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Portraits de Berlin: Berlin par ceux qui y vivent !
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Livre électronique296 pages3 heures

Portraits de Berlin: Berlin par ceux qui y vivent !

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À propos de ce livre électronique

Découvrez Berlin à travers les yeux de ses habitants

Portraits de Berlin, c'est la rencontre avec Hermione, Félix, Thierry, Marko, Delphine, Nadia, Joseph, Hannah, Camila, Adrian, Nicolas... Une mosaïque qui reflète l'esprit d'avant-garde berlinois. Qu'ils aient connu Berlin avant la chute du Mur ou n'étaient alors pas encore nés, aujourd'hui ils y sont guide street-art, entrepreneurs, perceuse- tatoueuse, DJ, étudiant, graphiste, militaire, caviste... D'origine américaine, bolivienne, britannique, française, algérienne, allemande... Ils vous racontent leur histoire, la ville de l’intérieur, le melting-pot culturel et social, l'intimité de la cité, comment chacun est devenu ein Berliner.

Chaque portrait livre sa sélection originale de lieux qu’il juge incontournables : de la meilleure currywurst aux restos branchés, des visites insolites aux indispensables sites historiques, c'est aussi le Berlin alternatif qui se dévoile. Le livre propose ainsi plus de 250 adresses à découvrir, toutes choisies et commentées par leurs habitués : leurs meilleurs restaurants, leurs meilleures sorties, leurs meilleures visites, leurs meilleurs hôtels ou hébergements et leurs meilleures adresses shopping. En découvrant leurs histoires, vous n’aurez qu’une envie : embarquer pour Berlin et foncer dans ces lieux qu’ils nous ont confiés comme à leurs meilleurs amis.

Un guide à plusieurs voix rempli d'adresses utiles !

A PROPOS DE LA COLLECTION « VIVRE MA VILLE »

Vivre ma ville, ce sont des livres de voyage avec supplément d'âme. Ils donnent les clés, les conseils, les bonnes adresses, grâce à l'expérience de ceux qui vivent sur place, là où les autres guides se contentent d'auteurs professionnels de passage. Ils offrent aussi des histoires, une chair littéraire par les interviews-portraits d'une dizaine de personnes qui présentent leur lieu de vie. Chaque portrait est un roman. Chaque portrait a un enjeu : comprendre le choix de cette vie-là. Chaque portrait permet aussi au lecteur de s'identifier, et donc de choisir ses destinations en fonction de ses affinités, en fonction du personnage qui résonne le plus en lui.

LES ÉDITIONS HIKARI

Hikari Éditions est un éditeur indépendant, dédié à la découverte du monde. Il a été fondé par des journalistes et des auteurs vivant à l'étranger, de l'Asie à l'Amérique du Sud, souhaitant partager leur expérience et leurs histoires au-delà des médias traditionnels.
LangueFrançais
Date de sortie14 avr. 2016
ISBN9782367740522
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    Aperçu du livre

    Portraits de Berlin - Anastasia Lévy

    Éditions

    «En 1982, je suis arrivé à Berlin, un 22 janvier, et j’ai appris bien plus tard que c’était justement le jour de commémoration de l’amitié francoallemande. Heureusement, j’avais pris un aller simple… Sinon je crois que je serais reparti aussi vite ou j’aurais continué ma route au-delà de Berlin.

    Mais à ce moment-là, j’ignorais que Berlin-Ouest était un cul-de-sac, une enclave à l’intérieur de l’Allemagne de l’Est : on ne pouvait pas aller plus loin. À mon époque, les programmes d’histoire s’arrêtaient en 1945 à l’école et c’était moins facile qu’aujourd’hui de s’informer autrement. Il n’y avait que trois chaînes de télévision, et bien sûr, pas Internet. J’avais 23 ans, et pour venir de Lyon, j’ai dû changer trois fois de train et faire 21 heures de voyage ! C’était un système spécial, qui s’appelait Transalpino, pour les moins de 26 ans : ça n’était pas cher, mais tu mettais un temps fou. Il fallait attendre à Strasbourg, Karlsruhe, Francfort-am-Main. Quand on passait de l’Est à l’Ouest, on devait changer de locomotive, on attendait dans les wagons, on était secoués, et puis on repartait. Je suis arrivé à 6 heures du matin à la gare de Berlin-Zoologischer Garten. J’ai vraiment eu peur ce jour-là : je ne comprenais rien, je n’avais jamais fait d’allemand à l’école, et il faisait froid et nuit. On m’avait pris mes derniers 5 marks pour le visa d’entrée en Allemagne de l’Est, je ne pouvais même plus me payer un sandwich ! Rien.

