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La face cachée de la gémellité: Jumeaux, de la conception à la mort
La face cachée de la gémellité: Jumeaux, de la conception à la mort
La face cachée de la gémellité: Jumeaux, de la conception à la mort
Livre électronique414 pages5 heures

La face cachée de la gémellité: Jumeaux, de la conception à la mort

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À propos de ce livre électronique

Endeuillée de mon frère jumeau depuis 20 ans, j’ai réalisé avec le temps qu’avoir et perdre un jumeau n’est pas une vie ni un deuil comme les autres. Cette relation de gémellité développée dès la conception n’est pas aussi simple que vous pourriez le croire. D’où l’idée d’écrire sur le lien particulier unissant les jumeaux de la conception à la mort.

Pour ce faire, j’ai recruté une soixantaine de jumeaux, incluant des personnes qui ont perdu leur jumeau in utero ou à la naissance pour certains et au cours de leur vie pour d’autres. J’ai également sollicité la collaboration de M. Fabrice Bak, Ph. D. en psychologie, gémellologue de renom et fondateur-dirigeant du Cabinet Bak & Associés situé à Lyon, en France. Ce dernier est, entre autres, spécialiste du développement des jumeaux et membre du comité scientifique de la Fédération Jumeaux et Plus en France.

Que vous soyez jumeau, parent, conjoint(e) ou ami(e) d'un duo ou trio, la lecture de ce livre vous permettra de découvrir la face cachée de la gémellité dévoilée à travers la littérature et des témoignages touchants de jumeaux, endeuillés ou non, incluant des triplés.
LangueFrançais
Date de sortie23 juin 2021
ISBN9782897754815
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    Aperçu du livre

    La face cachée de la gémellité - Lucie Boulanger

    PRÉFACE DE FABRICE BAK

    Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, ou au cœur des civilisations, il existe une réelle fascination de l’être humain concernant la gémellité. Dans « Le banquet », Platon évoque qu’à l’origine l’être humain était une entité composée de deux têtes, quatre bras et quatre jambes. Mais cette dernière était tellement puissante que les Dieux décidèrent de la scinder en deux. Ainsi, le but de tout individu sera de tenter de retrouver son autre moitié, son complément. Or, chez les jumeaux, cette autre moitié existe dès la naissance.

    La gémellité a de tout temps été considérée comme un phénomène hors-norme, et ceci encore à notre époque alors que le nombre de grossesses gémellaires a augmenté de façon significative depuis l’apparition des procréations médicalement assistées. Les médias, à travers la littérature, la bande dessinée ou le cinéma, se sont souvent emparés de ce thème qui fascine, interroge, autant qu’il effraie. La diffusion régulière d’émissions concernant les jumeaux sur les différentes chaînes de télévision en France l’atteste avec des taux d’audience importants.

    Par-delà l’intérêt collectif, une multitude de travaux scientifiques, dont « l’outil » de réflexion s’appuyait sur l’étude de la gémellité, a été réalisée depuis 1859, date de la première recherche sur ce sujet, par Galton. Si, par le passé, les jumeaux n’étaient considérés que comme des vecteurs pour vérifier l’impact de la « nature » et de la « culture » chez l’homme, leur étude a permis de se recentrer sur eux-mêmes, en tant qu’individus, à partir des années 1930. Et cela, jusqu’à les considérer comme deux êtres distincts, développant une relation qui leur est propre, comme l’avait défini René Zazzo.

    Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la gémellité, seuls les aspects psychoaffectifs et psychométriques avaient été employés afin de comparer ces enfants à une norme : celle de l’enfant unique, pour le bien-être de sa personne et de son autonomisation. J’ai été surpris de constater que sur l’ensemble des travaux effectués à l’époque, aucun n’avait cherché à analyser, à comprendre et à modéliser les caractéristiques d’un développement spécifique pour ces enfants. Le travail que j’ai alors effectué visait à recentrer la problématique gémellaire au niveau des liens d’unification et de fusion qui les unissent.

