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Dei ex Machinis: Volume II – De Salomon de Caus à Johann Nepomuk Maelzel
Dei ex Machinis: Volume II – De Salomon de Caus à Johann Nepomuk Maelzel
Dei ex Machinis: Volume II – De Salomon de Caus à Johann Nepomuk Maelzel
Livre électronique665 pages7 heures

Dei ex Machinis: Volume II – De Salomon de Caus à Johann Nepomuk Maelzel

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À propos de ce livre électronique

Ce livre décrit la vie et l'œuvre des principaux facteurs d'automates et proto-robots, depuis les légendes anciennes jusqu'aux débuts de l'Intelligence Artificielle. Certains de ces hommes ont marqué l'Histoire par leurs armes, par leurs écrits ou par leur philosophie. Ils ont souvent révolutionné les connaissances scientifiques ou techniques de leur époque. Parfois, ils ont tout su sur tout ; d'autre fois, ils ont été accusés de n'avoir rien compris à rien. Ils ont été charpentiers, horlogers, prêtres, bateleurs, commerçants, entrepreneurs, chercheurs. Il leur est arrivé de côtoyer les rois, les empereurs et les papes ; il leur est arrivé aussi de croupir en prison ou de se suicider. L'un d'entre eux est devenu roi lui-même et un autre est devenu le pape de l'An Mil. Ils sont morts riches et célèbres ou inconnus et ruinés. Cependant, tous sont des êtres exceptionnels qui - parmi de nombreuses autres contributions remarquables à l'histoire des sciences - ont produit des automates authentiques, de faux automates, des automates truqués ou de véritables robots. Pourtant, ils connurent souvent des faiblesses typiquement humaines et il reste sur leurs vies et leurs œuvres de nombreux mystères que le lecteur découvrira au fil de ces pages et de ces trois volumes qui couvrent environ trente siècles de notre histoire.
LangueFrançais
Date de sortie6 juil. 2015
ISBN9782312036793
Dei ex Machinis: Volume II – De Salomon de Caus à Johann Nepomuk Maelzel

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    Aperçu du livre

    Dei ex Machinis - Jean-Arcady Meyer

    Science.

    Salomon de Caus (1576 - 1626)

    Marion ! Marion ! J'ai fait une découverte qui enrichira mon pays... Marion ! Marion ! Viens briser les barreaux de ma prison, et délivre moi... Je m'appelle Salomon de Caus !

    La vie de Salomon de Caus

    Salomon de Caus (Figure 1) est très probablement né dans le Pays de Caux en Normandie, sans doute à Dieppe comme son frère Isaac¹. D'après l'inscription accompagnant un portrait anonyme de lui, ce serait en 1576. Il était de confession protestante², comme l'étaient de nombreux habitants de cette région durant toute la seconde moitié du XVIème siècle.

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6b/Salomon-de-Caus04.jpg

    La mode des automates de jardins

    C'est à cette époque, c'est-à-dire au tournant du XVIIème siècle, que la mode des « automates de table » céda peu à peu le pas à celle des automates de jardins. Les princes de l'époque, en effet, s'entichaient maintenant des jardins que l'Italie de la Renaissance avait produits pour abriter les monts, grottes et fontaines que de nombreux mécanismes hydrauliques animaient et dont la complexité et l'ingéniosité éblouissaient les visiteurs.

    Les racines de cette mode paraissent remonter à la fin du XIIIème siècle, lorsque des automates hydrauliques furent mis en œuvre au château d'Hesdin pour divertir les invités des comtes d'Artois, puis des ducs de Bourgogne.

    Les automates d'Hesdin [51]

    Le domaine d'Hesdin était situé à 50 km à l'Ouest d'Arras, à l'emplacement de l'actuel village du Vieil-Hesdin. Ses origines sont inconnues et les premières traces réelles de son histoire remontent à 561, lorsque Robert, Comte de Boulogne, maria sa fille Robresse au Comte de Vermandois et lui donna en dot la ville d'Hesdin et les villages environnants, les séparant ainsi de ses autres possessions. Un château fut construit et la ville commença à s'agrandir. Robresse, devenue ainsi Comtesse d'Hesdin, donna naissance à une lignée de seigneurs puissants qui portèrent tous le titre de Comte d'Hesdin. La ville, qui avait appartenu au Comté de Flandre depuis sa création en 863, en fut détachée en 1180 et rattachée à la nouvelle province d'Artois, qu'Isabelle de Hainaut, nièce du Comte de Flandres, reçut en dot de son oncle lorsqu'elle épousa Philippe Auguste. Ce n'est, cependant, qu'en 1237 que ce rattachement fut officialisé, lorsque Louis IX confirma la donation de l'Artois faite à son frère Robert Ier par leur père Louis VIII.

    Le fils de Robert Ier, Robert II, accompagna le roi son oncle lors de la huitième croisade et s'illustra par son impétuosité lors du siège de Carthage. Après l'épisode des Vêpres Siciliennes de 1282, il prit part à l'expédition de Sicile organisée pour secourir son autre oncle, Charles d'Anjou. A la mort de ce dernier, alors que son fils héritier Charles II était prisonnier dans un château de Catalogne, Robert II exerça pendant quatre ans la régence du royaume de Naples. On pense qu'il eut alors plusieurs fois l'occasion d'admirer les merveilleux jardins de Palerme, chantés par les poètes arabes et dans lesquels fonctionnaient de nombreux automates hydrauliques.

