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Attrape ton Rêve: Une histoire réelle où sʼaccomplit le rêve de tous et qui nous inspire à conquérir le nôtre
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Attrape ton Rêve: Une histoire réelle où sʼaccomplit le rêve de tous et qui nous inspire à conquérir le nôtre
Livre électronique921 pages9 heures

Attrape ton Rêve: Une histoire réelle où sʼaccomplit le rêve de tous et qui nous inspire à conquérir le nôtre

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À propos de ce livre électronique

Viens, monte. Oui, toi qui es en train de lire, assieds-toi près de nous. N'apporte pas grande chose. Non, ne te place pas là, assieds-toi au volant. Quelque chose va arriver dans ta vie et nous allons profiter du moment. Ce sera un parcours dans le monde extérieur qui reflétera une toute petite partie du voyage dans ton intérieur.

Qu'est-

LangueFrançais
Date de sortie4 juin 2020
ISBN9789872313470
Attrape ton Rêve: Une histoire réelle où sʼaccomplit le rêve de tous et qui nous inspire à conquérir le nôtre

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    Aperçu du livre

    Attrape ton Rêve - Candelaria et Herman Zapp

    Imagen de portada

    Candelaria et Herman Zapp font partie de ces personnes auxquelles on peut s’identifier. Ils ont des rêves, des amours et des craintes comme nous en avons tous, et sans d’autres qualités que celles de n’importe qui, ils se sont embarqués dans l’aventure d’accomplir leur rêve.

    Ils ont grandi tous les deux à la campagne, avec des cousins et parmi des poneys. Ils avaient huit et dix ans lorsqu’ils se sont rencontrés. L’ amour impossible qu’ils ont ressenti à cette époque-là, est devenu réalité lorsqu’elle a eu quatorze ans. Pendant dix ans ils sont restés fiancés et ils ont grandi avec un rêve qui les a toujours accompagnés. Mais ce n’est qu’au bout de six ans de mariage qu’ils ont fait le premier pas, poussés par l’envie d’avoir des enfants. Ils se sont dit: «Accomplissons d’abord notre rêve et après, les enfants» et cela ne pouvait pas mieux tomber: en même temps que le rêve devenait réalité, ils ont eu leur premier enfant.

    Pendant le voyage vers l’Alaska, ils ont fait imprimer leur premier livre, le plus vendu à la Foire Internationale du Livre au Costa Rica. Arrivés à destination, ils ont continué d’écrire et ont publié «Atrapa tu sueño», best-seller à la Foire International du Livre à Buenos Aires en 2005. Actuellement, la vente de la 13e édition a beaucoup de succès, elle inspire beaucoup de gens à la réaliser leurs rêves.

    ATTRAPE

    TON RÊVE

    Candelaria e Herman Zapp

    Une histoire réelle

     où s’accomplit le rêve de tous et

     qui nous inspire à conquérir le nôtre

    Traduit de l’espagnol par:

    Nicole Fargeon

    Encarnación Fourastier

    Marina Fourastier

    Collaboration: van de Walle Alexandra, Secchi Daniel et María Cristina Forte

    Maquette et illustration: Del Umbral S.R.L.

    Del-umbral@fibertel.com

    Nouvelle Maquette

    Design graphique Couverture et Intérieur: Diego Bennett – diegobenn@gmail.com-

    https://www.behance.net/diegobennd71c

    Maquette original pages de titre: Ezequiel Lopez

    Ce livre ne peut pas être reproduit, ni partiellement, ni totalement, par aucun moyen graphique électronique ou mécanique, même pas en photocopie, enregistrement ou emmagasinement et alimentation de donnés sans autorisation expresse écrite de l’éditeur.

    D.R.© 2018, Herman et Candelaria Zapp

    tresamericas@yahoo.com

    www.argentinaalaska.com

    Facebook: Familia Zapp Family

    Digitalización: Proyecto451

    Queda rigurosamente prohibida, sin la autorización escrita de los titulares del Copyright, bajo las sanciones establecidas en las leyes, la reproducción parcial o total de esta obra por cualquier medio o procedimiento, incluidos la reprografía y el tratamiento informático.

    Inscripción ley 11.723 en trámite

    ISBN edición digital (ePub): 978-987-23134-7-0

    Índice de contenido

    Portadilla

    Legales

    Prologue

    L’Argentine

    Le Chili et La Bolivie

    Le Pérou

    L’Équateur

    L’Amazonie et Le Bresil

    Le Venezuela, Trinité et Tobago

    La Colombie

    Le Panama et Le Costa Rica

    Le Nicaragua, Le Honduras et Le Salvador

    Le Guatemala et Le Belize

    Le Mexique et Cuba

    Les États-Unis et Le Canada

    L’Alaska!!

    De retour à la maison

    Prologue

    J’écris sur du papier; ce faisant, j’entends seulement le bruit du crayon qui laisse sa trace. Écrire me remplit de joies, de craintes et de tristesses: à mesure que je le fais, je reviens sur les moments, sur les rencontres avec ces personnes dans ces lieux d’alors dont j’écoute la musique, je hume leur parfum et savoure leurs mets. Ainsi, ces pages se remplissent de ces êtres qui démontrent l’immense bonté de l’humanité.

    Plus de 800 familles nous ont reçus dans leur foyer et des milliers nous ont tendu la main pour nous encourager. Je me souviens de cette jeune femme qui depuis sa guérite de péage nous a dit qu’elle prenait pour elle le prix du passage, de cette dame qui nous fit un tas de signets de fleurs sèches pour que de leur vente nous retirions de quoi continuer… je vous demande pardon. Mille fois je demande pardon à ceux qui sont restés à la porte, mais qui sont dans nos cœurs.

    Tant de monde a apporté son aide dans cette chaîne qui s’est créée sur les chemins de l’Amérique jusqu’en Alaska ! Grâce à tous, nous avons pu réaliser notre rêve, grâce à eux nous écrivons aujourd’hui ce nouveau livre, pas pour qu’ils se souviennent de nous, mais pour que chaque lecteur se souvienne, sente qu’il est vivant et qu’il sache aussi que son rêve peut se réaliser.

    L’Argentine

    La naissance d’un rêve

    Et si on y allait en voiture ?

    – Et si on y allait en voiture ? – j’ai posé la question et je ne suis pas vraiment convaincu de ce que je viens de dire.

    C’est la nuit. Et déjà au lit, nous sommes prêts à dormir, nous nous sommes fait la bise et souhaité «bonne nuit», mais maintenant… qui pourra dormir tranquillement avec cette question en tête ?

    Je me tais et j’attends la réponse. Tout est calme dans la chambre, dehors la brise est tombée et même les grillons se sont tus comme si eux aussi attendaient une réponse.

    – Toi tu pars avec la voiture !... Moi, je pars à pied ! – me rétorque Cande, pince-sans-rire.

    – Alors, tu m’attendras ! – je lui réponds avec un brin d’humour. Elle ne dit plus rien, alors que j’aurais tant aimé qu’elle me dise quelque chose. Au moins, sa réponse n’a pas été «non».

    C’est tellement différent ! Différent et inimaginable de faire le voyage dans une voiture construite en 1928… et… avec des roues en bois ! Entre nous, le silence est total, mais nos esprits bouillonnent. Lorsqu’on a eu l’idée de faire ce voyage, nous pensions y aller avec nos sacs à dos. Et alors, les questions étaient déjà nombreuses. Comment s’y prendre ? Comment faire ? Que se passerait-il ? Quels seraient nos besoins ? Les douanes à passer, les formalités administratives: documents, passeports, visas, les itinéraires, les dangers. Et en plus, dans une voiture de 1928 avec tous les problèmes qui pourraient se rajouter. Une foule de questions et pas beaucoup de réponses. Je ne sais plus sur laquelle je me suis endormi.

