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Orient et les Maîtres de l'Arc
Orient et les Maîtres de l'Arc
Orient et les Maîtres de l'Arc
Livre électronique538 pages7 heures

Orient et les Maîtres de l'Arc

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À propos de ce livre électronique

Orient pourra-t-il devenir un Archer de Maison Blanche? Les évènements prennent un tour inattendu dès sa réception dans la Compagnie. Il devra accomplir sa formation en suivant un Rituel extraordinaire et redoutable, tandis que les incidents se multiplient autour de lui. Mais il a pour l'aider sa fidèle hermine Balzane, et surtout Angelina qu'il entraîne dans son aventure. Voyages sur l'Île, expéditions dans le monde d'En-Bas, épreuves et défis : les Journées des Jeunes Archers ne sont pas de tout repos. Mais l'on s'y fait des amis - de toutes sortes-, et l'on y affronte des secrets qui pourraient bien changer le destin de toutes les Archeries ...
LangueFrançais
Date de sortie2 juil. 2013
ISBN9782312011844
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    Aperçu du livre

    Orient et les Maîtres de l'Arc - Marika Doux

    cover.jpg

    Orient

    et les Maîtres de l’Arc

    Marika Doux

    Orient et les Maîtres de l’Arc

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

                                                                Pour François

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01184-4

    Le Capitaine

    C’était le premier jour des vacances d’été.

    Assis au bord du fleuve, les yeux perdus dans le vague, un jeune garçon lançait des cailloux au fil de l’eau, une hermine blanche posée sur ses genoux.

    – Et ça ne fait que commencer, hein Balzane ! Huit semaines d’ennui total ! Quel anniversaire !

    Réveillée en sursaut par les exclamations de son maître, la petite bête se leva, les moustaches pincées de mécontentement. Elle s’étira, fit le dos rond, tourna plusieurs fois sur elle-même, et consentit à s’asseoir enfin dans un mélange douteux de graviers et de goudron collant qui brûlait les pattes. Orient, indifférent, continuait à lancer des cailloux dans le fleuve.

    C’était son anniversaire, en effet. Il avait aujourd’hui douze ans, ainsi que le lui avait claironné sur son portable, dès neuf heures du matin, Lucien Iribordes, son beau-père : « Bon anniversaire, Orient Cœur d’Aile ! »

    Car Cœur d’Aile, c’était son nom, oui. Un nom, parfaitement idiot, dont ses camarades se moquaient bien souvent, le nom de l’homme qui lui avait « donné la vie », comme sa mère aimait tant à le dire, et qui avait eu l’idée intéressante de disparaître alors que lui, Orient, avait à peine trois ans. D’un coup. Sans laisser d’adresse. Sans laisser de traces. On n’avait jamais su ni pourquoi, ni comment, ni où …

    Que disait sa mère déjà, sur ce fichu mot qu’elle lui avait laissé devant le bol vide du petit- déjeuner ?

    « Mon petit Prince, bonjour. Très bon anniversaire, mon Trésor ! Et dire que même un jour comme celui-ci, je n’ai pas eu le temps de te faire griller la moindre tartine ! Tu ne trouveras pas de cadeau, non plus. Mais tu sais combien je travaille au bureau en ce moment. Je suis vraiment débordée. Je me rattraperai bientôt. Promis ! Plein de bisous à mon chéri, Maman. »

    Malgré lui, les yeux d’Orient s’étaient remplis de larmes.

    Balzane vit la feuille de papier qu’il tenait dans sa main prendre la voie des airs. Atterrir dans l’eau. Se gorger de liquide. Puis couler à pic.

    *

    – Bravo Cœur d’Aile ! Tu pollues ! Au lieu de jeter n’importe quoi dans le fleuve, si tu venais plutôt faire un tour avec moi ? Ça te changerait les idées. Tu m’as l’air d’en avoir besoin.

    Orient leva la tête.

    Le ciel était bleu, le fleuve était large, la ville entière vibrait voluptueusement sous la chaleur de l’été, et une péniche faisait des manœuvres compliquées pour s’approcher de lui.

    À son bord, il y avait le Grand Capitaine.

    Mince, vêtu comme à son habitude de son long manteau gris qui lui descendait aux chevilles, manteau totalement insolite dans la chaleur de cette journée, il souriait à Orient.

    Il s’appelait Fulgence de Goalland. Il était professeur de tir à l’arc au Club du Gymnase et quelqu’un d’assez redouté dans le quartier à cause de son ample carrure, de ses yeux bleus perçants et de son humour. Un bruit courait à son sujet : il avait été un grand champion, autrefois. Mais personne, jamais, n’osait en parler devant lui.

    L’homme observait Orient depuis le ponton de sa péniche.

    – Alors tu te décides, Cœur d’Aile, tu sautes ?

    – Fais ce que tu veux, dit Balzane qui en avait définitivement assez de la poussière et des graviers. Moi, je bouge.

    Avant qu’Orient ait pu répondre quoi que ce soit, l’hermine s’était lancée de toutes ses forces vers l’embarcation. Nul doute qu’elle serait tombée dans l’eau, si Orient ne l’avait rattrapée juste à temps, de sa main ferme et sûre, tandis que le jeune garçon bondissait lui-même sur le pont du bateau où Cùzco, le chien du Capitaine, un griffon au poil sombre, les attendait impatiemment.