    Quoiqu'il en soit, il revint à Hesdin en 1292 accompagné de jardiniers et d'artistes italiens. Parmi eux, c'est à Renaud Coignet de Barlète, chevalier franco-italien, « gardien et maître des travaux de monseigneur », qu'il confia la responsabilité de restaurer et rénover le domaine pour en faire une sorte de parc d'attractions. Bénéficiant de la confiance absolue de Robert II et de crédits illimités, Coignet de Barlète s'acquitta avec succès de sa tâche pendant sept ans, avant de s'enfuir du royaume avec la caisse… Durant ce temps, un certain Guissins - « tailleur de coutel », c'est-à-dire sculpteur sur bois - avait dirigé les travaux de rénovation d'une série de statues en bois animées comme des marionnettes qui devaient participer à des jeux d'eaux dont on ignore le détail. Ces machines étaient, semble-t-il, déjà en place avant le retour de Robert II. En 1299, en effet, les comptes de la ville d'Hesdin font référence aux « engiens du paveillon », qui sont « rappareillés », ce qui signifie qu'ils ne sont pas neufs. En 1300, on les « raccorde »... ce qui veut dire qu'ils fonctionnent avec des cordes et on « ressaude les pipes de plonc », c'est-à-dire qu'on répare les canalisations qui amènent l'eau vers les engins. Il est clair que ces dispositifs revêtirent toujours une importance particulière aux yeux des princes qui se succédèrent à Hesdin puisqu'ils furent entretenus et réparés pendant près de deux siècles.

    D'autres attractions agrémentèrent le domaine de Hesdin du temps de Robert II. De véritables automates hydrauliques furent installés dans le château - dans ce qu'on appelait alors « les aloirs », et plus tard « la gallerie » - ainsi que dans la gloriette ou « gayole », un bâtiment annexe. Les murs de l'une des salles du château furent décorés de « testes de sanglers » actionnées par un mécanisme de cordes. Elles devaient avoir un certain succès car elles étaient régulièrement entretenues. Une autre curiosité se trouvait dans le parc, sur le pont d'accès au pavillon du « marès » : on y voyait en effet six groupes de singes. Il s'agissait de marionnettes en bois fonctionnant à l'aide de cordes et recouvertes de fourrures de blaireaux.

    Robert II mourut en 1302, à la bataille de Courtrai. En 1308, sa fille, Mahaut, fit installer le « miroir des engins ». C'était vraisemblablement un miroir déformant, puisqu'il faisait partie des amusements de la galerie évoqués plus loin. En 1312, il fut réparé grâce à des « glaces accatées à Abbeville ».

    Un autre jeu fut créé en 1304, il concernait la gloriete : celle-ci devint une volière et on utilisait de la « glui à gluier cordes pour prendre oiselés en gloriete ». Ces oiseaux vivants, capturés grâce à la glu, furent accompagnés par des oiseaux en bois sculpté, dont on « dore les pumiaux de fin or ». Les comptes de baillage sont remplis de mentions concernant des achats « d'oyseles pour mettre en le gaïole », certainement des tourterelles, des pigeons, peut-être aussi des perruches.

    Lorsque Mahaut d'Artois mourut à Hesdin en 1329, elle laissa son comté à sa fille Jeanne, veuve du roi Philippe V. Un an plus tard, à la mort de cette dernière, le comté passa aux mains de sa fille, Jeanne de France, mariée au duc Eudes de Bourgogne.

    Sous la domination des ducs de Bourgogne, diverses nouveautés furent introduites dans le parc. En 1344, on refit « toute noeve » la gloriette. On y dressa un arbre dont les branches étaient peintes en vert et on l'agrémenta d' « oysiaux qui sont sur l'arbre de le dicte gloriete qui jeteront yawe ». Il est probable que ces oiseaux automates ne se contentaient pas de jeter de l'eau sur les visiteurs, mais qu'ils chantaient sous l'effet de la vapeur remontant par des conduits « saudés » lorsqu'on faisait bouillir de l'eau à la base de l'arbre.

    Guillaume de Machaux, chanoine de Saint Quentin, puis de Reims, a évoqué les charmes d'Hesdin, de son château et de ses automates - les « estranges choses » - dans un poème composé vers 1350 :

    « Et les merveilles, les déduits,

    Les ars, les engins, les conduits,

    Les esbas, les estranges choses,

    Oui estoient dedens encloses,

    Ne saroie jamais decrire. »

    Malgré les vicissitudes de la guerre de Cent Ans, le décor d'Hesdin fut ponctuellement tenu en état. Cependant, en 1355, Edouard III ravageant l'Artois, pilla et détruisit le parc et ses bâtiments. Les « engiens du pavillon » ne furent jamais reconstruits.

    Lorsque, par son mariage en 1384, Philippe le Hardi, Duc de Bourgogne, devint le maître d'Hesdin, il restaura plus complètement encore tout l'ensemble.

