comprendre des textes, à apprendre la matière par cœur et à démontrer à l’écrit les connaissances acquises. Les écoles que JS a fréquentées pendant la majeure partie de sa vie scolaire comportaient toutes un système d’évaluation rigoureux et rigide. Répondre à ces exigences scolaires et obtenir de bonnes notes est considéré comme crucial pour mener à bien des études supérieures et, par conséquent, essentiel à son développement futur de carrière. L’apprentissage culturel fait en sorte que l’identité personnelle et l’estime de soi sont étroitement liées à la capacité d’être un « bon » élève, ce qui renvoie à l’obtention de bonnes notes. Être éduqué dans de tels établissements, où l’excellence académique est au cœur de l’approbation sociale, constitue une force d’enculturation importante dans la vie de la plupart des élèves en Inde. Bien que JS soit accepté par sa famille, son acceptation par le groupe social plus vaste dont il fait partie sera toujours liée de manière inextricable à l’exigence culturelle d’être un bon élève. L’impact d’une organisation sociale collectiviste sur les décisions de carrière est évident. JS est censé rejoindre l’entreprise de textile familiale et s’est vu attribuer le rôle de celui qui assura la relève et la continuité des affaires. La prise de décisions de carrière se veut davantage une affaire de famille qu’une décision individuelle. On constate l’existence de ce processus collectiviste dans la manière dont la famille a « pris en charge » le cheminement de carrière de JS du mieux qu’elle pouvait, compte tenu de ses difficultés scolaires. À bien des égards, la manière dont cette décision de carrière est prise vise à le protéger de sombres perspectives de carrière.

    Équilibre du statut de préparation culturelle

    Les forces de l’enculturation au sein de la culture indienne sont telles que la plupart des élèves sont prêts à accepter que les études doivent avoir priorité sur toutes les autres activités et que leur devoir le plus important est d’obtenir invariablement des notes élevées à l’école. En fait, la plupart des langues indiennes utilisent le même mot pour décrire à la fois l’étude et la lecture. Les élèves se retrouvent donc dans un état d’équilibre culturellement approuvé en ce qui concerne leurs tâches d’élève et sont capables de répondre aux exigences du système d’éducation. Cependant, dans le cas de JS, le système d’éducation – au sein duquel la plupart de ses pairs ont vécu une enculturation et y ont trouvé un équilibre – ne coïncide pas avec son profil d’habiletés personnelles. En tant qu’élève avec dyslexie, JS éprouve des difficultés en lecture, en écriture et en orthographe – précisément les outils sur lesquels l’école régulière assure l’éducation des élèves. Dans une perspective sociétale plus large, il baigne dans un environnement de croyances sur la carrière où une certaine forme d’excellence – académique – est celle qui est la plus valorisée. Les difficultés d’apprentissage de JS ne lui ont pas permis de se conformer aux exigences de cette enculturation. De telles croyances peuvent avoir entraîné chez lui une perte d’estime de soi, compte tenu des difficultés qu’il éprouvait avec ses études, entravant ainsi ses activités d’exploration et de développement de carrière. JS a continuellement lutté pour tenter d’atteindre ses objectifs d’apprentissage, malgré ses nombreux changements d’école. Bien que les écoles fussent différentes, la qualité de l’environnement était toujours la même. Les difficultés scolaires de JS ont continué, et ce, au point où il a dû reprendre sa 8e année. Reprendre une année au sein d’une même institution peut s’avérer une expérience atroce pour un élève qui voit ses pairs passer à un niveau supérieur. Par conséquent, de telles expériences ont laissé JS dans un état d’équilibre dissonant caractérisé par un affaiblissement de son estime de soi et de sa motivation, l’entraînant ainsi dans une spirale descendante de faibles résultats scolaires. D’après les échanges que la première auteure a eus avec lui, cette discordance l’a également amené à douter de sa propre réussite professionnelle. Les interactions de l’auteure principale avec JS témoignent des incidences qu’a eues cette dissonance sur les croyances entretenues par JS à l’endroit de son propre succès professionnel.