    Premier postulat : les jumeaux présentent une construction de leur identité qui ne peut en aucun cas être considérée sous l’angle d’une simple multiplication de difficultés au regard de l’enfant unique. Dans mon approche, il ne suffisait pas de reprendre les bases d’une psychologie de l’enfant et de les appliquer à la population gémellaire, mais de considérer la complexité de l’entité formée par les jumeaux qui n’est pas uniquement un couple paroxystique, telle que René Zazzo l’avait établi.

    Second postulat : les étapes observées jusqu’à présent comme impliquant des difficultés dans la genèse de l’individualité, sont en fait des phases qui procèdent d’un développement naturel. Elles se doivent d’être respectées afin de permettre une autonomisation réelle au fil des années. L’idée essentielle est que l’interaction établie par un sujet avec le milieu dans lequel il évolue implique son évolution.

    Cet aspect interactionniste est au centre de mes préoccupations souhaitant définir les modalités qui participent au développement des enfants sur plusieurs années, les amenant à pouvoir exister non plus en tant qu’individu porteur d’une pathologie, celle de la gémellité, mais comme un individu ayant un lien fraternel issu d’une même fécondation. Et par là même, comment les accompagner au fil de leur vie pour les aider à devenir plus autonomes ? Quant au décès d’un jumeau, il importe d’apporter un double regard sur la douleur et la gravité de cet événement dramatique : du point de vue des parents et de celui du jumeau survivant.

    Pour ces parents qui « surattendaient » ces enfants, un dilemme survient : donner la vie, être submergés par une joie intense, puis perdre un enfant et ressentir une souffrance indescriptible. Ce double mouvement va ébranler les fondations mêmes du couple parental et conjugal. Certains pourraient penser, à défaut, que puisqu’il leur reste un enfant, le chagrin éprouvé serait atténué, par le fait qu’ils restent parents ! Bien au contraire. Ils doivent faire le deuil de l’ensemble de leurs représentations et projections en tant que « parents de jumeaux ». Un long travail va devoir s’amorcer, avec la nécessité de faire vivre l’enfant disparu pour le jumeau restant.

    Chez les jumeaux survivants, aucun d’entre eux ne peut être préparé à vivre une telle situation, car perdre une partie de soi n’est pas identifiable à la perte d’un frère ou d’une sœur dont ils auraient été très proches. De la même façon, cette douleur n’est aucunement atténuée par le fait que cette disparition soit due à une longue maladie plutôt qu’à un décès soudain. Ainsi, ce n’est pas tant l’âge qui va interférer sur le ressenti, mais bien plus l’étape du développement gémellaire qui aura été atteinte. Cet élément va agir, non pas sur l’intensité de la souffrance, mais sur la façon dont elle sera intégrée.

    Cette séparation subite ne doit pas faire oublier au jumeau survivant que sa vie sera dorénavant plus riche, plus forte, plus intense, faite de joie, de bonheurs, et parfois de douleurs, bien plus intenses, car intérieurement il les vivra pour deux, pour lui, et pour celui ou celle qui continuera à vivre en lui.

    Je termine souvent mes conférences en précisant que le lien gémellaire se caractérise par un soutien mutuel présent tout au long de la vie. Et même avec un jumeau disparu, celui-ci persiste.

    J’ai une pensée émue pour l’auteure de cet ouvrage, car ce n’est pas la disparition de son frère qu’elle souhaite honorer par écrit, mais bien la force qu’il lui a donnée pour continuer à avancer. Aider des parents et des jumeaux à traverser cette tragédie, en se relevant, non pas parce qu’il le faut, mais parce qu’ils portent en eux la force de deux êtres qui les guide et les amène à se réaliser, tel est le témoignage poignant de ce livre. Merci à toi, Lucie, de nous démontrer que tout cela est possible.