    Philippe le Bon, arrivant au pouvoir en 1419, tomba sous le charme des automates d'Hesdin : c'est sous son autorité qu'ils furent reconstruits, la galerie étant alors entièrement réorganisée. Tout d'abord, il engagea un nouveau peintre, Colart le Voleur - ainsi appelé pour des raisons que l'on ignore. Celui-ci recouvrit les murs de la galerie de fresques représentant le mythe de la Toison d'Or, cher à Philippe le Bon. Toutefois, la tâche par laquelle il se rendit célèbre fut la rénovation entière des automates. Un texte tiré des comptes généraux du bailliage et daté de 1432, décrit toutes les créations de Colart qui transforma la galerie du château en une salle de distractions conçues pour persécuter les visiteurs !

    Anne Elisabeth Clety décrit ainsi les distractions en question :

    « Imaginons que vous soyez un visiteur : le duc vous invite à visiter la galerie, vous voici tout d'abord au plus prez de la dite sale, un ermite de bois vous accueille. Il est là pour parler aux gens qui vendront en icelle sale, vous voilà déjà très intrigué. Vous ne voyez pas bien sûr le valet qui est certainement caché à sa base pour faire la voix et vous entrez sous le regard du lion de plomb, gardien de la porte. Si vous êtes une femme, méfiez vous car huit conduits sont là pour moullier les dames par dessoubz ! Si vous êtes un homme, ne touchez pas aux boucles que vous voyez au-dessus de vous, sinon un engin doit venir frapper au visaige de ceulx qui sont dessoubz et broulliez tous noirs ou blans. Vous voilà recouvert de suie et de farine !

    Vous apercevez alors un ermite qui fait plouvoir tout par tout comme l'eaue qui vient du ciel et aussi tonner et neger et aussi escliter comme se on le veoit ou ciel. Impressionné, vous essayez de vous enfuir, mais le perfide Colart a prévu une place que quand les gens vont pardessus pour eulx garantir de la pluie, ilz cheent du haut en bas en ung sac là où ilz sont tous emplumez et très bien brouilliez.

    Si vous cherchez à vous sauver par les fenêtres, ce ne sera pas facile, l'une quant les gens la veulent ouvrir, il y a ung personnage par devant qui moulle les gens et resclot la fenestre à parelle ; l'autre cachant une boiste pendue en l'air et sus icelle boiste a ung huet lequel fait plusieurs contenances en regardant les gens et fait bailler response de tout ce que on lui veult demandés et en peut oir la voix en icelle boistre ou en voirre.

    Vous vous approchez d'un miroir qui est là pour les gens veoir quant ilz sont broulliez et quant ilz regardent dessus, ilz sont derechief tous enboulerez de farine et tous blans. Au milieu de la galerie trône une fontaine, mais l'eau qui l'alimente coule quant l'en voudra et yra tousiours dout elle vient, vous pouvez admirer ici la maîtrise acquise par le mécanicien dans la science des jeux d'eau ! Plus loin, un personnage de bois sonne de la trompe et vous crie de quitter la galerie. Affolé, vous courrez vers la sortie, vous êtes alors batus de grans personnages en manière de sots et sottes, ceux-ci vous poussant vers un pont qui cède sous vos pas. Vous vous retrouvez une nouvelle fois en l'eaue, mais si vous avez préféré désobéir à l'ordre donné par le personnage, vous serez tellement moulliez que vous ne saurez où aler pour eschever l'eaue.

    Vos malheurs ne sont pas encore finis ! Il vous faut encore affronter un livre de balades que vous avez eu la mauvaise idée d'ouvrir : il crache, en effet, de la suie et de l'eau, un miroir où l'en voit plusieurs abuz, un autre pont qui précipite en l'eaue ceulx qui vont par-dessus, trois personnages qui vuident eaue et moullent les gens quant l'en veult et enfin six personnages, plus que paravant il n'y avoit, qui moillent les gens et par plusieurs manières.

    Furieux, épuisé, couvert de suie et de farine rendues collantes par l'eau dont vous avez été aspergé, vous trouvez enfin la sortie, un autre engin vous attend encore, tous ceulx qui passent parmi seront férux et battus de bonnes boulées sur leurs testes et espaules. Vous venez de découvrir le divertissement favori du Grand Duc d'Occident, qui sans nul doute était caché quelque part pour assister à vos péripéties.

