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Dei ex Machinis: Volume I – De l'Antiquité à Hans Schlottheim
Dei ex Machinis: Volume I – De l'Antiquité à Hans Schlottheim
Dei ex Machinis: Volume I – De l'Antiquité à Hans Schlottheim
Livre électronique633 pages6 heures

Dei ex Machinis: Volume I – De l'Antiquité à Hans Schlottheim

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À propos de ce livre électronique

Ce livre décrit la vie et l'œuvre des principaux facteurs d'automates et proto-robots, depuis les légendes anciennes jusqu'aux débuts de l'Intelligence Artificielle. Certains de ces hommes ont marqué l'Histoire par leurs armes, par leurs écrits ou par leur philosophie. Ils ont souvent révolutionné les connaissances scientifiques ou techniques de leur époque. Parfois, ils ont tout su sur tout ; d'autre fois, ils ont été accusés de n'avoir rien compris à rien. Ils ont été charpentiers, horlogers, prêtres, bateleurs, commerçants, entrepreneurs, chercheurs. Il leur est arrivé de côtoyer les rois, les empereurs et les papes ; il leur est arrivé aussi de croupir en prison ou de se suicider. L'un d'entre eux est devenu roi lui-même et un autre est devenu le pape de l'An Mil. Ils sont morts riches et célèbres ou inconnus et ruinés. Cependant, tous sont des êtres exceptionnels qui - parmi de nombreuses autres contributions remarquables à l'histoire des sciences - ont produit des automates authentiques, de faux automates, des automates truqués ou de véritables robots. Pourtant, ils connurent souvent des faiblesses typiquement humaines et il reste sur leurs vies et leurs œuvres de nombreux mystères que le lecteur découvrira au fil de ces pages et de ces trois volumes qui couvrent environ trente siècles de notre histoire.
LangueFrançais
Date de sortie10 juin 2015
ISBN9782312036663
Dei ex Machinis: Volume I – De l'Antiquité à Hans Schlottheim

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    Aperçu du livre

    Dei ex Machinis - Jean-Arcady Meyer

    Science.

    Avant-Propos

    Je ne suis ni historien, ni mécanicien, ni spécialiste des automates. C'est mon travail sur les animats et la robotique bio-inspirée qui m'a conduit à m'interroger sur l'historique de ma discipline et à m'intéresser aux automates et proto-robots qui ont pavé la voie que moi-même et mes collègues suivons maintenant. Or, j'ai été souvent frustré de ne trouver dans la littérature moderne correspondante que les mêmes et sempiternelles évocations des statues animées grecques, de l'androïde d'Albert le Grand, de la Francine de Descartes ou du canard défécateur de Vaucanson, sans que les détails que ces évocations me donnaient envie de connaître ne me soient jamais donnés. C'est pourquoi, j'ai résolu un jour d'aller chercher moi-même les informations correspondantes et, peut-être, de les consigner par écrit.

    Or, dès l'instant où je commençais à me plonger dans une littérature plus ancienne ou plus exotique que celle à laquelle j'étais accoutumé, il m'apparut que les détails dont je commençais à apprendre l'existence étaient souvent si passionnants que l'idée d'en faire un livre s'ancra définitivement en moi. Dans le même temps, je constatais que les vies des concepteurs ou fabricants des machines extraordinaires auxquelles je m'intéressais étaient généralement encore plus fascinantes, originales et complexes que le ou les automates que ces hommes avaient fabriqués et que, souvent, ils avaient produit bien davantage que ces seuls automates. J'apprenais le destin extraordinaire et l'exceptionnel génie de ces hommes grâce à l'intérêt que je portais à leurs productions. Ils devenaient à mes yeux des sortes de dieux par l'intermédiaire de leurs machines – dei ex machinis.

    Ayant donc choisi d'écrire un livre, non directement sur les automates et les proto-robots eux-mêmes, mais sur la vie et les œuvres de leurs concepteurs, l'objectif de produire un ouvrage original et cohérent s'en trouvait considérablement facilité. Autant je n'aurais pas su comment classer et présenter ces seules machines autrement que Chapuis et Droz ou Chapuis et Gélis l'avaient magistralement fait avant moi, autant il devenait facile de présenter les vies de leurs créateurs par ordre chronologique. De plus, si diverses biographies ont été écrites sur certains de ces hommes, il n'existe aucun texte qui les complète et les regroupe.

