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Clapman - Tome I: Roman
Clapman - Tome I: Roman
Clapman - Tome I: Roman
Livre électronique381 pages5 heures

Clapman - Tome I: Roman

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À propos de ce livre électronique

Que peut faire Martin lorsqu’à ses douze ans il découvre que l’amour des gens réveille chez lui de super pouvoirs ? Se cacher pour continuer de mener une vie tranquille ? Maria, pilote de Dancing Bot et Nelson, vieux scientifique à la retraite ne sont pas de cet avis. Ce dernier est catégorique : le principe de polarité découvert par les Égyptiens dans l’antiquité est une réalité. La force étrange et inconnue générée par Martin ne peut exister sans son opposé. Si Martin ne peut plus dissimuler ses pouvoirs, il doit les utiliser, devenir quelqu’un d’autre car de l’autre côté de la planète, une jeune femme vient elle aussi de faire une bien curieuse découverte et pour elle, tout est beaucoup plus facile…

À PROPOS DE L'AUTEUR

M. Lelyric est né à Paris en 1972. Son enfance est bercée par Tolkien, Azimov, H.G Wells, Herbert, Spielberg et George Lucas. Historien de formation mais la tête dans les ailleurs, ses histoires disent quelque chose de l’époque que nous vivons. Ses photos, ses dessins et ses écrits sont autant d’appels à se perdre dans des fictions dont un pied reste dans le réel pour le questionner.
LangueFrançais
Date de sortie1 juin 2020
ISBN9791037708328
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    Aperçu du livre

    Clapman - Tome I - M. Lelyric

    1

    Les élections

    Martin Deville n’avait qu’une douzaine d’années lorsque ce matin du 1er octobre 2023, il embrassa père et mère sur la joue avant d’adresser un petit coucou à Jeanne, sa sœur de six ans assise en tailleur au milieu du salon. Son père, Anatole Deville, descendit les deux étages avec lui. Il lui passa une main dans les cheveux, ce qui fit grimacer Martin qui venait de passer dix minutes à domestiquer l’épi de sa tempe gauche. Monsieur Deville hâta le pas vers leur voiture d’alors, une vieille Audi A6 de presque deux cent mille kilomètres, mais dont Martin adorait l’odeur. Il regarda la voiture tourner au coin de la rue puis il sortit de la résidence. Comme souvent, il laissa sa main courir sur le grillage de la clôture.

    Quelques enfants étaient massés devant la boulangerie du bout de la rue. Martin reconnut Vladimir, un de ses camarades de classe de l’an passé. Ce dernier se vantait régulièrement des cent euros d’argent de poche qu’il recevait chaque mois. Cela lui permettait notamment d’offrir, comme ce matin-là, des tournées générales de bonbons. Vladimir était populaire. Martin traversa la rue, non parce qu’un bonbon le tentait, mais parce qu’il avait également repéré dans le groupe la belle et brune Camille Chanterel dont il s’était entiché depuis la moyenne section de maternelle. Il lui parla de ce projet qu’il avait de réaliser un petit film humoristique sur la vie au collège et pour lequel il cherchait l’actrice principale. Camille rigola, haussa les épaules et lui répondit « Pourquoi pas ! ». Martin n’en attendait pas tant.

    Il posa ses fesses sur sa chaise du troisième rang de la salle 201 du collège St Exupéry de Beaulieu, cette petite ville du nord de la région parisienne dans laquelle il passerait toute son enfance. Il remonta ses genoux sur le bord de sa table. Sa professeure de français lui ferait certainement un reproche sur sa posture, mais c’était sa position favorite alors comme tous les matins, il tentait le coup.

    Le soleil matinal perçait à travers les hauts platanes de la cour de récréation et inondait le tableau d’une belle lumière un peu orangée. Martin savait que jusqu’à l’heure de la récréation, il pouvait jouer avec ce rayon de soleil, le capter avec sa règle en plastique pour créer des formes sur le mur ou le plafond. Il adorait ça.