    Par un curieux contraste avec l'humour si plaisant déployé dans la galerie, le peintre en a décoré les murs des plus fines estoffes de paintrerie ; on y voit des ystoires de grans ymaiges de paintrerie riches et gentes et embas paint de tappisserie vive à veoir. La voûte d'azur est parsemée d'étoiles dorées à l'or fin, des anges aux ailes d'or et d'argent pendent au plafond. La voûte a du être refaite car elle était trop faible et meschans pour supporter les transformations de Colart le Voleur. Le sol et les fenêtres sont truffés de canalisations. Philippe le Bon ordonna en effet qu'il y ait de l'eau par tant de lieus qu'il n'est personne en la galerie qu'il sache luy sauver qu'il soit moullié. » [51]

    Lorsque Philippe le Bon mourut en 1467 d'une attaque d'apoplexie, Hesdin sortit d'une période de fêtes quasiment ininterrompues. La cour de Bourgogne était à cette époque la plus riche et la plus brillante d'Europe et le banquet du Faisan organisé à Lille en 1454 est resté célèbre pour sa démesure et ses automates³. En 1470, un traducteur et imprimeur anglais attaché à la maison de Marguerite de Bourgogne, William Caxton, se rendit à Hesdin. Il garda de cette visite le souvenir d'une machine créant des effets de pluie, de neige et d'orages, qu'il décrivit dans la préface de son livre, La vie de Jason. C'est donc que les « estranges choses » de Colart le Voleur étaient toujours en place, mais plus pour longtemps car elles n'allaient pas survivre au déclin de la ville et à celui de la puissance bourguignonne.

    La guerre éclata en 1471 entre Charles le Téméraire, qui avait succédé à son père Philippe le Bon, et le roi de France Louis XI. Hesdin, qui se trouvait à la frontière entre les deux états de Bourgogne et de France, eut l'infortune de devenir un enjeu majeur des combats, enjeu qui entraîna sa ruine. Entre 1475 et 1553, la ville changea sept fois de maître... Elle fut notamment bourguignonne, autrichienne, française et espagnole.

    La dernière de ces péripéties eut lieu lorsque Charles Quint vint mettre le siège devant Hesdin en juin 1553. Bien que les assiégés aient capitulé le 18 juillet, Charles Quint, qui voulait que rien ne restât de cette ville prestigieuse, ordonna sa destruction. Les Impériaux firent exploser la poudre qui avait été placée dans les galeries creusées sous les fondements du château qui s'écroula. La ville fut entièrement rasée et le parc disparut à tout jamais après 261 ans d'une existence extrêmement brillante. Il ne reste aujourd'hui de cette cité célèbre et de son parc d'attractions que trois pans de tours d'une dizaine de mètres de hauteur et un sol particulièrement tourmenté du fait de l'effondrement des galeries souterraines.

    Charles Quint commanda la construction d'un nouvel Hesdin à six kilomètres de là, en aval, sur la Canche.

    Autres automates de jardins

    Cent ans après la destruction d'Hesdin, voir les gens ainsi surpris au détour d'un bosquet ou dans les recoins d'une grotte restait un divertissement particulièrement recherché. Mademoiselle de Montpensier, par exemple, en produit le témoignage suivant :

    « Madame la princesse de Salsbourg, maintenant de Lixein [] me parut bien dissemblable de ce qu’elle avoit été. On tenoit qu’elle avoit été fort belle, et présentement elle est quasi affreuse. Elle me fit mille amitiés et protestations de services. Esselin, maître de la chambre aux deniers de chez le Roi, m’avoit fait prier d’aller faire collation à sa maison d’Essonne, qui n’est qu’à deux cents pas de Corbeil, et je demandai à la princesse de Lixein si elle vouloit y venir : ce qu’elle accepta. Comme nous nous promenions, j’allois plus vite qu’elle. M. de Guise me menoit. Dès que je fus passé dans une grotte, on lécha des fontaines qui sortent du pavé. Tout le monde s’enfuit ; madame de Lixein tomba, et mille gens tombèrent sur elle. Quand je fus dans le jardin, je dis à M. de Guise : Je ne vois point madame de Lixein ; allons la chercher. Nous la vîmes que l’on menoit à deux, son masque crotté, son visage de même ; son mouchoir, ses manchettes et ses habits déchirés en la plus plaisante manière du monde. Je ne puis même m’en souvenir sans rire. Je lui ris au nez, elle se mit aussi à rire ; elle trouvoit qu’elle étoit en état d’en donner sujet. Elle prit cet accident en personne d’esprit. » [146]

    En 1532, de même, à l'occasion de l'accueil grandiose que la ville de Dieppe avait réservé à la Reine Eléonore de Habsbourg, seconde femme de François Ier, ainsi qu'au dauphin François, alors âgé de 14 ans, un rocher animé avait été érigé près de la fontaine du Puits-Salé. On y découvrait le Roi David et la Reine Bethsabée protégeant le « petit Salomon du Royaume de Judé », allusion à la famille royale. Cinq cavernes abritaient une salamandre remuant « teste et piés », référence directe aux armoiries de François Ier, un Phénix dont les ailes et le bec s'ouvraient, et trois jeunes dieppoises personnifiant la Foi, la Charité et l'Espérance [136].

    Plus tard, les fontaines des jardins de Saint Germain-en-Laye, réalisées en 1598 par l'ingénieur florentin Thomas Francini, offrirent le spectacle impressionnant de six grottes peuplées d'automates, avec des accompagnements musicaux et des coups de tonnerre qui effrayaient Louis XIII enfant [171]. L'une de ces grottes présentait une femme jouant de l'orgue et chantant, tandis que, dans une autre, Orphée jouait de sa lyre pour charmer des ours, des tigres et des loups. Derrière lui se trouvait un théâtre d’automates réalisé par Alexandre, le frère de Thomas Francini. Quatre tableaux se succédaient selon le principe du changement à vue [133].