    Acculturation

    La réussite de la 10e année (la dernière année d’études secondaires) est une étape importante dans la vie d’un élève en Inde. Obtenir de mauvaises notes (ou échouer) en 10e année peut avoir des effets néfastes sur le cheminement scolaire de l’élève. Cette perspective a conduit la famille de JS à le transférer dans une école alternative après la 8e année. Le transfert de JS dans une telle école représente une expérience d’acculturation. Les méthodes d’apprentissage dans cette nouvelle école étaient différentes de celles pratiquées dans les écoles qu’il avait jusque-là fréquentées. À sa nouvelle école, JS bénéficiait d’un soutien individuel important pour l’aider à faire face aux difficultés résultant de la dyslexie. Cette nouvelle école demandait à JS de non seulement s’adapter à de nouveaux styles d’apprentissage, mais à de nouveaux contenus d’enseignement. Pendant que les écoles régulières enseignaient des matières telles que l’anglais, les mathématiques, les sciences sociales et les sciences pures, l’école en question traitait d’anglais, de sciences domestiques², d’économie, de commerce et d’opérations d’entrée de données. JS a également connu d’autres changements dans le cadre de son expérience de scolarisation, comme le fait de passer d’une grande école très fréquentée à une petite école accueillant un nombre plus restreint d’élèves. Une caractéristique importante de l’acculturation dans ce nouvel environnement réside dans le fait que cette école a mis l’accent sur ses points forts plutôt que sur ses points faibles. L’amélioration de ses résultats scolaires dans cette école semble indiquer qu’il est en voie d’atteindre une plus grande consonance sur le plan de l’équilibre.


    2 Les sciences domestiques ou Home Science abordent des contenus rattachés à la vie résidentielle, familiale et sociale : nutrition, gestion des ressources, développement personnel, etc.

    Conclusion

    Le modèle du processus de préparation culturelle est utile pour explorer le développement de carrière en regard du contexte de réalité culturelle propre à la personne. Ce modèle est particulièrement utile dans le cas des personnes avec handicap. Le contexte social et culturel dans lequel évolue la personne influence la manière dont est vécu le handicap. Deux personnes avec un même handicap vivent chacune leur expérience de manière différente. Par conséquent, l’orientation professionnelle auprès de personnes avec handicap s’avérerait plus efficace par une prise en compte du facteur de préparation culturelle au sein du processus d’orientation. En résumé, l’analyse du cas de JS d’un point de vue de préparation culturelle permet de comprendre ses faibles performances scolaires de manière plus nuancée et plus spécifique à sa personne. Elle permet de cibler les forces d’enculturation qui, dans le cadre du processus d’apprentissage culturel, ont placé JS dans un état de déséquilibre.

    Elle montre également comment les forces d’acculturation peuvent faire évoluer la personne vers un équilibre plus consonant. Plus important encore, une telle analyse nous permet de concevoir des interventions dont l’influence sur le plan de l’acculturation, peuvent aider la personne à sortir d’une spirale descendante et à s’engager dans une dynamique de changement positive.

    Références

    Arulmani, G. (2011). Saisir le bon thème : l’approche de la préparation culturelle au développement de programmes d’orientation spécifiques. International Journal for Educational and Vocational Guidance, 11, 79-93. doi:10.1007/s10775-011-9199-y

    Arulmani, G. (2014). The cultural preparation process model and career development. Dans G. Arulmani, A. J. Bakshi, F. T. L. Leong et A. G. Watts (dir.), Handbook of career development: International perspectives (p. 81-104). New York, NY : Springer International.

    Arulmani, G. (2019). The cultural preparedness framework: Equilibrium and its alteration. Dans N. Arthur et M. McMahon (dir.), Contemporary theories of career development: International perspectives (p. 195-208). Abingdon, Angleterre : Routledge.

    Enright, M. S., Conyers, L. M. et Szymanski, E. M. (1996). Career and career-related educational concerns of college students with disabilities. Journal of Counseling and Development, 75, 103-114. doi:10.1002/j.1556-6676.1996.tb02320.x

    McMahon, M. (2014). New trends in theory development in career psychology. Dans G. Arulmani, A. J. Bakshi, F. T. L. Leong et A. G. Watts (dir.), Handbook of career development: International perspectives (p. 13-27). New York, NY : Springer International.

