L'Humanisphère
Par Ligaran et Joseph Déjacque
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Avis sur L'Humanisphère
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Aperçu du livre
L'Humanisphère - Ligaran
EAN : 9782335097214
©Ligaran 2015
Quelques mots d’avertissement
Le but de notre Société des TEMPS NOUVEAUX est de publier tous les ouvrages qui ont en leur part d’influence dans le développement de l’idéal anarchique. À ce titre l’HUMANISPHÈRE de Dejacque est une des œuvres qui méritent le plus d’être placées dans notre bibliothèque.
En effet, Dejacque lut un anarchiste de la veille, un anarchiste avant le nom ; depuis les journées de juin, ou il combattit au rang des insurgés, et sans doute bien auparavant, quoiqu’il ne soit connu que dès cette époque, il ne cessa de protester par les paroles et par les actes contre la réaction bourgeoise ; il comprenait qu’une république ainsi dirigée devait fatalement aboutir au Coup d’État. Exile alors, non sans avoir connu les procès politiques, la prison, les persécutions de toute sorte, il continua dans les journaux anglais, belges, américains, à défendre les idées libertaires, n’hésitant pas à contredire, en d’ardentes polémiques, ses frères proscrits, Ledru-Rollin, Proudhon même, auquel il ne pardonnait pas d’exclure la femme de la cité anarchique.
Il était poète et ses vers, d’une âpre éloquence, n’avaient, comme sa prose, d’autre but que la propagande révolutionnaire à laquelle il consacrait tout le produit de son travail. Ce fut pendant les années 1858 et 1859 qu’il publia l’HUMANISPHÈRE « UTOPIE ANARCHISTE », dans le Libertaire, journal du Mouvement Social, qui paraissait à New-York, édité, rédigé, administré, expédié par le seul Dejacque. On y trouve de nombreux articles très intéressants de propagande et de principes, ainsi que de remarquables poésies empreintes d’un idéal élevé de justice et de liberté.
Le temps ne nous paraît pas encore être venu de publier l’HUMANISPHÈRE en son entier. L’édition actuelle présentera quelques omissions, par la raison très simple que certains passages risqueraient d’être faussement interprétés ; sans parler de ceux qui lisent avec le parti-pris de trouver dans les ouvrages le mal qu’ils y cherchent, tous les lecteurs n’ont pas cette belle philosophie qui permet de comprendre de très haut la pensée d’autrui, tout en gardant la sérénité de la sienne. Un jour viendra où l’œuvre de Dejacque sera librement publiée jusqu’à la dernière ligne.
UTOPIE : « Rêve non réalisé, mais non pas irréalisables ».
ANARCHIE : « Absence de gouvernement ».
Les révolutions sont des conservations.
(P.-J. PROUDHON)
Il n’y a de vraies révolutions que les révolutions d’idées.
(JOUFFROY)
Faisons des mœurs et ne faisons plus de lois.
(ÉMILE DE GIRARDIN)
Réglez vos paroles et vos actions comme devant être jugées par la loi de la liberté…
Tenez-vous donc fermes dans la liberté à l’égard de laquelle le Christ vous a affranchis et ne vous soumettez plus du joug de la servitude.
Car nous n’avons pas à combattre contre le SANG et la CHAIR, mais contre les « principautés, contre les puissances, contre les seigneurs du monde », gouverneurs ténèbres de ce siècle.
(L’apôtre SAINT-PAUL)
Ce livre n’est point une œuvre littéraire, c’est une œuvre INFERNALE, le cri d’un esclave rebelle.
