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La sauvegarde de l'architecture moderne
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Livre électronique655 pages7 heures

La sauvegarde de l'architecture moderne

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À propos de ce livre électronique

L’avenir du patrimoine moderne est incertain, les ensembles urbains ordinaires du milieu du xxe siècle étant souvent méprisés, voire maltraités. Conviant une trentaine d’experts, cet ouvrage propose un bilan en matière de documentation, de protection, de conservation et de mise en valeur de l’architecture novatrice du xxe siècle au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.
LangueFrançais
Date de sortie21 mai 2014
ISBN9782760534698
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    Aperçu du livre

    La sauvegarde de l'architecture moderne - France Vanlaethem

    PRÉSENTATION

    France Vanlaethem,

    avec la collaboration

    de Marie-Josée Therrien

    En matière de patrimonialisation de l’architecture moderne, le Québec fut relativement précoce en Amérique du Nord. Dès 1988, à Montréal, une première action citoyenne fut menée pour confirmer la valeur culturelle d’un grand complexe des années 1960 qui avait perdu l’attrait de la nouveauté, d’autant plus qu’à l’heure de l’architecture urbaine et malgré la notoriété de son auteur, un tel ensemble était stigmatisé pour avoir détruit la ville ancienne. Initiée à partir de l’École de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la mobilisation contre la rénovation du Westmount Square dessiné par Ludwig Mies van der Rohe conduisit à la création d’une association patrimoniale qui rejoindrait le réseau Docomomo International en 1993. Si à l’époque, la revendication visant à préserver un ensemble moderniste était accueillie avec scepticisme par les gestionnaires du patrimoine et les professionnels de la conservation, en plus de vingt ans les attitudes ont évolué.

    Nous osons penser que les actions de diffusion initiées afin de faire connaître l’architecture moderne y ont contribué, tout comme les congrès et rencontres organisés pour explorer les enjeux de conservation de l’héritage bâti récent et faire écho à l’expérience acquise dans le domaine. En mai 1998, l’École de design de l’UQAM et Docomomo Québec organisaient une première rencontre internationale intitulée Connaître et protéger l’architecture moderne¹. Le colloque convoqué du 14 au 17 octobre 2010 par l’École de design et l’Institut du patrimoine de l’UQAM sur le thème La sauvegarde de l’architecture moderne au Québec, au Canada et ailleurs, n’en est pas exactement la deuxième édition. Il s’inscrit plutôt dans la foulée du congrès qui réunissait en mai 2005 sur le campus de l’Université Trent, en Ontario, praticiens, gestionnaires, professeurs et étudiants canadiens concernés par la conservation de l’environnement construit des années 1945-1975². Le programme établi sur la base d’un appel à communications lancé à l’échelle internationale et avec la collaboration des présidents des sections ontarienne, atlantique et québécoise de Docomomo International, de même que des professeurs de plusieurs universités canadiennes, est l’ultime point de départ de cet ouvrage. À la suite de quatre journées d’exposés et de débats, nous avons convié chacun des conférenciers à développer son propos de manière à ce que ce bilan, certes partiel, de la sauvegarde de l’architecture moderne au Québec, au Canada et ailleurs au début des années 2010 puisse profiter à un plus large public.

    Constats et hypothèses

    Au cours de la première décennie du xxie siècle, de grands chantiers de conservation du moderne furent ouverts. Après avoir été un cas emblématique pour l’émergence du patrimoine moderne, le sanatorium de Zonnestraal, icône du mouvement moderne aux Pays-Bas, a offert un terrain d’expérimentation pour la restauration dont l’exemplarité est soulignée par le 2010 World Monuments Fund/Knoll Modernism Prize³. Dans un premier texte, l’architecte Hubert-Jan Henket, le président fondateur de Docomomo International, invité d’honneur du colloque et maître d’œuvre de ce projet avec son confrère Wessel de Jonge, cerne les dilemmes posés par la préservation de cet ensemble hospitalier dont l’état de ruine présenté par plusieurs de ces pavillons est plus en accord avec l’esprit qui avait conduit à sa construction dans les années 1920⁴. Conçu avec une pleine confiance dans les progrès de la médecine, il n’avait pas été bâti pour durer.

    Au Canada, à la même époque, le patrimoine moderne acquit ses premières reconnaissances officielles. Au plan fédéral, dans la foulée du programme de commémoration du patrimoine bâti de l’ère moderne lancé en 2001⁵, la ministre du Patrimoine canadien désigna à titre de lieu historique national quatre réalisations modernistes : la maison Binning (1941) à West Vancouver⁶ ; le Centre des arts de la Confédération à Charlottetown⁷ ; l’abri antiatomique, siège du gouvernement d’urgence (1959-1961) à Carp, en Ontario⁸, connu comme le « Diefenbunker » ; et le Manitoba Theatre Centre (1969-1970) à Winnipeg⁹. Au Québec, dans le cadre de la Loi sur les biens culturels, fin 2000, l’église Saint-Marc (1955-1956) à Saguenay, Habitat 67 (1962-1970) à Montréal et le mausolée des évêques à Trois-Rivières (1964-1965) furent classés. Cependant, la patrimonialisation de l’architecture et de la ville modernes ne s’est pas faite sans problèmes. Elle fut lente, ici comme ailleurs, et les défis particuliers qu’elle posa furent liés tant à la spécificité du patrimoine moderne qu’aux nouvelles orientations qui éclairaient les dimensions immatérielles de l’héritage commun depuis le milieu des années 1990.