    Pendant que je dors, Cande réfléchit: «J’étais déjà presque endormie lorsque j’ai entendu la question. Cette nouvelle suggestion de mon mari me surprend. Je reste éveillée tout en regardant les étoiles que j’aperçois depuis mon lit, je suis assaillie d’une quantité de doutes. Je ne cesse de me reposer la question et, somnolente, je me revois dans le garage de la maison devant l’auto de 1928, plutôt mal entretenue où tout est très vieux, que nous venons d’acheter. Mon incertitude est bien grande. Et dire que nous ne sommes qu’à deux mois du départ pour réaliser notre rêve, et voilà que l’idée de cette voiture remet en cause beaucoup de choses. Je réfléchis et je ne veux pas différer encore une fois mon rêve de voyager; ça fait déjà plusieurs années, eh oui, ça en fait beaucoup ! Pendant nos dix ans de fiançailles, nous rêvions toujours d’un voyage d’aventure. Dix ans avec le projet qu’une fois mariés, nous partirions; mais cela fait six ans déjà que nous sommes mariés, et, c’est six années où on a seulement réussi à retarder l’échéance du départ en prétextant toutes sortes de craintes et d’excuses, la maison, le travail, etc. Stop aux tergiversations !! Je ne veux pas le remettre à plus tard encore une fois ! Ces dernières années se sont écoulées plus vite que nous l’imaginions et sans concrétiser notre rêve ni faire d’enfants… pourtant tellement désirés dernièrement ! Lorsque nous avons commencé à parler d’avoir un enfant, car nous en avions envie et nous nous sentions prêts, nous nous sommes posé la question du voyage de notre rêve: Et le voyage ? Si nous avons un enfant, il sera impossible de voyager avec et moins encore pour un voyage d’aventure. Nous commencerons par réaliser notre rêve, et après ce sera les enfants. Nous avions pris cette décision il y a quelques mois. Et maintenant, que faisons-nous ? Avec une voiture ? Et tellement vieille…? »

    Questions sans réponses

    Je me réveille et je continue à me poser des questions. Nous nous levons comme si personne n’avait fait de commentaire la veille. Je n’ose pas aborder le sujet à nouveau; c’est Cande qui brise le silence alors que je sirote ma tisane de mate dans la cuisine.

    – Et qu’est-ce qu’on fait pour la date du départ ? Gardons-nous le même jour si nous partons en voiture ?

    Sa question m’a tellement surpris que je manque d’en renverser mon mate. Je le rattrape de justesse en faisant attention de ne pas me brûler et je prends une gorgée pour me donner une contenance et m’octroyer quelques secondes pour réfléchir à la réponse.

    – Oui, la date est fixée, c’est toujours le 25 janvier 2000. Cela fait déjà six ans que nous aurions dû partir…

    Nous avions décidé que cette date ne changerait pas. Prêts ou pas prêts ! Car tant qu’elle était modifiable, on n’a fait que repousser le départ d’année en année. Janvier, c’est à peine dans deux mois ! Et on dirait qu’une voix intérieure nous dit d’aller de l’avant, coûte que coûte.

    – Comment préparer la voiture ? Qu’allons-nous faire si elle n’est pas prête à temps ? Sommes-nous sûrs qu’elle roulera bien ? Apparemment, il y avait beaucoup de questions que Cande avait tournées et retournées dans sa tête pendant la nuit, et même si elle ne me disait pas de partir avec l’auto, elle montrait tout de même un certain intérêt ou du moins de la curiosité.

    – Nous devons lui trouver de nouvelles roues, un mécanicien pour la révision de la mécanique, réparer le toit, refaire les garnitures et placer un porte-bagages… – je parle tandis que Cande exprime du regard qu’il est impossible de la préparer à temps, outre tout ce qui reste à organiser pour le voyage. Alors, devant son désarroi, j’arrête de lui parler de la voiture, cherchant autre chose pour la convaincre. Tu pourras apporter plus de vêtements, nous pourrons dormir dans la voiture, nous arrêter où nous voudrons, nous arriverons à des endroits où les bus n’arrivent pas et nous n’aurons pas à porter nos sacs à dos.

    – Et pour les garages ? – elle m’interrompt. Je sais où elle veut en venir, car elle connaît bien mon aversion pour les garages et la mécanique. Je suis nul de ce côté-là, et je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi les réparations sont si coûteuses. Je ne sais donc pas quoi lui répondre…

    – Nous programmons 1 000 kilomètres d’essai dans les alentours avant le grand départ: si la voiture tourne bien, nous partirons avec; dans le cas contraire nous reprendrons notre plan A: partir sac à dos. Ce commentaire plaît à Cande, maintenant ce n’est plus elle qui décide, mais la voiture qui choisit de partir ou pas avec nous.

    Le test

    En avant pour les essais, une semaine avant notre départ. Le dimanche nous partons essayer la voiture, et quel meilleur endroit pour cela que d’aller jusqu’au kilomètre zéro d’Argentine. Nous nous dirigeons donc vers l’Obélisque et le Congrès, après avoir demandé, à la sœur de Cande, Ana et à son mari Roberto, de nous accompagner au cas où il arriverait quelque chose d’anormal à la voiture.

    Déjà en route, les questions fusent et beaucoup restent sans réponse.

    – Alors, ce millier de kilomètres pour les essais ? – demande Roberto.

    – Et bien pendant la semaine, chacun de nous avait son travail, il ne nous restait que les soirées et le week-end pour nous occuper de la voiture. Et chaque fois nous avons eu à démonter quelques pièces que le mécanicien devait réparer.

    – Mais alors, pourquoi ne faites-vous pas d’abord les essais pour décider après ?

    – C’est bien ce que nous faisons en ce moment !

    – Oui, mais il se peut qu’elle roule bien aujourd’hui et que dans quelques jours, lorsque vous serez dans la Cordillère, elle vous fasse une panne et alors, adieu votre beau rêve.

    – Oh non ! Ne t’inquiète pas, nous n’allons pas échouer ! – je dis cela en même temps que je fais un changement de vitesse dans un bruit effrayant – Alors tu t’enclenches ou je te casse toutes les dents ! – ce commentaire fait avec humour met fin à notre conversation, et je pense dans mon for intérieur que c’est plus excitant d’avoir un échec que de rester sans rien faire.

    – Vous êtes-vous renseignés sur les formalités d’entrée de chaque pays à traverser, outre les cartes routières ? – demande Ana.

    – Nous n’avons qu’une carte d’Argentine. Nous trouverons bien sur place celle du Chili.

    – Mais, vous n’avez pas prévu d’itinéraire, pour décider par où passer, et les kilomètres à parcourir ?

    – Rien que d’y penser j’en tremble: établir le planning de l’itinéraire et surtout faire trop de recherches, car j’ai peur de découvrir tous les inconvénients qui peuvent nous effrayer. Je le suis déjà bien assez comme ça.

    – Comment penses-tu réaliser ton rêve ? Comment trouver tout ce dont tu auras besoin ? À qui demanderas-tu de l’aide quand cela sera nécessaire ? Comment vas-tu réagir devant un imprévu ? Comment vas-tu t’y prendre ?

    Je réfléchis à toutes ces questions et je me dis qu’il a tout à fait raison. Nous n’avons pas les réponses ni la moindre idée de comment faire. Mais si on ne commence pas maintenant, je ne le saurai jamais. Sincèrement, je ne sais pas du tout comment nous allons nous débrouiller, je n’ai pas de connaissances ni en mécanique, ni de la route, ni en langues étrangères.