Comme le mousse de la SALAMANDRE, ne pouvant, dans ma faiblesse individuelle, terrasser tout ce qui, sur le navire de l’ordre légal, me domine et me maltraite, – quand ma journée est faite dans l’atelier, quand mon quart est fini sur le pont, je descends nuitamment à fond de cale, je prends possession de mon coin solitaire ; et, là, des dents et des ongles, comme un rat dans l’ombre, je gratte et je ronge les parois vermoulues de la vieille société. Le jour, j’utilise encore mes heures de chômage, je m’arme d’une plume comme d’une vrille, je la trempe dans le fiel en guise de graisse, et, petit à petit, j’ouvre une voie chaque jour plus grande au flot novateur, je perfore sans relâche la carène de la Civilisation. Moi, infime prolétaire, à qui l’équipage, horde d’exploiteurs, inflige journellement le supplice de la misère aggravée des brutalités de l’exil ou de la prison, j’entrouvre l’abîme sous les pieds de mes meurtriers, et je passe le baume de la vengeance sur mes cicatrices toujours saignantes. J’ai l’œil sur mes maîtres. Je sais que chaque jour me rapproche du but ; qu’un formidable cri, – le sinistre SAUVE QUI PEUT ! – va bientôt retentir au plus fort de leur joyeuse ivresse. RAT-DE-CALE, je prépare leur naufrage ; ce naufrage peut seul mettre fin à mes maux comme aux maux de mes semblables. Vienne la révolution, les souffreteux n’ont-ils pas, pour biscuit, des idées en réserve, et, pour planche de salut, le socialisme !
Ce livre n’est point écrit avec de l’encre ; ses pages ne sont point des feuilles de papier.
Ce livre, c’est de l’acier tourné en in-8° et charge de fulminate d’idées. C’est un projectile autoricide que je jette à mille exemplaires sur le pavé des civilisés. Puissent ses éclats voler au loin et trouer mortellement les rangs des préjugés. Puisse la vieille société en craquer jusque dans ses fondements !
C’est qu’aujourd’hui, sachez-le, sous leur carcan de fer, sous leur superficielle torpeur, les multitudes sont composées de grains de poudre ; les fibres des penseurs en sont les capsules. Aussi, n’est-ce pas sans danger qu’on écrase la liberté sur le front des sombres foules. Imprudents réacteurs ! – Dieu est Dieu, dites-vous. Oui, mais Satan est Satan !… Les élus du veau-d’or sont peu nombreux, et l’enfer regorge de damnés. Aristocrates, il ne faut pas jouer avec le feu, le feu de l’enfer, entendez-vous !…
Ce livre n’est point un écrit, c’est un acte. Il n’a pas été tracé par la main gantée d’un fantaisiste ; il est pétri avec du cœur et de la logique, avec du sang et de la fièvre. C’est un cri d’insurrection, un coup de tocsin tinte avec le marteau de l’idée à l’oreille des passions populaires. C’est de plus un chant de victoire, une salve triomphale, la proclamation de la souveraineté individuelle, l’avènement de l’universelle liberté ; c’est l’amnistie pleine et entière des peines autoritaires du passé par décret anarchique de l’humanitaire Avenir.
Ce livre, c’est de la haine, c’est de l’amour !…
Préface
« Connais-toi toi-même ».
La science sociale procède par inductions et par déductions, par analogie. C’est par une série de comparaisons qu’elle arrive à la combinaison de la vérité.
Je procéderai donc par analogie.
Je tâcherai d’être laconique. Les gros volumes ne sont pas ceux qui en disent le plus. De préférence aux longues dissertations, aux pédagogies classiques, j’emploierai la phrase imagée, elle a l’avantage de pouvoir dire beaucoup en peu de mots.
Je suis loin d’avoir la science infuse. J’ai lu un peu, observé davantage, médité beaucoup. Je suis, je crois, malgré mon ignorance dans un des milieux les plus favorables pour résumer les besoins de l’humanité. J’ai toutes les passions, bien que je ne puisse les satisfaire, celle de l’amour et celle de la haine, la passion de l’extrême luxe et celle de l’extrême simplicité. Je comprends tous les appétits, ceux du cœur et du ventre, ceux de la chair et de l’esprit. J’ai du goût pour le pain blanc et même aussi pour le pain noir, pour les discussions orageuses et aussi pour les douces causeries. Toutes les soifs physiques et morales je les connais, j’ai l’intuition de toutes les ivresses ; tout ce qui surexcite ou qui calme a pour moi des séductions : le café et la poésie, le champagne et l’art, le vin et le tabac, le miel et le lait, les spectacles, le tumulte et les lumières, l’ombre, la solitude et l’eau pure. J’aime le travail, les forts labeurs ; j’aime aussi les loisirs, les molles paresses. Je pourrais vivre de peu et me trouver riche, consommer énormément et me trouver pauvre. J’ai regardé par le trou de la serrure dans la vie privée de l’opulence, je connais ses serres-chaudes et ses salons somptueux ; et je connais aussi par expérience le froid et la misère. J’ai eu des indigestions et j’ai eu faim. J’ai mille caprices et pas une jouissance. Je suis susceptible de commettre parfois ce que l’argot des civilisés flétrit du nom de vertu, et le plus souvent encore ce qu’il honore du nom de crime. Je suis l’homme le plus vide de préjugés et le plus rempli de passions que je connaisse ; assez orgueilleux pour n’être point vaniteux, et trop fier pour être hypocritement modeste. Je n’ai qu’un visage, mais ce visage est mobile comme la physionomie de l’onde ; au moindre souffle, il passe d’une expression à une autre, du calme à l’orage et de la colère à l’attendrissement. C’est pourquoi, passionnalité multiple, j’espère traiter avec quelque chance de succès de la société humaine, attendu que, pour en bien traiter, cela dépend autant de la connaissance qu’on a des passions de soi-même, que de la connaissance qu’on a des passions des autres.