    *

    – Je ne savais pas que vous aviez une péniche, dit Orient dès qu’il eut rejoint Fulgence dans la cabine de pilotage.

    – Vraiment ? Pourtant, j’y habite. Et je navigue pour les grandes occasions.

    – Ah, dit Orient de l’air évasif qu’il adoptait toujours pour se débarrasser d’une discussion peu intéressante. Parce qu’aujourd’hui, pour vous, c’est une grande occasion ? Vous avez de la chance !

    Il y eut un court silence.

    – Capitaine… reprit le jeune garçon. - Ç-ça fait longtemps que je voulais vous d-demander : c’est vrai q-que vous avez obtenu la médaille d’or au-aux dernières Grandes Internationales du Tir à l’Arc ? Et que vous pouviez… a-atteindre une cible… en plein centre dans l’ob-, l’obscurité complète ?

    Le Capitaine avait laissé parler Orient jusqu’au bout. Sans intervenir. Sans essayer de compléter ces paroles que le garçon articulait difficilement dès qu’il était contrarié ou bien très ému. Une forme d’amitié était née ainsi, car, la plupart du temps, Orient réglaient à coups de poings et de pieds les sarcasmes qu’on pouvait lui adresser sur son bégaiement, d’où sa réputation de garçon peu commode, et le fait qu’il ait pour seul ami Quentin Serkine.

    Menton levé, Orient fixait le Capitaine. Comme la réponse à sa question tardait à venir, il répéta :

    – Est-ce vrai ?

    – Oui. C’est vrai, dit enfin le Capitaine. Et je peux toujours atteindre une cible en pleine obscurité.

    Si c’était pour répondre cela, qu’il avait réfléchi si longtemps ! Mais le grand Fulgence de Goalland ne s’en tirerait pas à si bon compte :

    – On dit aussi que vous auriez pu devenir Champion Mondial, reprit Orient, en articulant bien les derniers mots. Mais que vous avez purement et simplement refusé de participer à la toute dernière épreuve. Sans donner aucune explication. Est-ce vrai ?

    – Nous ne disons pas « Champion mondial » entre archers, mais « Premier sous le ciel ». C’est autrement beau, non ?

    – Champion Mondial ou Premier sous le Ciel, comme vous voulez, est-ce vrai ou non ?

    Le Capitaine prit une longue inspiration et commença à parler, lentement :

    – Le Grand Art, - c’est ainsi que nous désignons le tir à l’arc entre nous -, fait faire parfois des choses surprenantes, Orient. Des choses que les simples spectateurs ne peuvent pas comprendre. C’est vrai, j’ai refusé de me présenter à cette dernière épreuve où, selon toute vraisemblance, j’aurais remporté ce titre. Mais c’était alors mon devoir d’agir ainsi, tu comprends ?

    – Ca-ça m’étonnerait que le … Grand Art, comme vous dites, permette… de-de trahir, d-d’abandonner… ceux qui vous font… confiance.

    – Trahir ? Pour avoir simplement refusé ? Le mot est fort, non ? Tu es d’humeur bien querelleuse, aujourd’hui ! Je fais toujours partie de ma Compagnie, je te signale, et de l’Archerie Internationale. J’y occupe même des fonctions importantes. Si ceux qui m’ont traîné dans la boue il y a dix ans, à cause de ce refus, m’avaient vraiment fait confiance, ils auraient compris que j’avais mes raisons, tu ne crois pas ?

    Le Capitaine s’était tourné vers Orient. Il essayait de capter son regard, mais le visage du jeune garçon s’était totalement fermé. Fulgence voulut s’expliquer davantage :

    – J’ai refusé une simple compétition, Orient. Mais j’ai fait ce que je pouvais pour aider mon maître, l’archer qui m’avait formé. C’était cela mon premier devoir.

    Comme l’adolescent ne le regardait toujours pas, Fulgence continua :

    – Je n’ai aucun regret.

    Il y eut un silence.

    – Ma mère dit que mon père nous a abandonnés. Vous saviez cela, Capitaine ? « Aucun regret », lui non plus, je suppose…

    Orient regardait droit devant lui. Il avait dû produire des efforts surhumains pour ne pas bégayer en disant ces quelques phrases. Balzane et Cùzco, qui s’amusaient à se poursuivre sur le pont, s’immobilisèrent d’un coup. On n’entendit plus que le bruit de l’eau contre la coque de la péniche et le bourdonnement du moteur.

    – Tu devrais demander plus de détails à ta mère sur tout cela, Orient. Tu as l’âge maintenant, n’est-ce pas ?

    – Bien sûr que j’ai l’âge ! répondit Orient sur un ton plein d’amertume, et il planta ses yeux dans ceux de Fulgence. Et même que j’ai douze ans ! Et même que c’est aujourd’hui mon anniversaire !

    Le Capitaine ne parut pas surpris. Il ajouta simplement, en regardant Orient à son tour droit dans les yeux :

    – Tu vois que j’avais raison de dire qu’aujourd’hui n’était pas un jour comme les autres. Bon anniversaire, Orient Cœur d’Aile !