    Nag, S. et Snowling, M. J. (2012). Retard scolaire et troubles spécifiques des apprentissages. Dans J. M. Rey (dir.), Manuel de la IACAPAP pour la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent (p. 1-44). Genève, Suisse : Association Internationale de Psychiatrie de l’Enfant, de l’Adolescent, et des Professions Associées. Récupéré de https://iacapap.org/french/

    Organisation mondiale de la Santé. (2002). Towards a common language for functioning, disability and health: ICF. Genève, Suisse : l’auteur. Récupéré de http://www.who.int/classifications/icf/icfbeginnersguide.pdf

    Biographies

    Sajma Aravind est titulaire d’une maîtrise en psychologie clinique et du counseling de l’Université de Mangalore, en Inde. Elle complète actuellement un doctorat sur le counseling de carrière auprès des enfants atteints de dyslexie. Mme Aravind possède une expertise en matière d’évaluation d’enfants atteints de dyslexie. Elle est également une conseillère d’orientation et une formatrice expérimentée. Elle dirige les services d’orientation professionnelle de l’organisme The Fondation Promise, en Inde, et travaille comme éditrice-adjointe pour la revue Indian Journal of Career and Livelihood Planning. Mme Aravind agit également comme consultante internationale dans le domaine de l’orientation professionnelle.

    Gideon Arulmani est directeur de l’organisme The Fondation Promise, en Inde et psychologue s’intéressant à la culture et au counseling. Le modèle du processus de préparation culturelle qu’il a élaboré a inspiré la conception d’interventions relatives à la carrière dans de nombreux pays en développement. Il est administrateur pour l’Indian Association for Career and Livelihood Planning, vice-président de l’Association internationale d’orientation scolaire et professionnelle (AIOSP), associé étranger du National Institute for Careers Education and Counselling, ainsi que professeur invité et consultant international auprès d’organismes multilatéraux.

    Points de pratique pour le modèle du processus de préparation culturelle : travailler auprès des élèves atteints de dyslexie

    Sajma Aravind et Gideon Arulmani

    Soyez sensible à l’apprentissage culturel et à l’enculturation. Par son enculturation, un élève peut avoir adopté une vision personnelle mettant l’accent sur ses difficultés plutôt que sur ses talents. Avant de réaliser toute activité d’orientation, la sensibilité de la personne conseillère l’amènera à d’abord se renseigner sur ses antécédents familiaux, scolaires et liés à son handicap. Il explorera également les croyances personnelles observables de l’élève concernant son handicap.

    Comprenez l’équilibre du statut de préparation culturelle. Évaluer l’état de déséquilibre de la cliente ou du client, qui se caractérise par une piètre estime de soi et une faible motivation. L’orientation professionnelle et le counseling de carrière focalisent sur les points forts plutôt que les faiblesses.

    Soyez sensible à l’acculturation. Les personnes conseillères doivent être conscientes qu’elles sont, elles-mêmes, une puissante force d’acculturation. Elles peuvent involontairement classer les élèves à des niveaux de compétence en deçà de leur véritable potentiel, en raison de leur perception personnelle du handicap observé.

    Considérez les méthodes d’orientation du point de vue de la préparation culturelle. Il est important pour vous d’évaluer la pertinence culturelle des méthodes et des outils utilisés en orientation professionnelle lorsque vous travaillez avec des élèves afin de répondre à leurs besoins en fonction de leurs capacités.

    Visez l’atteinte d’un nouvel équilibre. Évaluez si le fait d’emprunter des parcours scolaires et professionnels socialement acceptés par suite de l’enculturation est susceptible d’accroître l’expérience de discordance de la personne étudiante en l’engageant sur une voie menant à l’échec plutôt qu’à la réussite.

    Les parents sont importants. Aidez les parents à devenir une force d’acculturation. Ils doivent comprendre de quelle façon les forces et les limites personnelles de leurs enfants peuvent le mieux s’ajuster au monde du travail afin de créer un équilibre consonant dans la vie de ces derniers.

