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Le mort qui parle: Sept enquêtes du commissaire Sensi
Le mort qui parle: Sept enquêtes du commissaire Sensi
Le mort qui parle: Sept enquêtes du commissaire Sensi
Livre électronique381 pages5 heures

Le mort qui parle: Sept enquêtes du commissaire Sensi

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À propos de ce livre électronique

Tout le monde est hanté par un démon intérieur. Celui du commissaire Sensi est un policier meilleur que lui.

LE COMMISSAIRE SENSI n'est pas un policier typique. Il a un look gothique absolument décalé, un sens de l'humour caustique et une approche du travail tout à fait personnelle dont la principale caractéristique est de tenter de l'éviter à tout prix.
Mais ce n'est pas toujours possible. Dans ces sept histoires qui vont de son infiltration dans une secte satanique à ses premières expériences en tant que chef de la Brigade Mobile de La Spezia, Sensi sera contraint de véritablement enquêter, qu'il le veuille ou non.
Pour le faire, il va devoir unir les capacités de son équipe et les siennes, toutes modestes qu'elles soient, à celles d'un limier beaucoup plus infatigable que lui, un chasseur prêt à se jeter sur la traînée de sang laissée sur une scène de crime avec l'enthousiasme... d'un gourmet.
Parce qu'évidemment, Sensi a un sombre secret: il a en lui un hôte démoniaque, très indésirable, mais tellement utile. 
Astaroth n'est pas un locataire facile, mais s'il y a quelqu'un en mesure de comprendre comment fonctionne l'esprit sanguinaire d'un killer, c'est bien lui. Lui qui se réjouit de la sauvagerie et de la violence, mais qui est impatient de poser ses griffes sur toutes les âmes noires qu'il croise. Pour en faire son dîner.

"A cheval entre tradition et internet, histoire de détective et culture pop, dans un scénario à la fois génial et irréel". --La Stampa
LangueFrançais
ÉditeurBAT
Date de sortie1 mai 2021
ISBN9791220291194
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    Aperçu du livre

    Le mort qui parle - Susanna Raule

    RAULE

    NUMÉRO SEPT, LE MORT QUI PARLE

    Voici le premier récit avec comme protagoniste Sensi. On me demanda de l'écrire en 2007 pour une anthologie qui n'a jamais été publiée. Au début, je voulais n'utiliser que le point de vue du tueur, je n'ai donc inséré les parties narratives de son adversaire, le commissaire, que bien plus tard.

    Toutes les histoires que contient cette anthologie se déroulent avant L'ombre du commissaire Sensi.

    SR

    ---

    De nombreux nombres sont différents des autres, les Anciens le savaient bien.

    As-tu lu le Da Vinci Code? Celui-là n'a rien inventé de neuf. Les égyptiens le savaient, les gens du Moyen-Âge eux aussi. Il n'y a rien à faire: le trois, le sept, le vingt-trois ont quelque chose de spécial.

    As-tu jamais entendu parler des nombres premiers? Voilà, cela n'est que la partie visible de l'iceberg, tu peux me croire. Le quatre, le six... tu sens comment ils sont en harmonie? Pairs, tranquilles, en équilibre avec le cosmos.

    Quelques nombres en revanche, demeurent insatisfaits. Plusieurs nombres - sans vouloir te paraître mélodrammatique - sont mauvais.

    C'est comme s'ils étaient en équilibre entre ce monde et un autre. Et cet autre monde n'est pas un endroit agréable, tu peux me faire confiance, ce n'est pas un endroit où tu voudrais passer ton foutu weekend. Ces quelques nombres, à des moments différents, sont comme des portes. Ce ne sont pas des portes par lesquelles on peut rentrer, mais plutôt des portes par où peuvent sortir des choses.

    Moi je suis né le 7 juillet 1978. Le 7 du 7. Et l'année, 1978, regarde: 1 + 9 = 10, 10 + 7 = 17, 17 + 8 = 25, 2 + 5 = 7. Tu as vu? C'est fou, non?