    J'ai eu divers choix à faire quant à l'étendue et au contenu de cet ouvrage. J'ai décidé de partir d'aussi loin dans le passé que possible, mais de ne remonter que jusqu'à 1956, année où la célèbre conférence qui se tint au Dartmouth College dans le New Hampshire (USA) lança les recherches sur l'Intelligence Artificielle. Depuis cette époque, bien d'autres machines et bien d'autres savants dignes du plus grand intérêt sont apparus, mais il existe sur les unes et les autres une abondante littérature et ceci devient « une autre histoire ».

    J'ai également choisi de parler aussi bien des machines dont on est sûr de l'existence que de celles dont on est sûr qu'elles relèvent de la pure légende, pourvu que ces dernières soient attribuées à des hommes qui ont réellement existé. J'ai toutefois fait une exception à ce principe dans le rappel historique et littéraire du chapitre qui suit. De même, j'ai délibérément mélangé des faits d'une importance considérable à de simples anecdotes. J'ai également multiplié les notes précisant tel ou tel point évoqué dans le texte. J'ai, enfin, choisi de reproduire le plus grand nombre possible des citations auxquelles je me suis référé. Dans chaque cas, j'ai considéré que cela étoffait le vaste tableau que je dépeignais, que cela aidait à comprendre le contexte d'un événement, les préoccupations d'une époque, la personnalité d'un individu ou le détail d'une machine et j'ai osé espérer que mes lecteurs prendraient autant de plaisir à lire ces informations que j'en ai eu à les découvrir.

    Après huit ans de travail, j'ai pensé qu'il était temps de publier ce livre même si - puisque je ne suis ni historien, ni mécanicien, ni spécialiste des automates - il reste certainement de nombreux défauts à y corriger. Si j'ai soulevé quelques lièvres et poursuivi quelques pistes inédites, je n'ai pas l'impression que, en dépit de mes efforts, je puisse aller seul beaucoup plus loin dans mes investigations. A propos des facteurs d'automates français, par exemple, il a été parfois écrit qu'un italien avait contacté en 1899 le Directeur du Conservatoire national des arts et métiers de Paris pour lui vendre le canard de Vaucanson. Je révèle que cet italien s'appelait Cesare Donadoni et je fournis son adresse à Berlin. Je révèle également qu'un certain Cesare Donadoni fabriquait des pianos dans cette ville à cette époque, sans pouvoir garantir qu'il s'agisse de la même personne. Peut-être cette indication servira-t-elle un jour à reprendre la chasse au canard… De même, si j'ai retrouvé divers documents évoquant à quelles difficultés financières l'abbé Mical avait été confronté à la fin de sa vie, il reste que celle-ci demeure encore très mystérieuse. On pourrait en dire bien davantage au sujet de Maillard, dont je n'ai réussi qu'à découvrir les prénoms et l'adresse… Enfin, je raconte comment j'ai retrouvé la trace de la famille d'Henry Piraux, le créateur de Philidog, mais pas le moindre détail sur le devenir de ce robot et sur la vie de son inventeur. Des lacunes tout aussi regrettables concernent les personnalités étrangères comme Takeda Omi ou Rosenegger. C'est pourquoi, à ce stade, j'ai hâte de partager ces diverses informations avec des lecteurs qui pourraient m'en apprendre davantage. Naturellement, j'espère aussi que ces lecteurs, ou d'autres, m'aideront à corriger les défauts que je viens d'évoquer.

    A ce propos, j'ai plaisir à exprimer ma sincère reconnaissance vis-à-vis des personnes suivantes pour l'aide qu'elles m'ont accordée et les échanges amicaux que j'ai eus avec elles :

    Agnès Guillot (Armand Kohl)

    Corinne Jouanno (Alexandre)

    Didier Labrit-Badie (Julien Maillard)

    Didier Mahistre (Jacques Vaucanson)

    Catherine Mareigner (Henry Piraux)

    Bruce MacLennan (Virgile)

    Philippe Mennecier (René Descartes)

    Alain Mercier (Jacques Vaucanson)

    Agnès Meynard-Berdaguer (Jean-Eugène Robert-Houdin)

    Bernard Peytoureau (Jean-Eugène Robert-Houdin)

    Joseph Rainone (Zadock Dederick)

    Bruno Rasle (Albert Ducrocq)

    Marianne Reuter (Giovanni Fontana)

    Marie Rochel (Jean-David Maillardet)

    Mona Sanjakdar-Chaarani (Banu Musa)

    Emma Stuart (Virgile)

    Nicholas Adams (Giovanni Fontana)

    François Bost (Jean-Eugène Robert-Houdin)

    Jean-Claude Cheynet (Léon le Philosophe)

    Edmond Coffin (Honoré Mical)

    Louisa Collins (James Cox)

    Roberto Cordeschi (Proto-robots)

    Jean-François Delmas (Athanase Kircher)

    Luca Garai (Léonard de Vinci)

    sans que, naturellement, aucune erreur dans cet ouvrage ne doive leur être imputée.