    Ses camarades prenaient place bruyamment, poussaient les tables, raclaient le sol dur avec les pieds de leurs chaises. Théodore Vaz, voisin de classe historique et grand copain de Martin, entra le dernier ce jour-là, il trébucha sur un cartable éventré au milieu de la rangée. Cela lui valut une remarque insolente de son propriétaire, un garçon plus grand que tout le monde, mais plus maigre aussi, qui répondait au nom de Philippe. Tout le monde l’appelait Phil. Martin nota le pantalon encore trop court de Phil. Beaucoup en rigolaient en cachette. Théodore adressa un sourire à Martin, se laissa tomber sur sa chaise et soupira. À deux rangs devant lui, la longue chevelure brune de Camille balayait le dossier de sa chaise tandis qu’elle se penchait pour sortir ses affaires calmement, avec cette grâce naturelle que Martin admirait tant sans trop savoir ni pourquoi ni ce que cela voulait dire vraiment. Les bavardages cessèrent en partie lorsque la professeure tapa trois fois dans ses mains. Martin l’aimait bien cette professeure, il l’appréciait davantage en tout cas que son prof de français de l’année précédente, un remplaçant un peu fantasque dont les frasques avaient d’abord amusé ses élèves avant que ces derniers ne se rendent compte que la place d’adulte était inoccupée, avec ce que cela signifiait comme prise de pouvoir par les élèves les moins motivés, et les inconvénients inhérents à ce genre de situation : bavardages, chahuts et jets de projectiles divers.

    Madame Laffont avait donc les faveurs de Martin. Elle faisait régner l’ordre suffisant pour qu’il se sente bien, à l’abri d’un putsch de ceux du dernier rang ou d’une prise de pouvoir décomplexée de ceux du premier rang.

    Deux autres claquements de mains et le silence se fît. Ce lundi matin, Madame Laffont avait annoncé la tenue de l’élection des délégués de la classe. À la grande surprise de Martin, Camille annonça sa candidature au poste convoité par ailleurs par deux autres candidats. Martin se sentit pousser des ailes. Il se pencha vers Théodore.

    « On se lance ?

    — What ? Mais qu’est-ce qui te prend ?

    — J’sais pas, pour changer ! Regarde les autres candidats, on a nos chances.

    — Oui sûrement, mais aller au conseil de classe, vraiment ?

    — T’as qu’à être mon suppléant, tranquille ! »

    Théodore était pris au dépourvu, mais séduit par cette idée soudaine. Il se retourna et considéra ses potentiels adversaires un par un. Il y avait Camille, ce qui expliquait que son ami Martin se soit découvert soudain l’âme d’un tribun.

    « Ok » dit-il sans exposer au grand jour ce qu’il devinait être la véritable motivation de son ami. Martin leva la main pour se signaler. Son nom fut inscrit au tableau aux côtés de celui des autres candidats puis ils prirent tous place sur l’estrade, face à leurs électeurs. Il s’agissait de prendre la parole pour exposer son programme. Martin se concentra. Prendre la parole en public restait pour lui un exercice qui suscitait cette légère angoisse qu’il était ensuite si fier d’avoir surmontée, lorsqu’il y parvenait. Fanny, une petite élève toujours excitée et beaucoup trop bavarde, se lança la première sans attendre l’aval de la professeure. Elle déclara « Si je suis élue déléguée, on aura des frites à la cantine tous les jours et à la fin de l’année, on fera une boum ! »

    Son annonce fut accueillie par une salve de rires dont Madame Laffont ne s’émut pas. Elle tapa deux fois dans ses mains et considéra cette première intervention avec le sérieux dû à toutes paroles de ses élèves.

    « Oui » dit-elle « Pourquoi pas, mais je ne suis pas certaine que ces promesses électorales soient toutes tenables jeune fille, méfie-toi ! »

    Martin était satisfait de cette première prestation de l’adversaire. Elle était séduisante mais irréaliste et il faisait entière confiance à ces camarades de classe pour faire la part des choses. Dans son esprit ses propres arguments s’organisaient peu à peu. Rébecca, jeune fille très – trop – sérieuse, deuxième candidate déclarée, ancra ses propos dans un réel très – trop – scolaire. Elle se présenta comme l’avocate de tous les élèves lors des conseils de classe et ne recueillit que des applaudissements timides, reflet d’une popularité modérée que Rébecca cherchait sans doute à redorer en briguant ce mandat de déléguée. Martin pivota sur ses talons et considéra Camille avec attention tandis qu’elle s’avançait pour prendre la parole.

    « Chers électeurs » dit-elle « Ne prenez pas cette élection à la légère, l’an dernier, ceux qui étaient dans ma classe se souviennent des délégués qui ont été élus. Ils étaient sympas et rigolos, mais franchement, ils ont fait leur travail n’importe comment, et c’est la classe qui a payé. Et même plusieurs fois ! Moi, je ne vous promets rien sauf mon implication et mon application à résoudre tous les problèmes que nous rencontrerons, si nous en rencontrons. Vous pouvez compter sur moi, et ça aussi, vous le savez. Et puis, si je suis élue, je ne vais attendre la fin de l’année pour organiser une boum, ce sera dès ce week-end, chez moi ! »

    Tonnerre d’applaudissements mérités, sourire complice de la professeure principale et embarras rageur des deux premiers candidats. Martin n’attendit pas que la classe retrouve son calme. Il s’avança à son tour et adressa à Camille un sourire charmeur et son pouce droit fièrement levé. Il reconnaissait la maîtrise et l’intelligence de son discours de campagne, mais une idée venait de germer dans son esprit.