    C’était bizarre d’entendre à nouveau cette exclamation. Le jeune garçon grommela un vague « merci », mais il ne put soutenir longtemps le regard de Fulgence.

    A nouveau, il y eut plus le bruit de l’eau glissant contre la coque et le ronronnement du moteur.

    – Pour le tir à l’arc… il faut avoir quel âge pour commencer ?

    – Il n’y a pas vraiment d’âge.

    – Alors vous pourriez m’apprendre…

    – T’apprendre quoi ?

    – À tirer à l’arc !

    – Je pourrais, en effet. Mais tout dépend de la façon dont tu veux apprendre. Et puis, jusqu’où tu veux apprendre…

    – Je veux apprendre comme vous. Être le meilleur.

    Orient regardait le Capitaine avec un air de défi.

    – Je vois… Et toi, tu n’abandonneras pas, hein ? C’est un beau projet ! Mais pour le réaliser, il te faudrait une autre formation que celle que je dispense au club du Gymnase. Il te faudrait entrer dans une Compagnie… La mienne, par exemple. Nous y acceptons les jeunes. Certains sont même des amis à toi.

    – Alors, c’est d’accord ? insista Orient.

    – Disons que ça dépend…

    – Ça dépend de quoi ?

    – De ta Réception…

    – Ma quoi ? Capitaine, ne-ne jouez pas sur les mots !

    – Sache que je ne joue jamais sur les mots, répliqua le Capitaine, toujours imperturbable. Jamais ! Je joue, tout au plus, avec les mots. Et encore ! Pas n’importe comment ! De façon très respectueuse… Les mots sont si susceptibles ! Ils détestent être employés à tort et à travers. Les plus grandes catastrophes arrivent à cause de cela, vois-tu. Seulement, on fait semblant de ne pas le savoir…

    – Sans doute, interrompit le jeune garçon. Mais cela veut dire quoi la Réception ?

    – C’est une sorte… d’entretien. On rencontre les membres les plus importants de la Compagnie dans laquelle on postule, et ils évaluent si tu peux être un candidat recevable. Ensuite, si tu es déclaré tel, eh bien tu deviens Novice  et tu reçois une première formation. Puis il y a un deuxième examen. Si tu le réussis, on te nomme Apprenti. Tu fais alors définitivement partie de l’Archerie, et tu entames le cycle de formation des professionnels.

    – C’est long !

    – Ce sont les rites. Une fois qu’on est Apprenti, il y a d’autres niveaux. Dans chaque niveau, des degrés différents.

    – Et ces niveaux, quels sont-ils ?

    – Apprenti, Compagnon, Maître, Grand Maître. On ne peut concourir pour le titre de « Premier sous le Ciel », que si on les a tous parcourus, évidemment. Et il faut commencer au début. Quentin Serkine a été consacré Apprenti-Vigilant d’azur, il y a une semaine.

    – Quentin, mon ami ?

    – Lui-même.

    – Mais il ne m’en a pas parlé !

    – Quand on fait partie d’une Compagnie, c’est un secret. Mais si tu suivais la formation des Novices, dès la fin des vacances tu pourrais faire partie de Maison Blanche. C’est le nom de notre Compagnie, et tu rejoindrais Serkine.

    – Et… cette réception, elle pourrait avoir lieu quand ?

    – Voyons… Ce soir ! Rendez-vous à onze heures, Place « dell’Orto ».

    – Mais, Capitaine, je n’ai p-pas le droit de sortir si tard, v- vous le savez bien !

    – Il n’y aura aucun danger, je t’assure.

    – Et puis… je n’ai, je n’ai… jamais entendu parler de la place dell’Orto.

    – Comme quoi, avant d’apprendre à tirer, il te faudra apprendre à réfléchir. Une bonne flèche doit savoir ré-fléch-ir. C’est amusant, non ?

    Orient ne répondit pas.

    Il préféra regarder d’un air distrait la berge vers laquelle ils revenaient, tandis que Fulgence faisait des manœuvres subtiles. Quand ils accostèrent, l’adolescent sauta vivement sur le quai, Balzane accrochée à son épaule.

    – M-Merci pour la promenade. Et-et pour le reste, lança-t-il.

    – Pas de quoi, Orient. Je t’attendrai près du puits jusqu’au onzième coup de onze heures ! Pas davantage. On entend très bien le carillon du beffroi quand le vent porte dans le bon sens.

    – Capitaine…

    – Oui ?

    Orient fut obligé d’élever la voix pour se faire entendre :

    – C’est quoi, votre titre à vous ?

    – Grand Maître des Grands Maîtres, Maître spécifique. Le dernier degré chez les Grands Maîtres.

    – Ah… Merci, Capitaine.

    Fulgence fit faire un tour complet au gouvernail.

    – À ce soir, Orient.

    Cùzco aboya pour prendre congé de Balzane.

    L’embarcation s’éloigna pesamment, comme un gros scarabée malhabile. Parvenue au milieu du fleuve, cependant, elle se mit à en remonter le cours à vive allure.

    Nout, Tipheret et Séfira

    – Mon pauvre Orient ! Tu es devenu complètement fou ! Sortir en pleine nuit ! Et puis quoi, encore ! Tes parents ne sont peut-être pas là de la journée, mais ils rentrent quand même pour le dîner. Tu comptes te débrouiller comment ?