    C'était l'un de ces moments et en moi est entrée une chose.

    Je n'y pouvais rien.

    ***

    J'étais certain qu'elle ne pouvait rien y faire elle non plus, mais cela ne changeait rien au fait que ce qu'elle manigançait était dégueulasse.

    C'était la troisième victime que nous retrouvions et je commençais plutôt à être sous pression.

    Tout avait démarré, faut-il que je le précise, par une récolte de champignons.

    Je n'ai jamais compris ce qui poussait certaines personnes à se réveiller à des heures indues pour monter dans leur voiture et, armées d'un bâton et d'un panier en osier, parcourir à l'aube les bois humides et inhospitaliers.

    Pour moi, il est impensable de sortir de mon lit avant onze heures et demie, avant cette heure je n’y vois qu’un signe d'instabilité mentale.

    Ces gens effectuent d'étranges rituels barbares. Ils ont des croyances bien au-delà de la frontière avec la superstition quant aux endroits les plus favorables à leurs recherches, un sens aigü de la propriété terrienne, la paranoïa rampante qu'un autre être humain dans les parages puisse vouloir leur voler leurs cèpes et la conviction qu'apporter leur récolte à la pharmacie pour la faire examiner par un expert n'est qu'un signe de faiblesse, voire même d'homosexualité latente.

    Il faut quand même admettre une chose. Bien que les gens civilisés, débarrassés de leur présence, vivraient sans aucun doute beaucoup mieux, les chercheurs de champignons ont une vue exceptionnelle. Même Sherlock Holmes ne pourrait pas remarquer avec une telle expertise les changements d’aspect d’un terrain, les minuscules signes de creusement, les plus infimes irrégularités dans la croissance de la mousse.

    C'est ainsi qu'un certain Lelio Ammaniti, chercheur de champignons, avait remarqué quelque chose d'insolite vers cinq heures du matin, le 14 avril tandis qu'il passait au peigne fin le sous-bois dans sa zone favorite, même si ce n’était pas encore tout à fait la saison, tout de suite après Aulla, sur la route de Fivizzano.

    Ammanati, qui procède le nez collé par terre afin de ne laisser échapper aucun champignon, se rend soudain compte d'être sur une fosse creusée il y a quelques mois. N'importe qui penserait qu'une telle anomalie serait due à un expert de n'importe quelle sorte, peut-être un archéologue, mais Ammanati est parfaitement en mesure d'effectuer une analyse complète du terrain rien qu'en y regardant de plus près.

    De plus, au milieu de cette fosse, il y a un énorme et luxuriant Boletus Aedilis. Ammaniti s'empare du champignon et puis examine méticuleusement la fosse avec sa super-vue de ramasseur de champignons. Il remarque qu'elle est large d'environ un mètre et longue de deux, qu'elle est belle, précise et rectangulaire.

    Maintenant, comme tout le monde, Ammaniti regarde CSI [1] .

    Il sort son téléphone portable et appelle la police.

    ***

    Quand j'étais petit, la Chose était petite elle aussi. Elle avait de petites envies.

    Quelquefois, il lui suffisait de voir quelque chose prendre feu. Oh, les flammes... quel phénomène incroyable, n'est-ce pas? Je pourrais regarder les flammes pendant des heures et des heures. Ces petites langues à la pointe bleues qui frétillent et qui caressent.

    Quelquefois, elle voulait quelque chose d'un peu plus substantiel. Les chats, par exemple, lui plaisaient énormément.Un beau chat chat mince et galeux, comme ceux qui abondent dans les cours près de la Place Brin. Il suffit de leur faire miroiter une friandise pour qu'ils s'approchent.

    À huit ans, j'ai découvert que si tu cloues un chat par terre, en hiver, et que tu lui ouvres le ventre, il s'élève de ses intestins un petit nuage de vapeur. Tu dois faire vite sinon tu ne pourras pas le voir.

    Je me suis interrogé sur ce nuage de vapeur.J'ai même caressé l'idée qu'il pouvait s'agir de l'âme du chat et cela m'a ouvert le champ à d'intéressantes questions.

