Et si...: Toute une vie de questions, de conjectures, d’hypothèses raisonnables, et quelques certitudes
Par Shirley MacLaine
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Aperçu du livre
Et si... - Shirley MacLaine
Schopenhauer
Introduction
Nous sommes le Vendredi saint 2013, et je me demande ce qu’il y a de si « saint » et de bon dans cette journée. Partout où je vais, j’ai l’impression que les choses se dégradent ou sont sens dessus dessous : le vent, la pluie, tout cela se transforme en orages gigantesques ; la rage routière est endémique, il y a des maniaques au volant jusqu’ici, à Santa Fe ; des fusillades sur les autoroutes de L.A. ; du terrorisme émotionnel commis par des gens en position d’autorité dans les aéroports. Au quotidien, les paquets se perdent, les produits sont défectueux, les réparations ne tiennent jamais, les ouvriers ne se présentent pas au travail, les ordinateurs tombent en panne, le câble est coupé. Les astéroïdes et les météorites tombent sur la Terre, et les gouvernements sont trop paralysés pour aider leurs populations ou pour s’aider eux-mêmes. Tout le monde parle tout le temps d’argent et se demande où réaliser « une bonne affaire ». Les gens répondent aux questions par d’autres questions. Les New-Yorkais avancent de peine et de misère sur les trottoirs ou dans les rues, sans sourciller devant les bouchons de circulation ou remarquer les bruits assourdissants et apparemment sans fin de construction et de démolition. Les habitants de Los Angeles érigent de plus hautes clôtures et s’enfoncent la tête encore plus profondément dans la terre. Personne ne semble parler clairement. Je veux seulement rester chez moi, que ce soit à Malibu ou à Santa Fe. Que se passe-t-il ? Ce traumatisme quotidien d’un millier de petits coups de bec est-il une sonnette d’alarme pour nous dire que nous, la race humaine, sommes peut-être allés trop loin pour pouvoir tout nettoyer ?
En fait, c’est devenu de la mauvaise comédie pour moi : rien ne va plus. Notre éthique professionnelle, jadis très disciplinée, s’est évaporée, et de nombreuses personnes semblent n’attendre qu’une courte pause pour pouvoir avaler une poignée d’analgésiques. Les gens se plaignent du chômage, mais la plupart n’aiment pas ce qu’ils font de toute façon.
Dieu merci, ce n’est pas mon histoire. Dans mon domaine de prédilection, il m’a été donné de divertir les autres, et j’ai été fort bien rémunérée pour cela. Mais la vérité est que je ne suis pas unique. En fait, chacun de nous est un ensemble de personnes différentes. Chacun de nous est une multitude de personnalités et d’identités ; sauf que la majorité n’a pas encore compris la richesse et la complexité de qui nous sommes réellement. Je commence à croire que nous sommes notre plus grand divertissement. Pour paraphraser ce sage Shakespeare, nous ne sommes que des acteurs dans les pièces que nous avons nous-mêmes créées, croyant que la fiction que nous imaginons est réelle.
Comme je travaille à Hollywood, je vis dans un monde de « et si », où nous avons de nombreuses réunions de création avant chaque projet : « Et si le personnage principal était laid au lieu d’être bel homme ? », « Et s’il ne mourait pas à la fin ? », « Et si nous pensions qu’il était mort, mais qu’il ne l’était pas ? ». Au fil des années, j’ai remarqué que tous ces « et si » dans ma vie fictive m’ont incitée à adopter une attitude spéculative similaire dans la vraie vie. On a beaucoup à gagner à se demander : « Et si… »
Par exemple, et si, en ce jour du Vendredi saint il y a deux mille ans, Jésus n’était pas mort sur la croix, mais s’était marié, avait eu des enfants et avait voyagé incognito pour le reste de sa vie ? Et si Marie-Madeleine était la maîtresse oubliée dans les peintures de la dernière Cène ? Quel genre d’impact cela aurait-il sur l’Église moderne, ses enseignements, sa perception d’elle-même ? Il y a eu des livres qui ont vanté les recherches de divers auteurs sur de tels sujets, et je dois admettre que je les ai presque tous lus, mais peu se sont demandé ce que signifierait un fait comme celui-là. Je souscris à l’adage qui dit que « le sacrilège d’un homme est la vérité d’un autre ». J’aime penser que je suis prête à tout explorer, à poser toutes les questions, à essayer de vivre sans idées préconçues et sans certitudes aveugles.
