Quand j'écrirai encore une histoire: Cahiers de guerre à Nil-Saint-Vincent, 1944-1945
Par Christine Flahaut et Michel Flahaut
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À propos de ce livre électronique
Découverts par hasard peu après sa mort par un historien local, les cahiers de guerre de Christine Flahaut (1923-2008) constituent un document unique sur la vie d’un petit village wallon durant l’Occupation et la Libération. Rédigés en français populaire savoureusement émaillé de wallonismes, ils font revivre toute une époque.
Leur édition s’accompagne de nombreuses illustrations, d’explications et d’éclairages sur les faits historiques, les coutumes, les activités quotidiennes, les conséquences de la guerre.
Un ouvrage passionnant qui démontre qu'une petite flamme de vie et d’espoir peut subsister dans la tourmente de la guerre.
EXTRAIT
Le 6 juin 1944, un mardi, on était vers huit heures et demie. Il faisait un temps nuageux et il pleuvait à [par] moments. Beaucoup d’avions anglais étaient passés bas, la nuit. Joseph Parent cria à papa dans le jardin – il devait aller aux betteraves après-midi : « Ils sont débarqués en France. »
Papa venait d’écouter à la TSF. Le porte-parole des armées alliées demandait à tous ceux qui habitaient aux environs des côtes françaises, à moins de trente-huit kilomètres, d’évacuer quand ils auraient été avertis par des tracts. Ils devaient prévenir leurs voisins, prendre peu de bagages, et partir par des sentiers en se dispersant afin de ne pas être pris pour des colonnes de troupes. Ceux qui ne le pouvaient pas devaient partir à deux kilomètres. Papa crut que c’était cela que Joseph voulait dire. Il revint prendre le poste qui parlait en flamand. J’épluchais des pommes de terre. On parlait d’Eisenhower. Soudain, il dit : « Un communiqué des forces expéditionnaires alliées nous apprend que sous la couverture d’un violent bombardement aérien et naval, des forces alliées sous le commandement du Général Eisenhower ont débarqué dans le nord de la France ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christine Flahaut n’aurait sans doute jamais imaginé que son journal de guerre serait un jour publié. Il a fallu l’enthousiasme et l’obstination de Michel Flahaut, un de ses lointains cousins, et du groupe Chercha asbl de Chastre, tous passionnés d’histoire – la vraie, celles des gens –, pour que ce livre voie le jour. Le message de Christine est d’une émouvante simplicité : c’est dans les moments les plus durs que l’on comprend combien la vie, la paix, l’amitié, le chaleureux voisinage d’un village, d’une communauté sont essentiels.
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Aperçu du livre
Quand j'écrirai encore une histoire - Christine Flahaut
omis.
Les événements de 1944
Avril 1944
L’hiver avait été doux et humide. Il avait gelé assez fort en février. Marius Jacquemin s’était noyé à la carrière de Blanmont.
Une rafle. Flore l’avait crié à marraine à la haie, au soir
Dans la nuit du 5 au 6 avril 1944, il y eut une rafle des Allemands pour les réfractaires étrangers. Flore l’avait crié à marraine à la haie, au soir.
Les Allemands allèrent chez Octave Herbigniaux, fouillèrent toute la maison, ligotèrent Octave, ainsi que Ghislain, de chez Marie du champêtre [épouse du garde-champêtre], qui était venu voir pour des carreaux. Thérèse, la sœur d’Octave, put seule rester près de leur mère Céline. Elle avait demandé aux Allemands pour aller soigner [nourrir] les vaches. Ils lui permirent, mais refusèrent de lui laisser soigner les cochons.
On avait raconté peu de temps auparavant qu’Octave avait été voir jouer à la balle, au tram, avec des Russes cachés chez lui, et qu’il avait conduit des parachutistes en lieu sûr. Quatre cents jeunes gens, faisant partie de cette organisation, furent enlevés ce jour-là.
Vers onze heures, ayant vu passer une auto allemande et ne voyant pas revenir Ghislain, Marie demanda aux voisins d’aller à sa recherche. À la fin, elle partit avec le champêtre, en sabots, un vieux châle sur son dos. Ils furent ligotés par les Allemands et ne purent ni bouger ni parler de toute la nuit. Pendant ce temps, les Allemands mangeaient des œufs et du jambon.
Octave et Ghislain furent emmenés dès le matin. Les Allemands firent mettre à Octave son pardessus. Il dit au revoir à la vieille Céline, puis se tut et ne versa pas une larme. Les Allemands restèrent jusque midi. Ils chargèrent les pains, les jambons, les poules. Octave écrivit plusieurs mois après, par un ingénieur juif de Bruxelles, son compagnon, qu’il était à Weimar.
Vingt-quatre récalcitrants [réfractaires] étaient cachés à Nil dans ce moment-là, chez Sylvain Bosse, chez Art, chez Parent, chez Haubruge. Un réfractaire qui se cachait chez Jean Art parvint à s’enfuir, mais, blessé, il fut fait prisonnier. Jean réussit à s’enfuir.
Les Allemands allèrent chez Louis Duchâteau, qui cachait deux jeunes hommes et une femme. J’avais vu la veille encore, passer un de ces hommes, un grand noir bouclé. Quand les Allemands arrivèrent, ils dirent à la femme : « Vous, vous êtes Margot ! » et prirent les deux hommes. Juliette faiblit [défaillit]. Louis s’enfuit au bas du chemin. Il alla se cacher chez son frère à Assesse. Les Allemands ne prirent pas leur fils Camille.