    Nous osons croire qu’une telle situation peut être améliorée par une mobilisation des savoirs, qu’ils soient théoriques, analytiques ou appliqués et dont ce livre explore certaines des voies empruntées et leurs effets, entre recherche fondamentale et recherche appliquée. En plus d’esquisser les grandes étapes de la patrimonialisation de l’architecture moderne sur la scène internationale et locale, dans le deuxième texte proposé en ouverture, nous rappelons les particularités techniques et formelles du plus jeune héritage bâti collectif dont la dénomination diffère suivant les régions et les organisations. Après d’autres, nous explorons ses dimensions paradoxales qui ne lui sont pas propres, mais seulement plus évidentes que pour le patrimoine ancien, l’obsolescence étant la condition commune de tout artefact dans les sociétés bouleversées par une modernisation accélérée et le conflit de valeurs, un enjeu central de la production du bâti qu’elle soit création ex nihilo ou modification.

    Documenter et évaluer le patrimoine moderne

    Confronté aux études patrimoniales courantes, il convient de se demander si l’évaluation du patrimoine récent est bien en phase avec l’avancement des connaissances sur l’architecture moderne. Il faut constater que les énoncés d’intérêt demeurent trop souvent prisonniers de l’approche stylistique, méthode avancée par l’histoire de l’art au xixe siècle et codification de l’architecture reniée par les tenants de l’avant-garde ; la plupart restent somme toute à la surface des artefacts pour en observer les traits formels et matériels et débouchent sur un simple étiquetage, sans prendre en compte les multiples enjeux sociaux et linguistiques caractéristiques de la modernité. Bien des consultants trouvent, dans la notion de Style international avancée par Henry-Russell Hitchcock et Philip Johnson en 1932 et reprise sans relâche par de nombreux auteurs depuis, un recours, oubliant la polémique ouverte contre le fonctionnalisme par ces promoteurs de la nouvelle architecture outre-Atlantique. Certes, il ne faut pas confondre recherche fondamentale et recherche appliquée, comme le souligne Marie-Josée Therrien en introduction à cette première section. La première cherche à établir une vérité et requiert des diplômes universitaires, la seconde vise à convaincre et exige des compétences professionnelles. Cet écart ne devrait pourtant pas dresser des barrières infranchissables.

    S’écartant de la voie privilégiée pour les chefs-d’œuvre qui forment le gros des monuments historiques et poussent à capter le moment de leur création, les auteurs de cette section s’engagent sur le versant de la culture populaire, de l’appropriation et de la mémoire. James Buckley propose d’adopter la méthode de l’histoire de l’architecture vernaculaire pour cerner la signification culturelle des succursales à l’allure résidentielle de la bibliothèque publique de San Francisco conçues par l’agence Appleton and Wolfard dans les années 1960. La muséologue Catherine Charlebois fait état de la clinique de mémoire ouverte par le Centre d’histoire de Montréal à l’occasion du cinquantenaire d’un des rares grands ensembles de logements sociaux construits au Canada, les Habitations Jeanne-Mance à Montréal. Richard Desnoilles et Yohann Bouin retracent la dynamique de la réception des Quartiers modernes Frugès à Pessac conçu par Le Corbusier et Pierre Jeanneret en 1925 qui, plus que toute autre cité moderniste de cette époque, serait modifiée par ses habitants et pour laquelle aujourd’hui le statut de patrimoine mondial est brigué dans le cadre de la candidature Le Corbusier.

    Patrimonialiser l’architecture moderne

    Transmuter les bâtiments modernes de simples « vieilles choses » dépassées et altérées en immeubles patrimoniaux à traiter avec précaution rencontre toujours des résistances de la part des propriétaires et des autorités, sinon des citoyens. Un dossier actuellement brûlant en témoigne : l’avenir du centre culturel de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, le dernier édifice d’importance du domaine de l’Estérel aménagé par le baron belge Louis Empain et ses architectes dans les Laurentides, à la fin des années 1930, les autres ayant été récemment démolis ou incendiés. Son propriétaire, la Ville de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, veut s’en défaire en le vendant à un promoteur immobilier qui le transformera en immeuble à appartements en condominium et elle s’est farouchement opposée à l’avis d’intention de classement émis en avril 2013 par le ministre de la Culture et des Communications à la demande de trois groupes en patrimoine, la Société d’histoire locale, Action patrimoine et Docomomo Québec. Ceux-ci auraient-ils manqué de persuasion en ayant échoué à communiquer aux autorités municipales les ambitions qui furent à l’origine de ce domaine de villégiature des plus novateurs par son programme et son architecture ?