    J'adresse des remerciements particuliers à Jean-Pierre Rieb qui connaît mieux que personne les mécanismes et automates des horloges astronomiques de Strasbourg et qui m'a fait pénétrer à l'intérieur du buffet de l'horloge actuelle pour m'en détailler les « ressorts savants ». Je suis aussi infiniment reconnaissant à Reuben Hoggett de m'avoir aidé à retrouver les sources de nombreuses images publiées dans cet ouvrage et je ne saurais trop encourager mes lecteurs à consulter le site Cyberneticzoo que Reuben fait vivre sur Internet avec passion et talent. Mon collègue Owen Holland - qui, lui, était parti à la chasse aux tortues de Grey Walter - a connu l'immense joie d'en retrouver une presque intacte dans une cave d'Islington. Il m'a mis sur la piste de documents ou photographies illustrant d'autres réalisations de Walter et je l'en remercie très sincèrement.

    Je remercie également Florence Greffe pour m'avoir aidé dans mes recherches aux archives de l'Académie des Sciences, Sandrine Zaslawsky et Shona Milton pour m'avoir procuré, en Suisse et en Angleterre, des photocopies de journaux que je n'arrivais pas à obtenir par mes propres moyens, Yvonne Brandt et Rita de Tata qui m'ont facilité l'accès aux documents iconographiques du musée Staatliche Kunstsammlungen de Dresde et de la Bibliothèque Universitaire de Bologne.

    Je n'oublie évidemment pas quels bons moments la rédaction de ce livre m'a conduit à passer avec mon fils Christophe, qui m'a constamment encouragé et m'a sorti de plus d'un mauvais pas informatique.

    Enfin, c'est avec la plus profonde sincérité et affection que je sacrifie à la tradition qui veut que tout auteur qui a conscience d'avoir singulièrement compliqué la vie de son entourage s'en excuse une fois son forfait accompli. Maintenant que ces choses sont écrites, je me rendrai volontiers davantage disponible pour en parler et je suis même prêt à aller faire les courses ou à promener le chien. Enfin, à l'occasion…

    Espinet, mai 2015

    Environ trente siècles d'automates

    Automates et robots

    Le mot automate vient du mot grec automatos – qui se meut de lui-même. Il a donc vocation à désigner toutes les machines qui renferment en elles-mêmes les mécanismes qui les meuvent. Dans une acception aussi large, toutefois, les montres, les locomotives, les distributeurs automatiques sont des automates. C'est pourquoi, dans cet ouvrage destiné à décrire les étapes ayant précédé les recherches modernes sur les animats et la robotique bio-inspirée, nous donnerons à ce terme le sens plus restreint que l'usage a, par ailleurs, largement imposé : celui de machines qui imitent la forme et le comportement d'un être vivant par le moyen des dispositifs mécaniques, pneumatiques, hydrauliques, électriques ou électroniques qu'elles contiennent.

    Dans la mesure où, une fois enclenchés, ces dispositifs provoquent l'exécution d'une suite immuable d'opérations et de mouvements, on qualifie souvent d'automate quelqu'un qui agit mécaniquement, d'une manière inconsciente. C'est d'ailleurs pour cette raison que les anciens avaient appelé Automatia la déesse du hasard¹, laquelle réglait à son gré le sort des humains en agissant de sa propre initiative.

    En termes modernes, les pièces en mouvement qui font mouvoir un automate s'appellent des actionneurs et leur enclenchement est réalisé par un système de transmission qui exploite, par exemple, la force produite par un poids tirant sur une corde ou par le déroulement d'un ressort. A l'occasion, les actions de cet automate modifient son environnement, comme lorsqu'il y déplace un objet (Figure 1).

    A la différence d'un automate, un robot n'accomplit pas toujours la même séquence d'actions lorsqu'il est mis en mouvement. En effet, le simple système de transmission précédent devient maintenant ce qu'on appelle une architecture de contrôle, c'est-à-dire un dispositif capable d'exploiter les informations transmises par les senseurs du robot pour déclencher tel ou tel actionneur. Ces informations portent sur l'état de l'environnement au sens large, de sorte que l'action effectuée dépend aussi bien de l'état interne du robot que de l'état du milieu dans lequel ce dernier se trouve. Ainsi un robot peut-il effectuer un mouvement d'évitement d'obstacle lorsqu'il est sur le point de heurter un mur ou partir à la recherche d'une station de recharge si ses batteries sont faibles (Figure 2).