    Chapitre 3

    Orientation professionnelle axée sur la culture : lier la culture et la justice sociale aux pratiques relatives à la carrière

    Nancy Arthur

    Tôt dans ma carrière, j’ai réalisé que je devais améliorer mes compétences pour conseiller les clientes et les clients de divers pays et cultures. On ne peut présumer que les théories et les modèles développés auprès d’une population donnée peuvent pertinemment s’appliquer à des personnes issues de différents contextes, tant à l’intérieur d’un même pays que d’un pays à l’autre. Heureusement, à l’ère contemporaine, les théoriciennes et les théoriciens commencent à se pencher sur les applications culturelles de l’orientation professionnelle (Arthur et McMahon, 2019). Le modèle de l’orientation professionnelle axé sur la culture (culture-infused career counseling, CICC) (Arthur, 2017, sous presse-a; Arthur et Collins, 2011) repose sur le principe que les contextes et identités culturels des gens sont pertinents dans tous les rapports entre une personne conseillère et cliente. Par ailleurs, les contextes et identités culturels des gens sont liés à leurs préoccupations professionnelles et doivent être pris en compte dans la mise au point d’interventions en développement de carrière socialement justes. Ce chapitre résume les fondements théoriques et les quatre domaines du modèle, de même que son application possible à partir d’une illustration pratique.

    Aperçu théorique du modèle de l’orientation professionnelle axée sur la culture

    Le CICC repose sur un paradigme constructiviste valorisant de multiples formes de la réalité et où aucune affirmation singulière ne pourrait être qualifiée de « vérité » absolue (p. ex. Patton et McMahon, 2017). Travailler à partir d’une perspective constructiviste requiert que les conseillers et les conseillères puissent s’ouvrir à des visions du monde qui soient différentes des leurs. Le développement humain et la formation de visions personnelles du monde s’opèrent au travers du processus de socialisation. Les gens acquièrent des connaissances sur le monde par leurs interactions avec d’autres personnes, comme les membres de leur famille et de leur collectivité, à partir d’informations provenant des médias ou par contact avec des individus œuvrant auprès d’institutions sociales, telles les écoles et autres organisations communautaires. Une vision personnelle du monde se compose d’expériences internalisées qui forment les croyances, les valeurs et les attentes en regard de normes comportementales.

    La compréhension des gens à l’endroit de l’emploi et de la carrière ou encore de la valeur de l’éducation et de la réussite professionnelle sont façonnées avec le temps au gré d’interactions sociales. Il est important de souligner que les gens n’attribuent pas tous la même signification à des termes tels que travail ou carrière. Également, les individus ne s’entendent pas tous non plus quant au caractère central du rôle de travailleur et de travailleuse, au prestige associé aux diverses professions, aux emplois jugés plus ou moins appropriés pour les hommes et les femmes, de même qu’aux types de programmes de formation pouvant mener à la réussite professionnelle. Par conséquent, il est important que les conseillers et les conseillères explorent la vision du monde de leurs clients et de leurs clientes afin d’en saisir le sens et de clarifier leurs priorités sans faire de supposition à propos de ce qui est important pour elles et eux (Arthur, 2017, sous presse-a).

    Les quatre domaines de l’orientation professionnelle axée sur la culture

    Élaboré à partir d’un modèle général de counseling (voir Arthur, sous presse­-b), le CICC se base sur le principe sous-jacent selon lequel la culture est pertinente pour toutes les clientèles à qui des services d’orientation professionnelle sont offerts. Les personnes conseillères sont encouragées à mener une réflexion sur la culture dans leurs rôles en explorant activement les contextes et les identités culturels des gens en tant que facteurs qui influencent grandement le développement de carrière. Les quatre principaux domaines ciblés dans le modèle de l’orientation professionnelle axée sur la culture sont présentés ci-après.

    Prendre conscience de ses identités culturelles personnelles. Les personnes conseillères sont encouragées à réfléchir à leurs identités culturelles personnelles. Il existe un chevauchement entre les visions personnelles du monde et les hypothèses qu’un individu formule au sujet du comportement professionnel. Consciemment ou inconsciemment, les conseillères et les conseillers ont été exposés à divers messages à propos de la valeur de l’éducation, de la nature du travail, de la conception du chômage et des professions considérées comme plus ou moins souhaitables. La réflexion sur la socialisation professionnelle exige de poser un regard critique sur les théories et les modèles de carrière en regard de la façon dont ses principes sous-jacents (p. ex. la prise de décision rationnelle et indépendante; la structure des possibilités offertes à tous; l’ignorance des préjugés sexistes, raciaux ou liés à la classe sociale) sont liés sur le plan culturel.