    – À vrai dire, je n’en sais rien, Roberto, je ne sais rien de rien, mais j’ai de l’imagination, c’est le plus important …

    – Quelle idiotie !

    – Alors, Einstein était un idiot, puisque ces mots sont de lui.

    Allons-y !

    Le 25 janvier est arrivé. Ces deux mois, nous ne les avons pas vus passer, ils ont filé. Nous sommes réveillés par le coup de sonnette de Carlos et Nieves, nos voisins, ils partent au travail à pied. Ils veulent nous dire au revoir. Après eux, c’est Gustavo qui arrive. Nous avions décidé de partir ce matin, mais il nous reste encore beaucoup de choses à préparer. Juanvla, mon frère, arrive avec sa fiancée. Je l’envoie aussitôt acheter des boîtes en plastique pour le rangement. Ana et Roberto viennent aussi nous aider, ainsi que Luis Berraz, un des rares complices de ce rêve. Il a su trouver les mots et les gestes pour nous remonter le moral quand nous en avions le plus besoin.

    Plus personne ne vient pour nous dire au revoir, c’est mardi et tout le monde travaille. Ils étaient venus nombreux pendant le week-end et même hier lundi, mais ils nous ont tous quittés avec la certitude de nous voir revenir très vite, à tel point que les uns sont partis en nous disant «à demain» et les plus optimistes nous ont accordé une semaine. Certains se sont même proposés de nous remorquer en cas de besoin.

    Nous entamons le chargement de la voiture et, oh ! Miracle ! Ce qui nous paraissait impossible de placer entre sans grande difficulté. Les boîtes en plastique s’encastrent parfaitement sur le porte-bagages sans laisser d’espaces vides. Les autres s’entassent sur la banquette arrière comme si elles avaient été faites sur mesure. On aurait dit que nous avions tout calculé.

    – Cande, dis quelques mots pour la caméra… – lui demande Luis, tandis que Juanvla filme – Dis quelque chose maintenant, après tout, vous entamez le rêve de votre vie.

    Et Cande commence à parler:

    – Nous allons réaliser l’un des projets de notre vie… je ne dis plus rien, parce que… – et sa voix se casse. Elle est aussi heureuse et nerveuse qu’anxieuse, car nous allons vers l’inconnu, sans savoir comment y parvenir.

    Nous sommes sur le point de partir d’ici, en abandonnant notre maison que nous venons tout juste de finir et sans même avoir pu en profiter. Nous laissons derrière nous, amis, famille, travail et petites conquêtes. Même notre chienne, qui depuis quelques mois sentait que quelque chose se préparait et elle n’était pas du tout heureuse. Depuis sa naissance, il y a 16 ans, c’est une excellente amie fidèle, mais elle perd ses dents, n’y voit plus trop bien et devient sourde. Ce voyage lui serait fatal et nous la laissons avec beaucoup de peine.

    Nous quittons la maison avec un petit geste d’amitié et embrassons les murs.

    Il ne reste maintenant qu’à faire notre tout premier pas vers la grande aventure. Je suis si fortement envahi par la peur et la nervosité que je ne sais pas comment m’y prendre. Tout est déjà chargé et en place, allons un peu de courage ! Je regarde Cande qui parle avec mon frère, elle sent mon regard et se tourne vers moi. Alors, je lui demande:

    – On y va ?

    – Allons-y ! – elle répond fermement malgré sa nervosité.

    Nous nous approchons de la voiture et nous ouvrons les portières. Nous nous installons et le moteur démarre au quart de tour, nous échangeons un regard complice.

    – Es-tu prête, ma jolie ? – je lui demande tendrement.

    – Prête ! – elle me répond, décidée.

    Pour la première fois, en ce premier jour de voyage, je pose ma main sur le levier de vitesse, j’enclenche la première et nous démarrons avec un sentiment très fort. Mon frère et Luis nous accompagnent avec leurs voitures tandis qu’en passant, nous disons au revoir à d’autres voisins. Certains persistent à nous traiter de «fous».

    – Vas-y, mon ami !!! – me crie le vieil Arruti, depuis son jardin, tout en brandissant sa casquette. Bon, il semblerait qu’au moins trois personnes ont confiance en nous: Luis, mon frère et le vieil Arruti.

    Nous quittons le quartier où ceux qui ont parié sur l’abandon de notre projet ont déjà perdu. Soudain, l’une des roues arrière fait un drôle de bruit, très vilain. Je descends, je ne vois rien, nous reprenons la route et le bruit persiste au milieu de l’algarade provoquée par les éclats de rire de mon frère et de Luis. Cande prend le volant, je regarde debout sur le marchepied de la voiture, je ne vois rien d’anormal. Nous stoppons à nouveau et nous nous trouvons nez à nez avec la dernière personne que nous n’aurions pas voulu rencontrer à ce moment-là, Sergio, un voisin du quartier. Il me voit couché par terre en train d’examiner la roue.

    – Je t’avais bien dit que tu n’irais pas loin avec ce tas de ferraille. Rentre chez toi et arrête tes blagues avec l’Alaska ! – il dit en s’esclaffant. Moi, je l’aurais bouffé !

    Nous redémarrons lentement, très lentement, vers la première station d’essence où nous demandons à Juanvla et à Luis de rentrer chez eux, car à partir de là, nous allons continuer seuls.

    J’embrasse avec effusion mon frère, je regrette de le laisser, car même pour six mois, cela me semble une éternité. Ils restent sur le chemin jusqu’à nous perdre de vue et dès que nous ne les voyons plus, nous cherchons un atelier pour faire examiner la roue. C’est la raison pour laquelle nous leur avons demandé de partir, pour rester seuls, et rentrer sans témoins dans un garage dès notre première journée de voyage. Quelle honte !!!

    – C’est tout de même étrange, dimanche tout allait bien et maintenant ce bruit dans la roue qui se réveille – dit Cande, tandis que le mécanicien soupçonne un défaut dans les rayons.

    Il me semble que la voiture est plus bruyante que lors de l’essai de dimanche, je suis probablement plus attentif à chaque bruit. Nous voici en route, c’est le premier jour de notre rêve et pour la première fois au volant de cette antiquité. Je veux écouter, pour mieux connaître notre compagne de voyage. Nous avons un vrai cocktail de sentiments: l’anxiété et la nervosité font une sacrée mixture de bilirubine et d’adrénaline, ce qui nous fait rire pour un oui ou pour un non.

    – Surveille les cadrans ! Que la température ne dépasse pas les 70°C, l’aiguille doit se stabiliser à 60°C, fais gaffe à l’indicateur d’huile: pas moins de 15. Continue de tout contrôler, ici, pas de voyants rouges qui s’allument !

    – Et celui-ci c’est quoi ? – demande Cande.

    – C’est celui de l’essence, mais il ne fonctionne pas, nous allons devoir faire attention pour savoir combien de kilomètres nous couvrons avec un plein et calculer sur la carte nos étapes pour éviter la panne sèche.

    Nous voici dans nos rôles de pilote et copilote, deux associés dans ce voyage: tout dépend de nous. Et rien que de nous deux. Je regarde Cande, elle a l’œil rivé sur les cadrans et lève ensuite les yeux sur le chemin. J’ai du mal à croire ce que je suis en train de faire, et en plus, avec elle, celle dont je suis amoureux depuis l’âge de dix ans.