    – Ça suffit, Balzane. Je verrai bien … Et puis j’ai envie d’occuper mes vacances, moi.

    Tout au long du chemin, Orient imagina mille et un plans pour réaliser, sans se faire prendre, sa sortie nocturne. Mais tout au long du chemin, Balzane se fit un malin plaisir de lui montrer pourquoi ils étaient tous irréalisables. Si bien que, lorsqu’ils franchirent le seuil de l’appartement, Orient n’était pas plus avancé.

    – Répondeur ! fit remarquer Balzane d’un petit air hautain en montrant le voyant rouge qui clignotait.

    Orient appuya sur la touche « Haut-parleur ». Une voix familière s’éleva :

    – Re-Bonjour mon chéri, Re-Bon Anniversaire ! C’est Maman. Je t’appelle sur le poste fixe parce que je n’arrive pas à te joindre sur ton portable. Il faudrait vraiment que tu penses à l’avoir sur toi. Et branché en permanence. On ne peut pas te joindre autrement, tu sais. Tu seras gentil de m’envoyer un texto dès que tu auras pris connaissance de ce que je vais te dire, hein ? Voilà … Crois bien que je suis tout à fait désolée, et Lucien aussi, mais ce soir, vois-tu, nous ne pourrons pas être là pour te souhaiter ton anniversaire. Figure-toi que nous sommes invités à dîner chez le Boss. Le Boss ! En personne, oui, et chez lui ! Évidemment, on ne peut pas refuser. Et on rentrera très tard. Largement après minuit. Il est hors de question que tu veilles jusque-là et que tu nous attendes. Tu te coucheras à une heure raisonnable, n’est-ce pas ? Il faudra que tu ailles chercher ta soeur chez Nounou, comme d’habitude, mais que tu lui donnes aussi son bain et que tu la fasses dîner. Ensuite, des petits jeux, une histoire, et hop, au lit ! Au plus tard à neuf heures. Je compte sur toi. Ah ! J’allais oublier ! J’espère que tu as bien trouvé la liste de tout ce qu’il faut acheter. Elle est sous le compotier de la cuisine, avec la carte bancaire du supermarché. Je pense que tu auras tout à fait le temps de faire les courses puisque tu es en vacances. Cela t’occupera, et tu me rendras un grand service.

    Il y eut une courte pause, puis la voix reprit :

    – Tu dois quand même être heureux, hein ? Faire ce que tu veux de ta journée sans les parents sur le dos ! Ah, je ne pouvais pas en faire autant à ton âge ! … Écoute, ce n’est pas grand-chose, mais si tu trouves quoi que ce soit qui te fasse plaisir en faisant les courses - un jeu vidéo, un livre, un T-shirt … - tu te l’achètes. C’est bien la moindre des choses pour ton anniversaire. Et puis, offrez-vous des glaces, ta sœur et toi. Avec un plat que tu aimes, mm ? … Je suis vraiment désolée. Embrasse bien Jolie Justine de ma part. Moi, je te fais plein de bisous. Tu es mon petit Prince. Enfin… mon grand Prince, maintenant. À demain. Sois bien sage. Au revoir.

    Orient était accablé. Moins par l’avalanche de toutes les choses qu’il avait à faire, que par cette affreuse soirée chez le Boss ! Elle tombait bigrement mal. Et même, elle empêchait tout… Si seulement cette poison de Justine avait été plus grande !

    De rage, Orient envoya un grand coup de pied dans les coussins du canapé. À deux ans, cependant, on ne pouvait la laisser seule dans l’appartement. Non, il ne pouvait pas l’abandonner. Tout était fichu. Le Capitaine attendrait pour rien, et lui, Orient, n’apprendrait jamais le Tir à l’Arc. Il pensa alors que la grande occasion dont parlait Fulgence ne le concernait sans doute pas, et que …

    – Ne sois pas si inquiet ! dit Balzane, qui semblait lire dans ses pensées. Tant qu’on peut espérer, on ne doit pas désespérer !

    La petite hermine avait dit ça sur un ton mi-sentencieux, mi-comique, en penchant la tête drôlement pour essayer de dérider son maître. Elle continua :

    – On dirait du Fulgence, tu ne trouves pas ? Tout à fait son style… Et puis d’ici à ce soir, on ne sait jamais. De toute façon, le Capitaine te proposera certainement un autre rendez-vous, j’en suis sûre. Il t’aime bien, Fulgence… Dis, tu ne trouves pas qu’il a un drôle de nom ?

    Balzane comprit aussitôt qu’Orient n’allait pas lui répondre. Quand son maître faisait cette tête-là, il n’y avait qu’un seul remède. Elle sauta sur les genoux d’Orient et, se dressant sur ses pattes arrière, se mit à lui lécher consciencieusement les cheveux. Rien ne pouvait être plus apaisant ! Une bonne léchade vous lavait les poils et vous lissait les idées d’un même élan. Mais, cette fois, elle eut beau faire, Orient ne se dérida pas, il mangea même ses sandwichs - pourtant ses préférés - sans véritable appétit.

    L’heure tournait.

    Il fallait partir s’il voulait éviter l’affluence aux caisses.