    Les chats ont-ils une âme? (Le curé soutenait que non, mais moi j'en savais sans doute plus que lui.)

    L'âme peut-elle abandonner notre corps si nous sommes toujours en vie? (De nouveau, le curé soutenait que non, mais le chat était encore en vie lorsque ce petit nuage s'élevait, alors je ne vois pas d'autres solutions.)

    Lorsque j'ai grandi, j'ai compris que ce devait tout simplement être la chaleur des organes internes au contact de l'air froid, mais je te mentirais si je te disais que l'idée de l'âme m'a complètement abandonné.

    Lorsque j'avais onze ans, j'ai trouvé un chien errant.

    Je l'ai appelé Bua [2], et pour lui, ce fut un nom prophétique. J'avais un endroit rien qu'à moi dans une cour, tu comprends? Un endroit où moi seul allais. Oh, Bua a été mon doux secret pendant une semaine!

    J'ai tellement appris grâce à lui et le fait d'y penser m'émeut encore. Des choses sur lui, des choses sur moi, des choses sur la Chose.

    J'oubliais, Bua était une chienne. Tu réussis à imaginer comment la Chose m'a ouvert d'autres mondes?

    ***

    Il y a quelque chose d'éléphantesque dans une enquête qui démarre. Le premier agent qui arrive sur les lieux regarde autour de lui d'un air bovin et contacte le quartier général en demandant ce qu'il doit faire.

    Les autres agents débarquent, tous aussi incertains sur leur propre rôle. Des voitures blanches et bleues encerclent l’endroit en question, se garant en général dans des endroits interdits, le tout avec une grande nonchalance.

    Puis arrivent les premiers gradés. Un procureur est informé des faits. Le préfet de police est dérangé au restaurant (le préfet de police est toujours au restaurant).

    Finalement, lorsque tous les dommages possibles ont été faits, lorsque tous les indices importants ont été ignorés ou détruits, que tous les témoins ont été mis sur la défensive et que l'enquête s'engage sur la voie de l'échec le plus complet, quelqu'un se rend compte que la seule personne pour qui toute cette affaire n'est à proprement pas une nouveauté, n'a pas été appelée.

    Cette personne, dans ce cas-là, c'était moi.

    Mario Bozza, à la tête du commissariat d'Aulla, frappé par une rare étincelle d'intelligence, décida d'appeler la brigade mobile de La Spezia pour demander si le corps d'une jeune fille enterrée dans les bois ne nous évoquerait pas quelque chose.

    C'est Massimiliano Tudini, inspecteur chef et par conséquent mon adjoint, qui lui répondit.

    Lequel Massimiliano, conscient que toute ma colère lui retomberait dessus, pensa bien faire de m'appeler à son tour.

    Il était désormais dix heures cinquante-six et moi, j'étais en train de dormir comme un bienheureux, allongé sur le dos.

    Lorsque finalement la sonnerie pénétra dans mon subconscient, j'allongeai la main vers la table de nuit et saisis le combiné. Puis, toujours sans ouvrir les yeux, je le glissai sous la couverture avec moi.

    Je répondis sans rien dire.

    «Ermanno?». Ton dubitatif, accent calabrais, un soupçon de panique dans la voix.

    J'émis un grognement affirmatif.

    «Ermanno, ici nous avons un problème.»

    «On vous a averti que ma maison était en train de brûler?» demandais-je, le sarcasme voilé dans ma voix traînante.

    «Uhm, non.»

    «Oh, merci, tu m'enlèves un doute. Je peux donc continuer à dormir, n'est-ce pas?»

    Tudini ne sait jamais comment réagir à mon sense of humor [3] .

    Il hésita puis dit : «Uhm, non chef. Je pense plutôt que vous devriez venir. On a trouvé une autre fille dans les bois».

    «Nue?» voulus-je savoir.

    Un autre instant de silence. «Uhm, oui.»

    «Amenez-la donc dans mon bureau, je serai là dans un instant.»