    On peut aussi évoquer la fontaine qui autrefois jaillissait d'une grotte, dans la galerie du château d'Outrelaize à Gouvix : conçu en 1600 et 1604 par Marin Bourgeois, un système hydraulique complexe produisait le chant d'un coucou et de Philomèle, ainsi que les mouvements d'un cygne buvant et d'une chouette se cachant [136].

    Richelieu voulut, comme son royal maître, avoir ses propres jeux d'eau à Rueil. Les ayant vus en 1644, Evelyn écrit à leur sujet :

    « Une grande et curieuse grotte tapissée de coquillages, avec des satyres et autres représentations bizarres ; au milieu est une table de marbre sur laquelle des jets d'eau représentant des verres, des tasses et des croix, des couronnes, des éventails ; à la sortie, des mousquetaires simulés font partir du côté des visiteurs leurs fusils chargés d'eau... » [67]

    Salomon de Caus en Italie

    On ne sait pas comment Salomon de Caus décida de faire de la mode des automates de jardin un métier. On imagine qu'il reçut une éducation d'apprenti dans un atelier où il aurait appris les mathématiques - principalement la géométrie descriptive - le dessin et l'utilisation d'outils et machines, et qu'il se serait ensuite spécialisé en technologie hydraulique.

    En revanche, on sait qu'il passa quelque temps en Italie - à Florence et, peut-être, à Bologne, ainsi qu'à Rome. Ce séjour eut une importance majeure pour le développement ultérieur de sa carrière et de ses intérêts scientifiques. Il connaissait en particulier très bien les jardins et automatismes qui eurent la plus grande influence sur l'Europe du XVIème siècle, ceux que Bernardo Buontalenti avait conçus pour la Villa Medici à Pratolino, près de Florence. Les projets que de Caus a publiés dans le Livre II de Les Raisons des forces mouvantes renseignent sur ce qu'il a vu en Italie et décrivent de nombreuses réalisations agrémentant les jardins italiens du XVIème siècle.

    « C'est dans le second livre que se trouve la description de grottes diverses : celle de la nymphe Écho écoutant un satyre qui joue du flageolet, celle d'une volière remplie d'oiseaux, celle d'une grotte d'Orphée, celle enfin d'une nymphe qui joue des orgues à laquelle un écho répond, pour n'en citer que quelques-uns. Plusieurs de ces idées sont réalisées dans les grottes de Saint-Germain-en-Laye […].

    Voici deux images tirées de l'ouvrage de S. de Caus. L'une [Figure 2] montre le détail artistique d'une scène où un berger joue de la flûte de Pan, tandis qu'au premier plan, circule sur les eaux une Vénus assise dans une coquille tirée par un dauphin. La seconde représente une partie du mécanisme d'un orgue hydraulique [Figure 3].

    File:Fotothek df tg 0005968 Physik ^ Mechanik ^ Wasserkunst ^ Wasserrad ^ Park.jpg

    Depuis l'époque de Héron d'Alexandrie, les mécanismes n'ont guère changé et ne se sont pas perfectionnés ; on retrouve dans les grottes construites au moyen âge les mêmes mouvements et les mêmes combinaisons qui étaient utilisées aux époques lointaines. Par contre, les décors sont plus soignés et il y a une foule de détails et d'objets qui chargent même un peu trop les sujets. La figure nous montre un cyclope installé sur un rocher, au fond d'une grotte. Une massue est posée à ses côtés et il se repose en jouant de la flûte de Pan. Des moutons sortent de partout, tandis que deux béliers se livrent un combat. Devant la grotte, sur l'eau d'un bassin rectangulaire, une Vénus assise dans une conque est tirée par un monstre marin.

    Sur la figure, le mur du bassin a été coupé pour laisser voir le mécanisme qui permet à la Vénus ses évolutions sur l'eau. Le mouvement moteur est dissimulé derrière la paroi de gauche de la grotte. Il est entièrement hydraulique, et son sens de marche est automatiquement réversible.

    Ce mécanisme est composé d'un réservoir à deux tubulures ouvertes ou fermées alternativement par deux soupapes mues par des contrepoids. Deux roues à eau jumelées sont actionnées respectivement chacune par l'un des jets, ce qui permet à l'ensemble du rouage de tourner dans un sens puis dans l'autre. La dernière roue de grande dimension porte un tambour double sur lequel s'enroulent, en sens inverse, le commencement et la fin d'une corde. Celle-ci passe dans la grotte et, par des poulies renvois, pénètre dans le bassin et s'enroule autour d'une poulie fixe à l'extrémité du bassin. Sur un des brins est attaché le support de la Vénus. Chaque fois que celui-ci bute à fond de course, le sens de marche est inversé par le jeu des contrepoids, des soupapes et du réservoir.