    C’est l’hypothèse que propose d’envisager le professeur Steven Mannell, président de Docomomo Atlantiques, en faisant référence à une performance de Joseph Beuys : How to explain paintings to a dead hare. Mannell nous rappelle que les propriétaires, les gestionnaires et les usagers des bâtiments constituent un public vivant dont les idéaux et les attentes changent dans le temps, au point de leur faire oublier ou méconnaître ceux qui avaient motivé leur construction. Par ailleurs, en se reportant à Lunenberg, l’ancien village de pêcheurs des Maritimes inscrit au Patrimoine mondial, il se demande pourquoi il serait plus nuisible de débarrasser le patrimoine ancien de ses couches les plus récentes – modernes dans ce cas – que de revenir à l’état d’origine des chefs-d’œuvre modernistes, une pratique largement acceptée que critique un autre auteur du livre, Andrea Canziani.

    A contrario, les deux études de cas considérées dans ce chapitre offrent des exemples probants du processus que la patrimonialisation cherche à renverser, lorsqu’elle est engagée : le Centennial Hall de l’Université de Winnipeg dont Serena Keshavjee relate le destin et la Place des arts à Montréal, le premier grand équipement culturel du Québec dont Geneviève Richard retrace le modèle. L’architecture avant-gardiste du premier n’a pas résisté à la transformation qu’a connue l’enseignement supérieur à la fin du xxe siècle, alors que la composition urbaine et la signification culturelle du second furent bouleversées par l’aménagement du Quartier des spectacles qui l’engloba.

    Un bilan (partiel) de la protection du moderne

    Ni le Centennial Hall ni Place des arts ne bénéficient d’une protection sanctionnée légalement et leur transformation n’a pas soulevé de grandes protestations, condition qui semble maintenant toujours requise pour faire accéder le bâti au plein statut patrimonial. Dans son introduction à la section portant sur la protection du moderne, l’historien Martin Drouin constate que celle-ci n’est pas un préalable à la sauvegarde, mais plutôt un résultat, celui des revendications qui ont contribué à la prise de conscience de la valeur patrimoniale. Un tel réinvestissement culturel qui implique une modification du regard porté sur le bâti se joue à trois dans nos sociétés démocratiques ; l’avis des experts n’est plus suffisant pour convaincre les politiques de la nécessité de protéger, il faut rallier les citoyens à la cause.

    C’est ce qu’a compris l’arrondissement de Verdun sur le territoire duquel se trouve la station-service dessinée par Ludwig Mies van der Rohe en 1967, un édifice unique dans son œuvre. Benoît Malette, chef de la division Urbanisme, fait état de la démarche qui conduisit à la restauration/réhabilitation du bâtiment qui est protégé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec. À cet égard, l’année 2009 marqua un tournant constatent Marie-Ève Bonenfant et Sylvain Lizotte, conseillers en patrimoine auprès du ministère de la Culture et des Communications, qui établissent un bilan de l’action de cette instance gouvernementale en faveur du patrimoine moderne.

    Bien que plusieurs édifices et ensembles modernes bénéficient de la plus haute reconnaissance internationale en ayant été intégrés à la Liste du patrimoine mondial, la proposition d’inscription de L’œuvre architecturale de Le Corbusier engagée en 2003 par la France au nom de six États partenaires, pose problème. Le double refus que cette candidature a essuyé en 2009 et 2011 provint de l’incompréhension de la spécificité du patrimoine du mouvement moderne démontrée par ceux qui ont à juger de l’acceptabilité du dossier selon l’historien de l’architecture Gilles Ragot : cet héritage ne peut être limité aux chefs-d’œuvre.

    Le logement, une production emblématique

    L’architecture moderne n’est pas uniquement une nouvelle esthétique comme le suggère la notion de Style international ; elle suppose un recentrage des préoccupations des architectes sur le logement pour le plus grand nombre, un programme inédit jusqu’au xxe siècle. Solutions privilégiées dans le cadre de politiques réformistes, les ensembles résidentiels de grande taille codifiés par les CIAM et que permirent de réaliser les techniques de construction de masse présentent des défis particuliers alors qu’ils posent des problèmes sociaux plutôt qu’ils n’en résolvent, étant devenus des milieux de vie dépréciés. Le professeur Mark Poddubiuk introduit le sujet en faisant état du sort contrasté réservé à deux ensembles anglais célèbres, Park Hill à Sheffield et Robin Hood Gardens à Londres, et des qualités des réalisations montréalaises de ce type qu’il a pu constater à titre d’architecte engagé dans le projet de réaménagement de Benny Farm et lors de l’élaboration d’un plan de développement durable pour les Habitations Jeanne-Mance à Montréal.

    Le changement de mode de propriété est à la fois une occasion et un danger pour la conservation des grands ensembles de logements d’intérêt patrimonial. Alors que le passage à la copropriété privée peut contribuer à leur revalorisation, il multiplie par ailleurs les ajustements apportés aux bâtiments. Devant une telle situation, le plan de conservation est un outil précieux défend Simona Salvo qui s’attarde à l’histoire du village des Jeux olympiques de Rome 1960. En Belgique, à Liège, après avoir partiellement réhabilité la cité de Droixe, les autorités n’ont pas hésité à démolir certaines de ces tours afin d’attirer les promoteurs privés et passer à une forme urbaine plus traditionnelle, comme le déplore Maurizio Cohen. À Toronto, à l’instigation de l’agence ERA Architects et dans une perspective de développement durable, les avantages de la concentration et de la densité des communautés résidentielles des années 1960 sont explorés dans le cadre du projet Urban Renewal dont font état Graeme Stewart et Paul Hess, après avoir, eux aussi, retracé la genèse de tels projets suburbains.