    Arrivé à ce point, Tudini était complètement paniqué et ma vengeance assouvie.

    «Chef, elle est morte», se sentit-il en devoir de préciser.

    Je soupirai. «Il y a toujours un truc qui cloche. Bon, j'arrive.»

    ***

    Après le chapitre avec Bua, j'ai commencé à suspecter que j'étais un peu différent des autres. J'ai toujours été un enfant très silencieux. Petit, je ne pleurais pas et je n'ai jamais embêté mes parents. (À part la fois où on me surprit en train de mettre le feu à un rouleau de papier hygiénique, dans les toilettes de l'école élémentaire. Mais je ne pouvais certes pas prévoir que la maîtresse serait entrée dans les toilettes des garçons, n'est-ce pas?)

    Même maintenant, je ne parle pas beaucoup. Je n'ai pas beaucoup d'amis, je peux même ajouter que je n'en ai aucun à part Sara, et elle, je la considère plus comme ma fiancée.

    Il faut que je t'explique comment nous nous sommes connus. C'est une histoire un peu longue, il est vrai, et j'espère que tu seras patient.

    En un certain sens, Sara a été un cadeau de la Chose.

    À quatorze ans, j'ai essayé de jouer avec les êtres humains. Une de mes camarades de classe me plaisait énormément.

    Elle avait des cheveux noirs et moi, j'aime les cheveux noirs. Même Sara en est pourvue.

    Cette camarade de classe s'appelait Charlotte. Pour être honnête, j'étais invisible pour elle. Personne ne me remarquait beaucoup à cette époque. (Oui, même encore maintenant, ce qui est une vraie chance.)

    Charlotte habitait dans une cité à l'autre bout du quartier. Je le savais parce que je l'avais suivie plusieurs fois.

    La Chose, à l'intérieur de moi, avait hâte, mais moi j'avais été courageux et j'avais attendu.

    J'ai attendu et attendu jusqu'à ce qu'arrive le bon moment. Le moment parfait. Idéal.

    Lorsque ce moment est venu - la Chose à l'intérieur de moi me hurlait de me dépêcher - j'ai offert une cigarette à Charlotte et je lui ai proposé d'aller la fumer dans un endroit plus tranquille de la rue. Charlotte voulait une cigarette mais ne voulait pas qu'on la voie fumer.

    Moi, je me suis toujours moqué de ces choses-là.

    Je l'ai emmenée dans mon endroit, comme tu pouvais t'en douter.

    Maintenant, ne va pas imaginer que mon endroit est un lieu désagréable. Bien sûr, ce n’est qu’un coin de cour, dissimulé par un petit mur à moitié démoli. Évidemment, il y pousse des mauvaises herbes. Mais moi, je suis toujours quelqu'un d'ordonné, et j'avais ôté tous les détritus et tous les os d'animaux.

    Nous nous sommes assis derrière le muret et nous avons allumé deux de mes cigarettes.

    Je voyais bien que Charlotte ne savait pas quoi me dire et je pensais qu'elle se doutait de mon attirance romantique pour elle, mais elle ignorait que c'était la Chose qui s'était entichée d'elle, et non pas moi.

    Elle a tenté d'engager la conversation, mais comme je te disais, je ne suis pas un grand orateur. Lorsque nous sommes arrivés à la moitié de nos cigarettes, j'ai jeté la mienne et j'ai plaqué Charlotte au sol. Je suis maigre, mais plus fort que tu ne le crois. J'ai saisi ses poignets d'une main et de l'autre, j'ai sorti le couteau.

    C'était un bel objet que j'entretenais régulièrement, un couteau en céramique de sept centimètres (un hasard?) dont j'avais aiguisé la lame comme il fallait.

    Charlotte a lancé un cri, un seul, étranglé. J'ai soulevé sa jupe et lui ai entaillée la cuisse. Oh son regard terrorisé...

    J'étais tellement excité que j'ai joui dans mon pantalon et l'ai laissée s'échapper. Charlotte s'est enfuie en courant, une main gauchement plaquée entre ses cuisses. J'ai vu sur le ciment fissuré quelques gouttes de son sang.