    « Chers élèves et électeurs, je reconnais l’intelligence et la pertinence de la précédente candidate. D’ailleurs, je pense sincèrement voter pour elle (murmures dans la classe). Je vous propose une alliance, votez pour nous deux, élisez Camille, elle vous garantit le sérieux et la rigueur, et votez pour moi qui, à ces côtés, vous apporterai le fun et la légèreté ! Je serai attentif à tous les projets que vous souhaiterez monter : ateliers, activités, achats de mobiliers, vous avez des idées, j’en suis sûr, ça tombe bien, j’en ai aussi ! »

    La classe manifesta son enthousiasme. Martin se tourna vers Camille. Elle hocha la tête pour approuver, les yeux rieurs. Martin considéra la classe à nouveau et déclara, d’un ton franc « Vive la 5e3 ! »

    Applaudissements et cris saluèrent sa prestation. Théodore lui tapa sur l’épaule puis lui adressa un clin d’œil. Martin regagna sa place. Il était content de lui, vraiment. Cette journée prenait une tournure qui lui plaisait bien. Il se sentait vraiment bien, pétri d’une énergie jubilatoire assez peu commune. Lorsqu’il reprit sa place, un léger étourdissement l’obligea à saisir le plateau de sa table. Il regarda ses mains, se les passa sur le visage. Les sons autour lui parurent amoindris, sourdine apaisante qui le mettait à distance de ce qui se passait sous ses yeux. Le passage des élèves au bureau de Madame Laffont se faisait lentement, ils y déposaient leur bulletin de vote dans la corbeille à papier, convertie comme tous les ans en urne de fortune. Il sentit une main sur son épaule, c’était Camille.

    « Tu aurais pu m’en parler, ce matin », dit-elle en feignant la contrariété.

    — Sans doute oui », se contenta de répondre Martin en clignant des yeux pour retrouver tous ses esprits « Tu n’es pas d’accord ? »

    Elle baissa la tête, gênée.

    « Si, c’est parfait, tu sais les autres candidats… »

    Elle laissa sa phrase en suspens et gagna le bureau à son tour pour jeter son bulletin dans l’urne-poubelle. Martin se secoua, quelque chose n’allait pas, il se sentait bizarre. Il se sentait vibrer. Il passa à son tour au bureau et remarqua à cette occasion le sourire entendu et réconfortant de la professeure à son égard. Cette sensation à nouveau, plus forte, plus réelle, plus présente. Plus vibrante.

    Camille et lui furent élus très largement. Ils se partagèrent toutes les voix à l’exception de deux. Madame Laffont se joignit aux applaudissements cette fois-ci. Camille se planta devant lui.

    « Viens ! C’est le discours de victoire ! » lui dit-elle suffisamment fort pour se faire entendre.

    Ils gagnèrent à nouveau l’estrade et firent face à la classe. Martin se sentait vibrer de plus en plus. Ce n’était pas une sensation désagréable, bien que très étrange, mais trop nouvelle pour ne pas monopoliser une partie de son attention.

    « Merci à tous », déclara Camille, radieuse « Le plus dur reste à faire pour nous », dit-elle en se tournant vers Martin « Mais vous ne le regretterez pas ! Martin, à toi ! »

    Martin secoua la tête et balaya la classe du regard. Il se concentra pour trouver quelque chose à dire, quelque chose de beau et inspiré, car après tout, Camille, la très belle Camille était là à ses côtés et elle n’avait pour une fois, d’yeux que pour lui. Il serra le poing et pointa l’urne-poubelle avec rage.

    « Vous avez déposé dans l’urne les bons bulletins ! » dit-il sur un ton le plus théâtral possible. Un cri de stupéfaction des élèves ponctua son annonce. L’urne-poubelle venait de se déplacer toute seule sur toute la longueur du bureau. Vacillante, elle menaçait à présent de tomber. Madame Laffont n’avait rien saisi de la scène. Elle sursauta aux cris de la classe et éleva immédiatement la voix.

    « S’il vous plaît ! Moins de bruit !

    — Mais Madame, la poubelle a bougé toute seule ! » répondit Fanny sur un ton qui signifiait que les cris des élèves étaient bel et bien justifiés.

    « Ouais, quand Martin l’a pointée du doigt en plus, trop chelou ! » ricana Phil en exposant à tous son sourire de travers.