    Le défi de la grande taille

    Les grands complexes immobiliers modernes ne sont pas uniquement résidentiels, ils sont « les ressources les plus diversifiées du mouvement moderne », constate l’architecte James Ashby (p. 213). Reprenant les étapes que requiert tout projet de conservation bien conduit et qui avaient structuré le programme du congrès sur la sauvegarde du moderne au Canada qu’il avait organisé en 2005, l’architecte, spécialiste reconnu dans le domaine, examine les difficultés particulières qu’ils posent et identifie quelques approches pour y remédier.

    L’échelle de certains développements immobiliers construits dans les années 1960 en Europe dépasse de loin celle à laquelle nous ont habitués les réalisations canadiennes, à l’exception sans doute des grands complexes urbains et des universités. À première vue, il peut sembler impossible de préserver l’authenticité des 125 000 mètres carrés de l’enveloppe de type mur-rideau d’une barre d’une dizaine d’étages et de plus d’un kilomètre de long. C’est pourtant le défi qu’a relevé l’équipe du professeur Franz Graf de l’École polytechnique fédérale de Lausanne en proposant une stratégie d’intervention pour la cité du Lignon, à la fois, souple, cohérente et efficace au plan énergétique, une étude exemplaire récipiendaire en 2013 d’un Prix du patrimoine culturel Europa Nostra de l’Union européenne.

    Le défi du béton, vénéré et honni

    Cependant, les problèmes posés par les bâtiments modernes du fait de leur mise en œuvre de matériaux et de procédés nouveaux ne sont pas uniquement techniques. Dans le cas du béton armé, s’il est apprécié des architectes et des critiques d’architecture qui, dans les années 1960, voyaient en lui « le » matériau de l’avenir¹⁰, il est par contre détesté par la majorité de la population. Son nom suffit à résumer tous les défauts du bâti. Au Canada, cette situation est particulièrement préoccupante, puisque bien des bâtiments modernes sont en béton. Un semblable constat est à l’origine du guide d’architecture Concrete Toronto publié à l’initiative de l’agence ERA Architects établie à Toronto et spécialisée en conservation, avec le but de rejoindre un large lectorat. En plus de retracer l’origine du livre, l’architecte Michael McClelland, associé fondateur, explicite l’univers de référence théorique nourrissant leur conviction qu’il est possible de modifier l’appréciation culturelle de l’architecture.

    Par ailleurs, en introduction au thème, Réjean Legault propose un tour d’horizon rapide des types de construction en béton, de même que de la littérature qui en traite. Celle relative à la conservation du matériau et de ses techniques est particulièrement abondante, plus que toute autre, cet enjeu ayant mobilisé bien des architectes et des ingénieurs ces dernières années. Abordant le sujet en historien de l’architecture, le professeur Legault insiste sur l’importance de la connaissance pour favoriser une appropriation positive, « familière », de ce matériau et insiste sur la nécessité de pousser plus avant la réflexion sur le brutalisme qui est bien plus qu’un style. Plusieurs partagent son avis, puisque la revue October lui consacre son numéro du printemps 2011, que Joan Ockman en traite dans l’ouvrage publié pour souligner les dix ans de présidence française de Docomomo International¹¹, de même qu’Anthony Vidler en conférence lors de la dernière rencontre internationale de l’organisation tenue à Espoo, en Finlande, en 2012¹².

    Quoi conserver et comment ?

    Un autre des conférenciers d’Espoo rejoint certains des enjeux abordés ici, l’architecte anglais John Allan. Membre fondateur de Docomomo International et responsable de plusieurs restaurations et réhabilitations de bâtiments modernes au sein de l’agence Avanti Architects, il constata qu’après avoir rétabli à neuf plusieurs icônes du mouvement moderne, le défi à relever au cours des prochaines années est la conservation de l’architecture moderne ordinaire. France Vanlaethem pose un même constat en introduction à la section consacrée aux interventions.

    Cet élargissement du corpus au-delà des « chefs-d’œuvre » est nécessaire, sinon urgent, vu la nature de l’architecture moderne, qui se voulait démocratique, et son abondance. De plus, il n’est pas sans conséquence sur la manière de mener l’étape préalable, celle vouée à la documentation et à l’évaluation, alors que l’enjeu n’est plus principalement l’authenticité, mais plutôt l’adaptation du bâti à la vie contemporaine. De ce point de vue, la restauration/rénovation de la Caisse Desjardins du quartier de Saint-Henri menée par l’architecte Jean Damecour est un cas intéressant, tout comme à une autre échelle, celle de la revitalisation du Nathan Philips Square à Toronto engagée par l’agence Plant Architect Inc. que nous présente Christopher Pommer.