    Encore maintenant, rien que d'y repenser, je me sens envahi par une grande chaleur.

    ***

    Je suis arrivé au commissariat vers onze heures et quart. Je t'immagine rongé par la curiosité de savoir comment j'ai fait pour être aussi rapide.

    Ben, ce n'est pas un secret.

    Il suffit de se lever et d'enfiler ses vêtements de la veille, mis à part les chaussettes et le slip.

    Le commissariat est un gros bâtiment à moitié neuf, un cube de verre réfléchissant posé sur une place ombragée. En face, nous avons un parc où les enfants jouent durant la journée, où nos quelques pédophiles se tripotent et où nos anciens se promènent. La Spezia est peuplée à quatre-vingt-dix pour cent de vieux, je m'en suis aperçu dès que j'y ai emménagé. De mon point de vue, c'est une situation plutôt positive (il n'y a pas beaucoup de vieux criminels), toutefois cela peut poser quelques problèmes lorsqu'il s'agit de trouver une partenaire sexuellement disponible.

    Les habitantes de La Spezia sont réputées pour ne pas se laisser faire.

    Donc en face du commissariat se trouve ce parc clôturé. Par chance, mon bureau donne sur les façades pâlichonnes des bâtiments à l'arrière. J'ai de très mauvaises relations avec la nature.

    J'y entrais donc, comme je l'ai déjà dit, sur le coup de onze heures et quart. Tudini m'attendait en faisant les cent pas dans le couloir, avec un air tourmenté.

    «Ermanno!» cria-t-il en se précipitant vers moi dès qu'il me vit.

    Je freinais toute tentative de zèle en le repoussant d'une main devant son nez.

    «D'abord une Red Bull», ordonnai-je avant de disparaître dans mon antre.

    Je crois avoir omis de préciser que j'avais un horrible mal de tête. La veille, j'avais bu ce qu'il fallait mais j'avais trop fumé et j'avais investi une partie trop importante de mes immenses ressources cérébrales en tentant de fourrer une nana dans mon lit. J'avais découvert que c'était une fille de La Spezia après seulement deux heures de phrases brillantes et d'une odieuse servilité, et j'avais jeté l'éponge sans insister davantage.

    Depuis longtemps, je m'étais rendu compte que les filles de La Spezia vont jusqu'au Fort dei Marmi le samedi soir exprès pour ne pas coucher. L'endroit, une horreur pseudo-gothique grand comme le trou du cul d'un poulet, avait commencé à se remplir alors que j'avais déjà perdu tout espoir, tu imagines donc la soirée.

    Prévenant, Tudini entra dans mon bureau, une canette de Red Bull déjà ouverte à la main, et la posa sur mon bureau, au seul endroit débarrassé de papiers.

    J'en ingurgitais quelques gorgées avant de me laisser retomber dans mon fauteuil et d'indiquer à Max la chaise sur laquelle il pouvait s'asseoir.

    Je considère que mon premier adjoint ressemble à l'anneau de la chaîne intermédiaire entre l'homme et la guenon, tu peux donc comprendre qu'en début de matinée, il n'offrait pas un tableau très agréable, pourtant je le tolérais avec stoïcisme.

    «On a trouvé une autre jeune fille avec le ventre ouvert» dis-je.

    «Oui» confirma Tudini «au-dessus d'Aulla».

    «Exceptionnel. Notre petit ami semble remonter plus au nord. Si nous avons du bol, d'ici quelque temps, ce sera l'affaire de la police de Parme.»

    Tudini, comme je l'ai peut-être déjà dit, ne sait jamais comment répliquer à mon humour. Il demeura silencieux.

    «Elle était donc nue et empaquetée» continuai-je.

    «Effectivement. Bozza a déjà appelé la RIS [4] de Parme.»

    «Mais quelle bonne idée. Comme à la télé, hein?» Je me frottais les yeux. «Je suppose que nous devrions aller jeter un coup d'oeil.»

    Max parut soulagé.