    Prendre conscience des identités culturelles des autres. Les personnes conseillères sont encouragées à réfléchir à celles et ceux qu’elles considèrent comme culturellement diversifiés. La catégorisation des individus en termes de groupes n’est pas une source très fiable d’informations sur les individus. Les connaissances générales sur un groupe peuvent être utiles pour formuler des hypothèses de travail provisoires, mais les personnes conseillères sont encouragées à être centrées sur la cliente ou le client, puis à évaluer soigneusement les visions du monde de ces dernières. En outre, ce n’est peut-être pas une seule dimension de leur identité (p. ex.; l’ethnicité) qui est la plus pertinente pour comprendre les problèmes de carrière actuels de la personne cliente, mais comment une variété de celles-ci (p. ex.; le sexe, la classe sociale et l’ethnicité) se combinent. Les interrelations d’enjeux identitaires sont importantes pour apprécier la position des individus dans la société et les opportunités ou obstacles rencontrés en raison de leur évolution de carrière.

    Comprendre les influences culturelles sur l’alliance de travail. Les personnes conseillères sont encouragées à réfléchir à la façon dont elles doivent travailler de concert avec leurs clientes et leurs clients pour en arriver à comprendre la signification de leurs préoccupations professionnelles. Parmi les considérations importantes à prendre en compte se retrouve la façon d’établir une relation; l’emplacement, les heures de services et la décoration des bureaux pour offrir une impression positive d’accessibilité et d’inclusion; la manière d’orienter la clientèle au sein du processus d’aide; la manière de discuter et de négocier des objectifs et des processus consentis qui soient pertinents pour elles et pour eux. En tissant des liens, en établissant les processus et les objectifs de la démarche d’orientation professionnelle et en prêtant une oreille attentive. Les personnes conseillères peuvent en apprendre beaucoup. À partir de questions directes et indirectes, elles pourront découvrir les influences pouvant s’exercer par les identités et contextes culturels de la cliente ou du client.

    Mettre en œuvre des interventions de carrière culturellement sensibles et socialement justes. Les spécialistes de la carrière examinent la façon dont les gens sont personnellement affectés par les structures organisationnelles et les systèmes sociaux. Certaines personnes font face à des barrières et à des obstacles dans leur développement de carrière alors que d’autres ont plus de ressources et d’accès sur le plan de l’éducation et de l’emploi. Circonscrire les préoccupations des clients et des clientes à travers une lentille de justice sociale aide à examiner leurs expériences sociales liées à leur développement de carrière, puis à les aider à découvrir de nouvelles significations et de nouveaux points de vue. Les processus sociaux, tels que l’oppression et la discrimination provoquent des iniquités qui font en sorte que certains se voient conférer plus d’opportunités et de privilèges que d’autres. Parfois, les clientes et les clients expriment leurs préoccupations en termes de manques et de reproches, alors qu’en réalité, elles et ils essaient de gérer des formes situationnelles ou persistantes d’oppression sociale. Les spécialistes de la carrière peuvent aider les clientes et les clients à examiner leurs préoccupations dans le contexte de leur propre vie plutôt que de caractériser les problèmes comme une forme de déficit individuel ou collectif.

    En s’appuyant sur le modèle de l’orientation professionnelle axée sur la culture, les conseillers et les conseillères sont également amenés à intégrer à leurs pratiques une optique de justice sociale. Il est une chose que de reconnaître les obstacles à l’éducation et à l’emploi auxquels les gens font face. Les conseillères et les conseillers sont également invités à utiliser leurs connaissances, leur réseau et leur statut professionnel pour remédier aux injustices sociales. Dans le cadre de leurs fonctions professionnelles, officielles ou non, ils et elles peuvent chercher des ressources pour leurs personnes clientes, élargir leurs réseaux à des fins de consultation et d’aiguillage de même que favoriser un accès équitable à des services d’orientation professionnelle. Les professionnels et professionnelles de l’orientation peuvent travailler sur plusieurs plans. Elles et ils peuvent intervenir directement auprès de leur clientèle ou agir en leur nom en œuvrant sur des politiques sociales plus générales et une meilleure affectation des ressources de même qu’en adoptant une approche préventive et éducative à l’égard du développement de carrière. Cela dans le but d’éliminer les obstacles qui nuisent à leurs clientes et à leurs clients, de même qu’à d’autres personnes.