    La restauration des maisons d’artistes sur l’île Comacina en Italie par l’architecte Andrea Canziani, professeur à l’École polytechnique de Milan, soulève une autre question : celle de l’entretien. Il se fait le défenseur de la conservation planifiée qui a connu plusieurs (re) définitions depuis sa formulation première d’entretien préventif proposée par Cesare Brandi à la fin des années 1970. D’intervention visant en quelque sorte à arrêter le temps, celle-ci s’est muée en un processus dynamique alliant technique et savoir et impliquant autant les gestionnaires que les usagers.

    Plutôt que de s’intéresser qu’à un édifice en particulier, l’architecte Susan Ross, elle aussi spécialisée en conservation, considère un genre de bâtiments modernes, ceux en bois, tout aussi exemplaire de la modernité architecturale canadienne que les constructions en béton, notamment dans l’ouest du pays. À partir d’une recherche bibliographique approfondie, elle cerne les enjeux spécifiques de conservation que ce matériau pose, alors qu’il a été transformé par la science et l’industrie, et avance des stratégies d’intervention dans une perspective de développement durable.

    Nous aurions voulu explorer plus avant les effets du paradigme écologique sur la conservation du moderne, mais les résultats de l’appel à communication du colloque dont la présente publication est issue ne nous ont pas permis d’en traiter autrement que ponctuellement : ici, pour l’architecture moderne de bois, antérieurement, d’une part, dans l’article sur le Village olympique de Rome dans lequel Simona Salvo esquisse un diagnostic technique et, d’autre part, dans celui exposant le projet pilote de sauvegarde de la cité du Lignon à Genève. Peut-être la réflexion sur le thème était-elle insuffisante fin 2009 et l’expérience acquise en émergence ? Depuis lors, des publications ont contribué à son approfondissement : entre autres, le numéro 44 du Docomomo Journal sur le moderne et la durabilité (« modern and sustainable »), auquel contribue Carl Stein, auteur de l’ouvrage Greening Modernism. Preservation, Sustainability, and the Modern Movement paru en 2010¹³, et les nombreux articles publiés sur la restauration du pavillon d’art et d’architecture de l’Université de Yale terminé en 2008 et renommé Paul Rudolph Hall en l’honneur de son architecte¹⁴, grande figure américaine du brutalisme.

    Faire (re) découvrir et faire apprécier

    Dernier sujet abordé : l’appréciation du patrimoine moderne par le grand public. Plusieurs auteurs ont souligné les embûches rencontrées de ce côté, même si ses membres les plus âgés sont des contemporains de l’architecture moderne. Une telle situation est d’autant plus intenable qu’aujourd’hui, la patrimonialisation ne peut se passer de l’adhésion des citoyens, comme nous l’avons déjà souligné. Au Québec, depuis une dizaine d’années, plusieurs initiatives ont cherché à changer les perceptions. Marie-Dina Salvione en esquisse le bilan en guise d’introduction à deux projets inusités : l’exposition d’art contemporain Motelisation présentée à la galerie Foreman, à Sherbrooke, et l’offre de visites touristiques de la région lyonnaise intitulée Utopies réalisées. Ce tableau gagnerait à être complété par des initiatives hors Québec et la métropole. Coorganisatrice du congrès de 2005 sur la conservation du moderne, la Winnipeg Architecture Fondation propose régulièrement des activités afin de développer l’appréciation de l’environnement bâti de la capitale du Manitoba, où l’architecture moderne occupe une place de choix¹⁵. Relevons encore la 8e édition de la visite estivale de maisons modernistes proposée par le West Vancouver Museum, malgré le caractère peu démocratique de l’activité (le coût d’inscription est de 100 $)¹⁶, ou la livraison d’été 2013 du magazine torontois Spacing au titre provocateur : « Stop hate ! Modernism »¹⁷.

    Les artistes se font parfois les alliés des défenseurs du patrimoine. À Montréal, en 2000, avec les architectes, ils prirent le relais dans l’action menée depuis 1994 afin de préserver le silo no 5, comme le rappelle Marie-Dina Salvione. À Sherbrooke, ils furent invités par la galerie d’art de l’Université Bishop’s à produire des œuvres avec pour prétexte les motels de l’ancienne ville de Lennoxville, où est située l’institution, et pour résultat l’exposition Motelisation présentée en 2010, comme l’explique l’une des commissaires, Geneviève Chevalier. Réunissant une grande diversité de souvenirs, objets (re) trouvés ou images recomposées, en salle ou in situ, ils cherchèrent à activer la mémoire liée à ces lieux d’un autre temps, même s’il n’est pas si vieux. Mais ces éléments de culture populaire moderne sont loin d’être considérés comme étant dignes d’être conservés au Canada comme il fut constaté lors d’une table ronde organisée par le centre Dare-Dare, à la différence des États-Unis où ce genre de bâtiments est au cœur du passé récent¹⁸.