    Comme si j'avais l'intention de laisser échapper ce cas!

    ***

    Contrairement à ce que je craignais, Charlotte ne dit rien de l'incident.

    Depuis ce jour, en classe, elle se mit à éviter mon regard et je suis certain que nous n'eûmes plus aucune occasion de nous retrouver en tête à tête jusqu'à la fin de l'année.

    Je ne suis pas spécialiste pour comprendre ce qui se passe dans la tête des gens, mais je pense qu'elle avait honte. C'était un peu comme si elle était sortie avec moi, tu ne penses pas?

    Moi, pour la première fois, j'avais nourri la Chose.

    Non pas avec le substitut anémique constitué par des chats ou des chiens. Non, ceci était vraiment de la nourriture pour Elle. La terreur improvisée, la chair déchiquetée, l'extase des sens... tout ça, toute cette histoire, le service complet.

    À la fin de l'année, je rentrais au lycée. Lycée Scientifique.

    Mes parents ne croyaient pas particulièrement dans la valeur de l'instruction et peut-être auraient-ils préféré pour moi un lycée professionnel, pourtant mes enseignants du collège avaient insisté sur le fait que j'étais doué pour les mathématiques et c'est ainsi que j'atterris au lycée Pacinotti.

    Je m'en tirais sans honte ni gloire.

    La vérité est que j'avais autre chose en tête.

    L'adolescence, les poussées hormonales, les pulsions toujours plus difficile à maintenir sous contrôle.

    Je réussis à rester tranquille une grande partie de cette période, mais à l'intérieur de moi, quelque chose était en train de mûrir. C'était comme si la Chose, l'entité, jusqu'à cet instant avait été dans un cocon et qu'elle fût désormais prête à en sortir.

    Je faisais des rêves pleins de sang, rêves dont je me réveillais avec des draps souillés.

    J'avais commencé à m'intéresser à la vie des animaux, à leurs rites d’accouplement, à la façon dont ils tuaient.

    Mes compagnons de classe imaginaient ce qu'ils pourraient faire avec les filles. Et moi aussi.

    Je dois admettre que nos idées sur la façon de faire étaient très éloignées les unes des autres.

    Par chance, rien ne vint me tenter. Maintenant je sais qu'à cette époque, je n'aurais pas été prêt. Les filles ne s'intéressaient pas à moi. J'étais trop silencieux et trop tranquille. Pour elle, j'étais un looser au dernier stade, ou plus simplement une non-personne, quelqu'un qui n'existait même pas. Malgré tout ça, n'ayez crainte, aucun voyou ne s'en est jamais pris à moi.

    Les gars préféraient ne pas m'approcher.

    Je suis obligé d'admettre que durant ce passage au lycée, j'avais organisé quelques plaisanteries pas vraiment sympathiques à leur intention, mais ce n'était que des broutilles. Il n'y eut jamais de blessés graves et les enseignants ne se doutèrent jamais que j'en avais été l'auteur.

    Moi, j'étais le garçon maigre et pâle au second rang, cet élève à part à côté de qui personne ne voulait s'asseoir. Pour quelque raison que ce soit, cela ne t'étonne pas, n'est-ce pas?

    ***

    Lorsque je lui tendis la main, Mario Bozza la prit d'un air sceptique.

    Je suis habitué à cette première réaction. Dans les petits endroits, les gens ont tendance à être bornés. S'ils voient un type arriver, vêtu de noir, les cheveux longs et noirs eux aussi, pas coiffés, maigre et pâle avec - en particulier - un jean moulant et des rangers qui montent jusqu’à mi-mollet, ils n'arrivent pas à associer immédiatement l'image de ce type avec celle qu'ils se font d'un commissaire de police, allez savoir pourquoi.

    Je suis un incompris.

    Aucun d'entre eux n'imagine que si j'ai été promu aussi vite, c'est tout simplement parce que je suis sacrément doué ou alors sacrément pistonné, chacune de ces deux caractéristiques étant à prendre avec considération.

    Autant que tu le saches: je ne suis pas pistonné.