    *

    Que la liste était donc longue, et le nom des produits compliqué ! C’était vraiment à se demander pourquoi. Tout le monde le savait : Madame Iribordes ne faisait jamais la cuisine. Les graines de cardamome et de cumin, les vinaigres balsamique et de Xérès, le piment d’Espelette et le Tabasco se contenteraient de colorer les étagères à défaut de rendre savoureux les plats.

    Orient décida donc de prendre aussi des yaourts, des tranches de jambon, des nuggets de poulet et des tagliatelles. Il choisit pour Justine des petits plats préparés et tout un assortiment de petits pots. Plus : des boudoirs, des barquettes aux abricots et des tartelettes à la confiture de fraise.

    Il jugea qu’il avait bien mérité de s’offrir un tour au rayon « jeux vidéo » qui se trouvait juste à côté de la librairie.

    Jacky, le vigile, sourit à Orient quand il le vit passer avec son caddy bien rempli.

    – C’est le jour des courses, hein ?

    – Eh oui ! Ça va ?

    – Ça va.

    Le vigile l’aimait bien. Il faisait semblant de ne pas voir Balzane, cachée dans la poche de la grande veste qu’Orient mettait systématiquement pour ses expéditions à Casino, - alors que l’hermine dépassait toujours un peu, d’une oreille, d’une moustache, ou d’un bout de queue. Il laissait aussi Orient lire des B. D. et des Mangas autant qu’il le voulait et, surtout, il acceptait de le voir « tester » les jeux vidéos pendant des heures, sans jamais lui faire la moindre remarque.

    D’ailleurs, cela ne lui arrivait pas si souvent. Orient venait au supermarché une fois par semaine, pas plus.

    En passant devant le rayon des journaux, Orient vit en promotion des cartes de la ville – pour les touristes, sans doute, puisque c’était l’été.

    Il s’approcha du présentoir et, sans hésiter, en lança une dans son chariot.

    – En récompense pour le baby-sitting de ce soir ! Après tout, c’est mon anniversaire ! À défaut de pouvoir aller au rendez-vous, je pourrai au moins rêver sur le plan !

    *

    Trois heures plus tard, le supermarché était bondé. Balzane donna le signal du départ en prétextant qu’elle avait des besoins très urgents. Orient dut s’arracher au jeu vidéo avec lequel il était en train de jouer.

    Le temps de rentrer à la maison, de ranger les courses, il fallait aller chercher Justine chez Nounou.

    Il était dix-huit heures tapantes lorsqu’Orient arriva chez les Johanni.

    – Tu viens chercher la piccolina ? s’exclama Nounou avec un large sourire. C’est l’heure, en effet ! Comme le temps passe vite. Alors, ce premier jour de vacances, mm ? Tu ne t’es pas trop ennuyé ? Un peu, pas vrai ? Eh bien, j’ai une bonne nouvelle pour toi. Qui va rester toutes les vacances ici comme toi, alors qu’elle aurait dû partir chez sa tante ? Angelina ! Exactement ! Tu es content ?

    Marie Johanni sortit sur la petite terrasse qui donnait sur le jardin et appela :

    – Angelina ! Justine ! … Elles donnent à manger aux lapins. C’est une chance pour vous deux que le bébé de ma sœur soit arrivé à l’avance, n’est-ce pas ? Il était pressé de voir le monde celui-là ! Et ça lui fait cinq enfants maintenant, à ma sœur ! Quelle famille, hein ! … Mais Angelina vaut toutes les filles du monde. Et puis moi, j’ai aussi Justine. Et mon fils à moi, c’est toi, Orient. É vero, no ?

    – É vero ! répondit Orient en souriant, et en déposant un long baiser sur la joue brune de Nounou, presque aussi brune que la sienne.

    C’était même « molto vero », comme aurait dit Nounou, car c’était elle, en effet qui l’avait gardé presque dès sa naissance, et qui, longtemps, l’avait repris à la sortie de l’école en même temps que sa fille, puisqu’ils étaient exactement du même âge.

    Aujourd’hui encore, il venait souvent chez les Johanni, pour travailler avec Angelina ou pour préparer des exposés, mais surtout pour parler avec celle qui était devenue son amie.

    Justine arriva la première du fond du jardin, en trottinant, la fane d’une carotte à la main, les cheveux ébouriffés, son tablier plein de terre, de sable, et de chocolat, l’air tout à fait ravie.

    – « Lina, pinpin » dit-elle, le plus sérieusement du monde.

    Elle fit aussitôt demi-tour et repartit, invitant manifestement Nounou et Orient à l’accompagner.

    – Suis-la ! dit Marie Johanni. J’ai du travail encore ici. Prenez tout votre temps.

    Orient s’élança dans l’allée. Balzane l’avait précédé dans le jardin depuis un bout de temps, tandis que Justine, déjà, bifurquait vers les clapiers.

    La « Famiglia Johanni », comme on disait, habitait l’unique villa du quartier, la villa « Les Myosotis » au fond de l’impasse des Peupliers. De la rue, personne n’aurait pu soupçonner, à la voir si étroite, le grand jardin touffu qu’elle dissimulait derrière ses murs défraîchis, ni la cabane qui se cachait tout au fond. Pour Orient, comme pour tous ceux qui pouvaient y pénétrer, c’était là le paradis.