    Mais dans le fond, je ne me faisais pas de souci : j’avais un super bon plan qu’une Lyonnaise m’avait donné trois semaines avant, à la soirée du Nouvel An : elle m’avait dit que son meilleur ami habitait à Berlin et que je pouvais rester chez lui aussi longtemps que je voulais.

    Quand je suis arrivé, j’ai attendu trois heures à la gare dans un café, et j’ai débarqué chez le meilleur ami en question vers 9 heures. En passant la porte, j’ai réalisé que ma copine lyonnaise et lui se connaissaient à peine, et que je n’étais pas du tout le bienvenu, ou en tout cas pas « aussi longtemps que je voulais ». Au bout de deux jours, j’ai décidé de chercher autre chose. J’avais en tête les paroles de Lou Reed, dans la chanson Berlin sortie en 1973 : « It was so nice, it was paradise, Berlin by the wall, Dubonnet on ice ». Je me disais qu’il devait avoir écrit cette chanson de chez lui et j’ai décidé de marcher le long du Mur jusqu’à ce que je trouve cette maison qui semblait être le paradis. Je suis parti en quête un lundi matin à 8 heures de Kreuzberg et je me suis retrouvé face au Mur. J’ai pris à droite, parce que ça avait l’air plus joli. Et je me suis retrouvé face à cette maison, immense, attachée au complexe de l’ancien hôpital Bethanien avec son église. C’était la maison où habitaient les nonnes de l’église et les infirmières qui travaillaient dans l’hôpital. Comme cet hôpital était trop près du Mur, la mairie de Berlin-Ouest avait décidé d’abandonner le lieu, pourtant l’un des principaux hôpitaux de la ville depuis 1860. Un autre plus moderne, détaché du Mur, avait été construit plus loin.

    Quand l’ancien hôpital Bethanien a été vidé, des jeunes ont commencé à l’occuper, petit à petit, de manière illégale. À l’époque, il y avait très peu de logements disponibles : les gens ne voulaient pas investir dans l’immobilier à cause des Soviétiques tout autour, il y avait des rumeurs d’invasion. Il y avait très peu d’appartements à louer, mais beaucoup de jeunes, nés après la guerre, qui vivaient chez leurs parents et cherchaient un moyen de s’en émanciper. C’est comme ça qu’a commencé la vague de squat de Berlin-Ouest. Cette maison-là s’appelait la Rauchhaus et son occupation a finalement été légalisée en 1978. Moi, quand je suis arrivé, je n’en savais rien, je me suis juste posé là avec mes petites valises. Et j’ai réalisé bien des années plus tard qu’en fait Lou Reed n’avait jamais mis les pieds à Berlin.

    Squat et Hausprojekt, habitats berlinois

    Si l’Ouest avait sa propre culture du squat avant la chute du Mur, c’est après cette date que les squats deviennent une part non négligeable des logements à Berlin-Est également. Beaucoup d’habitants de la partie Est de la ville ayant fui l’État communiste à la chute du Mur, d’innombrables appartements vides sont alors squattés par une majorité de jeunes Berlinois de l’Ouest, qui trouve là un nouvel espace à s’approprier. Ces nouveaux lieux n’avaient pas de propriétaire puisque la RDA n’existait plus, dans une Berlin-Est où l’immobilier était précédemment propriété d’État. Dans les années 1990, le squat devient l’espace privilégié de la culture underground qui vibre dans toute la ville. De même, les Hausprojekt, littéralement maison-projet, reposent sur des projets de vie, souvent à l’initiative de collectifs d’artistes. Même si aujourd’hui beaucoup de squats historiques ont été fermés par la mairie, comme le mythique Tacheles, squatté depuis 1990 et définitivement vidé de ses occupants en 2012, le squat, légalisé ou non, fait partie de l’identité alternative intrinsèque de Berlin.