    Lorsqu'un robot est mis en marche, une boucle sensori-motrice permanente se met en place. En fonction de l'état de l'environnement perçu par certains senseurs, l'architecture de contrôle sélectionne l'action à accomplir et déclenche certains actionneurs. L'action que le robot accomplit alors peut changer l'état interne de ce dernier ou celui de son milieu. Cette nouvelle situation est perçue par les senseurs et transmise à l'architecture de contrôle, laquelle sélectionne une nouvelle action, déclenche de nouveaux actionneurs et provoque de nouveaux changements de l'environnement. Ces derniers, à leur tour, provoquent de nouvelles actions… et ainsi de suite. Tant que le robot n'est pas mis à l'arrêt, cette boucle sensori-motrice demeure active et le comportement du robot évolue spontanément, en fonction de ses interactions avec l'environnement et des changements qu'il y opère.

    Les automates téléopérés constituent un cas intermédiaire entre celui des automates et des robots (Figure 3). Comme décrit plus loin, ils peuvent être équipés de véritables senseurs - tels que des microphones sensibles aux ordres oraux émis par un démonstrateur humain - ou simplement d'un dispositif grâce auquel ce démonstrateur peut agir directement sur le système de transmission - au moyen des « pédales » d'un automate truqué par exemple. Dans les deux cas, il n'y a pas de mise en place d'une boucle sensori-motrice telle que celle qui vient d'être évoquée et le comportement de l'automate n'évolue qu'en fonction des interventions successives de l'humain qui le contrôle.

    Perspective historique

    Des représentations d'animaux ou d'êtres humains ont été produites sur les murs des cavernes dès le Paléolithique, près de 30 000 ans avant J.C. Toutefois, si les hypothèses sur la signification de ces représentations - et de l'art paléolithique en général - sont nombreuses, aucune n'entraîne l'adhésion de tous les spécialistes.

    On ne sait pas davantage où, ni quand, est née l'idée de donner du volume et du mouvement à ces représentations qui servaient vraisemblablement à des fins religieuses et magiques, avant de devenir de simples objets de spectacle ou des jouets pour enfants. On peut imaginer qu'elles ont été d'abord agitées à bout de bras, avant d'être mues ensuite grâce à l'intervention de dispositifs supplémentaires dont certains pourraient remonter au début du premier millénaire avant J.C.

    Les plus simples et les plus anciens parmi ces dispositifs étaient constitués de fils, de cordes ou de bâtons tels que ceux qui équipent les figures articulées et marionnettes qu'on retrouve sous toutes les latitudes et à toutes les époques [36][38][124](Figure 4). Quoi qu'il en soit, à en croire de nombreux écrits, de véritables automates auraient existé dès le début du premier millénaire avant J.C. Pour autant, on ne saura sans doute jamais si le chinois Lu Ban ou si le grec Archytas avaient réellement produit les machines dont la littérature les crédite et si ces machines étaient réellement des automates. On peut être relativement certains, en revanche, que Yan Shi n'a pas fabriqué l'humanoïde qui tentait de séduire la concubine du roi Mu et qu'Alexandre le Grand n'a jamais construit les joueurs de trompette censés décourager Gog et Magog d'envahir le monde civilisé…

    Description : Automates primitifs.jpg

    C'est pourquoi, et jusqu'à preuve du contraire, il apparaît que c'est au sein de l'école d'Alexandrie et vers le milieu du IIIème siècle avant J.C. que la production des automates s'est véritablement développée - en conséquence, semble-t-il, de trois phénomènes. En premier lieu, il est clair que l'esprit grec a toujours été fasciné par les automates comme en témoigne la littérature évoquée dans le chapître suivant. En deuxième lieu, les ingénieurs et savants qui fréquentaient le Musée d'Alexandrie avaient appris à utiliser les roues dentées et les engrenages dans des machines exploitant la mécanique, l'hydraulique et la pneumatique pour des applications diverses, notamment militaires. Enfin, il se trouve que toutes les races et toutes les religions confluaient à Alexandrie à cette époque. Dans la mesure où la cité regorgeait de temples de plus en plus richement ornés et de plus en plus chers à entretenir, les prêtres d'Alexandrie firent largement appel aux services de ces ingénieurs pour qu'ils conçoivent des artifices susceptibles d'attirer les fidèles, de les émerveiller et de les retenir. C'est donc dans un étonnant contexte de religion et de concurrence commerciale, que ces hommes de science mirent au point des automates et tours de magie particulièrement ingénieux².