    – Cande, réalises-tu un peu ce que nous faisons ? Là où nous en sommes ?

    – Non, je n’arrive pas à y croire, ne me le répète pas, car je suis déjà hyper nerveuse… – elle me dit, toute rêveuse. À quoi pense-t-elle ?

    «La question d’Herman me fait reprendre conscience de la route. Non, je n’ai pas encore réalisé. Je vois la route et trouve incroyable d’être ici, assise dans cette voiture. J’ai tellement rêvé de cet instant, et maintenant j’y suis. Mon rêve de toujours se concrétise, je me sens très nerveuse à cause de tout ce que nous laissons derrière nous, et devant l’inconnu qui nous attend. Nous nous sommes détachés de toutes les contingences et même de la routine. J’ai quitté la maison que j’aimais tant et où je me sentais si bien. J’ai laissé les amis, amis intimes qui ont partagé ma vie, la famille que je voyais tous les jours, ma chienne Lucy, compagne fidèle qui venait m’attendre joyeusement à la gare lorsque je rentrais du travail. Aujourd’hui, j’ai tout bouleversé dans ma vie. À partir du moment où j’ai ouvert la portière de cette voiture et que je m’y suis assise, on dirait que le monde m’appartient, mais en même temps c’est un poids qui m’écrase. Je suis nerveuse, oui, mais c’est un sentiment de pleine liberté et d’optimisme qui me confirme qu’on peut être libre, et si demain nous devions tout abandonner et revenir en arrière pour une raison quelconque, je suis libre. Libre d’avoir eu le courage de tout laisser pour aller à la rencontre de mon rêve. Pourtant tout me rend anxieuse. J’ai les nerfs en boule et j’appréhende notre futur à partir de cet instant».

    – Tu réalises, mon amour, que nous laissons tout derrière nous ?

    – Oui, beaucoup de choses et on en emporte si peu – je lui réponds émerveillé par notre audace.

    Cande me fait réfléchir entre son commentaire et son silence. À peine vingt kilomètres et je me sens déjà quelqu’un d’autre. À présent, je suis la personne que j’ai voulu être, celle qui rêve de voir ce qu’il y a au bout du chemin, de connaître d’autres pays, d’autres peuples et leurs cultures, désireux de connaître leurs modes de vie. Je suis là; assis au volant d’une voiture que je ne connais même pas, sur une route qui me mène vers un monde que je veux découvrir.

    Je connais la date de mon départ, Dieu celle de mon retour

    14 h 30: c’est l’heure de notre départ de la maison de Pilar, par la route nationale 7 vers l’Ouest.

    Un camion nous double sans trop de mal, et nous pouvons lire ce message à l’arrière de sa remorque: «Je connais la date de mon départ, Dieu celle de mon retour» cela arrive au meilleur moment de notre aventure.

    Nous arrivons dans un village, San Andrés de Giles, préoccupés par la roue qui continue de faire du bruit. Nous nous arrêtons dans un autre atelier de réparation.

    – Si ce sont les rayons des roues qui posent problème, allez chez les Croce, ce sont des gens bien, et ils s’y connaissent.

    Nous ne savions pas où le gars nous envoyait, chez un garagiste, un atelier de tournage ou autre chose, mais avec son «ce sont des gens bien», ça nous suffit pour y aller.

    Je m’arrête devant un vieux hangar en briques jointoyées avec de la boue. Il n’y a qu’une seule porte au milieu et deux petites fenêtres sur les côtés. Le feu de la forge est allumé, ce n’est qu’une partie de faible clarté qu’il y a à l’intérieur. J’entre, la forte lumière de dehors m’aveugle et pendant une minute je ne vois rien. Ce que je distingue d’abord c’est un grand désordre, des outils, des roues, des bâtons, des fers à marquer, du travail en attente et du travail fini, puis un tapis de cendres de la forge sur le sol en terre battue. Quand mes yeux s’habituent à la faible luminosité, je constate que nous sommes au meilleur endroit du monde pour réparer les roues: une maréchalerie du début du siècle, qui est restée figée dans le temps à nous attendre afin de réparer nos rayons de bois.

    – C’est très facile à réparer, viens, fais-le avec moi et comme ça, tu apprends – m’encourage don José, tel un grand-père qui montrerait à son petit-fils comment réparer son vélo.

    J’entre dans la vieille forge que son père immigré avait construite il y a bien longtemps, et dans laquelle travaillent ses deux frères aussi, perpétuant l’art de la réparation des roues de charrette et de sulkys, destinées de nos jours essentiellement aux collectionneurs.

    Don José et ses frères Puli et Macarti, très enthousiastes, se mettent au travail pour réparer les roues plaintives.

    – Ces roues sont très vieilles, elles ont beaucoup travaillé et elles sont restées longtemps sans rouler. Pas fameux tout cela. – affirme Don José avec expérience – Le bois s’est contracté et ce n’est pas qu’avec de l’eau que nous allons pouvoir les arranger, mais avec deux ou trois cales ça ira.

    Il voit bien mon regard inquiet: moi, j’imaginais déjà devoir remplacer tous les rayons, mais non, une cale par-ci, une cale par-là font taire définitivement les roues grinçantes.

    Dans le village, la forge sert également de club social, où un brin d’amitié fait office de cotisation, le tout agrémenté d’un peu de mate; c’est un lieu où l’on peut tuer le temps libre et bien d’autres choses encore: partager quelques potins, et quel meilleur sujet que notre présence en cet après-midi d’été !

    – Il y a longtemps que vous voyagez ? – c’est la question que j’entends dans mon dos, alors que je taille une cale sur la pierre.

    – Même si vous ne le croyez pas, c’est notre premier jour de voyage, ça fait plus ou moins trois heures que nous sommes partis…

    – Et vous commencez déjà à avoir des problèmes ? Vous ne risquez pas d’aller bien loin à ce rythme-là !

    Je continue à couper mes cales malgré le commentaire plutôt ironique. C’est que je commence à y être habitué.

    – Pourquoi faites-vous ce voyage ? – nous demande Don José.

    – C’est notre rêve – Ma réponse me paraît bizarre et pas sérieuse.

    – Un rêve… alors, écoute-toi toi-même, n’écoute pas cet imbécile qui n’y connaît rien aux rêves; si tu t’arrêtes aux opinions des autres sur tes rêves, tu entendras des gens qui savent très bien vivre la vie des autres, mais qui n’ont aucune idée de comment vivre la leur. Ils t’abreuveront de «mais... » et de « très bien, mais…». – il me dit tout en me présentant les cales que j’insère entre les rayons – Toi et toi seul tu peux savoir ce dont tu es réellement capable, et si tu remarques bien ce sont ceux qui en font le moins qui critiquent le plus. Donc, si on te critique, c’est que tu es en train de faire quelque chose. – il poursuit en enfonçant une cale d’un seul coup de masse – Cette roue est dure comme de la viande racornie !

    – Et ce rêve, c’est le rêve de qui ? – continue Don José intrigué.

    – De nous deux, nous en sommes tous les deux à l’origine. Imaginez que depuis notre petite enfance nous sommes ensemble. On a tout découvert ensemble. Nous avions un immense futur devant nous, et dans ce futur, nous avons commencé à imaginer un voyage qui petit à petit s’est transformé en rêve – répond Cande.

    – On dévorait des livres de Marco Polo, James Cook, Magellan, de navigateurs, mais aussi de voyageurs à cheval, à vélo, en jeep. Des livres parlant de gens qui font de l’escalade ou de la plongée, et on pensait tout le temps: pourquoi pas nous ? Si eux peuvent vivre leur aventure, pourquoi pas nous ? – je lui dis, en lui passant la dernière cale taillée, et je poursuis: Et puis nous voilà, on dit que la vie est un livre tout neuf aux pages blanches et nous allons en écrire quelques-unes.