C’est amusant de s’interroger — c’est un divertissement, et le divertissement est ma vie. J’ai toujours cru devoir mon talent à ma curiosité innée davantage qu’à quoi que ce soit d’autre. Pour moi, l’imagination est plus sacrée et redoutable que le savoir. Peut-être nous sommes-nous imaginés nous-mêmes au point de croire que nous étions réels, alors qu’en réalité, nous sommes une grande illusion rêvée par quelque espèce inconnue. Peut-être Shakespeare avait-il raison après tout — je veux dire, littéralement raison, pas métaphoriquement — quand il a écrit : « Le monde entier est un théâtre, / et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; / ils ont leurs entrées et leurs sorties [naissances et morts]. / Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles [a plusieurs identités]… » Je connais de brillants scientifiques qui pensent qu’il serait possible de prouver que les humains et leurs spectaculaires manigances sont en fait un genre de spectacle extraterrestre, avec des acteurs (nous, en l’occurrence !) qui croient dur comme fer à la montée narrative de leur personnage — une sorte de « téléréalité » pour extraterrestres.
C’est peut-être vrai, mais je songe à la mise en garde de Stephen Hawking : « Faites attention de profiter de la vie extraterrestre, cette chose dût-elle exister. Souvenez-vous de ce qui est arrivé aux autochtones d’Amérique à la venue de l’homme blanc. » La « scène » était assez terrible, ne croyez-vous pas ?
Stephen lui-même est un merveilleux exemple d’illusion complexe et néanmoins pratique. Il semble confiné à son fauteuil roulant, incapable de bouger autre chose que son œil droit. Mais je crois qu’il voyage et se meut avec plus d’intelligence et de curiosité que n’importe quelle autre personne vivante. Je pense qu’il quitte son corps et s’envole pour aller explorer le cosmos, pour ensuite revenir nous rendre compte des trous noirs et des civilisations d’un autre monde.
Je le connais parce que nous avons déjà eu le même éditeur. Nous nous sommes rencontrés dans des soirées et avons développé une amitié. Quand il venait en Amérique, j’organisais des soirées pour lui ; j’invitais des gens qui ne faisaient pas exactement partie de mon cercle habituel, mais j’adorais les rencontrer.
Il garde deux photographies sur son bureau à l’Université de Cambridge : une de Marilyn Monroe et une d’Albert Einstein. Il m’a dit (à l’aide de son fauteuil électronique) que « les courbes de l’univers sont aussi belles que Miss Monroe. » Il m’a également avoué, et il l’a dit publiquement, qu’il était convaincu d’être la réincarnation de Sir Isaac Newton. Il est né exactement trois cents ans après Sir Newton et il occupe la chaire de Newton à Cambridge.
Stephen Hawking est un homme à la fois grand et simple. Son intellect est sans limites, mais c’est son humour et son esprit qui m’ont attirée. Quand il était plus agile, je le regardais manœuvrer joyeusement son fauteuil roulant « doré » dans les rues de Cambridge, défiant quiconque de se mettre sur sa route. Le mot s’est vite répandu, autour du campus, que Stephen était de nouveau libre — soyez vigilants !
Quand j’ai séjourné au Royaume-Uni pour le tournage de Downton Abbey en 2012, je lui ai envoyé un courriel, et il m’a invitée à déjeuner, mais j’ai reçu l’invitation un jour trop tard. J’étais déçue. Je me suis alors demandé si une pensée aimante voyageait plus vite que la lumière (299 792 458 m/s) et si c’était pour cela que j’avais raté son invitation. Je lui ai téléphoné et j’ai demandé à son accompagnateur de lui poser la question. Il a mis un moment avant de répondre à l’aide de son fauteuil. « Les deux ne se comparent pas », a-t-il dit pour me faire rire, en donnant une réponse purement scientifique à ma question plutôt « philosophique ».
La vérité est peut-être que rien ne se compare à rien, en particulier si chacun de nous est son propre univers et si nous créons tout ce qui nous entoure. Je sais, cela ressemble peut-être à des bêtises nouvel âge. Mais, et si c’était vrai ? Je m’assois et je converse avec des gens, confiante en ma conviction qu’ils sont vraiment là, mais s’ils étaient seulement dans mes rêveries créatives, exactement comme ils peuvent se retrouver dans mes rêves la nuit ? Plus important encore — et si mes rêves nocturnes étaient l’expression de mon côté yin interne (féminin), et la réalité des rêves éveillés une expression de mon côté yang externe, plus démonstratif (masculin) ? Et si chacun de nous avait besoin de respecter ses illusions nocturnes autant que ses illusions diurnes ?