    Berlin la Rouge

    La Fraction armée rouge, Rote Armee Fraktion (RAF), est une organisation terroriste d’extrême gauche active pendant trente ans, de 1968 à 1998, en Allemagne de l’Ouest puis en Allemagne réunifiée. La « Bande à Baader », du nom de son leader Andreas Baader, avait pour objectif de « Favoriser la lutte des classes - Organiser le prolétariat - Commencer la résistance armée - Construire l’Armée Rouge » comme inscrit dans sa déclaration officielle. Ce qui avait commencé par des attaques de banques devint vite une véritable guérilla urbaine, provoquant la mort de nombreux policiers et de membres de la RAF, qui alla jusqu’à perpétrer des attaques à la bombe visant notamment des bâtiments militaires américains ou d’autres institutions publiques. En 1998, après avoir décidé d’arrêter les assassinats, la RAF finit par annoncer sa dissolution.

    C’est le goût de l’aventure qui m’a envoyé là-bas. Je n’avais rien à perdre en France. Je faisais des petits boulots et je n’arrêtais pas de me faire virer. Je me disais qu’il allait falloir que je change quelque chose à ma vie. C’est la musique qui m’a fait mettre Berlin sur la carte : tous les gens que j’aimais à l’époque, David Bowie, Iggy Pop, D.A.F, parlaient de Berlin-Ouest ou en étaient originaires, comme Malaria ! ou Einsturzende Neubauten. Il fallait que j’aille voir par moi-même pourquoi tous ces artistes allaient à Berlin, et pas à Lyon.

    En juin 1981, six mois avant mon arrivée, le nouveau maire de Berlin-Ouest, Richard von Weiszäcker, avait promis de fermer tous les squats de la ville : il a commencé, avec l’aide de son ministre de l’Intérieur, à expulser les jeunes. Ç’a été la guerre, il y a même eu des morts ! Notamment un qui avait été écrasé par un bus lors d’une manifestation à Schöneberg. C’était la première fois que j’entendais parler de Berlin aux actualités… C’est-à-dire que, jusquelà, je n’en avais entendu parler nulle part ailleurs que chez les disquaires.

    Il y avait près de soixante-dix jeunes quand je suis arrivé dans cette maison au Bethanien. Le système d’Anmeldung, l’enregistrement de chaque habitant de Berlin à la mairie, avait été instauré après les attentats de la RAF, la bande à Baader, et maintenant on devait tous y passer. Il y avait beaucoup de gens qui étaient enregistrés mais qui ne vivaient pas là à plein-temps : ça leur donnait juste une adresse. Le premier point positif pour moi dans ce squat, c’était qu’il y faisait chaud (pas comme chez le mec chez qui je squattais, où les fenêtres étaient tout le temps ouvertes, on était en plein hiver berlinois tout de même…). Et puis c’était un port d’attache, un moyen de socialiser : on mangeait tous les jours ensemble, il y avait une vie de communauté. Cette maison, je l’avais trouvée belle en arrivant mais le dos de la bâtisse était collé au Mur. Il y avait un mirador qui nous regardait jour et nuit, finalement c’était assez lugubre.

    J’ai vite réalisé que tout le monde ici était artiste. À Lyon, j’en avais rencontré un en vingt ans, et là, en une semaine, j’en avais rencontré une dizaine ! Pour ne pas perdre la face, j’ai commencé à dire à tout le monde que j’étais artiste moi aussi : je ne voulais pas être l’idiot du village. Je disais que j’avais des talents multiples, que je faisais « de tout ». Et puis j’ai commencé à peindre et à essayer de vendre mes toiles, pour prouver aux autres – et à moi-même – que je pouvais en vivre.

    Le Mur était omniprésent. Dans la maison, il n’y avait pas une fenêtre qui ne donnait pas dessus. Ça n’était pas qu’un tas de béton de 3,60 m de haut, mais tout un système de 50 à 60 mètres de large. Il y avait un couloir de la mort derrière le mur, avec du sable, une clôture électrique, avec un système d’alarme, et tous les 500 mètres une tour d’observation avec deux soldats qui relevaient la garde toutes les huit heures. Et derrière cette clôture, il y avait un deuxième mur. Et entre la clôture et le deuxième mur, un chemin de ronde goudronné où les soldats faisaient des patrouilles. C’était un système de surveillance très sophistiqué. En fait, le mur lui-même n’était pas la frontière : il était construit à 5 mètres de la frontière Est-Ouest pour que les soldats de l’Est puissent aussi patrouiller de l’autre côté. À force de regarder ce mur avec Christophe Boucher, un autre artiste français à Berlin, on s’est dit qu’il fallait en faire quelque chose.