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/37/Fotothek_df_tg_0005969_Physik_%5E_Mechanik_%5E_Musikinstrument_%5E_Wasserorgel_%5E_Wasserrad.jpg

    Le mécanisme de la musique (Figure 3) est aussi mû par une roue à eau qui entraîne, par un jeu d'engrenages, un gros tambour portant les fiches qui manœuvrent les touches du jeu de flûtes. Le soufflet de ce dernier ne figure pas sur le dessin. Tout le mécanisme est en bois, de même que les roues et les pignons. Mais il ne s'agissait pas d'études seulement, mais d'application en des habitations et, plus souvent encore, dans les jardins royaux ou princiers, de machines hydrauliques et pneumatiques ingénieuses. Elles étaient unies en général à des fontaines, à des orgues, faisant mouvoir des personnages, des animaux, sonner des trompettes, siffler des oiseaux.

    Cet art fut tout d'abord développé en Italie et on en a une idée par les descriptions contenues dans le journal de voyage (1581) de Montaigne. Il décrit en particulier les splendides jardins d'Este à Tivoli dans les environs de Rome : le plus beau spectacle de fontaines et de cascades que nous ayons vu nous-même.

    Montaigne y admire aussi un certain nombre de très belles statues décorant la villa ou le jardin et qui sont la réplique des plus remarquables de celles qui existent à Rome. On peut les voir en partie encore aujourd'hui. Mais ce que nous n'avons point retrouvé, ce sont les curiosités mécaniques que l'auteur des Essais admire dans les grottes et qu'on a sans doute enlevées après que les années et l'humidité les eurent détériorées. C'étaient d'abord des orgues exécutant une vraie musique accompagnées par l'eau, de même qu'un jeu de trompettes contrefaites. Ailleurs, on ouït, dit-il, enfin des oiseaux automates qui sifflent ; mais en ce moment-là, par d'autres ressorts, on fait remuer un hibou qui se présentant sur le haut de la roche, fait soudain cesser cette harmonie, ceci étant précisément emprunté à l'un des problèmes résolus par Héron d'Alexandrie, repris plus tard par Salomon de Caus.

    La mode était aussi de faire couler l'eau par les yeux ou la barbe des statues... Ou bien encore des animaux la rendaient, qui par le bec, qui par l'oreille ou le naseau. A la villa d'Este, on voit des sphinx qui déversent un filet par une de leurs mamelles. Mais il ne s'agit plus là de mécanique. » [45]

    Hortus Palatinus

    En 1598, de Caus partit pour Bruxelles où il travailla à la rénovation des jardins du Palais Coudenberg, palais d'où l'Archiduc Albert d'Autriche et sa femme, l'Infante Isabelle, fille de Philippe II d'Espagne, gouvernaient les possessions des Habsbourg au sud des Pays-Bas. Il conçut un grand nombre de grottes et de fontaines et, au total, resta plus longtemps en Belgique que nulle part ailleurs. Lorsque la cour connut des difficultés financières, de Caus quitta Bruxelles pour Londres en 1610.

    Il semble que, dans les deux ou trois dernières années de son séjour à Bruxelles, de Caus ait servi de tuteur par correspondance à Henry, Prince de Galles, fils de Jacques Ier d'Angleterre. Son ouvrage sur La Perspective, publié en 1612, pourrait être la trace écrite de ces leçons. Aussi participa-t-il au projet d'organisation des jardins de Richmond Palace commandé par Henry. Ce projet fut probablement dirigé par le florentin Costantino de Servi, de Caus s'occupant des « artifices » hydrauliques : jets d'eau, grottes et ornements de jardin. En particulier, il acheva en 1611 la construction d'une grande citerne destinée à l'alimentation en eau de ses machines.

    De novembre 1611 à mai 1612, de Caus travailla aussi à l'installation d'une fontaine à Hatfield House, la résidence de campagne de Robert Cecil, comte de Salisbury et Trésorier de James Ier. Ensuite, il travailla jusqu'en février 1613 à Somerset House et Greenwich Palace, deux résidences de la reine Anne de Danemark, la mère de Henry.

    Le Prince de Galles mourut à Richmond en 1612. En février 1613, l'Electeur Palatin Frédéric V et la Princesse Elizabeth Stuart, sœur de Henry et fille d'Anne, se marièrent à Londres et partirent pour Heidelberg en Avril. De Caus connaissait très bien Elizabeth, à qui il avait donné des cours de dessin. Après un détour par la France - pour des raisons ignorées - Salomon de Caus rejoignit la cour d'Heidelberg en juillet 1614. Un an après, il publiait Les Raisons des forces mouvantes.

    Avant d'arriver à Heidelberg, ou juste après, il agença une grotte importante dans les nouveaux jardins du Duc de Würtemberg, Frédéric I, à Stuttgart. Il ne reste aucune trace de cet ouvrage.

    Le Hortus Palatinus, le projet de De Caus pour Heidelberg - considéré de son temps comme la « huitième merveille du monde » - ne fut jamais achevé (Figure 4). En octobre 1619, Frédéric V quitta Heidelberg pour Prague pour y être couronné Roi de Bohème, le 4 novembre. A peu près à la même époque, de Caus écrivait que, si la Guerre de Trente Ans n'avait pas eu lieu, le jardin Palatin aurait été achevé en six mois. Malheureusement, le 8 novembre 620, l'armée de Frédéric fut décimée à la bataille de la Montagne Blanche et le roi de Bohème - surnommé « le roi d'un seul hiver » - dut s'exiler en Hollande, à la Haye, laissant le Palatinat face aux armées de la Ligue Catholique commandées par Johann Tserclaes, Comte de Tilly. Malgré les défenses d'artillerie installées dans le Jardin Palatin, la ville fut prise en deux mois.