    D'Alexandrie et de Grèce, le goût des automates atteignit le monde romain. C'est d'ailleurs Vitruve qui contribua par ses écrits à faire connaître les réalisations de Ctésibios, Archimède et Philon et à promouvoir la mise en pratique du savoir alexandrin. C'est en partie grâce à lui que cette culture se propagea au monde arabe alors que, à partir du IIème siècle après J.C., la littérature d'ingénieurs disparaissait en Occident, à l'exception du traité militaire de Végèce³.

    Alors que l'Occident s'enfonçait dans le désert culturel et technique des débuts du Moyen Age, la conception et l'usage des automates s'étaient développés en Chine de manière indépendante. Ainsi, la passion pour les chariots autonomes [144] ou les cerfs-volants [108] qui sous-tend certaines des réalisations correspondantes est-elle caractéristique de ce pays. C'est également à l'attachement des chinois pour l'astrologie et l'astronomie que sont dues les sphères armillaires et horloges astronomiques qui, de Yi Xing à Su Sung, permirent le développement des automates qui leur étaient associés.

    On peut difficilement douter de l'influence que les facteurs d'automates grecs et indiens exercèrent les uns sur les autres à la suite de l'expédition d'Alexandre, à comparer les mécanismes hydrauliques que les deux civilisations ont produits ou, simplement, à accorder crédit aux références explicites que la littérature indienne fait aux réalisations étrangères. Il n'en reste pas moins que, d'un côté, les automates donnèrent lieu à des applications pratiques alors que, de l'autre, ils servirent essentiellement de métaphore pour évoquer la relation entre l’âme et le corps, d'une part, entre l'univers et Dieu, d'autre part. Ainsi, dans le Bhagavad-gita, Krishna dit :

    « Le Seigneur Suprême se trouve dans le cœur de chacun, O Arjuna, et guide l’errance de toutes les entités vivantes, qui sont assises comme sur une machine (yantra) faite de l’énergie matérielle. » 

    tandis que Raghavan écrit :

    « Ainsi, même les écrivains qui ont réellement eu affaire aux yantras, comme Somadeva et Bhoja, virent dans la machine manipulée par un agent une analogie appropriée pour représenter le corps terrestre et les sens régis par l’Âme ou pour représenter le mécanisme merveilleux de l’univers, avec ses éléments constituants et ses systèmes planétaires, nécessitant une maîtrise divine pour les conserver en révolution constante.

    Ainsi, la machine est devenue un bon modèle de l'homme en tant qu'objet entre les mains du Tout Puissant, lequel siège dans le cœur de l'homme et se sert de son pouvoir mystique, non seulement pour le mouvoir, mais encore pour lui faire croire qu'il est un agent libre et compétent. » [165]

    En réalité, les véritables successeurs des Alexandrins furent les Byzantins et les Arabes. C'est désormais parmi eux qu'on trouvera au Moyen-Age de grands savants, comme Léon le Philosophe, les Banu Musa ou al-Jazari. A l'instar des Ptolémées, ces hommes se sont appliqués à collecter les manuscrits de leurs prédécesseurs, à les traduire, les étudier, les transmettre. Des institutions comme l'Université de la Magnaure à Byzance ou la Maison de la Sagesse à Bagdad visaient le même objectif que celui du Musée d'Alexandrie : rassembler l'élite intellectuelle du temps, quelles que soient ses origines, religieuse et nationale, et attirer le plus possible de savants, philosophes et hommes de lettres, avides d'apprendre et d'échanger. A Byzance, les automates du trône de Salomon frappaient d'admiration les ambassadeurs du monde entier, une excellente publicité pour recruter des prosélytes…

    Pendant ce temps, en Europe, si la fabrication ou la possession d'automates est attribuée aux grands esprits ayant éclairé d'une vive lumière les ténèbres s'étendant du Xème au XIIIème siècle - Gerbert, Albert le Grand, Bacon - c'était en quelque sorte pour conforter l'accusation que ces hommes exceptionnels s'adonnaient à l'alchimie ou qu'ils avaient vendu leur âme au Diable. A la fin du XIIIème siècle, cependant, les automates et leurs concepteurs étaient redevenus fréquentables, de sorte que Frédéric II de Sicile put accueillir savants et mécaniciens chrétiens, juifs, musulmans pour leur faire construire les admirables jardins à automates qui enchantèrent Robert d’Artois. De retour en France, celui-ci peuplera de réalisations semblables son château de Hesdin. Ce fut, par ailleurs, l’époque qui vit naître l’horlogerie mécanique.