    Je laissais Bozza se gratter le haut du crâne à moitié chauve et j'avançais allégrement au milieu de la verdure. Tu as sans doute compris que je n'aime pas beaucoup ce vert naturel.

    En effet, je me sentais bien plus à mon aise dans un endroit clos et si c'est possible, dans la pénombre. Même le soleil et la mer ne sont pas mon fort. En ce qui concerne le premier, à La Spezia, huit mois dans l'année, il n'y a pas de problème: elle est considérée comme la ville la plus pluvieuse d'Italie.

    Pour la seconde... Eh bien, depuis le temps, je tâche de m'y habituer.

    J'avançais donc sur une sorte de sentier. Mon intelligence brillante me permit d'en déduire qu'il avait été tracé par les pieds de tous les flics qui avaient fait l'aller-retour depuis la route jusqu’à l'ultime refuge de la fille étripée.

    J'ajoutais donc mes empreintes aux leurs.

    Tudini trottinait derrière moi comme un chien de berger gros et fidèle.

    «De quelle sorte d'arbres s'agit-il?» voulus-je savoir.

    «Des châtaigners, Ermanno. Tu vois les feuilles découpées?»

    «Je ne vois que des choses humides et pourrissantes, Max. Tout seul, je suis incapable de te dire qu'il s'agit de feuilles.» Je continuais le long de la sente, mon premier adjoint sur mes talons. «Mais je sais que c'étaient aussi des châtaigners la dernière fois, alors que la fois précédente, il s'agissait de chênes et de quelque chose d'autre que je n'ai plus en tête maintenant. Pour ça, j'ai un inspecteur principal à ma disposition.»

    Je m'enfermais dans un silence grincheux, comme à mon habitude, et je rejoignis le principal endroit nanti d'un intérêt touristique de ce coin : un gros trou entouré d'un ruban blanc et rouge.

    Deux flics locaux, hébétés, me regardèrent de travers et pour toute réponse, je me contentais de passer sous le ruban en leur faisant un clin d'oeil.

    «C'est le commissaire Ermanno Sensi, équipe mobile de La Spezia», les informa Tudini à ma place.

    Il a conscience que je peux devenir très irritable.

    Je m'agenouillai sur le bord de la fosse et donnai un coup d'oeil vers le bas.

    Sur le fond, se trouvait un emballage en plastique noir qu'un génie avait complètement coupé dans le sens de la longueur et dans ce sac reposait le corps d'une jeune fille.

    Ben, dit comme ça, on dirait une chose presque agréable, une chose comme une autre. Le fait était que la puanteur due à la décomposition se percevait à distance de quelques kilomètres et que la fille était d'une couleur marron foncé avec de vagues nuances plus sombres. La chose à laquelle elle ressemblait le plus était une prune qui avait pourri.

    Ce qui un temps avait dû être sa cavité abdominale ressemblait maintenant à une caverne noire d'où jaillissaient les côtes.

    Sur sa bouche, se trouvait encore un morceau d'adhésif argenté d'électricien.

    Je me remis sur pieds et époussetai mes genoux.

    «Le médecin a dit quelque chose d'éblouissant du type oui, elle est morte ou bien il a fait un véritable et propre discours?» demandai-je à personne en particulier.

    «Il a confirmé le décès», dit l'un des deux jeunes en uniforme qui m'avaient mal regardé. Je tirai mes cheveux en arrière et posai les mains sur mes hanches.

    «Je veux l'heure et la date du décès, cela ne m'intéresse pas de savoir ce qu'on doit faire pour la découvrir. Examens particuliers, datation au carbone 14, rites vaudous... n'importe quel truc que la technologie moderne met à notre disposition.» Je soupirai. «Et naturellement savoir qui était notre fringuante petite amie pourrait aussi nous aider un petit peu.»

    Et à ce point, je fis ce pourquoi je suis haï par tous les hommes de toutes les brigades scientifiques italiennes. Je sautai dans la fosse et commençai à bousiller la virginité de la scène en faisant mes propres relevés. Je crains de ne pas être quelqu'un de très patient.

