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Trois cents dollars: et autres nouvelles
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Livre électronique115 pages1 heure

Trois cents dollars: et autres nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Des instants de vie de quatre personnages en quatre nouvelles. Quatre personnages aux destins et aux parcours différents. Parce qu’ils ne sont pas des héros, on les croise tous les jours sans les voir. Que ce soit à New York, à Grenoble ou dans un village de la France profonde.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Bachelier : « Je m’intéresse à tout et ne suis indifférent à rien. »
Telle est la devise de l’auteur, ancien élève de l’École des Mousses et de Sciences po Grenoble qui, après avoir parcouru le vaste monde, a posé son sac à terre, a fait quelques métiers, puis pris la plume pour écrire le quotidien de gens qui ne sont pas des héros, mais des gens ordinaires qui n’ont pas forcément des vies ordinaires.
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2020
ISBN9791037706256
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    Aperçu du livre

    Trois cents dollars - Claude Bachelier

    Le 28 juillet

    Pour mon quinzième anniversaire – six ans déjà – mes parents m’avaient offert un très beau livre blanc, avec une couverture de cuir rouge, destiné à devenir mon journal. Je m’étais alors promis d’écrire chaque jour le détail de mon quotidien et de mes réflexions d’adolescente. Au collège, nous avions étudié le Journal d’Anne Frank et j’ai tellement été subjuguée par ce livre que j’ai dû le lire cinq ou six fois de suite. Ce qu’a écrit cette fille qui avait à peu près mon âge m’avait fascinée et je décidais alors de faire comme elle : d’écrire tout ce qui me passait par la tête, ce que je vivais, ce que j’aimais ou détestais.

    Pendant un peu plus de deux mois, je me suis tenue à mon engagement avec une rigueur qui, aujourd’hui encore, me surprend. Je ne me relisais pas, sauf pour corriger les fautes d’orthographe. Mais un jour, j’ai relu tout ce que j’avais écrit depuis le premier jour. Je découvrais avec effarement que tout y était nul et sans intérêt. Je n’étais pas et ne serai jamais Anne Frank ! Devenu inutile, je rangeais ce cahier dans un tiroir et ne l’ai plus jamais ouvert depuis.

    Aujourd’hui, je vais de nouveau tenir mon journal. Sans doute parce que j’ai tourné une page importante de ma vie. Depuis le 22 juin, j’ai rompu de façon radicale et sans doute définitive avec tout ce qui avait été ma vie jusqu’alors : ma famille, mes amis, mon pays. C’est après avoir téléphoné à Étienne, mon frère, que j’ai ressenti ce besoin. Parce que j’ai eu le sentiment à ce moment-là, à tort ou à raison, que la rupture serait bien plus brutale que je ne l’avais imaginée. Hier, je suis allée dans une librairie et j’ai trouvé ce que je cherchais : un cahier avec des feuilles blanches épaisses sur lesquelles ma plume glisse confortablement.

    J’ai donc téléphoné à Étienne. Après un silence de plus d’un mois, je me doutais bien que sa réaction serait virulente. Et elle l’a été. Je n’ai pas noté chaque mot de la conversation mais je m’en souviens suffisamment pour la retranscrire dans le détail :

    — Oui. C’est qui ? Julie ?

    — … oui, c’est moi.

    — Mais enfin, bordel, t’es où, Julie ? Ça fait plus d’un mois qu’on ne sait pas où tu es, plus d’un mois qu’on te cherche partout !

    — Je suis à New York.

    — À New York ? Mais, Bon Dieu, qu’est-ce que tu fous à New York ?

    — Je suis chez Nancy et Ted.

    — Putain, mais je rêve ! Chez Nancy et Ted ! Mais pourquoi tu m’as pas appelé ?

    — Écoute, Étienne, je te rappelle dans cinq minutes, le temps que tu te calmes. Et papa, comment va-t-il ?

    — Il va bien !

    — Je te rappelle

    — Non, Julie, ne coupe pas !!!

    — Je te rappelle.

    Je savais qu’il aurait cette réaction, à la limite réaction normale : il avait raison : j’étais partie voilà plus d’un mois sans en avoir parlé à qui que ce soit. Je me suis alors revue dans le train qui m’emmenait vers Lyon. Ma première idée avait été d’aller me réfugier chez lui. Mais mis à part le fait que je n’ai jamais aimé ma belle-sœur, Michelle, qui d’ailleurs me le rend bien, je savais qu’il ferait tout pour que je retourne habiter avec mon père. Et de cela, il n’en était pas question : la vie avec ce vieux fou était devenue impossible, d’autant que ce que je lui avais fait avant de partir rendait impensable tout retour à la normale.

    Alors que le train longeait la nationale, j’ai vu un panneau indiquant la direction de l’aéroport de Lyon Saint Exupéry. Sans même réfléchir, j’ai alors pris la décision de partir à New York. Nous étions un lundi et je savais, pour l’avoir déjà pris à plusieurs reprises avec maman qu’il y avait un vol direct le mardi matin.