    Fabrice Bak, psychologue

    AVANT-PROPOS

    « Il est plus insupportable d’être toujours seul

    que de ne le pouvoir jamais être ! »

    Les pensées diverses,

    Michel de Montaigne (1580)

    Seul, toujours seul, disait Gaspar Noé, dans Seul contre tous (1998). Luc Plamondon le faisait chanter par Fabienne Thibault dans Starmania avec Les uns contre les autres vers la fin des années 70 et Corneille le chante avec Je suis seul au monde depuis 2002. Vous connaissez aussi sans doute l’expression populaire qui dit :« On vient au monde seul, on vit seul et l’on mourra seul (…) ». Que ce soit en philosophant ou en chantant, plusieurs auteurs clament haut et fort « qu’au bout du compte, on se rend compte qu’on est toujours tout seul au monde… »¹. Avouez que vous avez lu en chantant, comme moi en l’écrivant, ce dernier petit bout de phrase tirée de Starmania !

    Ne disons-nous pas que l'exception confirme la règle ? En effet, 3 % de la population du Québec² ne partagent pas cette destinée. Nous, nous ne sommes pas nés seuls, n’aurons pas vécu seuls (sauf exception), mais mourrons malheureusement seuls. Nous, nous sommes le résultat d’une grossesse multiple. Pas surprenant, nous direz-vous, étant donné le fort pourcentage de grossesse du genre de nos jours, résultat d’une gémellité souvent favorisée par « le recours accru à des techniques de procréation assistée »³. Ainsi, au Québec, et dans la plupart des pays industrialisés, on note non seulement une augmentation du nombre de jumeaux, mais aussi de triplés.

    Le projet de loi 20 du ministre Gaétan Barrette a mis fin, en novembre 2015, au programme public de procréation assistée adopté en 2010. Le programme comprenait neuf cycles d’insémination artificielle et trois cycles de fécondation in vitro (FIV). Les trois cycles de FIV ne sont plus couverts par le régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ). Comme les coûts de ces traitements varient entre 8 000 $ et 10 000 $, les couples infertiles sont nombreux à avoir recours à l’insémination artificielle. Avec cette méthode, le Québec fait maintenant face à l’absence de contrôle sur les risques de grossesses multiples, mais aussi de grossesses à risque. Pour Fanny Lévesque, il était prévisible que « la fin de la gratuité de la fécondation in vitro rimerait avec une recrudescence des grossesses multiples au Québec »⁴.

    Pour nous, les jumeaux, la vie nous semble différente de celle des autres membres de la fratrie et de la plupart de nos connaissances. Pour affirmer une telle chose, il faut vraiment être jumeau ou parent de jumeaux. « Nous », on ne peut s’empêcher de parler en utilisant le « nous », comme si quelque chose nous obligeait à inclure la vie de notre jumeau ou de notre jumelle à même la nôtre. Ce lien fraternel ou sororal, selon le cas, « traverse les vies, depuis la naissance jusqu’à la mort, à travers les grands événements d’une vie, comportant des moments de plus grande proximité et des moments où l’éloignement s’impose »⁵. Cette idée, Renée Houde, professeure au département de communication de l’Université du Québec à Montréal, l’applique aux relations entre frères et sœurs en général, mais elle convient encore davantage, à mon avis, à celles qui existent entre les jumeaux, et ce, dès les premières semaines de la conception.

    Tout le monde connaît des jumeaux. En quoi être jumeau est-il si différent des autres, me direz-vous ? Nous connaissez-vous vraiment en dehors des ressemblances biologiques et des expériences scientifiques ? Pourquoi vivons-nous des choses compréhensibles par nous seuls ? Pourquoi sommes-nous toujours identifiés à l’autre, si être jumeau est une situation banale ? Pourquoi avons-nous cette impression de ne jamais être vraiment seul(e) contrairement à l’expression citée plus haut ? Pourquoi le deuil de notre jumeau est-il si difficile à vivre ?

    En fait, plusieurs jumeaux se questionnent depuis leur enfance sur la raison de leur arrivée au monde à deux, alors que notre fratrie et nos amis sont généralement arrivés seuls en ce bas monde. Du moins, je le croyais jusqu’à ce que je réalise qu’il y avait beaucoup plus de jumeaux au Québec et ailleurs dans le monde que je pouvais me l’imaginer. Et ce n’est pas que la parade annuelle des jumeaux à Montréal⁶ qui m’en a convaincue.