    File:Hortus Palatinus und Heidelberger Schloss von Jacques Fouquiere.jpg

    Dans les années qui suivirent, le jardin fut laissé à l'abandon ou utilisé comme verger ; il servit aussi à faire pousser des légumes et, notamment, de la chicorée pour remplacer le café.

    A la fin du XXème siècle, spéculant sur l'intérêt que les princes palatins Rodolphe II et Frédéric V portèrent aux doctrines rosicruciennes, il a été suggéré que l'œuvre de De Caus - surnommé le « Prospero de Heidelberg » [186] - devait être interprétée à la lumière des concepts ésotériques du début du XVIIème siècle. Dans cette perspective, le Hortus Palatinus devrait être compris comme un « Jardin Magique », « un jardin allégorique inspiré par le mysticisme rosicrucien », « un cosmos botanique », un modèle du jardin dans lequel se déroule le « mariage chimique » de Christian Rosenkreutz [220]. Toutefois, comme le souligne Morgan, jamais de Caus ne mentionne, suggère ou montre aucun signe d'une affiliation ou même d'une sympathie pour l'hermétisme dans toute son œuvre écrite [151].

    Les dernières années

    Quoi qu'il en soit, de Caus n'avait pas suivi Frédéric à Prague, où il n'avait aucun rôle à tenir. Au contraire, dès 1618, il échangea une correspondance avec les échevins de Rouen au sujet d'un nouveau pont pour lequel il fournit des plans et des conseils. Pour finir, ces négociations n'aboutirent à rien et ce n'est qu'en 1620 qu'il revint en France, à Paris. Il travailla alors pour Louis XIII au titre d'architecte et ingénieur du roi.

    A partir de 1618 et jusqu'à sa mort, les intérêts de De Caus se diversifièrent. Il fit des projets de pont, non seulement pour Rouen, mais aussi pour Villeneuve-les-Avignon. Il dessina des cartes - du monde, d'Italie et de Paris. Il travailla à un projet destiné à améliorer la propreté de Paris afin de remédier à son « air pestilentiel », avec l'installation de vingt nouvelles fontaines. Il rédigea aussi des traités théoriques.

    Salomon de Caus mourut en 1626 et fut enterré dans le cimetière Protestant de la Trinité, à Paris [151]. Si on ignore les circonstances de sa mort, il se trouve que, en revanche, le testament que Salomon et Esther de Caus ont fait enregistrer le 15 janvier 1626 est parvenu jusqu'à nous. Il précise que, « considerant le long temps qu'il y a qu'ils sont conjoinctz par mariage, la grande amour qu'ilz se sont portez et portent […], qu'ils n'ont aulcungs enfans d'eulx deux ny de l'ung d'eulx », ils lèguent l'ensemble de leurs biens à celui qui survivra à l'autre [92].

    Un décret impérial de 1864 associa le nom de Salomon de Caus à une rue donnant sur le Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

    Salomon de Caus à Bicêtre

    Au XIXème siècle, après plus de 200 ans d'oubli quasi complet, Salomon de Caus connut une étonnante célébrité posthume à cause d'un article publié en 1834 dans le magazine Musée des Familles par Henri Berthoud. Cet article reproduit la lettre que la courtisane Marion Delorme aurait envoyé le 3 février 1641 à son amant, Henri Coiffier de Ruzé d'Effiat, Marquis de Cinq-Mars, alors à Narbonne avec la Cour. Cinq-Mars avait demandé à Marion Delorme de tenir compagnie à Edward Somerset, Marquis de Worcester, pendant son séjour à Paris. Marion rend ainsi compte de sa mission :

    « Mon cher d'Effiat,

    Tandis que vous m'oubliez à Narbonne, et que vous vous y livrez aux plaisirs de la cour, et à la joie de contrecarrer M. le cardinal, moi, suivant le désir que vous m'en avez exprimé, je fais les honneurs de Paris à votre lord anglais, le Marquis de Worcester, et je le promène, ou plutôt il me promène de curiosités en curiosités, choisissant toujours les plus tristes et les plus sérieuses, parlant peu, écoutant avec une extrême attention, et attachant sur ceux qu'il interroge deux grands yeux bleus qui semblent pénétrer au fond de la pensée... Témoin la visite que nous sommes allés faire ensemble à Bicêtre, et où il prétend avoir découvert dans un fou un homme de génie. Si le fou n'était pas furieux, je crois en vérité que votre marquis eût demandé sa liberté pour l'emmener à Londres, et écouter ses folies du matin au soir. Comme nous traversions la cour des fous et que, plus morte que vive, tant j'avais peur, je me serrais contre mon compagnon, un laid visage se montre derrière de gros barreaux, et se met à crier d'une voix tout cassée :

    - Je ne suis point un fou, j'ai fait une découverte qui doit enrichir le pays qui voudra la mettre à exécution.

    - Et qu'est-ce que sa découverte ? - fis-je à celui qui nous montrait la maison.