    A la Renaissance, c'est dans les cours italiennes qu'on retrouve l'esprit d'Alexandrie. Ainsi, les princes et ducs de Mantoue, d'Urbino, de Florence, de Ferrare, de Milan... attirèrent à eux de nombreux savants, à la fois architectes, ingénieurs, techniciens et artistes dont Léonard de Vinci fut le plus génial représentant. Si de nombreuses incertitudes subsistent sur la nature et le mode de fonctionnement des automates que ce dernier utilisait pour animer les fêtes de cour dont les princes étaient friands à la fin du XVème siècle, il ne semble pas que les automates de Léonard aient largement exploité les mécanismes hydrauliques et pneumatiques décrits par ses prédécesseurs. En revanche, lorsque le goût des princes se tourna à nouveau vers l'agrémentation des jardins, il est assez clair que la tradition grecque revécut dans les automates hydrauliques réalisés au siècle suivant par Buontalenti pour les jardins de Pratolino. Jérome Cardan se réfère explicitement à cette filiation dans son De Subtilitate et l’angevin Le Loyer mentionne dans son Discours des Spectres la présence dans les jardins de Tivoli d'un orgue inspiré de Ctésibios et Héron [112]. L'œuvre de Salomon de Caus découle naturellement de cet engouement pour l'ornementation des jardins, engouement favorisé par les progrès techniques résultant des travaux d'assèchement conduits aux Pays Bas et dans les marais anglais.

    C'est, de même, aux progrès techniques et aux efforts de miniaturisation que connut l'horlogerie à partir du Quattrocento - une évolution largement exploitée par d'autres grands mécaniciens tels que Torriano et Dasypodius - que Schlottheim à la fin du XVIème siècle put satisfaire la nouvelle passion des princes, celle des « automates de table ». La technologie des Grecs était maintenant largement dépassée. Cependant, la Guerre de Trente Ans ayant considérablement appauvri les princes en question et l'intérêt pour les sciences nécessitant des horloges de plus en plus précises, l'activité horlogère changea de nature au XVIIème siècle [138] et la production d'automates se développa alors relativement indépendamment de celle des horloges.

    Avec Athanase Kircher, ce jésuite si controversé, la religion, les sciences et les automates furent mis à une sauce originale, absolument unique dans l'Histoire. C'est au XVIIème siècle également que Descartes conduisit ses contemporains, mais aussi les générations à venir, à s'interroger sur le statut de l'automate, comme sur les natures respectives de l'Homme et de l'animal. Alors que Descartes considérait que l'Homme se distingue de l'animal-automate par sa conscience, La Mettrie fit scandale au siècle suivant en affirmant que l'Homme est un animal comme les autres, c'est-à-dire un simple assemblage de ressorts.

    Ce siècle suivant, c'était le Siècle des Lumières, celui auquel les automates connurent leur âge d'or.

    En premier lieu, s'il ne semble pas que Descartes ait réussi à fabriquer les automates auxquels il songeait pour étayer ses conceptions mécanistes, c'est à Vaucanson qu'il appartint de réaliser les rêves du philosophe. Pour la première fois, en effet, les automates du génie grenoblois allaient réaliser non pas une « simulation d’effets recherchée à des fins de jeu ou de mystification » mais une « reproduction de moyens en vue d’obtenir l’intelligence expérimentale d’un mécanisme biologique » [30]. En d'autres termes, l'objectif de Vaucanson n'était plus de distraire quelque prince en produisant un être artificiel ressemblant à un être vivant, son objectif était de mieux comprendre le vivant en cherchant à le reproduire le plus exactement possible. Les efforts de von Knaus, de l'abbé Mical, de von Kempelen et de Faber en vue de fabriquer des automates doués de parole s'inscrivirent dans cette perspective [169].

    Une autre occasion de réfléchir aux statuts respectifs de l'Homme et de l'automate fut offerte aux admirateurs du pseudo joueur d'échecs de von Kempelen, une réalisation que Maelzel exporta, et dont il étendit la renommée, jusqu'en Amérique.

    Avec les Jaquet-Droz, les Maillardet et Cox - qui tous bénéficièrent plus ou moins directement des progrès de l’industrie horlogère suisse, notamment en matière de miniaturisation - un important trafic commercial permit d'exporter les « Sing-Song » occidentales en Chine et en Russie notamment.

    Dans le même temps, enfin, le Japon s'était fermé aux échanges internationaux pendant l'ère Edo. C'est donc de manière relativement indépendante que, à la suite de Takeda Omi, des mécaniciens comme Hosokawa, Tanaka et Ohno développèrent l'usage des « karakuri » dans ce pays.

