C’est ce qu’on peut appeler un atterrissage : après avoir amené les foules très haut dans l’imaginaire en les embarquant dans l’avion dédoublé de , Hervé Le Tellier nous renvoie au réel, sur les traces d’un jeune résistant au sourire irrésistible, tombé sous les balles allemandes, dont l’auteur a trouvé de sa nouvelle maison. Un texte superbe, qui nous dit incidemment que les écrivains ne sont pas solubles dans les lois du marketing, pour lesquelles les formules qui marchent doivent être répétées jusqu’à l’usure. Et un texte qui tranche, par son éthique comme par son esthétique, avec ces foules de romans du réel où l’auteur se met en scène au point de finir par occulter son sujet. Le sujet d’Hervé Le Tellier s’appelle André Chaix, mort pour la France le 23 août 1944 à l’âge de 20 ans, deux mois et trente jours, et dans le livre on ne voit que lui. Parce que l’auteur y a inclus les photos glanées au cours de son enquête. Et parce qu’il a opté pour de nombreux partis pris qui relèguent sa propre présence au second plan. C’est bien Le Tellier que l’on entend, lors-qu’il lance une digression sur l’auteur de , nous raconte l’histoire du premier film sur le naufrage du ou interroge la question de l’engagement en s’intéressant aux deux camps – avec à chaque fois la volonté de saisir la complexité de l’époque, des êtres, des contextes. Mais c’est André Chaix, toujours, qui apparaît devant nous. Le livre ne l’érige pas en héros ou en saint, ne prétend pas lui rendre justice, encore moins le ressusciter. Il nous montre juste un très jeune homme qui a fait les bons choix, qu’il s’agisse de la Résistance ou de sa fiancée Simone, et qui est mort trop tôt pour décevoir. Et à la suite d’André Chaix, vient tout un monde. Celui d’une petite ville de la Drôme provençale, Dieulefit, qui fut curieusement épargnée par l’occupant alors que les réfugiés y abondaient. avec tant de scrupules, tant d’attention pour le sujet et son mystère qu’il en est venu à atteindre une beauté particulière. Pas celle de , virtuose et découlant d’une imagination flamboyante. Mais une beauté bouleversante, humaine, venue à la fois d’André Chaix et du cortège de mots, d’idées, de correspondances lancé vers lui par Hervé Le Tellier sans chercher à abolir la distance – et qui pour cela nous atteint en plein cœur.