    La preuve en est : le recrutement de jumeaux pour réaliser ce projet a été d’une facilité déconcertante. Des gens de la famille, des collègues et des amis ont participé ou ont présenté l’idée à leurs enfants et connaissances. J’ai utilisé les témoignages de près de soixante personnes provenant du Québec, de l’Ontario et de l’Ouest canadien (mais originaires du Québec) pour effectuer cette étude. Je les remercie d’ailleurs de leur précieuse collaboration. Grâce à eux, je réalise une promesse de publication faite à mon jumeau, avec, par et pour des jumeaux, dont vous lirez les témoignages dans les pages suivantes.

    Parmi les participants, vous y trouverez des jumeaux monozygotes (identiques) et dizygotes (non identiques), incluant des triplés (trizygotes). Certains ont encore leur(s) jumeau(x), d’autres non. Je m’inclus également dans cette étude ayant moi-même perdu mon frère jumeau en mars 2001. Au moment des entrevues, les participants étaient âgés de 20 mois à 90 ans.

    Pour la finalité de cette étude, les participants ont répondu à des questions ouvertes et fermées me permettant de mieux les connaître. Vous trouverez le canevas du questionnaire utilisé à titre de référence à la fin du livre. Dans certains cas, des entrevues semi-dirigées m’ont ensuite permis d’obtenir plus de renseignements à leur sujet. Au cours de la période de recrutement, soit de septembre 2019 à décembre 2020, j’ai constaté pour plusieurs le besoin de s’exprimer au sujet de leur relation de gémellité. Certains ont toutefois préféré me parler en vase clos, ne souhaitant pas voir leur témoignage publié dans cet ouvrage pour diverses raisons.

    Bien qu’énigmatique, venir au monde à deux ou plus n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire et perdre son jumeau ou sa jumelle l’est encore moins. C’est pourquoi je pars de la prémisse qu’avoir et perdre un jumeau ou une jumelle n’est pas une vie ni un deuil comme les autres. Ce sera donc de notre relation de gémellité et de notre expérience personnelle de la vie et de la mort, à la suite du décès de notre jumeau ou de notre jumelle, dont il sera question dans ce livre. Quoique les conséquences de cette perte soient encore un sujet tabou dans certaines familles, faire découvrir « la face cachée de la gémellité » dévoilée à travers la littérature et des témoignages touchants de jumeaux endeuillés ou non, incluant des triplés, est le but ultime de cette publication.

    Il faut le vivre ou l’avoir vécu pour bien comprendre les jumeaux. C’est une relation difficile à expliquer pour nous et souvent difficile à comprendre pour les autres. C’est comme un cercle vicieux ! Même avec certains professionnels de la santé, nous n’avons pas toujours l’impression d’être vraiment bien compris. Bien connaître le lien qui nous unit permettra nécessairement de nous aider plus efficacement.

    Ma recherche et les histoires vécues par d’autres jumeaux m’ont aidée à mieux me comprendre. J’ose espérer qu’elles faciliteront aussi la vie de ceux et celles qui vivent ou ont vécu cette double et parfois triple vie, mais pas au sens où nous l’entendons généralement. Les membres de notre famille, notre conjoint et nos amis sont souvent témoins d’événements particuliers. Quoique proches de nous, cela demeure malgré tout difficile à comprendre ou à vivre pour eux. J’espère aussi, par cette publication, améliorer la compréhension de notre entourage concernant ce lien mystérieux existant entre les jumeaux. C’est vraiment une relation particulière qui se vit entre deux ou plusieurs personnes nées en même temps.