    – C’est vrai… la vie est un voyage, et vous, vous commencez le voyage de votre vie.

    Nous terminons de serrer les rayons des roues et nous montons une autre roue autour d’un mate pour continuer notre bavardage. Plus tard, nous suivons Puli sur son vélo jusqu’au parc du village où nous pourrons camper. Nous avons du mal à comprendre le montage de cette tente qu’on nous a prêtée et nous invitons Puli à partager notre premier dîner. Il doit patienter que nous ayons trouvé toutes nos affaires: arriver à allumer la bouteille de gaz, utiliser un couteau pour ouvrir une boîte de conserve… tout ça pour finir par prendre une soupe délicieuse et aller nous coucher dans notre nouveau lit, pour inaugurer notre nouveau style de vie.

    – Quelle belle journée ! Aujourd’hui, je suis allé changer l’alternateur cassé qui m’avait été vendu par un monsieur et il m’en a donné un autre en meilleur état, avec sur le marché quelques chambres à air pour Ford T qui pourraient également servir. Ana et Roberto nous ont laissé leur tente, avec le réchaud, le thermos et bien d’autres choses encore… Ensuite, ces gens de la forge se sont fâchés quand on a insisté pour les payer… – j’ai commencé à parler, déjà sous la tente, nous n’avions pas envie de dormir. Cande se met à coucher ses premières notes dans le journal de voyage.

    – Oui, tout le monde a été formidable. Tu sais combien de kilomètres on a faits pour ce premier grand jour ? Cinquante-cinq… On s’est fait presque plus d’amis que de kilomètres !

    – Ne t’inquiète pas, on a six mois pour y arriver.

    On a fait des calculs sur six mois pour voyager depuis l’extrême Sud du continent en partant d’Argentine jusqu’au bout du chemin dans l’extrême Nord, là où sur la carte il est marqué «Alaska», ce mot si mélodieux à l’oreille. Entre notre maison et l’Alaska, des centaines d’endroits à découvrir et plus de 20 000 km à parcourir. Et tout ça en six mois, ce qui nous paraît une éternité: nous ne nous sommes jamais octroyé autant de temps. Je crois que depuis que nous nous sommes mariés, c’est arrivé une seule fois lors de notre voyage d’un mois pour notre lune de miel… Je m’endors en repensant à quelques-uns de ces moments heureux.

    Combien de kilomètres au litre ?

    Le moteur toussote et menace de s’arrêter. Nous regardons instantanément les aiguilles des cadrans, mais tout semble normal. Nous échangeons des regards inquiets… vingt secondes de silence, et il recommence, encore et encore, et puis, plus rien du tout, nous calons. Nous nous rangeons sur un bas-côté herbeux, poussés par l’inertie.

    – Panne d’essence ? – demande Cande, en beau milieu de la grande plaine plate de la Pampa où les mots ne trouvent pas le moindre écho.

    – Espérons-le, je préférerais cela à une panne de moteur. – Ouvrir le capot et tenter de comprendre l’origine de la panne, ce n’est pas pour moi, le nul en mécanique. Je vais à l’arrière de la voiture, j’ouvre le réservoir pour entendre le vide. Je cherche un bâton en guise de jauge, mais dans la Pampa, les arbres n’y poussent pas spontanément. Je me contente d’un chardon épineux desséché qui ne relève qu’un petit centimètre de carburant.

    – Oui, c’est bien la panne sèche. – C’est mon diagnostic.

    – Mais, alors… combien de kilomètres au litre ? Nous aurions normalement dû arriver à Chañar Ladeado.

    – Et il nous reste combien à couvrir ?

    – Plus ou moins une vingtaine, car nous avons fait le plein, à peine entrés dans la province de Santa Fe, et nous avons déjà passé Firmat, il y a vingt ou trente minutes…

    – Bon, nos calculs doivent être mauvais ! Je vais vers une ferme pour voir si on peut nous dépanner.

    La voiture avait fini sa course à quelques mètres d’une barrière ouverte, des chiens viennent à ma rencontre sur le chemin inondé de soleil. Je continue jusqu’à l’ombre des eucalyptus, sans quitter du regard le plus petit des chiens. Les plus grands ne m’inquiètent pas, car leurs aboiements de chiens de garde ont l’air étouffés par la chaleur de l’après-midi, mais ce petit roquet cherche mes talons… Le cri d’un homme les fait taire, nous échangeons nos civilités tout en nous rapprochant l’un de l’autre. Il regarde par-dessus mon épaule et remarque notre véhicule arrêté sur le bord de la route.

    – Il est fatigué, le petit vieux ? – il me demande.

    – Plus que fatigué, il est assoiffé et refuse d’avancer si nous ne lui donnons pas son précieux breuvage – je lui réponds, tout en gardant un œil sur le petit chien qui continue à montrer de l’intérêt pour mes chevilles.

    – J’allais partir au village, je ne peux pas vous offrir d’essence, car je n’ai que du gasoil, mais je vais faire quelques courses et je reviens. Je vous emmène si vous avez le temps.

    – Oh, du temps… j’en ai et si vous m’emmenez, je vous en remercie.

    Nous faisons les présentations respectives tout en nous installant dans sa camionnette, et en route vers le village. Comme tout bon paysan, il commence à parler du temps.

    – On dirait que la chaleur ne veut pas tomber.

    – Heureusement, nous roulons pare-brise ouvert et c’est assez rafraîchissant.

    – Avec le pare-brise ouvert ? Comment ça ?

    – Le pare-brise se rabat vers l’avant, c’est notre «clim’» à nous. – L’homme éclate de rire.

    – Comment ça, il s’ouvre vers l’avant ? Et à quelle vitesse roulez-vous ?

    – Depuis que nous sommes partis, à 40 km/heure, il nous faut la ménager après tant d’années d’immobilité, mais lorsque ses crises d’arthrite et l’oxydation diminueront, nous pourrons rouler plus vite. Pour l’instant, nous faisons connaissance.

    – À 40 km/heure ? Combien de temps avez-vous mis depuis la capitale jusqu’ici ?

    Je me rends compte qu’il répète chacun de mes propos comme s’il voulait les enregistrer. Nous serons, certainement, le principal sujet de conversation pour la soirée en famille.

    – Nous en sommes à notre troisième jour, mais il faut savoir que nous roulons tranquillement et sans hâte…

    – Trois jours ? Et… vous allez loin ?

    – Jusqu’en Alaska, si Dieu le veut.

    – Ah… – Cette fois-ci il ne répète pas ma réponse. Il ne me croit peut-être pas, soit il ne sait pas où se trouve l’Alaska, soit il pense que je me moque de lui. Alors, nous changeons de sujet et nous commençons à parler des récoltes, les bonnes et les mauvaises. Nous rejoignons la voiture, je le présente à Cande tout en déchargeant mon bidon d’essence; pendant ce temps, l’homme observe notre véhicule avec attention.

    – Si je compte bien, nous parcourons cinq kilomètres au litre – dit Cande, en me montrant son calepin avec ses calculs. Je pensais qu’elle aurait un meilleur rendement… Cinq kilomètres au litre ce n’est pas beaucoup et cela représente beaucoup d’argent en essence… Je vois que l’homme pense la même chose.

    – À 40 km/heure, avec un litre d’essence tous les cinq kilomètres, et jusqu’en Alaska… – pense le paysan à voix haute.