    En 2009, lors du voyage d’études annuel, les étudiants du programme d’études supérieures spécialisées en architecture moderne et patrimoine de l’École de design eurent l’occasion de découvrir la route des Utopies réalisées. Pour la première fois en Europe une stratégie privilégiée pour la mise en tourisme d’autres patrimoines, anciens ou industriels, est appliquée pour le moderne¹⁹. Malgré son envergure géographique réduite, l’opération fascine quand reviennent à l’esprit les difficultés que rencontre Montréal pour la protection du centre-ville moderne. Certes ici, la plupart des sites sont des ensembles de logements et relèvent d’autorités publiques et non de promoteurs privés. Mais nous ne pouvons être qu’admiratives devant l’effort de connaissance, de concertation et de planification que cette opération amorcée au milieu des années 2000 a nécessité, ainsi que la diversité des moyens mis en œuvre pour intéresser le public.

    Conclusion

    Vingt-cinq ans déjà depuis les premières actions en faveur du patrimoine moderne au Canada et quelques protections plus loin dont nous n’avons donné qu’un aperçu. Le Répertoire canadien des lieux patrimoniaux, la banque de données construite depuis 2001 dans le cadre de la collaboration des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, consultée à partir du mot clé moderne inventorie près de 1 200 lieux, toutes juridictions confondues, et plus de 300 uniquement pour le fédéral. Certes, les résultats de la recherche sont des plus incertains, l’exploration relevant toutes les fiches où le mot apparaît, même s’il ne concerne pas immédiatement le bien ou, plus problématique, s’il n’est pas associé aux phénomènes de modernisation, de modernité et de modernisme. Cet outil, qui s’adresse avant tout au grand public curieux d’histoire, permet néanmoins de trouver quelques autres lieux historiques nationaux du patrimoine bâti de l’ère moderne, dont celui du Canal de dérivation de la Rivière Rouge (1962-1969), un élément qui élargit notre compréhension de l’héritage récent. Il permet aussi de mesurer l’importance du programme du Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine qui concerne tout le parc immobilier fédéral âgé de plus de 40 ans, c’est-à-dire, construit avant 1973, couvrant ainsi presque toute la période concernée. Autre acquis à souligner, l’actualisation des Normes et lignes directrices pour la conservation des lieux patrimoniaux au Canada afin, entre autres, de traiter du patrimoine récent.

    Autres sources d’information à mentionner, les sites Web des Docomomo Ontario, Atlantiques et Québec²⁰. Ce dernier a fait peau neuve l’an dernier afin d’élargir ses horizons sous le titre de L’architecture moderne au Québec et ailleurs et suivre l’actualité locale et internationale, en écho au colloque de 2010²¹. Depuis cet événement, certains des cas présentés ont connu des développements positifs, d’autres négatifs. Bientôt l’avancement de la sauvegarde du moderne au Canada nécessitera de faire un nouvel état des lieux, une mise au point réalisée pour le Québec par l’ouvrage publié fin 2012 à l’initiative du Conseil du patrimoine culturel : Patrimoine en devenir : l’architecture moderne du Québec²².

    Notes


    1  . Grâce au financement obtenu du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), du ministère du Patrimoine canadien et du ministère de la Culture et des Communications du Québec.

    2  . Algie, S. et J. Ashby (dir.) (2007). « Conserving the Modern in Canada Buildings, ensembles, and sites : 1945-2005 », Conference Proceedings Trent University, Peterborough, May 6-8, 2005/ « La sauvegarde du moderne au Canada. Sites, ensembles et bâtiments, 1945-2005 », Les comptes rendus, Trent University, Peterborough, 6 au 8 mai 2005, Winnipeg, Winnipeg Architecture Foundation et Docomomo Canada-Ontario, , consulté le 10 juillet 2013.

    3  Ce prix fut créé en 2008 afin de faire prendre conscience des périls encourus par bien des œuvres significatives du modernisme et de reconnaître l’action des architectes et des designers qui contribue à leur rajeunissement et à leur sauvegarde durable. « Modernism Prize », World Monuments Fund, , consulté le 29 juin 2013.

    4  . Un tel point de vue est défendu par Reinink, W. (1991). « Controversy between functionalism and restoration : Keep Zoonestraal for eternity as a ruin », Docomomo Conference Proceedings. First International Conference, Sept. 12-15 1990, Eindhoven, Eindhoven University of Technology, Netherlands Department for Conservation, p. 50.

    5  Parcs Canada (2001). Plan du réseau des lieux historiques nationaux. La commémoration du patrimoine bâti de l’ère moderne, Ottawa, Gouvernement du Canada.

    6  . « Lieu historique national du Canada de la Maison-Binning », Lieux patrimoniaux du Canada, , consulté le 10 juillet 2013.

    7  . « Lieu historique national du Canada du Centre-des-Arts-de-la-Confédération », Lieux patrimoniaux du Canada, , consulté le 10 juillet 2013.

    8  . « Lieu historique national du Canada Diefenbunker/siège central du gouvernement d’urgence », Lieux patrimoniaux du Canada, , consulté le 10 juillet 2013.

    9  . « Lieu historique national du Canada du Manitoba Theatre Centre », Lieux patrimoniaux du Canada, , consulté le 10 juillet 2013.

    10  De nombreuses revues consacrèrent des articles et des livraisons au béton, entre autres, Huxtable, A. L. (1960). « Concrete technology in U.S.A. », Progressive Architecture, no 41, octobre, p. 142-205.