    - Ah ! -Dit-il, en haussant les épaules- quelque chose de bien simple, et que vous ne devineriez jamais, c'est l'emploi de la vapeur d'eau bouillante.

    Je me mis à rire.

    - Cet homme -reprit le gardien- s'appelle Salomon de Caus. Il est venu de Normandie, il y a quatre ans, pour présenter au roi un mémoire sur les effets merveilleux que l'on pourrait obtenir de son invention ; à l'entendre, avec de la vapeur, on ferait tourner des manèges, marcher des voitures, que sais-je, on opérerait mille autres merveilles. Le cardinal renvoya ce fou sans l'écouter. Salomon de Caus, au lieu de se décourager, se mit à suivre partout monseigneur le cardinal qui, las de le trouver sans cesse sur ses pas, et importuné de ses folies, ordonna de l'enfermer à Bicêtre, où il est depuis trois ans et demi, et où, comme vous avez pu l'entendre vous-même, il crie à chaque étranger qu'il n'est point un fou, et qu'il a fait une découverte admirable. Il a même composé à cet égard un livre que j'ai ici.

    Milord Worcester, qui était devenu tout rêveur, demande le livre, et après en avoir lu quelques pages, dit :

    - Cet homme n'est point un fou et, dans mon pays, au lieu de l'enfermer, on l'aurait comblé de richesses. Menez-moi près de lui, je veux l'interroger.

    On l'y conduisit, mais il revint triste et pensif.

    - Maintenant il est bien fou, dit-il ; le malheur et la captivité ont altéré à jamais sa raison ; vous l'avez rendu fou, mais quand vous l'avez jeté dans ce cachot, vous y avez jeté le plus grand génie de votre époque.

    Là-dessus, nous sommes partis, et depuis ce temps il ne parle que de Salomon de Caus.

    Adieu mon cher aimé et féal Henri, revenez bien vite et ne soyez pas tant heureux là-bas qu'il ne vous reste un peu d'amour pour moi.

    Marion Delorme. » [28]

    Dans l’article publiant cette lettre, Berthoud accuse le Marquis de Worcester d'avoir volé l'invention de Salomon de Caus et affirme que c'est à tort que les anglais le considèrent comme l'inventeur de la machine à vapeur.

    Les aspects dramatiques de cette histoire - la personnalité des protagonistes, la folie et l'enfermement de Caus à Bicêtre (Figure 5), la malhonnêteté de l'aristocrate anglais - furent rapidement propagés et exploités. Ainsi, une des versions les plus colorées de la folie de Salomon de Caus apparut dans un texte de 1846 par Alhoy et Lurine. De Caus a été enfermé à Bicêtre sur ordre du Cardinal de Richelieu, jaloux de l'amour impossible que le savant porte à Marion Delorme. Worcester et Delorme visitent le quartier des fous « en riant » et se moquant du malheureux. Celui-ci implore la belle insensible :

    « Marion ! Marion ! C'est bien moi... Regarde !... Je te reconnais, et je t'aime !... Marion ! Marion ! J'ai fait une découverte qui enrichira mon pays... Marion ! Marion ! Viens briser les barreaux de ma prison, et délivre moi... Je m'appelle Salomon de Caus ! » [4]

    Dans d'autres versions de l'histoire, Richelieu a fait enfermer de Caus parce que l'invention de la machine à vapeur risquait de miner son autorité en réduisant les inégalités entre les hommes [152].

    Une pièce de Adolphe Joly, intitulée Salomon de Caus à Bicêtre, fut jouée en 1849 dans tous les principaux théâtres de Paris. De Caus y est décrit comme un « nouveau prophète » et un « martyre de la science ». De même, la pièce Salomon de Caus, Dramatisk Digtning de l'auteur norvégien Andréas Munch, jouée pour la première fois en 1854, fut traduite en Anglais l'année suivante et en Allemand en 1857. En 1858, dans son histoire des prisons parisiennes, Adolphe de Bragelonne décrit de Caus comme l' « un des bienfaiteurs de l'humanité » et « un messie du progrès » qui, comme le Christ - pas moins - fut crucifié par ses contemporains.

    Cette soudaine célébrité posthume de De Caus ne se limita pas à la littérature. Les Salons de 1845 et 1855 exhibèrent de grands tableaux consacrés aux épisodes de sa vie par Joseph Lecurieux et Auguste-Barthélemy Glaize. Comme l'écrivit un commentateur :

    « Tout Paris a vu à l'une des expositions du Louvre un tableau de l'un de nos peintres, M. Lecurieux, dans lequel Salomon de Caus, enfermé à Bicêtre, est représenté les yeux caves et la barbe hérissée, tendant les mains, à travers les barreaux de sa prison, au couple brillant de Marion Delorme et du marquis ; la lithographie et la gravure ont consacré à l'envi ce préjugé historique, le roman l'a exploité, de telle sorte que l'architecte normand tient aujourd'hui sa place à côté de Galilée et de Christophe Colomb sur la liste des hommes de génie persécutés et méconnus » [71]

    Si les premiers doutes sur l'authenticité de ces histoires sont apparus

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