    Demander la permission

    Nous continuons à rouler, mais la nuit nous surprend au milieu de nulle part: nous devons dormir au bord de la route ou essayer d’entrer dans une ferme. La première solution ne nous plaît pas: il n’y a ni arbres ni eau, et la deuxième nous paraît très embarrassante. Nous apercevons une colline, il y a peut-être une maison à proximité. Nous tentons de la voir, de trouver son entrée et quelque chose qui nous indiquera que nous serons bien reçus, mais nous n’osons pas, nous avons trop honte de solliciter les gens et nous poursuivons notre chemin.

    Il va bien falloir se décider, car lorsqu’il fera complètement nuit, nous ne pourrons plus demander l’hospitalité… Nous arrivons devant une ferme dont la barrière est ouverte, mais aussitôt entrés, aussitôt ressortis… Laissant derrière nous un homme qui se confond en excuses, il n’est que l’ouvrier, tout juste embauché, il dit qu’il ignore si son patron serait d’accord pour nous héberger. Nous essayons dans une autre propriété, d’où nous ressortons encore plus vite, tellement la façon de nous refuser l’entrée y est désagréable. Nous décidons une dernière tentative et si ce n’est pas la bonne, ce sera le bord de la route.

    – Bonsoir.

    – Bonsoir, soyez les bienvenus… – ils nous disent en nous ouvrant le portillon de la clôture qui entoure la maison. Ils portent tous des vêtements de travail, plus sales les uns que les autres.

    – Ma femme Estela, nos enfants Tato et Diego, et moi, je suis Hector Mena à votre service. – se présente l’homme, en se découvrant et en nous saluant – Je vous ai doublé aujourd’hui sur la route, au moment où vous tourniez dans la propriété du bas de la colline…

    Celle dont on nous a pratiquement chassés à coup de pied. J’ai envie de corriger.

    – Quelle belle voiture, elle est entièrement authentique ! – commente Estela, avide de connaître notre histoire.

    – Nous voyageons jusqu’en Alaska avec cette voiture, et comme nous ne sommes pas encore très familiarisés, nous préférons ne pas rouler de nuit, il est trop tard pour arriver jusqu’au prochain village et nous voulions vous demander la permission de camper chez vous pour cette nuit.

    – Bien sûr, passez par ici, l’herbe y est très épaisse, mais si vous voulez dormir dans la maison, il y a aussi de la place… – il s’exclame avec un enthousiasme extraordinaire. Ils nous font signe d’aller découvrir la plus belle pelouse de leur jardin ainsi que leur maison.

    – Non, ne vous en faites pas pour nous, le gazon fera l’affaire – dit Cande.

    Ils nous montrent les lapins, les poules, les arbres fruitiers, le potager, ils font des innovations en toute chose: pour les lapins, ils ont creusé un grand trou qu’ils ont recouvert de tôles et ils ont mis de la terre par dessus, en ménageant des passages d’entrée.

    – Les lapins vivent naturellement sous terre, c’est plus frais en été et plus chaud en hiver, je suis sûr d’avoir plus de petits. Ce soir, nous allons vous faire goûter du lapin à l’escabèche.

    Le lapin à l’escabèche est suivi d’un autre plat de viscache et de pickles, on continue le repas avec des escalopes à la milanaise et une salade composée de tous les légumes du potager, et en dessert, des pêches au sirop du jardin.

    Le matin en partant, nous avons du mal à trouver les mots pour dire que nous ne pouvions pas emporter tant de légumes et qu’un pot de chaque conserve, c’était vraiment beaucoup.

    À nouveau en chemin, nous pensons que si nous avions choisi de dormir en bord de route, nous aurions raté l’occasion de faire la connaissance de cette famille qui nous a reçus dans son foyer.

    Don Eduardo

    Nous entrons à Río Cuarto et allons directement chez les Picciani, que nous avions rencontrés à Buenos Aires et qui ont aussi un Graham-Paige. Lui n’est pas là, mais son fils nous reçoit immédiatement. Il prévient les membres du Club des Voitures Anciennes, qui arrivent aussitôt chez lui. Nous leur disons qu’il faut jeter un œil sur une roue arrière qui fait du bruit, comme si c’était un frottement de métal contre métal. On est samedi et ils ne savent pas trop qui va bien voir ça avant lundi.

    Eduardo Estibil serait le plus indiqué, il n’y a pas mieux que lui; il a 76 ans, c’est un ancien pilote sur ce genre de voitures; et ensuite, il s’est reconverti dans la réparation et la restauration de voitures anciennes; c’est « un vrai pro », dit l’un des membres du club.

    – Allons le voir – je dis, emballé…

    – Ce ne sera pas possible, il est en vacances, et son emploi du temps est sacré, personne n’a le droit de le déranger quand il se repose.

    – Quoi qu’il en soit, je pense que nous devons le prévenir, il va peut-être se fâcher, mais ce sera pire s’il apprend que, vous qui faites ce voyage, vous avez besoin de lui et que personne ne lui a rien dit – réplique un autre.

    La plupart se rangent de cet avis et décident alors de l’appeler. Entretemps, je me dis que, s’il est tellement strict et bon, ses tarifs seront à la hauteur de l’estime qu’on lui porte.

    – Il nous demande de passer chez lui, il va voir ce qu’il peut faire, et selon, il répare ou non.

    C’est alors que nous nous mettons en route, à quatre voitures en cortège.

    Le vieil homme quitte la fraîcheur de l’ombre de sa véranda et imperturbable, il monte sur le marchepied de la voiture; il me demande de rouler pendant qu’il regarde la roue tourner. Après quelques mètres, il me fait signe d’arrêter et descend; les membres du Club le rejoignent; il secoue la tête et me tourne le dos, mais je l’entends leur dire:

    – Il ne peut pas continuer comme ça !

    Les autres font triste mine, comme s’ils partageaient notre rêve depuis le début.

    – Est-ce qu’on peut faire quelque chose ? – demande quelqu’un, au milieu du silence général. Tous nos regards sont fixés sur l’homme qui sait tout.

    Eduardo regarde l’auto, puis la roue qui pose problème, il nous observe et dit au groupe:

    – Il faut aller chercher mon assistant !

    Sur-le-champ, tous se proposent de le faire.

    Une fois le rideau du garage levé, je découvre trois magnifiques voitures restaurées, un atelier impeccable et un assistant avec un beau tablier et des lunettes. Tout me fait penser qu’au vu de l’installation et que si on ouvre le garage en pleines vacances, cette réparation va nous coûter un maximum… Certes, la voiture sera réparée, mais pourrons-nous continuer notre voyage les poches vides ? Pendant que son mécanicien démonte la roue, Don Eduardo découpe dans une boîte en fer une pièce qu’il place immédiatement et le bruit disparaît. Il découvre ensuite d’autres problèmes dans le moteur: une fuite d’huile, un boulon dans un palier… et un petit détail par-ci, un petit détail par-là, je voudrais bien qu’il arrête, car s’il fait l’addition de tout, nous devrons lui céder le véhicule en paiement.

    Les gens du Club s’éclipsent discrètement. L’un d’eux emmène Cande acheter ses pellicules photo et je me retrouve seul avec Eduardo accroupi, qui règle les freins et en profite pour me dire en me regardant bien dans les yeux:

    – Un voyage de ce genre, ça ne se fait pas comme ça. Il faut s’organiser avant, avoir un moteur remis à neuf, des joints remplacés… des roulements nouveaux, mais pas avec une voiture dans cet état.

    Il parle avec franchise et en connaissance de cause.