Le bruit courait que Duchâteau hébergeait des Russes et qu’une femme de Saint-Martin les avait dénoncés. Un juif allemand et sa femme étaient venus lui demander l’hospitalité, il les accepta. Octave Herbigniaux était chargé de cacher des munitions chez lui. Duchâteau alla en cacher avec le juif. Quand les Allemands vinrent, ils se dirigèrent tout droit vers ce lieu. Quant aux autres munitions, ils ne les trouvèrent pas. C’était sans doute ce juif qui les avait dénoncés ¹. On raconta qu’un revolver chargé avait été trouvé chez Octave, et qu’il avait un vrai dépôt de munitions chez lui.
Eugène Chapelle, de Genval, recherché pour communisme, fut arrêté chez Duchâteau. Il venait passer tantôt quinze jours, tantôt six semaines. Les Allemands cherchaient également Adolphe, qui avait reçu déjà plusieurs fois son papier [ordre de travail obligatoire en Allemagne], et ne le trouvèrent pas.
Les Allemands étaient comme des lions. Ils avaient plusieurs jeunes gens dans leur auto quand ils passèrent dans Nil. Les gens tremblaient de peur. Du côté du Tiège, les chemins étaient noirs de jeunes gens qui s’enfuyaient pour ne pas loger à Nil. André de Nil-Pierreux et Georges Despy, très effrayés, allèrent loger à Blanmont. Marie Bastians dit qu’elle avait entendu tirer trois coups de feu dans la nuit. Beaucoup de gens n’allèrent pas dormir. Chez Ambroise, ils allèrent loger au Poids d’Or [épicerie].
Au matin, la femme du champêtre, ne sachant pas où était son mari, pleurait sur le chemin. Elle envoya Agnès chez Octave, demander où était son papa. Thérèse mit un doigt sur sa bouche et lui fit signe de se taire.
Le bourgmestre téléphona à la Kommandantur pour réclamer le champêtre. Celui-ci fut relâché à Wavre, avec Marie et Ghislain. Fernand Lebrun alla les chercher avec l’auto de Lecouturier. Le champêtre et sa famille revinrent à midi.
Le lendemain de cette arrestation, Renée était chez Marie-Thérèse Lorge, qui vendait des cigarettes pour le Front de l’indépendance. Elle lui montrait, et tout à coup, elles entendirent du bruit et des voix d’Allemands dans le corridor. Marie-Thérèse, affectée, devient blanche comme un linge et dit : « Ça y est, je suis prise ! », et lança tout dans le feu. Renée tremblait comme une feuille et se hasarda à sortir pour retourner. Deux Allemands lui demandèrent : « C’est pour des œufs, madame ! ». Elles furent alors rassurées. Les Allemands allèrent goûter chez Haubruge.
Plus tard, Duchâteau était allé téléphoner dans un café à Assesse, quand il se trouva nez à nez avec Simon, de Blanmont, un rexiste portant l’uniforme. « Tiens, qu’est-ce que tu fais ici, toi ? », dit-il. Duchâteau, blême, lui dit qu’il était venu chez son frère, parce que le ravitaillement était meilleur. « Et toi ? », lui dit Duchâteau. « Moi, je me cache pour les boches », répondit hypocritement Simon. Et pour le troubler, il lui dit : « Quelle affaire, hein, à Nil, avec Octave Herbigniaux ! ». Duchâteau feignit ne rien savoir, mais depuis ce jour-là, il ne sortit plus de chez son frère. Ses cheveux lui avaient dressé sur la tête.
LA RÉSISTANCE À NIL-SAINT-VINCENT
L’« ARMÉE BLANCHE »
L’« armée blanche », écrira le plus souvent Christine Flahaut, pour désigner la résistance clandestine à l’occupant allemand. « On fera plus tard l’histoire de l’Armée blanche, note Paul Struye en 1944. Le plus épais mystère plane sur son organisation et ses chefs. » Et pour cause : l’armée blanche comme « corps unique d’une résistance structurée » n’existe pas. L’expression est l’appellation générique donnée par les Belges à l’ensemble des mouvements et réseaux de résistance. Sans souci de distinguer leurs éventuelles tendances idéologiques ou politiques. On dira aussi : « la Résistance ».
De petits groupes de résistants se sont formés en divers lieux dès 1940. Ils sont autonomes et agiront localement. Mais pas tous. Parmi les seize mouvements de résistance armée qui feront l’objet d’une reconnaissance officielle après-guerre, deux sont notables par leur coordination étendue au pays entier. Et par l’importance de leurs effectifs. Ce sont l’Armée secrète et le Front de l’indépendance. Sans surprise, nous constaterons leur présence à Nil-Saint-Vincent et dans les villages voisins. Le Front de l’indépendance sera particulièrement implanté à Nil.
L’ARMÉE SECRÈTE
L’Armée secrète se constituera à partir de réseaux mis sur pied dès 1940 par des officiers de réserve ou d’active restés au pays. D’abord dénommé « Légion belge », puis « Armée de Belgique », le groupe recevra le nom d’« Armée secrète » le 1er juin 1944. Née politiquement « à droite », elle recrutera néanmoins ses membres dans tous les milieux, sauf pour ses cadres, où les officiers resteront prédominants. L’Armée secrète mènera des actions strictement militaires, en particulier à partir de 1944 : sabotages, contre-sabotages, actions de guérilla, combats à