    Mais Angelina n’était pas aux « pinpins ».

    Orient l’entendit chanter dans la cabane. D’une voix très claire, presque transparente, qui vous saisissait de l’intérieur.

    Angelina travaillait sa voix avec un professeur du Conservatoire, mais elle disait souvent qu’elle en apprenait davantage auprès des colombes qu’elle élevait dans le jardin.

    Orient reconnut les notes qu’elle fredonnait : c’était le refrain de son chant préféré.

    Puis l’harmonie changea.

    Angelina se mit à entonner : « Joyeux anniversaire… » au moment où Orient entrait dans la cabane.

    – Eh bien, tu en as mis du temps ! J’ai cru que tu n’arriverais jamais ! Et tu n’as pas fait le salut à la pierre sacrée. C’est mon « Joyeux anniversaire » qui t’a troublé ainsi ? Tu pensais que j’allais oublier, c’est ça ? Ce n’est pas bien gentil ! Mon Dieu, que tu as l’air bizarre ! Ça va ?

    Orient n’arrivait pas à démêler toutes les émotions qu’il ressentait à la fois. Il était bouleversé par le chant d’Angelina, par le fait qu’elle se soit souvenue de son anniversaire, mais il lui restait encore de la tristesse et de l’amertume à cause de ce rendez-vous auquel il ne pourrait pas aller le soir. Il allait parler, quand Angelina s’exclama :

    – Tiens, voilà ta sœur ! Elle se repère bien dans le jardin, à présent. C’est fou ce qu’elle grandit. Mieux vaut ressortir tout de suite avec elle, il y a trop de choses dangereuses ici.

    Puis, s’adressant à la petite, aussitôt qu’ils furent à nouveau à l’extérieur :

    – Si tu allais faire quelques pâtés dans le bac à sable, Justine, hein ? En voilà une bonne idée !

    Justine fila droit vers les pelles et les seaux abandonnés et Orient put enfin raconter à son amie ce que lui avait proposé le Capitaine. Angelina l’écouta, le fixant de ses grands yeux clairs.

    – C’était donc vrai, ce qu’on a entendu sur lui…, murmura-t-elle. Qui l’aurait

    cru ? Tu as beaucoup de chance qu’il t’ait fait cette proposition.

    – Ce serait une chance si je pouvais me rendre à ce rendez-vous ! répondit Orient. Mais…

    Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Justine venait de pousser un cri strident. Balzane agitait presque sous son nez un gros rat noir qui se débattait dans sa gueule.

    – Lâche ça tout de suite, Balzane ! s’écrièrent ensemble les deux amis.

    Orient bondit dans le bac à sable et souleva Justine haut dans le ciel.

    Le premier mouvement de surprise passé, elle se mit à rire aux éclats tandis qu’il la balançait consciencieusement de droite et de gauche.

    – Eh bien ! Tu te muscles ! lança Angelina à l’adresse de son camarade. C’est bon pour le tir à l’arc !

    – Je n’ai pas vraiment le choix, répondit-il d’un ton désabusé.

    Et tandis qu’il soulevait Justine encore et encore, il gronda vertement Balzane :

    – Tu n’apprendras donc jamais les bonnes manières ! Si les rats n’attaquent pas, il n’est pas nécessaire de les provoquer ! Combien de fois te l’ai-je dit ? C’est insensé tout de même ! Et puis, d’où venait-il celui-là ?

    Du bout du museau, l’hermine montra la pierre sacrée à l’entrée de la cabane, puis elle tourna ostensiblement le dos à tous ces humains bornés. La queue raide d’une indignation contenue, elle entreprit de rejoindre Nounou dans la cuisine.

    – On s’arrête, Justine ? dit Orient. Je suis fatigué !

    La piccolina consentit à redescendre sur terre. Il fallait bien savoir se montrer conciliant de temps en temps. Elle s’éloigna rapidement tandis que les deux amis reprenaient leur conversation.

    – Pour ton rendez-vous, j’ai peut-être une idée, dit Angelina. Tu m’attends ici. Ne bouge pas.

    Il sembla à Orient qu’il y avait tout un conciliabule dans la cuisine dans un italien plus vif encore qu’à l’ordinaire. Angelina reparut presque aussitôt :

    – C’est arrangé ! Maman veut bien que je vienne dormir chez toi pour t’aider à t’occuper de Justine. Toute une soirée avec une petite de vingt mois, c’est un peu trop pour un garçon de ton âge !

    Son regard était ironique, mais Orient refusa de céder à la provocation. Cette décision l’arrangeait trop.

    Ils entendirent Nounou les appeler depuis la cuisine :

    – Les enfants !

    Ils attrapèrent Justine, et rentrèrent. Lorsqu’Orient franchit le seuil de la salle à manger, il vit sur la table une jolie nappe et un énorme gâteau au milieu. Avec douze bougies, et des flûtes pleines de jus de pomme pétillant. Balzane tenait en équilibre sur son museau un petit paquet. Tout le monde s’exclama en chœur : « Bon anniversaire, Orient ! ». Même Justine, qui avait répété la formule tout l’après-midi. Balzane fit faire au petit paquet enrubanné un double salto, le fit pivoter sur sa truffe, puis l’attrapant, avec le panache de sa queue, l’offrit à son Maître en faisant la révérence, la tête posée sur ses deux pattes avant.