    ***

    Ceci résume bien toute l'histoire de ma vie : je suis différent des autres et les autres le savent. Si tu leur demandes quelle est la différence entre nous, ils ne savent pas te répondre, mais pourtant ils ont conscience qu'il en existe une.

    Ils ne se trompent pas. Comme je disais, il y a quelque chose en moi.

    Cette Chose avait grandi plus en moins en silence durant mon passage au lycée. Mais désormais, elle ne pouvait plus patienter.

    J'ai tué ma première victime un peu avant mes vingt ans.

    Une fille aux cheveux noirs.

    De belles jambes blanches et bien galbées.

    J'ai bien fait les choses. Je t'ai déjà expliqué que je suis une personne ordonnée.

    Je l'ai suivie pendant une semaine. J'ai vu où elle vivait, qui elle fréquentait, les endroits où elle trainait. Je l'ai faite monter dans ma voiture un samedi soir, alors qu'elle rentrait chez elle. Personne ne m'a vu. C'était le bon moment. J'avais tout planifié.

    Le ruban adhésif dans la boîte à gants du tableau de bord. Le couteau avec lequel la menacer. Les mots à prononcer. Tout.

    Je me suis arrêté dans une zone peu fréquentée afin de l'installer dans mon coffre. J'étais quasiment submergé par l'émotion.

    Puis je l'ai emmenée hors de la ville, dans les collines. Si tu connais un tant soit peu la géographie de cette région, tu sais qu'elle est pleine d'endroits très propices à ce que je me préparais à faire. J'ai garé ma voiture dans un lieu où personne ne l'aurait remarquée et j'ai emmenée ma nouvelle amie dans les buissons.

    Tu devines comment les choses se sont passées.

    Quelques heures plus tard, j'avais dans mon coffre un cadavre encore chaud, sagement enveloppé dans plusieurs sacs noirs pour la poubelle.

    J'étais fatigué, vidé, mais j'étais aussi au septième ciel.

    Pourtant, tout le bas de ma chemise était taché de sang.

    Ceci était un contretemps auquel je n'avais pas songé.

    Je dois admettre que pour cette première fois, je bénéficiais de la chance du débutant. J'ôtai ma chemise tout en conduisant pratiquement à l'aveugle lorsque je vis une fontaine au bord de la route. C'était un simple tuyau en caoutchouc qui sortait d'un mur.

    L'eau était très froide mais l'air chaud de ce mois d'août suffit à y remédier. Je pus laver ma chemise. Il ne resta pas une seule tache de sang vu que l'eau froide est fantastique pour faire disparaître l'hémoglobine.

    Ordonné et précis comme à mon habitude, j'allai ensuite me débarrasser du paquet dans lequel était emballée ma bien aimée.

    Maintenant écoute-moi bien, j'ignore ce que tu penses de moi mais je ne suis pas un idiot.

    J'avais lu toutes ces choses qu'on peut trouver dans les romans policiers et ailleurs. Je savais ce qu'est la brigade scientifique, un test ADN, ce que signifie qu'un homme puisse être sécréteur ou non, j'avais une idée des millions d'endroits où tu peux laisser tes empreintes digitales, tes poils, tes cheveux ou les fibres du tapis de sol de ta voiture.

    Face à tous ces désagréments, j'avais la solution idéale: il suffisait que personne ne trouve les restes de ma girlfriend [5], n'est-ce pas ?

    Cela ne voulait pas dire ne pas les trouver pendant deux, quatre, six mois, voire un an. Non. Cela signifiait que personne ne devait les trouver. Jamais.

    L'idéal aurait été de jeter le corps dans la cheminée d'un volcan. (J'adore l'idée du volcan, on peut dire que c'est un peu mon utopie secrète).

    Pourtant, comme tu l'auras constaté, il n'y a aucun volcan par ici.

    Certes, il y a un paquet de mers, pourtant la mer n'est pas une bonne idée. J'ai lu quelque part que les cadavres gonflent et réapparaissent aux endroits les

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