    Parfois brefs, parfois longs, tous les récits de ce livre regorgent d’informations intéressantes. Comprendre ce lien complexe qui nous unit à l’autre vous permettra de mieux connaître aussi cette relation atypique et de réaliser la difficulté pour plusieurs d’entre nous de faire notre deuil lorsque nous perdons notre jumeau ou notre jumelle in utero, à la naissance ou au cours de notre vie. Ce deuil, bien que présent pour l’ensemble de la famille, est vécu fort différemment par le jumeau survivant et peut parfois entrainer des conséquences psychologiques importantes. C’est du moins ce que j’ai moi-même vécu et vis encore aujourd’hui; c’est pourquoi j’ai voulu approfondir cette réalité complexe et peu connue par plusieurs d’entre nous.

    Ce que vous lirez pourra parfois vous sembler banal, voire invraisemblable. Ce fut tout à fait l’inverse pour moi ainsi que pour les participants de mon projet. C’est la raison pour laquelle des jumeaux endeuillés ont bien voulu participer, sachant que cet exercice ne se ferait pas sans conséquence. Nous sentant davantage soutenus, nous étions ainsi plus motivés à nous remémorer les bons et moins bons moments des années passées avec notre jumeau ou notre jumelle. Pour nous aider dans ce processus de deuil, certains outils seront proposés en guise de conclusion.

    Si vous lisez ceci, soit vous êtes jumeau ou jumelle, parent de jumeaux, conjoint(e) ou, encore, vous en avez dans votre famille ou parmi vos amis. Peut-être avez-vous simplement un intérêt marqué pour le sujet. Sachez toutefois ceci : il ne s’agit pas d’une recherche exhaustive, mais elle s’adresse exactement à vous. Profitant d’un congé à traitement différé et du confinement imposé par la Covid-19, j’ai eu le loisir de me référer à de multiples sources dont divers ouvrages spécialisés, des sites Internet, des témoignages de jumeaux et de triplés ainsi que de mon expérience et de mes réflexions personnelles. J’ai aussi eu le privilège de profiter de l’expertise de M. Fabrice Bak, Ph. D. en psychologie et spécialiste de l’étude des enfants jumeaux (gémellologue) en France.

    J’espère que vous aurez autant de plaisir à lire ce livre que j’en ai eu à le rédiger, malgré les diverses émotions traversées au cours de sa rédaction et des entrevues réalisées. J’ose également espérer qu’il permettra à d’autres jumeaux de mieux vivre leur vie dans cette relation de gémellité actuelle et passée avec et sans leur complice de toujours, ainsi qu’à ceux qui les côtoient, de mieux les comprendre. Quant à moi, cette recherche, les témoignages recueillis ainsi que les précieux commentaires de plusieurs personnes ont enrichi ma réflexion personnelle et m’ont permis de faire la paix avec le deuil de mon propre jumeau.

    Bonne lecture !

    Lucie

    INTRODUCTION

    « Nos frères et sœurs sont là depuis l’aube de notre vie

    jusqu’à l’inévitable coucher du soleil »

    Susan Scarf Merrell (2020)

    Tout au long de notre vie, nous développerons de nombreuses relations et certaines prendront plus d’importance que d’autres. Celles provenant de la cellule familiale sont très importantes et la plus durable de ces relations est généralement celle qui nous lie à nos parents. Vient ensuite le lien de fraternité et de sororité qui se crée au sein de la cellule familiale. Ce lien vient avec une obligation de solidarité morale et matérielle entre les conjoints, de même qu’entre les parents et leurs enfants. Les parents ont pour responsabilité de protéger leur progéniture et de favoriser leur développement physique, affectif et social. C’est pourquoi ce lien est unique et irremplaçable.

    Les frères et sœurs sont des personnes que nous n’avons pas choisies dans la vie. C’est d’abord et avant tout le fait d’avoir les mêmes parents qui caractérise ce lien, nous dit Renée Houde (Le Devoir, 7 avril 2010). La relation entre les membres de la fratrie est aussi à la base de nos relations futures. C’est avec eux que nous apprenons à régler nos différends avec les amis, les collègues de travail et les gens que nous fréquenterons tout au long de notre vie. Ce lien se construit à travers les expériences et la complicité vécues avec chacun des membres de la famille. Cette relation varie d’une famille à l’autre et met souvent du temps à se construire.