Il faudrait que je dise que l’expression diurne (yang) masculine de la « réalité » est ce qui a réduit la race humaine à la détérioration que nous vivons présentement, alors que la réalité nocturne (yin) féminine aurait pu nous donner l’occasion de chercher avec plus de compassion et de justesse qui nous sommes et ce que nous voulons vraiment. D’une chose je suis certaine : je crée chacun et son comportement dans mes rêves la nuit. Pourquoi est-il si difficile d’admettre que nous créons la même chose durant l’agitation de nos journées trépidantes ?
Stephen Hawking a fait carrière en étudiant le cosmos et en se délectant de son exploration imaginative, en utilisant sa curiosité comme moyen de surmonter « la réalité apparente » de ses jours de confinement dans un fauteuil roulant. Je suis ravie qu’un scientifique aussi pragmatique m’aide à faire valoir mon point de vue sur l’illusion auto-générée. Stephen ne s’est jamais apitoyé sur son sort et il sait qu’il est plus grand qu’il n’y paraît. Il m’a dit un jour : « Ceux qui pensent que je ne crois pas en Dieu ne me connaissent pas. » Il a levé les yeux au ciel comme pour me signifier qu’il voyait « tout ce qui est », et j’ai pu l’imaginer pensant : « Cela inspire beaucoup plus l’émerveillement que les définitions que les hommes donnent de Dieu. » Je me suis dit : « Et s’il voyait tellement plus de choses que tout autre être humain, parce qu’il n’est pas aussi obsédé par son corps ? » Est-ce le message de sa longévité sans priorités terre à terre ?
A-t-il « créé » la maladie qui l’a rendu handicapé, afin d’apprendre à dépendre des soignants et de la bienveillance des étrangers, de manière à pouvoir libérer son esprit pour se consacrer à la poursuite de la connaissance ? Et si, par inadvertance, il avait choisi de faire de lui-même un exemple, afin de montrer au reste du monde que le voyage cosmique et la compréhension universelle sont à la portée de tous, au mépris de la condition physique ou de la situation de l’individu ? Si Jésus a choisi de mourir en martyr, alors Stephen Hawking peut aussi bien avoir choisi de vivre une double condition : une faiblesse physique visible, doublée d’un savoir et d’un pouvoir invisibles. Et si toute réalité était une illusion ?
Dans tous les cas, c’est un bon Vendredi saint, que Jésus soit mort ou non sur la croix. Il nous a amenés à croire qu’il était mort pour nos péchés, et peut-être l’a-t-il fait. Je me demande comment il définirait nos péchés aujourd’hui. Aurait-il l’air d’un hippie de gauche avec des croyances nouvel âge ? Il était certainement « nouvel âge » à son époque. Tout ce qui est vieux redevient neuf.
Dans les pages qui suivent, je réfléchis en partant de la prémisse « et si ». Je me suis rendu compte que cela m’a ouvert l’esprit sur toutes sortes de possibilités fascinantes. J’ai pris des événements que je tenais pour acquis et me suis demandé : « Et si… ? » J’ai fini par donner une série de réponses imaginatives à des choses que j’avais tenues pour acquises depuis des années. J’ai changé un « fait » historique et j’ai réfléchi aux répercussions que cette petite différence aurait eues sur tous les événements subséquents.
J’ai laissé mon esprit et mon imagination courir librement avec le « et si » de tout cela.
L’hypothèse favorite de mon père était : « Et si une grenouille avait des ailes ? » Sa réponse : « Elle se donnerait moins de coups de pied au derrière. »
Et si Stephen Hawking pouvait se lever et marcher ? Est-ce que le niveau de son expertise scientifique baisserait ?
Je crois que oui, probablement, parce qu’il n’éprouverait pas une si grande envie de voyager dans le cosmos.
Et si tout ce que nous sommes n’était que le résultat de ce que nous avons pensé ?
Et si notre vie quotidienne était une illusion ? Notre notion de la réalité est faite uniquement de ce que nous percevons par nos sens physiques, de ce qui peut être enregistré à l’aide d’instruments scientifiques ou de ce qui s’appuie sur un large consensus. Et si tout cela n’était qu’une illusion ? Et si notre identité physique nous programmait pour percevoir la réalité de manière physique — c’est-à-dire de manière tridimensionnelle ? Nous savons qu’il existe d’autres dimensions, tout comme nous savons qu’il y a des fréquences plus élevées que celles que nous sommes capables d’entendre avec nos oreilles ou de voir avec nos yeux.
La vérité, telle que je la vois, est que nous sommes des êtres multidimensionnels vivant dans plusieurs dimensions simultanément, mais nous prêtons foi seulement à ce que nos sens limités nous transmettent. Je crois que notre esprit influence notre environnement physique parce que quoi qu’il en soit, la réalité n’est rien d’autre qu’une pensée élargie. La pensée crée la forme. Ce que nous pensons