    11  Ockman, J. (2012). « Comment l’Amérique a appris à ne plus s’en faire et à aimer le brutalisme », dans M. Casciato et É. d’Orgeix (dir.), Architectures modernes. L’émergence d’un patrimoine, Bruxelles, Mardaga, p. 37-42.

    12  . Vanlaethem, F. (2012). « Échos de la 12e conférence de Docomomo International », Architecture moderne au Québec et ailleurs, , consulté le 10 juillet 2013.

    13  . Stein, C. (2010). Greening Modernism. Preservation, Sustainability, and the Modern Movement, New York, W.W. Norton

    14  . Entre autres, Sanders, R. S. et al. (2011). « Sustainable restoration of Yale University’s Art + architecture building », APT Bulletin, vol. 42, nos 2-3, p. 29-35.

    15  . Winnipeg Architectural Foundation, , consulté le 10 juillet 2013.

    16  . « West Coast Modern Home Tour, July 13th, 12pm-4pm », Spacing Vancouver, , consulté le 10 juillet 2013.

    17  . Spacing, , consulté le 10 juillet 2013.

    18  En témoigne le programme mis sur pied en 1999 pour préserver l’héritage de la route 66 qui traverse les États-Unis d’est en ouest, les bâtiments commerciaux qui la jalonnent : motels et stations-service entre autres. « Discover Our Shared Heritage Travel Itinerary Route 66 : Route 66 Overview », National Park Service, U.S. Department of the Interior, , consulté le 10 juillet 2013.

    19  . Mentionnons entre autres la route européenne du patrimoine industriel ou encore la route de la soie en Asie.

    20  . Docomomo Canada-Ontario, , consulté le 10 juillet 2013 ; Docomomo Canada-Atlantiques, , consulté le 10 juillet 2013.

    21  . Architecture moderne au Québec et ailleurs, , consulté le 10 juillet 2013.

    22  Vanlaethem, F. (2012). Patrimoine en devenir : l’architecture moderne du Québec, Québec, Les Publications du Québec.

    PRÉSERVER UNE ICÔNE DU

    MOUVEMENT MODERNE : LE

    SANATORIUM DE ZONNESTRAAL

    Hubert-Jan Henket

    Avant d’aborder la question de la préservation de l’architecture moderne, et plus particulièrement celle du sanatorium de Zonnestraal construit à Hilversum de 1926 à 1931, il faut expliquer d’où proviennent certaines des idées du mouvement moderne. Contrairement à l’impression laissée entre autres par l’exposition The International Style présentée au Musée d’art moderne de New York en 1932, le mouvement moderne n’est pas avant tout un style esthétique, mais plutôt une façon de penser, un état d’esprit.

    Le mouvement moderne, un état d’esprit

    Un de mes tableaux favoris de la Frick Collection est une œuvre du peintre néerlandais Johannes Vermeer d’une remarquable modernité : L’officier et la jeune fille datant de 1657. La scène n’est pas statique, elle montre des gens en mouvement ; le tableau donne à voir l’instantané, il offre l’expérience du moment présent. De plus, aucun saint, évêque ou noble, soit le genre de personne que représentait la peinture jusqu’alors : deux personnes ordinaires, une scène très humaniste. L’officier et la jeune fille dégagent une impression de contrôle sur leur propre vie et leurs pensées. Ils sont indépendants d’allusions métaphoriques.

    La même année, un autre Néerlandais, Christiaan Huygens, inventa le pendule, qui a complètement révolutionné l’expérience du temps. À l’époque, les horloges commençaient à faire leur apparition dans les foyers et sur les clochers des églises. Peu à peu, l’expérience cyclique du temps qui avait dominé la vie depuis sa création et qui était liée aux cycles du soleil et de la lune, des semailles et des récoltes, de l’été et de l’hiver, d’année en année s’effaçait. Par l’introduction d’un instrument de précision, l’expérience cyclique du temps était remplacée par celle du temps linéaire. Cette innovation conduisit à mesurer le temps en heures, en minutes et en secondes. Tic-tac, tic-tac, les secondes passent sans jamais revenir. La vie est maintenant emprisonnée entre la naissance et la mort, un phénomène linéaire extrêmement court lorsqu’on le compare à l’éternité. L’homme est devenu pressé. Bienvenue dans le monde dynamique, le monde de la temporalité et de l’innovation, deux autres piliers du projet moderne.

    Pavillon principal, sanatorium Zonnestraal Hilversum. Crédits : Arjandb, 2011.

    La Banque d’Angleterre, imaginée par l’architecte anglais John Soane en 1830, illustre aussi le temps modifié. Le tableau qui la représente, montre l’édifice mille ans après sa construction, une partie du complexe toujours utilisée, l’autre en ruines. Il témoigne ainsi que la beauté éternelle est un aspect essentiel de la vie.

    Le célèbre architecte allemand Karl Friedrich Schinkel délivre un message complètement différent. Au nom du roi de Prusse, il voyagea dans les Midlands de l’Angleterre afin de découvrir l’importance de la Révolution industrielle. Il visita la ville vibrante de Manchester et, dans une lettre au souverain, il décrit des immeubles de six à huit étages, nommés manufactures, ayant des murs minces comme du papier, construits rapidement et d’utilisation très efficace. Ces bâtiments n’étaient pas des symboles esthétiques de durabilité éternelle. Au contraire, ces structures sont des contenants rationnels et flexibles, adaptés aux exigences de l’économie de marché et de l’âge de la machine en constante évolution. Voilà le monde en état de renouvellement permanent.