    Je suis donc arrivée sur place en début d’après-midi. Nancy et Edward, dit Ted, n’étaient pas chez eux : normal, instituteurs tous les deux, ils n’étaient pas encore rentrés. Je connaissais leur appartement, dans la 17ème rue, pour y être venue plusieurs fois, avec mes parents, à une époque où tout allait bien.

    — Étienne ? Tu t’es calmé ?

    — Calmé ? Tu en as de bonnes, Julie ! Comment veux-tu que je sois calme ? Ça fait presque un mois et demi que je suis dans l’inquiétude. Pas un mot, pas une lettre, rien ! Et tu voudrais que je sois calme, que je fasse comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes ?

    — Écoute-moi, Étienne, laisse-moi t’expliquer ce qui s’est passé, mais écoute-moi et ne me coupe pas la parole. Tu dois m’écouter, après tout tu es mon frère et tu dois me comprendre !

    — Justement, Julie, je suis ton frère, ton grand frère même. Et j’ai toujours pensé que tu avais confiance en moi. Et là, que dalle ! Tu files à New York, sans un mot, sans une lettre, sans rien dire. Alors, dans cette affaire, j’ai vraiment l’air d’un con ! Et tu voudrais que je ne sois pas…

    Il recommençait à gueuler, alors j’ai de nouveau raccroché. Je comprenais qu’il soit en colère, mais là, il en rajoutait. Je ne l’appelais pas pour me faire engueuler. Il a toujours été un colérique, du genre je gueule d’abord, je discute ensuite. C’est vrai que je suis un peu comme ça aussi. On doit tenir ça de notre père.

    Mon père, je le revois ce matin-là, allongé dans la cuisine, la tête en sang. Recevoir un coup de poêle en fonte sur la tête, puis cogner cette même tête sur un pied de table en tombant, tout ça ne pouvait pas vraiment lui faire de bien. Pourtant, après l’avoir frappé, j’étais d’un calme que j’en étais plutôt surprise. J’ai ensuite fait ma valise sans précipitation et même pris le temps de me maquiller. Il était toujours allongé dans la cuisine. Il respirait calmement. J’ai eu l’impression qu’il faisait semblant d’être dans les pommes. Puis j’ai quitté l’appartement, bien décidé à ne jamais y revenir.

    C’est Étienne qui m’a rappelé.

    — Mais enfin, Julie, pourquoi tu raccroches comme ça ?

    — Je peux pas placer un mot sans que tu m’engueules. Alors, je préfère attendre que tu te calmes, OK ?

    — OK, OK, ça va. Dis-moi tout !

    — Et papa, d’abord, comment va-t-il ?

    — Oh, très bien. Pas de problème pour lui. C’est toi qui l’as mis dans cet état ?

    — Oui

    — Mais pourquoi, Bon Dieu ?

    — D’après toi ?

    — D’après moi, quoi ?

    — Je t’avais déjà dit qu’il me tournait autour, qu’il avait des gestes déplacés, qu’il essayait de me tripoter et que j’étais même obligé de m’enfermer dans ma chambre ou dans la salle de bain.

    — Je sais. Je lui en avais parlé. Il s’était excusé auprès de toi et avait promis de se tenir tranquille.

    — Promesse d’ivrogne, oui ! Il est resté peinard quelques jours et puis il a recommencé ses cochonneries. Ce matin-là, je lui préparais son déjeuner, des œufs brouillés, comme d’habitude, et il s’est pointé, le peignoir ouvert, dans l’état que tu peux imaginer et il m’a dit que j’allais y passer, qu’il était seul et qu’il n’y avait pas de raisons que je couche avec d’autres types et pas avec lui, le genre de conneries qu’il m’avait déjà servies. Mais là, j’ai vite senti que les mots ne lui suffiraient pas. Je l’ai repoussé une première fois, mais il est revenu à la charge et a essayé de me gifler. Alors, j’ai pris la poêle où je faisais cuire ses œufs et je lui en ai balancé un coup sur la tête. Il s’est mis aussitôt à saigner comme un bœuf, il est tombé et il s’est de nouveau pété la gueule sur le pied de la table. Ça a dû l’assommer parce qu’il ne bougeait plus. Alors, j’ai décidé de partir.

    — Mais tu n’as pas essayé d’appeler les pompiers, un toubib ?

    — Non ! Il respirait encore. Si j’avais appelé les pompiers ou les flics, je me serais retrouvée au poste aussi sec. Tu ne peux pas imaginer dans quel était de haine j’étais à ce moment-là ! Depuis que maman est morte, tu ne peux pas imaginer la vie qu’il m’a menée, comme si j’avais été la cause de sa mort. Je t’en ai parlé plusieurs fois, rappelle-toi. Au début, c’étaient des vexations, des engueulades, des reproches pour un oui ou pour un non. Tu m’avais dit que ça se calmerait avec le temps. Qu’il lui fallait faire son deuil. Mais ça ne s’est jamais calmé, au contraire. Et depuis six mois, depuis le 1er janvier exactement quand je lui

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