    A partir du milieu du XIXème siècle, la veine des chefs-d’œuvre de l’automatisme s’épuisa. Les poupées animées, les oiseaux chanteurs, les magiciens acrobates, les théâtres mécaniques, les bijoux articulés, les clowns et les fumeurs de cigarettes qui furent alors produits en quantité font de nos jours le bonheur des collectionneurs et présentent souvent de réelles qualités artistiques [12][85][158], mais n'apportèrent plus rien à l'histoire des idées ou des techniques. De ce point de vue, seuls émergèrent Robert-Houdin, Rechsteiner et Fabergé.

    Si les humanoïdes à vapeur produits à la fin du siècle connurent un succès considérable dans la littérature de gare américaine, leur usage fut vite supplanté par celui des automates électriques qui proliférèrent au XXème siècle. Certains d'entre eux ne servaient qu'à démontrer un savoir-faire, mais beaucoup d'autres relevaient de ce qu'on appelait la « méthode synthétique » et contribuaient, comme les « anatomies mouvantes » de Vaucanson en leur temps, à mieux comprendre le vivant. Cependant, alors que Vaucanson s'intéressait surtout à l'anatomie et à la physiologie, les chercheurs du XXème siècle se focalisaient sur le système nerveux, sur les capacités adaptatives et sur l'intelligence. Dans ce contexte, les premiers robots firent leur apparition en 1912, précédant de près d'un demi-siècle la discipline scientifique nouvelle qui prit le nom d’ « Intelligence Artificielle ».

    C'est cette histoire que nous détaillons dans cet ouvrage, au travers de la vie et de l'œuvre des grands hommes qui l'ont écrite.

    Les automates dans la littérature antique

    Littérature grecque

    C'est, semble-t-il, dans l'Iliade (Livre XVIII) - et donc au VIIIème siècle avant J.C. environ - qu'on trouve la plus ancienne référence écrite à des automates. Homère décrit en effet la visite que Thétis rend à Héphaïstos pour lui demander de forger les armes d'Achille :

    « Thétis aux pieds d'argent arrive dans la demeure d'Héphaïstos, demeure impérissable et étoilée, éclatante entre toutes aux yeux des Immortels, toute en bronze et construite par le Bancal lui-même. Elle le trouve, tout suant, roulant autour de ses soufflets, affairé. Il est en train de fabriquer des trépieds - vingt en tout - qui doivent se dresser tout autour de la grande salle, le long de ses beaux murs bien droits. A la base de chacun d'eux, il a mis des roulettes en or, afin qu'ils puissent, d'eux-mêmes, entrer dans l'assemblée des dieux, puis s'en revenir au logis - une merveille à voir ! Ils sont presque terminés ; les anses ouvragées, seules, ne sont pas encore en place ; il y travaille, il en forge les attaches. Tandis qu'il peine ainsi, en ses savantes pensées, voici que s'approche Thétis, la déesse aux pieds d'argent.

    […]

    Il dit et quitte le pied de son enclume, monstre essoufflé et boiteux, dont les jambes grêles s'agitent sous lui. Il écarte du feu ses soufflets ; il ramasse dans un coffre d'argent tous les outils dont il usait ; il essuie avec une éponge son visage, ses deux bras, son cou puissant, sa poitrine velue. Puis il enfile une tunique, prend un gros bâton, et sort en boitant. Deux servantes s'évertuent à le soutenir. Elles sont en or, mais elles ont l'aspect de vierges vivantes. Dans leur cœur est une raison ; elles ont aussi voix et force ; par la grâce des Immortels, elles savent travailler. Elles s'affairent, pour soutenir leur seigneur. Il s'approche ainsi avec peine de l'endroit où est Thétis et s'assoit sur un siège brillant ; puis il lui prend la main, il lui parle, en l'appelant de tous ses noms. » 

    Au-delà des trépieds capables de se rendre d'eux-mêmes à l'assemblée des dieux et des servantes en or plus vraies que nature, de nombreux autres automates sont attribués à Héphaïstos par les écrivains grecs [127]. Pausanias (Description de la Grèce, 10, 5), par exemple, évoque des chanteuses en or tout en précisant qu'il ne croit pas à leur réalité :

    « Au surplus, je ne crois ni que ce temple [d'Apollon à Delphes] fût l'ouvrage d'Héphaïstos, ni qu'il y eût des chanteuses en or comme le dit Pindare en ces termes : Des musiciennes en or chantaient suspendues à la sortie du temple. Je pense qu'il a imaginé cela d'après les Sirènes d'Homère. » 