    Établir un lien entre la culture et la justice sociale

    L’oppression que subissent les gens est souvent liée à la place occupée dans la société, et ce, en raison d’un ou de plusieurs aspects de leurs identités culturelles. En liant la culture et la justice sociale, les spécialistes de l’orientation se servent de leurs compétences professionnelles afin d’éliminer les obstacles sociaux et systémiques pouvant nuire aux gens en raison de leur origine ethnique, de leur âge, de leur sexe, de leur religion, de leur orientation sexuelle, de leurs aptitudes et de leur classe sociale. Cependant, d’autres facteurs sociaux d’influence peuvent s’avérer importants afin comprendre le lien existant entre l’identité, la disponibilité des ressources ainsi que l’accessibilité aux services, notamment d’éducation et d’emploi (p. ex. le milieu rural/urbain où vivent les gens, leur statut d’immigration, leurs démêlés avec le système de justice pénale). L’illustration pratique et son analyse sont fondées sur un exemple de services d’orientation professionnelle axés sur la culture et offerts dans un établissement d’enseignement de niveau secondaire.

    Illustration pratique et analyse

    Boihai Chang (pseudonyme) est un élève étranger de 11e année âgée de 16 ans. Originaire de Chine, il étudie au Canada depuis 6 mois. En raison de difficultés scolaires et d’anxiété lors des examens en classe, son enseignant d’anglais l’a dirigé vers la conseillère de l’école. Au Canada, Boihai habite avec son oncle, seul membre de sa famille installé dans ce pays. Il ne voulait pas quitter ses amis en Chine, mais ses parents ont insisté pour qu’il fasse ses études secondaires au Canada. Les notes de Boihai ont toujours été dans la moyenne. Ses parents lui rappellent souvent qu’il doit travailler plus fort s’il souhaite se voir accepter dans l’une des universités les mieux cotées en Chine. Un changement de système d’éducation pourrait, de l’avis de ces derniers, l’aider à obtenir de meilleures notes. Boihai aime vraiment les cours de mathématiques, mais il éprouve certaines difficultés à l’égard des exigences de l’anglais. Chaque semaine, ses parents téléphonent à son oncle pour savoir comment Boihai s’en sort et connaître ses résultats aux examens. Boihai ne souhaite pas vraiment rencontrer la conseillère, mais il ne veut pas s’attirer la colère de son enseignant d’anglais.

    Motifs justifiant des études à l’étranger

    Boihai fait partie du nombre croissant d’étudiants et d’étudiantes poursuivant des études dans un pays étranger dans le but d’acquérir une expérience interculturelle et se préparer en prévision de la poursuite d’études postsecondaires, sinon pour immigrer en permanence (Arthur, 2016). Les motifs qui ont poussé les parents de Boihai à l’envoyer au Canada sont liés au contexte culturel familial. L’honneur et le statut social de la famille étaient menacés dans la mesure où leur fils unique n’obtenait pas de bons résultats scolaires et ne serait probablement accepté dans aucune université prestigieuse. Le marché de l’éducation internationale est en pleine croissance au Canada et ailleurs dans le monde et bien que bon nombre d’élèves à l’étranger se classent parmi les meilleurs et les plus brillants dans leur pays d’origine, d’autres présentent des aptitudes scolaires plus modestes. Dans ce cas-ci, la famille de Boihai avait les moyens d’envoyer ce dernier à l’étranger pour étudier et considérait le Canada comme un pays sûr et attrayant, doté d’un solide système d’éducation.

    Orienter les clients vers des services d’orientation professionnelle

    Quand Boihai s’est présenté au bureau de la conseillère de l’école, il se sentait nerveux et manquait d’assurance. La conseillère scolaire, Susan (pseudonyme), s’est présentée et lui a ensuite demandé quel nom il préférait qu’elle utilise à son endroit. Sur sa carte de prise de rendez-vous apparaissaient les prénoms Boihai et Mike. Boihai a répondu : « Appelez-moi Mike vu que c’est facile à prononcer. » Susan a essayé d’engager Mike dans une discussion informelle, mais ce dernier ne lui répondait que par oui ou par non. Elle lui a demandé s’il avait déjà discuté avec une conseillère auparavant ce à quoi il a répondu par la négative. Susan lui a expliqué son rôle. Elle lui a expliqué qu’elle travaille auprès des élèves pour les aider

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