    – On voit qu’elle faisait des numéros de cirque ! s’exclama Nounou en l’applaudissant.

    Rien n’était plus vrai.

    Orient avait vidé son livret de la Caisse d’Épargne pour acheter Balzane à un certain Peter Kent qui l’avait dressée pour faire des numéros d’équilibre.

    Il était devenu, ainsi, le maître de Balzane.

    Depuis lors, ils étaient inséparables.

    Aussi immobile qu’une statue, l’hermine continuait de tendre à Orient son cadeau. Il s’en saisit avec émotion, l’ouvrit et en retira un magnifique couteau suisse qui avait de multiples fonctions : lame-scie, lime, coupe-ongles, ciseaux, tire-bouchons, grattoir… Et le couteau, en plus, se glissait aisément dans la poche !

    Orient était très heureux. La vie lui sembla, d’un coup, merveilleuse.

    Ils dégustèrent la charlotte aux fraises, burent plusieurs coupes de jus de pomme pétillant, puis ils s’amusèrent à se poser des charades et des devinettes, ce qui était le jeu préféré de Nounou car elle y excellait. Justine, à la solution de chaque énigme, sautait sur place comme un kangourou, tandis que Balzane effectuait un double salto arrière sous les applaudissements frénétiques de l’assistance. Mais il se faisait tard, il fallait penser à regagner l’appartement. Justine devait être baignée, et surtout couchée bien à l’heure.

    Nounou se sentit alors obligée de faire un petit sermon aux deux grands.

    – Bon, Orient, je veux bien qu’Angelina aille dormir chez toi ce soir, mais c’est parce que tes parents ne sont pas là, et que je sais que vous êtes sérieux. Toi, Angelina, tu me promets de te conduire comme il faut, comme la vraie jeune fille que tu es ?

    Les deux adolescents hochèrent la tête en souriant : un sermon de Maria Johanni ne durait jamais longtemps. D’ailleurs, elle avait déjà terminé.

    – Très bien. Pendant que je prépare le sac pour la nuit, allez nourrir les colombes.

    Ils ne se le firent pas dire deux fois.

    *

    Le dîner des oiseaux était un spectacle à chaque fois.

    Pour les faire rentrer dans la volière, Angelina lançait une note musicale très particulière, un peu comme un roucoulement, et aussitôt les colombes venaient à elle.

    Cette fois encore, elles apparurent dans le ciel bleu, comme si elles sortaient des nuages, et chacune d’elles vint se poser sur l’épaule de l’un des enfants. Justine n’osait plus bouger tellement elle était fière. Elle se tenait la tête un peu en avant, le cou tout droit, comme plantée en terre dans ses souliers. Angelina déclara sur un ton solennel :

    – Nout s’est posée sur Orient, Tipheret, sur Justine, et, Séfira est revenue vers moi, hein Séfira ? C’est la première fois qu’elles se comportent ainsi. Je pense qu’aujourd’hui elles nous ont choisis, chacun, pour être leur maître particulier. C’est un grand jour, comme dirait Fulgence.

    Tandis qu’elle caressait sa colombe, Angelina demanda soudain :

    – Orient, sais-tu pourquoi les colombes ne parlent pas ?

    Ce fut Balzane qui répondit :

    – Elles ont fait vœu de silence. Il y a très longtemps. Personne ne sait plus pourquoi.

    – Chanter vaut parfois mieux que parler, commenta doucement la jeune fille.

    Ils avaient sorti les sacs de graines de la réserve et remplissaient soigneusement les bacs de la volière.

    – T-tu crois que cela marchera, pour ce soir ?

    – Pour ta Réception ? Bien sûr ! Autrement, Fulgence ne t’aurait pas fait cette proposition. Je te vois très bien en archer. Et d’ailleurs, moi aussi.

    – Sérieux ?

    – Sérieux ! Changeons l’eau des réservoirs, à présent.

    Puis ils dirent un dernier au revoir aux colombes, aux lapins, à Nounou, et ils se mirent en route.

    *

    La soirée fut très gaie. Justine était aux anges.

    Deux grands pour s’occuper d’elle, cela n’arrivait pas tous les jours, et Dieu, qu’ils étaient gentils ! Et patients ! Ils n’avaient rien dit quand presque toute l’eau du bain s’était retrouvée sur le carrelage, grâce, il est vrai, à l’aide puissante de Balzane ! Pas de reproche non plus quand la purée-tornade avait atterri sur leurs visages - ils étaient si drôles ! À présent, elle les écoutait lui lire des histoires. Avec des voix rigolotes. Ils étaient vraiment adorables, ils méritaient donc qu’elle se montre un peu gentille. Elle se mit à bâiller une fois, deux fois… De quoi parlait l’histoire déjà ? …

    – Elle s’est endormie, chuchota Angelina.

    – Pas trop tôt ! murmura Orient. J’ai cru qu’on n’y arriverait jamais. Heureusement qu’on était deux ! Il est neuf heures cinq à ma montre. Ma mère serait très impressionnée, on est parfaitement dans les temps. J’ai un peu faim, pas toi ? Si on se faisait des tagliatelles ? Cela te consolera de ne pas être allée en Italie !