    La même année, en 1828, le penseur politique français Alexis de Tocqueville, qui avait si éloquemment écrit sur la Révolution américaine, visita également Manchester. Sa réaction au progrès fut cependant moins positive que celle de Schinkel. Il écrivit : « C’est au milieu de ce cloaque infect que le plus grand fleuve de l’industrie humaine prend sa source et va féconder l’univers. De cet égout immonde, l’or pur s’écoule. C’est là que l’esprit humain se perfectionne et s’abrutit ; que la civilisation produit ses merveilles et que l’homme civilisé redevient presque sauvage¹. » Tocqueville observe que les traditions qui, pendant des siècles, avaient été facteur de liens et de certitude au sein des sociétés agraires ne pouvaient résister à la pression du changement rapide et au chaos urbain anonyme de la Révolution industrielle.

    Si la bourgeoisie avait réussi à se libérer du pouvoir dominant de l’ancienne aristocratie et que les élites étaient inspirées par l’idéal de liberté individuelle des révolutions américaine et française, les masses urbaines pauvres étaient laissées pour compte, dans la misère. Une opposition croissante à cette situation inacceptable se développa. Au début du xxesiècle, les intellectuels, les artistes et les architectes décidèrent de changer complètement leur système de croyances et d’habitudes ; ils regardèrent les choses de manière totalement différente. Leur intention était de créer une nouvelle société fondée sur l’égalité, avec un équilibre adéquat entre liberté individuelle et intérêt collectif. Cette société pouvait être établie seulement si on arrivait à se libérer de toutes les traditions précédentes. Les innovations scientifiques, technologiques et culturelles garantissaient le progrès vers un futur nouveau et d’origine humaine. De plus, en raison du rejet de toutes les traditions, aucune relique et aucune habitude ne devaient être transmises aux générations à venir. D’où un dévouement à constamment tout renouveler.

    Une œuvre iconique : le sanatorium de Zonnestraal

    Un des principaux protagonistes de ce courant de pensée, nommé le mouvement moderne, était l’architecte néerlandais Jan Duiker né en 1890. Son chef-d’œuvre est le sanatorium de Zonnestraal. Cet ensemble trouva son origine dans la lutte menée par les ouvriers diamantaires d’Amsterdam pour de meilleures conditions de travail qui déboucha en 1894 sur la création du premier syndicat aux Pays-Bas. Principalement d’origine juive et fiers de leur force collective, en 1900, ils demandèrent au père de l’architecture moderne du pays, H. P. Berlage, de concevoir leur siège social à Amsterdam.

    Mortelle à l’époque, la tuberculose constituait une menace courante dans les zones urbaines malsaines en raison du surpeuplement, d’une mauvaise ventilation et d’installations sanitaires déficientes. Les ouvriers diamantaires étaient particulièrement vulnérables, car ils inhalaient la poussière produite pendant la coupe des diamants. Le remède à la maladie consistait à isoler le patient pas trop gravement atteint pendant quelques années dans un sanatorium, loin de la ville, pour profiter de conditions de vie saines et aérées à la campagne.

    Alors qu’ils envisageaient de construire un sanatorium dans le domaine champêtre acheté à vingt kilomètres d’Amsterdam, aux abords du village d’Hilversum, le syndicat des diamantaires demanda à nouveau à Berlage de le concevoir. Les fonds provenaient de diverses sources. L’une était le résultat d’une invention technique qui permet de capter la poussière qui se colle aux extrémités des fils de cuivre utilisés pour tailler les diamants. En raison de sa charge de travail excessive, Berlage recommanda deux jeunes architectes modernistes, Jan Duiker et Bernard Bijvoet.

    Après un voyage d’études en Angleterre, où les architectes avaient visité la colonie postcure de Papworth, Duiker conçut un ensemble formé d’un édifice principal et de deux pavillons. Le projet répondait aux besoins individuels des patients considérés comme les membres d’une communauté. Le patient était amené en voiture au Zonnestraal depuis Amsterdam et se présentait à l’édifice principal pour y être inscrit. Il se rendait ensuite à l’étage, dans la salle commune. De ce point, il traversait la route par où il était venu et qu’il reprendrait un jour, une fois guéri. Fort de cette attitude moderniste d’optimisme et d’espoir, de l’autre côté, il descendait les marches et se rendait vers l’un des deux pavillons. Doté d’un rez-de-chaussée et d’un étage, chaque pavillon contenait douze chambres individuelles par niveau, de même que des toilettes et des salles de bain collectives. De plus, il était équipé de sa propre salle commune où les patients pouvaient prendre un thé ou un café pendant la journée. Les trois repas principaux étaient servis dans la salle commune de l’édifice principal. Quatre ateliers étaient destinés aux activités quotidiennes, à la formation de nouvelles compétences et à la production de biens qui payaient une partie des coûts d’exploitation du sanatorium.

    Les deux

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