    – De plus, pour une voiture de cette marque, tu dois te munir de pièces de rechange, tu n’en trouveras pas sur ta route.

    Il ne me fait pas un diagnostic positif de la voiture.

    Qu’est-ce que je pourrais lui répondre ? Il a raison sur toute la ligne, mais je sens que ma motivation l’emporte sur la sagesse de ses propos et, à la réflexion, je sens bien que je ne dois pas m’inquiéter pour les pièces de rechange de la voiture, mais plutôt pour la vie qui, elle, n’a pas de pièces de rechange.

    – Don Eduardo… Merci pour vos conseils. Voyez-vous, je ne sais comment vous le dire, mais c’est la seule chose qui m’appartient vraiment, et si je devais faire tout ce qu’il faut faire, je n’y arriverais jamais. Comment vais-je m’y prendre… je n’en ai pas la moindre idée. L’Alaska c’est le bout du monde et cette voiture n’est probablement pas le véhicule idéal, mais si ce n’est pas l’auto, ce ne sera jamais le bon moment, ce sera le manque d’argent ou autre chose… Mon grand-père a mené toute sa vie le bétail en Patagonie, sur des milliers de kilomètres, à travers fleuves, montagnes, déserts et bravant les chutes de neige… Il m’a dit, un jour, qu’au moment de chaque départ, il ne regardait pas la distance totale à parcourir, il visait le kilomètre suivant. Comme lui, moi, je ne regarde pa, cela m’effraie, je vise seulement le village suivant.

    Eduardo ne répond pas, il continue son travail, il sait qu’il a raison, mais je voudrais savoir ce qu’il pense de mon raisonnement. Il appelle son assistant et l’envoie acheter un nouvel écrou pour la roue. Il part sans tarder. Le vieil homme se dirige alors vers son établi tout en nettoyant deux rondelles avec un chiffon et elles sont impeccables quand il les y dépose.

    Il respire un grand coup pour me dire:

    – Les meilleurs souvenirs de mes courses, ce ne sont pas celles que j’ai gagnées, mais celles auxquelles je me suis inscrit avec une voiture montée et préparée avec ce que j’avais pu trouver et ce que l’on avait pu me donner. Ce sont ces courses pour lesquelles je passais la nuit à préparer ma voiture pendant que les autres pilotes dormaient. Les concurrents disposaient d’une équipe qui les suivait avec toute l’assistance technique. Moi, je ne pouvais compter que sur la bonne volonté du mécanicien du village. C’est ainsi que j’ai perdu beaucoup de courses, et malgré tout, à mon avis, je les ai gagnées, même sans franchir le premier la ligne d’arrivée. Alors, tu ne peux t’imaginer la satisfaction qu’on éprouve d’y être tout simplement arrivé. – Un mélange de sentiments et de souvenirs brise son discours.

    Il prend son souffle et avec force, malgré les larmes, il ajoute:

    – Même quand à l’arrivée, plus personne ne m’attendait !

    – Patron ! Regardez ! J’ai trouvé le même écrou, tout à fait identique ! – l’assistant rompt le silence chargé d’émotion et tout le monde se remet au travail.

    En même temps que lui, les autres membres nous ont rejoints avec des projets pour nous: passage à la radio, dîner au Club, nuit chez les Picciani et pour demain, rassemblement de toutes leurs voitures à la station-service de la sortie de la ville pour une parade d’adieux.

    L’Alaska est notre destination finale, mais chaque village est un succès.

    – Combien vous dois-je ? – j’ose lui demander avec appréhension.

    – Une carte postale d’Alaska.

    Dans les montagnes

    Nous entamons une nouvelle journée de voyage, en laissant derrière nous la caravane émouvante de voitures qui nous a accompagnés. Nous voyageons dans de magnifiques paysages entre vallées et montagnes, et nous passons un de nos premiers gués. Les roues mouillées dans l’eau du ruisseau nous laissent entendre un bruit étrange; sur la rive opposée nous nous arrêtons et je retourne pour recueillir de l’eau dans mes mains, je la jette sur la roue avant. Je remarque que l’eau s’évapore rapidement, la surface est donc chaude, c’est évident, il y a un problème. Serait-ce un roulement qui voudrait abandonner le voyage ? Nous continuons jusqu’à une maison, tout en écoutant attentivement les grincements de la roue. Nous commençons à la démonter dans la rue. Le propriétaire ne tarde pas à s’approcher et il nous propose d’entrer dans son jardin pour y travailler. C’est incroyable ! Il a une Ford A modèle 28. Eugenio Soler possède la seule voiture ancienne du village, et en plus, il s’y connaît en mécanique.

    Je suis ses conseils pour démonter la roue. À la vue du roulement, il estime qu’il faut le remplacer. Idem pour l’autre roue. Il nous invite à manger avec lui au bord de la rivière d’énormes sandwichs d’escalope panée. Il nous héberge chez lui jusqu’au lundi.

    Il nous emmène dans sa voiture à San Luis et nous rentrons dans le plus grand magasin de roulements, je dépose les nôtres sur le comptoir, et en les voyant, l’un des vendeurs fait la moue, et nous dit tout de go:

    – Non ! Ça, nous n’en avons pas… ces dimensions-là ne se fabriquent plus.

    Néanmoins, il les mesure et recherche les références dans ses catalogues, mais rien…

    – Je n’ai aucune idée où vous pourriez en trouver.

    Au moment où son associé entre dans le magasin, il entend les commentaires du vendeur. Il examine les roulements par-dessus l’épaule de son collègue, à qui il demande:

    – As-tu regardé dans ces vieilles caisses que nous avait données le petit vieux qui a fermé sa boutique depuis déjà pas mal d’années ?

    Quelques minutes plus tard, nous quittons le magasin avec deux roulements très vieux, mais n’ayant jamais servi et encore dans leur emballage d’origine; et en plus, il ne nous les a pas fait payer, car lui-même les avait reçus en cadeau.

    Impatients de traverser la première frontière de notre périple, nous repartons vers la Cordillère avec nos roulements neufs et beaucoup de réparations faites.

    – Je suis inquiète. Est-ce que ça va toujours être comme ça ? Voilà cinq jours que nous sommes partis et nous en avons déjà passé trois à réparer la voiture.

    – Oui, je sais bien, mais tu as vu comment ça s’est passé ? Tout va bien.

    – J’ai quand même peur, car si cela se reproduit souvent, comment allons-nous faire dans les pays où nous ne connaissons ni les gens ni les lieux ? Et si ça nous arrive au beau milieu de la Cordillère ou des déserts qu’il nous faudra traverser un jour ou l’autre ?

    – Nous verrons bien: ce n’est pas un bon début, mais c’est peut-être la fin de nos ennuis.

    Bonjour Aconcagua

    Nous abordons le premier défi de notre voyage: nous allons pouvoir dire «Bonjour à l’Aconcagua». Et nos nerfs sont mis à rude épreuve. Les montagnes se dessinent au loin, elles nous paraissent infranchissables au fur et à mesure que nous nous en approchons. À travers le pare-brise, la Cordillère des Andes se déploie dans toute sa majesté. Et pourtant, nous devons la traverser. Je lui en demande la permission et nous entamons l’ascension. La route grimpe et serpente entre de très hautes cimes; fatiguée par sa longue immobilisation, la voiture progresse très lentement, à travers de nombreux tunnels et au gré du chemin. Je crains qu’elle ne s’arrête d’un moment à l’autre. Nous l’encourageons comme s’il s’agissait d’une personne en lui criant: «Allez ! Allez !», «Arriba ! Arriba !» Cande s’accroche au tableau de bord comme pour l’aider en soulageant le siège de son poids. Nous sommes crispés, car il n’y a pas beaucoup de villages par ici, et nous nous efforçons de prendre un maximum d’élan dans les descentes pour mieux attaquer les montées.