    Poste frontière C à la postérité

    Poste frontière C – comme Charlie en alphabet phonétique de l’OTAN – Check point Charlie, sur la Friedrichstraße, était le point de passage des étrangers, des personnels diplomatiques et des prisonniers échangés entre l’Ouest (ici le quartier de Kreuzberg) et l’Est (le quartier de Mitte). Depuis que le Mur est tombé, ce check point est devenu un symbole et un haut lieu du tourisme berlinois. On peut s’y faire prendre en photo avec les militaires, qui ne sont que des figurants en uniforme qui posent devant la guérite, restée telle quelle. Théâtre de la « confrontation des blindés » en 1961, un face-à-face de chars d’assaut des deux superpuissances qui s’affrontaient pendant la Guerre froide, Check point Charlie joue un rôle dans le James Bond, Octopussy, ou encore dans le roman d’espionnage L’espion qui venait du froid de John LeCarré. À quelques mètres de Check point Charlie se trouve le musée du Mur, Museum Haus am Check point Charlie (www.mauermuseum.de).

    La première fois que j’ai peint sur le Mur, c’était en avril 1984, vers 6 heures du matin. Jusque-là, il n’y avait rien dessus, enfin si, que des trucs de 50 centimètres de haut. Des slogans, comme « U.S. go home » ou « Türken Raus » (Les Turcs, dehors) et quelques rares messages personnels, mais le Mur restait un tabou, les artistes allemands ne s’en étaient pas du tout emparés à l’époque. Les gens faisaient même des détours pour ne pas le voir. C’est Christophe Boucher et moi qui avons fait les premières peintures de haut en bas de la paroi. Parfois, on avait peur, parce qu’en peignant sur le Mur, on était déjà à Berlin-Est, leurs soldats avaient le droit de nous arrêter.

    Quand on a commencé à peindre, les gens nous demandaient qui nous payaient. Ils ne comprenaient pas qu’on ait envie de le faire spontanément. Pour eux, on était soit payés par la CIA, soit par la CDU. On nous traitait de capitalistes, de voleurs de Mur : on avait des discussions sans fin, et je n’arrivais pas à terminer mes peintures. C’est comme ça que j’ai progressivement trouvé le style qu’on connaît maintenant, avec ces grosses têtes colorées, gros nez, gros yeux, grosses bouches, grosses oreilles.

    Il y avait des endroits dangereux comme Check point Charlie, c’était un point de passage pour les étrangers, c’était très bien gardé. Il y avait des gardes frontières, des gens de la Stasi en civil… Là, fallait éviter de peindre. Mais près de la maison où j’habitais, c’était relativement tranquille. Il fallait que les soldats passent au-dessus du Mur pour nous attraper. Avant qu’ils l’aient dépassé, on entendait les bruits de bottes qui grimpaient sur les échelles en acier, on avait le temps de déguerpir. On utilisait très peu de matériel : en cas de danger, on prenait l’échelle, on reculait sur Berlin-Ouest, on mettait le matos dans la voiture, et voilà.

    Petit à petit, nos interventions artistiques sur le Mur ont déclenché quelque chose dans l’inconscient de la population. Ç’a été une mutation de la culture. Le premier hiver, en 1984-1985, on voyait ces longues fresques de couleurs, avec la neige et la lune, c’était particulier. Les gens ont commencé à s’intéresser à nous.

    En 1985, j’ai rencontré Wim Wenders, qui faisait des recherches sur le Mur pour son film Les ailes du désir. On fréquentait déjà les mêmes endroits : je vendais mes petits tableaux dans des restaurants à Charlottenburg, et je le croisais souvent avec sa copine de l’époque, une Française, Solveig Dommartin. Il lui a d’ailleurs donné le premier rôle dans Les ailes du désir, celui qui l’a fait connaître du grand public. On croisait aussi Otto Sander, ou Eddie Constantine. Et Wenders me parlait régulièrement des recherches qu’il faisait pour son film. Il allait dans une boutique de disques tenus par deux Français à Grossbeerenstraße 29, c’était le point de rencontre de tous les gens qui ne savaient pas quoi faire l’après-midi. Petit à petit, il a fréquenté toute la bande des artistes de Berlin-Ouest, comme Nick Cave et Blixa Bargeld. Et moi.