    Ensemble, nous partageons des expériences communes qui font que nous sommes généralement les seuls à en connaître aussi fidèlement les normes, les valeurs, les habitudes, les souvenirs et surtout les secrets, même ceux de la famille élargie. Naissant à une période précise du développement de la famille : « l’aîné étrenne en quelque sorte le nouveau couple dans ses nouveaux rôles de parents et le cadet bénéficie d’une indulgence et d’une sécurité acquises par ce couple avec le temps »⁷.

    Bien que nous ayons généralement peu ou pas de différence générationnelle avec nos frères et sœurs, nous avons souvent l’impression de ne pas avoir eu les mêmes parents ni d’avoir vécu dans la même famille. Ainsi, nous construisons notre propre perception de l’histoire familiale, ce qui entrainera autant de versions qu’il y a de membres dans une même famille, explique Renée Houde.

    La fratrie évolue habituellement à l’intérieur d’une certaine hiérarchie selon le rang occupé par chaque enfant où l’aîné est à la tête et le cadet à la base. Dès notre jeune âge, nous apprenons en famille à partager nos biens et à défendre nos idées. Le lien entre les enfants se développe davantage au cours de l’adolescence et se transforme en lien d’amitié une fois adulte. Le rang de naissance joue alors un rôle important dans la personnalité des enfants, puisque chacun doit prendre sa place au sein de la famille. Pour Renée Houde, l’aîné inspire, guide et console alors que le cadet appelle protection et tendresse. Souvent, l’aîné est « une figure significative dans la vie (…), une figure transitionnelle, étant celle qui accompagne, écoute et comprend aux moments de crises et des transformations »⁸.

    Dans plusieurs familles, c’est souvent la grande sœur qui joue ce rôle parce que la relation est différente d’avec celle de notre mère, mais le grand frère est aussi important dans le développement des cadets, nous dit Renée Houde. À titre de modèle, l’aîné joue un rôle majeur dans la construction de l’identité des plus jeunes, en plus de souvent « faire office de mini-parents », mais ce sont généralement les parents « qui donnent la tonalité du lien de la fratrie »⁹, affirme Yvonne Poncet-Bonissol, psychoclinicienne. Quant à celui du milieu, « cette place médiane force l’enfant à faire ses preuves au quotidien. En effet, celui-ci aura besoin de s’imposer et de s’affirmer davantage par rapport à ses frères et sœurs »¹⁰. Il développera une bonne capacité d’adaptation et sera aussi plus sociable que l’aîné¹¹.

    Enfants, nous traversons parfois des périodes de conflits, voire de jalousie envers les membres de notre famille. Selon Wikipédia, la jalousie est :

    « Une émotion secondaire qui représente des pensées et sentiments d’insécurité, de peur et d’anxiété concernant la perte anticipée ou pas d’un statut, d’un objet ou d’un lien affectif ayant une importante valeur personnelle. La jalousie est un mélange d’émotions comme la colère, la tristesse, la frustration et le dégoût. Elle ne doit pas être confondue avec l’envie »¹².

    Concernant les liens entre les membres d’une même fratrie, Anne-Sophie Glover-Bondeau les résume ainsi : « on se dispute ou on s’adore, on se jalouse ou on s’admire… Si les relations entre frères et sœurs sont changeantes et évoluent au fil de la vie, les liens eux restent très forts » ¹³.

    À ce sujet, Renée Houde soutient qu’il y aura ainsi nécessairement des rapprochements et des éloignements au gré du temps. Ils seront d’ailleurs nécessaires tout au long du développement de notre personnalité puisque la rivalité fait aussi partie des expériences de la vie familiale, au même titre que la solidarité et la complicité. La rivalité peut perdurer à l’âge adulte, mais habituellement, la maturité rapprochera les membres de la famille de façon différente selon les sexes. Les conflits relationnels peuvent être profondément enracinés et jouer un rôle déterminant sur la perception de soi, de notre vie, de notre histoire et de celle des autres.