    Angelina n’avait pas l’air de le regretter beaucoup. Elle n’avait pas vraiment faim non plus, mais il fallait qu’Orient prenne des forces pour la soirée qui l’attendait. Elle accepta donc et se laissa servir avec plaisir. Orient cuisait les pâtes comme personne. Ils terminèrent leur repas en se régalant d’un sorbet à la framboise.

    L’horloge numérique marquait 21 heures 50. Angelina était penchée sur la carte qu’Orient avait étalée sur la table de la cuisine.

    – Je ne trouve pas, dit-elle, au bout d’un instant. Non, pas de Place dell’Orto.

    – Donne-moi le livret, dit Orient agacé.

    Mais il eut beau lire et relire toute la liste, regarder fébrilement à « dell », et même à « lorto », il ne trouva rien non plus.

    – Elle-elle n-n’existe pas, bégaya-t-il. C-c’était bien la… peine !

    – Réfléchissons, reprit Angelina. Le Capitaine ne peut pas te faire une offre aussi importante et se moquer de toi, ce n’est pas son genre. Non, il y a sûrement quelque chose à comprendre. Que t’a-t-il dit au juste ?

    – Qu’il m’attendrait sur la place. Et puis qu’on entendait le carillon du beffroi. Si le vent portait dans le bon sens.

    – Le Beffroi ? Regarde sur Internet. Inscris : places, Paris, beffroi. On va bien voir ce qui va sortir.

    Orient se leva et alluma l’ordinateur.

    – Il n’y a qu’une réponse : place de l’Arbre Sec.

    – L’Arbre Sec ? Mais le voilà, ton jardin ! Un arbre, des arbres ! « Orto » veut dire jardin en italien, tu le savais ? Tu crois que le Capitaine est italien ?

    – Je n’en sais rien, et je m’en fiche ! Mais un jardin avec un seul arbre, et en plus, avec un arbre sec, eh bien…

    – Eh bien ? répéta Angelina avec un air de défi.

    – … Tu dois avoir raison, reconnut Orient. Fulgence m’a dit ce matin qu’il jouait, « très respectueusement » avec les mots, alors… Et puis de toute façon, je n’ai pas d’autre choix.

    Angelina, tremblante d’excitation, suivait déjà du doigt le chemin qu’e son ami aurait à parcourir.

    – Le plus long, c’est d’aller jusqu’à l’Hôtel de Ville. Après tu prends le Quai de Gesvres, tu longes le quai de la Mégisserie, tu passes le Pont Neuf. Il y a une première place, Place de l’École. Là, tu tournes à droite. Tu es dans la rue de l’Arbre Sec. Tu la remontes. La place où Fulgence t’a donné rendez-vous est tout au bout. Il t’attend.

    – Bon, dit Orient. Je vais me préparer.

    Quelques instants plus tard, Orient sorti de la salle de bains. Angelina remarqua qu’il avait mis son t-shirt noir préféré. Elle le félicita pour son allure. Mais il fallait patienter encore un peu. Alors, pour passer le temps, Orient se mit à jouer de la flûte traversière, une grande flûte argentée qui lui venait de son grand-père maternel. Angelina reprenait les airs de sa voix limpide. Dans la nuit chaude de l’été, toutes fenêtres ouvertes, les notes semblaient répandre des gouttelettes de temps lumineux et frais.

    – Sois prudent quand même, dit Angelina lorsque Orient se leva pour partir. Rappelle-toi que tu n’es pas obligé de faire ce que tu ne veux pas faire.

    – Ne t’inquiète pas.

    Balzane, de son côté, s’était réveillée juste à temps. Elle avait fait ses petites affaires à elle tandis qu’Orient se préparait - restauration de croquettes, gorgées d’eau, besoins, lustrage du poil -, et elle attendait, la truffe levée, que son maître donnât le signal du départ.

    – J’emporte aussi ma flûte, dit Orient. Elle me tiendra compagnie pendant le voyage.

    – Et ça aussi, ajouta Angelina dans un souffle.

    C’était un petit foulard de soie claire.

    – On ne sait jamais… s’il y avait un tournoi … Tu le mettrais autour de ton bras… Ce seraient tes couleurs, n’est-ce pas ? Avec lui, je suis sûre que tu gagneras. Alors tu me rapporteras le prix, et si c’est un collier de diamants …

    – Ah, les filles ! Mais bon … je te promets de faire tout ce que je peux… pour te le ramener.

    Balzane trouvait que, vraiment, ils commençaient à dire n’importe quoi. Aussi, décida-t- elle d’intervenir. Sautant hardiment sur l’épaule de son maître, elle glissa son museau entre les deux visages qui, selon elle, semblaient se rapprocher dangereusement et demanda avec un sourire innocent et enjoué qui dévoilait toutes ses petites dents :

    – Alors, on y va ?

    – On y va, répondit Orient en se détournant brusquement.

    Angelina le regarda s’éloigner, jusqu’à ce qu’il ait disparu dans l’ombre des grands immeubles.

    Le questionnaire

    – Tu es ponctuel, murmura le Grand Capitaine qui émergea de l’une des arches de la place.

    Il faisait beaucoup plus jeune ainsi, débarrassé de son manteau et vêtu d’un grand kimono noir,

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