    Wenders m’a intégré à son projet : sur le Mur, j’ai repeint la fresque de 200 mètres de long pour le film, et en même temps j’ai peint un mur en bois pour faire un décor. Après la sortie du film, le centre Pompidou de Paris a fait une exposition qui s’appelait « Ciné Cité » : Wenders avait donné ses décors à la cinémathèque de Berlin : la fausse Golden Else, cette statue d’or d’où Otto Sander regarde l’Ouest et le mur en bois que j’avais peint. Ils ont été envoyés au centre Pompidou, mais le morceau de mur du décor n’est jamais revenu. On n’a jamais su ce qui s’était passé : c’était un truc de 3,60 mètres de haut sur 20 mètres de long, ce n’est pas quelque chose que tu prends sous le bras ! Beaubourg était assuré, ils m’ont demandé de le refaire.

    Entre les peintures et le film, le Mur n’était enfin plus tabou, on pouvait le regarder. Mais du coup, il est aussi devenu réel. Trop réel.

    Un été où il a fait très chaud, à Wedding, vers Bernauer straße, une personne a foncé avec sa voiture dans le Mur, le mur brutal, sans peinture, sans slogan. Il s’est suicidé comme ça, en fracassant sa voiture contre le Mur. À partir de ce moment-là, tous les deux jours, il y avait quelqu’un pour faire pareil… C’était vraiment l’angoisse. Petit à petit, la police a fait couler des monticules de goudron pour ralentir les voitures avant le mur. Le paradoxe du Mur, c’est qu’il a été ouvert pour que les gens arrêtent de fuir l’Est. On a ouvert le Mur, mais les gens ont continué à partir vers l’Ouest.

    Le but du jeu pour moi, c’était de vivre de mon travail : comme j’ai réussi à Berlin, je suis resté. Après, je me suis marié avec une fille de Francfort et on a eu une fille, Charlotte, née en 1988. J’ai divorcé depuis, et je me suis remarié il y a quelques années avec une Turque, avec qui j’ai eu une deuxième fille qui s’appelle Clarissa, née en 2009. Charlotte a deux nationalités, française et allemande, et Clarissa en a trois. On est la famille typique « multikulti ». C’est important pour moi de garder cette culture française. Clarissa va à l’école maternelle franco-allemande, juste devant chez nous. Il y a tous les noms des enfants, et en dessous il y a écrit les langues parlées dans chaque famille. Elle est toujours très fière de dire à tout le monde : « français, allemand, turc ! ».

    Aujourd’hui, à Berlin, il y a un plan « d’urbanisme » qui prévoit le démantèlement du Mur là où se trouve ce qu’on appelle l’« East Side Gallery » : le dernier morceau du Mur authentique de la ville, qui mesure 1 300 mètres. C’est honteux, c’est un vestige historique et une œuvre d’art aujourd’hui. Ç’a été la bagarre cette année : je suis allé au Parlement de Berlin, et j’ai été déçu par tous les partis, même les Verts et le Parti Pirate étaient pour la destruction ! Tout ça pour construire une tour de quatorze étages et des logements de luxe. On a l’impression d’être abandonnés par tous les politiciens de la ville, que tout le monde trouve ça bien d’oublier le lieu où treize personnes sont mortes, dont cinq enfants, tombés à l’eau. Comme l’eau de la rivière faisait partie de Berlin-Est, les pompiers de l’Ouest n’avaient pas le droit de plonger, ces gens sont donc morts sous les yeux des passants. Il y en a eu un chaque année de 1970 à 1975. C’était un tel scandale ! Le dernier, c’était un petit Turc âgé de cinq ans tombé et mort noyé le jour de son anniversaire : il a fallu ça à l’époque pour que Berlin-Est accepte que les pompiers de l’Ouest aillent les sauver. Aujourd’hui, on nous dit que ça coûterait très cher d’arrêter le projet de construction de la tour, et on nous a promis de réinstaller les six pans de mur une fois que les travaux seront finis. Mais les promesses n’engagent que ceux qui les croient… En été, des milliers de gens visitent l’East Side Gallery tous les jours, au

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