    Homère, à nouveau, évoque dans l'Odyssée (Livre VII) les deux chiens gardiens du palais d’Alkinoos :

    « Aux extrémités des portes on aperçoit des chiens d'or et d'argent qu'avait forgés Héphaïstos avec un art merveilleux pour garder la demeure du magnanime Alkinoos ; ces chiens sont immortels et pour toujours exempts de vieillesse. » 

    tandis que Pollux (Onomasticon 5, 38) assure qu'un chien forgé par Héphaïstos fut capable de se reproduire :

    « On dit que les chiens de Khaonie et les molosses sont les descendants d’un chien qu’Héphaïstos forgea à partir du bronze de l’île de Dèmonèsos et auquel il insuffla une âme ; il le donna en présent à Zeus. » 

    On citera également les taureaux et les chevaux respectivement donnés à Aiètès (Apollodore, Bibliothèque 1, 9) et à Cabiro (Nonnos, Dionysiaques 29) - des automates aux pieds d'airain qui soufflaient le feu par leurs narines.

    Néanmoins, l'automate le plus célèbre attribué à Héphaïstos est Talos, le géant de bronze laissé à Europe pour garder l’île de Crète (Apollonios de Rhodes, Argonautiques 4) :

    « On se préparait à gagner la Crète, qui surpasse par sa grandeur toutes les autres îles, lorsqu'un géant redoutable, lançant du haut d'un rocher des pierres énormes, les empêcha d'y aborder : c'était l'invincible Talos, un de ces hommes que le siècle d'airain vit naître du sein des arbres les plus durs et qui, seul de cette race féroce, vécut dans l'âge suivant parmi les demi-dieux. Jupiter l'avait donné à Europe pour veiller à la garde de l'île, et chaque jour il en faisait trois fois le tour. Son corps, fabriqué de l'airain le plus dur, était invulnérable, à l'exception d'une veine cachée près du talon à laquelle était attachée sa vie.

    Les Argonautes, effrayés, abandonnèrent promptement le rivage et se préparaient, malgré la soif qui les pressait et la fatigue dont ils étaient accablés, à fuir loin de l'île de Crète : Écoutez, leur dit alors Médée, quel que soit ce fier ennemi, quand tout son corps serait d'airain, je prétends, pourvu qu'il ne soit pas immortel, le dompter seule aujourd'hui si vous voulez tenir quelque temps le vaisseau immobile hors de la portée de ses coups

    On s'arrêta donc, et chacun attendait l'événement avec impatience. Médée, le visage couvert de sa robe, fut conduite à travers les bancs par Jason qui lui tenait la main et monta sur le bord du vaisseau. Là par des enchantements elle invoqua les Furies, ces chiens agiles de Pluton, qui tournant sans cesse dans les airs sont toujours prêts à se jeter sur les mortels. Elle se mit ensuite à genoux et les conjura trois fois par de nouveaux charmes et trois fois par de simples prières. Dès qu'elle fut remplie de leur esprit malin, elle fascina par des regards pleins de haine les yeux de Talos, et toute hors d'elle-même, elle souffla sur lui sa rage et lui envoya d'horribles fantômes. Grand Jupiter ! Quelle surprise est la mienne ! Les maladies et le fer ne sont donc pas les seules causes de notre mort, un ennemi peut nous la donner de loin par ses prestiges. Ainsi Talos, malgré l'airain dont son corps était formé, succomba sous le pouvoir de Médée. Tandis qu'il faisait rouler des pierres pour empêcher qu'on ne pût aborder, son talon rencontra la pointe d'un rocher. Aussitôt une liqueur semblable à du plomb fondu coula de la veine fatale. Avec elle ses forces l'abandonnent, et bientôt il ne peut plus soutenir ses membres. Tel qu'un pin élevé que des bûcherons ont laissé demi-abattu sur une montagne, agité durant la nuit par les vents, se brise entièrement et est renversé, tel le géant, après avoir chancelé quelque temps, tombe enfin sans force avec un bruit effroyable.

    Les Argonautes ayant passé la nuit dans l'île de Crète, élevèrent aux premiers rayons du jour un monument en l'honneur de Minerve Minoïs, et s'étant munis d'eau, se rembarquèrent pour doubler aussitôt le promontoire Salmon. » 

    Pandore, à sa façon, fut un autre automate célèbre fabriqué par Héphaïstos sur l'ordre de Zeus qui voulait se venger des hommes pour le vol du feu par Prométhée. D'après Hésiode (Théogonie),

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