    Le paysage est tellement beau que Cande voudrait qu’on s’arrête à chaque virage, à chaque montagne pour prendre des photos alors que je préfère continuer, car la voiture a plus de mal à redémarrer en côte. En fait, ce n’est pas un problème, vu la lenteur à laquelle nous montons, Cande a le temps de descendre, courir devant pour prendre de l’avance, faire des clichés ou filmer et remonter à nouveau.

    Entre deux montagnes gigantesques, nous découvrons une petite colline, à la forme conique, qui nous coupe le souffle tant elle nous en impose Elle est petite, mais son intérieur a tellement de valeur. Et sachez bien qu’elle ne renferme ni minéraux, ni or, ni argent, mais quelque chose de bien plus précieux. Le sommet est couronné d’une croix et tout autour, des tombes des «andinistes» qui ont perdu la vie en essayant de franchir l’Aconcagua, son voisin. Ils sont morts là et pourtant ils n’étaient pas soldats. Ils n’obéissaient pas à un ordre donné. Ils étaient libres de rebrousser chemin s’ils le voulaient sans pour autant qu’on les considère comme des traîtres. Ils n’étaient pas vus comme des héros s’ils réussissaient leur exploit, mais pour moi, ils l’étaient. Ils ont donné leur vie pour la Vie, à la conquête d’un rêve; personne ne leur avait dit d’y aller et personne ne leur aurait rien dit s’ils n’y étaient pas allés. Mais ils avaient entendu cette petite voix intérieure qui leur disait de le faire, qu’il fallait prendre des risques; car lorsqu’on prend des risques, c’est là qu’on se sent vivre. S’ils n’étaient pas allés escalader l’Aconcagua, ils seraient peut-être encore vivants… mais vraiment vivants ? Ils ne cherchaient pas à triompher de la montagne, ils cherchaient à triompher d’eux-mêmes. Beaucoup d’hommes ont pris la mer, et jamais ils n’en sont retournés; beaucoup d’hommes sont partis vers des terres lointaines avec un but précis et ils ne l’ont jamais atteint. D’autres encore ne sont jamais revenus.

    J’ai un peu peur de l’inconnu, mais je m’en voudrais toute la vie de n’avoir pas essayé et de rester sur mes envies de vivre. Je préfère mourir en essayant de vivre plutôt que de mourir sans avoir vécu.

    Ambassadeurs

    – Non, sans autorisation, vous ne pouvez pas sortir l’auto du pays.

    – Quelle autorisation ?

    – Vous savez bien de quoi je parle, l’autorisation de sortie du pays d’un véhicule de collection considéré patrimoine national. Si vous avez des doutes, allez voir le chef – nous dit l’employé en nous montrant le bureau.

    Nous savions de quel document il parlait, une autorisation émise par les Douanes, indispensable pour pouvoir sortir une voiture d’avant 1940. Une formalité «super bureaucratique» si rébarbative et qui interdit l’exportation des véhicules anciens pour une éventuelle vente à l’étranger. De la paperasse et en plus des taxes, des photos, des documents, un rapport du Ministère de la Culture sur l’historique du véhicule et plus de renseignements et plus de dossiers. Démarches que, bien sûr, nous n’avons jamais entreprises. Cande me souhaite bonne chance, m’embrasse très tendrement et je me dirige vers le bureau. Nous avons très peur du refus. Nous devons absolument passer au Chili et au premier poste-frontière, nous rencontrons déjà des problèmes. Hier, à Mendoza, tout en mettant à notre disposition leur mécanicien pour une bonne révision de la voiture, Tini et son frère Alfredo nous racontaient que plusieurs personnes avaient essayé de sortir, mais avaient dû rebrousser chemin en l’absence de cette fameuse autorisation.

    Je frappe à la porte; j’ai confiance de ne pas en ressortir avec un «non» pur et simple. J’entre, sûr de moi et très calme, priant Dieu qu’Il me souffle les mots justes. Nous avons déjà fait neuf jours de voyage, parcouru 1 262 km et nous avons dû surmonter tellement d’obstacles que vous ne pouvez pas nous la refuser maintenant.

    – C’est vous, celui de la voiture ancienne ? De quelle marque ? – me demande le chef, dès mon entrée.

    – C’est un Graham-Paige, modèle 28…

    – Moi, j’ai deux voitures anciennes, une Ford A et une Chevrolet. Et jusqu’où dîtes-vous que vous voulez aller ?

    – Si Dieu le veut et si vous me le permettez, jusqu’en Alaska.

    L’homme baisse les yeux comme pour réfléchir, ce qui ne lui prend que cinq secondes.

    – Allez ! C’est d’accord.

    Je reste perplexe, figé devant lui, jamais je n’aurais imaginé que ce serait si facile d’obtenir son «oui».

    – Je vous remercie de tout cœur, vous ne pouvez imaginer ce que ce voyage représente pour nous… Il y a plein de gens derrière ce rêve et vous êtes maintenant l’un d’entre eux.

    L’homme acquiesce de la tête, se lève et me donne une forte poignée de main. Quand je suis près de la porte de son bureau, il ajoute quelque chose de si important que je sens un poids m’écraser les épaules, comme si deux éléphants s’y étaient assis.

    – Allez-y, mais n’oubliez jamais une chose: vous, vous allez être nos ambassadeurs.

    Je ne sais quoi répondre. En sortant je ferme la porte, la tête remplie de cette nouvelle distinction. D’un côté, je ressens quelque chose de très beau, mais d’un autre, une énorme responsabilité, car j’ignore si nous serons à la hauteur. Chacun de nos actes, de nos mouvements, chaque chose que nous ferons ou dirons à partir de maintenant, sera une représentation de tous nos concitoyens.

    Candelaria aperçoit ma mine joyeuse comme celle d’un Bienheureux que je ne peux cacher et elle comprend très vite que nous avons l’autorisation de continuer notre voyage.

    – Nous allons au Chili ! – elle s’exclame en me sautant au cou.– Je savais qu’ils allaient nous donner cette autorisation, j’en étais convaincue ! – elle continue de crier, et voilà qu’elle se met à chanter:

    «Quand au Chili, je m’en vais, en traversant la Cordillère…»

    – Pourquoi tant de conviction ? – je l’interroge, interrompant sa chanson.

    – Parce que tout nous réussit, les gens nous soutiennent, on nous salue sur les routes, les chauffeurs des camions nous klaxonnent. Je me sens déjà comme la Reine du Carnaval qui passe son temps à saluer.

    – Et moi ? Je me prends pour le Pape.

    Nous sommes morts de rire.

    Celui qui affronte l’inconnu découvre des trésors

    – Maintenant, suivez-nous ! » Deux hommes en uniforme vert ont abrégé notre conversation. Sur l’un des galons, on peut lire: «GENDARMERIE».

    – Oui, nous vous suivons, mais n’allez pas à plus de 120 km/heure. En montagne, nous roulons très lentement – répond Cande en riant et voilà qu’elle recommence à chanter en montant dans le Graham:

    «Quand pour le Chili…».

    Luis Gaitan et Marcelo Bustamente nous avaient aperçus au Pont de l’Inca et nous ont invité à dormir à la garnison. Ils nous attendaient à la Douane et maintenant ils nous escortent. Le lieu n’est pas spacieux, mais nous sommes traités comme des rois. Nous sommes logés dans la

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