Le monde de l’anarchie n’est pas de mon invention, certes, pas plus qu’il n’est de l’invention de Proudhon ni de Pierre ni de Jean. Chacun en particulier n’invente rien. Les inventions sont le résultat d’observations collectives ; c’est l’explication d’un phénomène, une égratignure faite au colosse de l’inconnu, mais c’est l’œuvre de tous les hommes et de toutes les générations d’hommes liés ensemble par une indissoluble solidarité. Or, s’il y a invention, j’ai droit tout au plus à un brevet de perfectionnement. Je serais médiocrement flatté que de mauvais plaisants voulussent m’appliquer sur la face le titre de chef d’école. Je comprends qu’on expose des idées se rapprochant ou s’éloignant plus ou moins des idées connues. Mais ce que je ne comprends pas c’est qu’il y ait des hommes pour les accepter servilement, pour se faire les adeptes quand même du premier penseur venu, pour se modeler sur ses manières de voir, le singer dans ses moindres détails et endosser, comme un soldat ou un laquais, son uniforme ou sa livrée. Tout au moins ajustez-les à votre taille ; rognez-les ou élargissez-les, mais ne les portez pas tels quels, avec des manches trop courtes ou des pans trop longs. Autrement ce n’est pas faire preuve d’intelligence, c’est peu digne d’un homme qui sent et qui pense, et puis c’est ridicule.
L’autorité aligne les hommes sous ses drapeaux par la discipline, elle les y enchaîne par le code de l’orthodoxie militaire, l’obéissance passive ; sa voix impérieuse commande le silence et l’immobilité dans les rangs, l’autocratique fixité.
La Liberté rallie les hommes à sa bannière par la voix du libre examen ; elle ne les pétrifie pas sur la même ligne. Chacun se range où il lui plaît et se meut comme il l’entend. La Liberté n’enrégimente pas les hommes sous la plume d’un chef de secte : elle les initie au mouvement des idées et leur inculque le sentiment de l’indépendance active. L’autorité, c’est l’unité dans l’uniformité ! La Liberté, c’est l’unité dans la diversité. L’axe de l’autorité, c’est la knout-archie. L’anarchie est l’axe de la liberté.
Pour moi, il s’agit bien moins de faire des disciples que de faire des hommes, et l’on n’est homme qu’à la condition d’être soi. Incorporons-nous les idées des autres et incarnons nos idées dans les autres ; mêlons nos pensées, rien de mieux ; mais faisons de ce mélange une conception désormais nôtre. Soyons une œuvre originale et non une copie. L’esclave se modèle sur le maître, il imite. L’homme libre ne produit que son type, il crée.
Mon plan est de faire un tableau de la société telle que la société m’apparaît dans l’avenir : la liberté individuelle se mouvant anarchiquement dans la communauté sociale et produisant l’harmonie.
Je n’ai nullement la prétention d’imposer mon opinion aux autres. Je ne descends pas du nuageux Sinaï. Je ne marche pas escorté d’éclairs et de tonnerres. Je ne suis pas envoyé par l’autocrate de tous les univers pour révéler sa parole à ses très humbles sujets et publier l’ukase impérial de ses commandements. J’habite les gouffres de la société ; j’y ai puisé des pensées révolutionnaires, et je les épanche au dehors en déchirant les ténèbres. Je suis un chercheur de vérités, un coureur de progrès, un rêveur de lumières. Je soupire après le bonheur et j’en