    Certains événements de la vie peuvent aussi tout faire basculer et rapprocher ou éloigner davantage les frères et les sœurs comme c’est le cas lorsque survient le décès d’un des membres de la famille. À cette occasion, nous ressentons parfois le besoin de nous remémorer et d’échanger sur certains événements de notre enfance avec nos frères et nos sœurs qui en ont été témoins. Il sera encore une fois possible d’observer les différences de perception au sujet d’un même événement et de corriger le tir, le cas échéant. Ce faisant, et malgré tout, nous réalisons que la fratrie et le lien nous unissant à la famille sont profonds et sources de soutien, un véritable « refuge face aux souffrances de la vie ».

    Un frère ou une sœur représente donc une personne très importante dans notre vie. Qu’on le veuille ou non, chaque membre de la fratrie aura nécessairement une certaine influence sur notre vie et nous sur la leur. La relation entretenue au sein de la famille est généralement, non seulement la plus longue, mais aussi parfois la plus intense que nous aurons au cours de notre vie. C’est pourquoi perdre un frère ou une sœur demeure un deuil difficile à vivre. Sans l’un ou l’autre, l’équilibre familial est souvent bouleversé et la vie n’est désormais plus la même pour personne. C’est un point de repère que l’on perd, des souvenirs de notre tendre enfance, de notre adolescence ou de notre vie adulte même, selon le cas, qui s’envolent, comme une partie de soi qui meurt un peu avec l’autre.

    Dans le cas d’une relation gémellaire, la relation fraternelle ou sororale est similaire et différente à la fois de celle qui nous lie aux autres membres de la fratrie. Elle est similaire en ce sens que nous devons également prendre notre place au sein de la famille, mais elle est aussi fort différente. En effet, la relation s’étant développée peu après la conception, cela rend le lien entre les jumeaux encore plus intense. Cette relation peut être facilitante dans certaines situations, impliquant le même âge, la même position au sein de la fratrie et parfois, la même apparence pour les jumeaux identiques, favorisant encore plus la complicité.

    Cette relation peut également être déconcertante étant donné la difficulté observée chez certains jumeaux à socialiser avec les autres enfants. En fait, les jumeaux s’autosuffisent souvent à eux-mêmes. La relation gémellaire nous permet d’avoir un(e) ami(e) tout au long de notre développement et d’apprendre rapidement le sens du partage, se partageant, dès la naissance, les soins et l’amour de la même mère. Ce lien puissant qui nous unit peut se retrouver difficilement avec quelqu’un d’autre ou, du moins, est rarement aussi satisfaisant pour des jumeaux.

    Ce lien, aussi étroit soit-il, ne nous empêche toutefois pas de vivre une rivalité plus grande entre nous qu’avec les autres membres de la fratrie. Cette rivalité est présente dans presque tous les aspects de notre quotidien. Survenant habituellement dès l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur au sein de la famille pour les singletons¹⁴, elle est présente, dès la naissance, chez les jumeaux en raison de la volonté de chacun d’obtenir l’attention des parents. Plus tard, cette rivalité, très souvent source de conflits, peut aussi être une source importante de motivation pour nous amener à nous dépasser.

    Chez les jumeaux, la rivalité, tout comme la complicité, occupe une place plus importante dans la vie; les récits que vous vous apprêtez à lire en témoignent. Outre le besoin d’attention mentionné précédemment, le fait de se faire appeler « les jumeaux » ne facilite pas les choses. Pour plusieurs d’entre nous, notre prénom, constamment relégué aux oubliettes pour être appelés « les jumeaux », ne permet alors aucune distinction de notre personnalité pourtant différente l’une de l’autre¹⁵, disait Philippe Anno, complexifiant notre développement personnel et intensifiant ainsi notre désir de distinction d’avec l’autre. Les prénoms similaires ou aux mêmes sonorités peuvent aussi être irritants, d’autant plus que le prénom choisi influencera notre personnalité

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