    Madame Laffont se leva et ferma l’une des fenêtres de la salle « Et c’est un coup de vent qui vous met dans un état pareil ? »

    Simon, un élève discret du premier rang, c’était la première fois que Martin entendait sa petite voix, répondit du tac au tac « Madame, je suis à côté de la fenêtre, y’a pas eu de vent. »

    La professeure, pour qui cet échange était à la fois trop long et inutile, leva les yeux au ciel. Un élève rajouta, pas assez bas pour qu’elle ne l’entende pas « Oui, en plus, elle est partie dans l’autre sens, la poubelle. »

    Martin avait baissé son bras, la sensation étrange avait disparu. Il ne vibrait plus. En revanche, il était absolument certain d’avoir ressenti une décharge au bout de son doigt. De là à dire qu’il y avait un lien avec le déplacement de la poubelle, il y avait un pas qu’il n’avait ni l’envie ni l’intention de franchir. Mais beaucoup de ces camarades de classe n’étaient pas de cet avis. Heureusement Madame Laffont partageait son analyse de la situation. Elle regarda les deux élèves placés à la table qui jouxtait son bureau.

    « Lequel d’entre vous a-t-il donné un coup de pied dans le bureau ? » demanda-t-elle dans un calme tout juste maîtrisé.

    « Pas moi », dit le premier, un garçon collectionnant les félicitations tous les trimestres et dont le ridicule de la coupe de cheveux n’avait comme équivalent que celui de sa tenue vestimentaire, savant mélange de mauvais goût et d’influences d’une mode disparue des radars depuis deux ou trois générations. Les regards de toute la 5e3 convergèrent vers Lorie, sa voisine, adolescente rebelle toute de noir vêtue, dont la frange de cheveux couleur cendre s’écarta lorsqu’elle souffla dessus avant de déclarer « Rien à déclarer M’dame. »

    Silence dans la salle. Madame Laffont se contenta de revenir vers son bureau, posa la corbeille au sol et articula un « Sortez vos cahiers » qui, sauf à vouloir risquer une heure de retenue, mit un terme au débat et à l’incident. Les délégués étaient élus, la tâche que s’était fixée Madame Laffont était terminée, le train scolaire pouvait reprendre sa folle course.

    Bien entendu, si tous les élèves acceptèrent sans broncher ce formel recadrage, dans l’esprit de ceux qui avaient assisté à la scène, rien, mais alors vraiment rien du tout, n’était clos dans cette affaire. À la récréation, un attroupement se forma autour de Martin. Théodore sortit de sa poche un stylo quatre couleurs et demanda aux autres élèves de s’écarter.

    « Théo, qu’est-ce que tu fais ? » demanda Martin en fourrant ses mains dans ses poches.

    « Ce que je fais ? Non, mais tu rigoles ! Vas-y, refais ton truc ! Tiens, voilà un stylo, regarde je le pose par terre, là, fais le bouger ! »

    Martin regarda le stylo avec un sourire gêné.

    « Je n’y suis pour rien, je n’ai rien fait, je…

    — Arrête ! » le coupa Florian, un autre garçon de la classe, connu pour ses performances sportives.

    « On a tous vu la même chose » poursuivit-il « Tu as fait bouger la poubelle ! Pas vrai les autres ?

    — Ouais, j’ai vu aussi » s’éleva une autre voix.

    « Je vais dire à la prof que c’est toi qu’elle si tu ne nous dis pas comment t’as fait ! » menaça un élève.

    Martin avait vécu de très près la réaction de Madame Laffont à toute cette histoire et il ne s’émut pas de cette menace inutile. Il parcourut le groupe d’élèves des yeux, ils étaient une petite dizaine. Le ton montait. Camille se fraya un passage parmi eux et se planta devant lui. Elle souriait. Elle lui saisit la main et, sans le quitter des yeux, parla plus fort que tout le monde.

    « Laissez-le tranquille, qu’est-ce qui vous prend, vous n’avez jamais vu un tour de magie ? C’est hyper facile, moi aussi je sais le faire, j’ai appris ça à mon dernier anniversaire !

    — J’y étais à ton dernier anniversaire, on a fait plein de photos délirantes, on n’a pas fait de magie » répondit sottement Martin en fronçant les sourcils.

    « Chut imbécile ! » lui signifia Camille en plaçant son index sur ses lèvres.

    « C’est vrai ça ? » demanda Théodore, témoin de l’échange.

    « Euh… oui, c’est vrai, c’est un tour de magie… pas compliqué, je te montrerai. », se contenta de répondre Martin soulagé d’entendre la sonnerie mettre fin à ce drôle de moment.

    « T’as fait comment ? Y’avait un fil, c’est ça, y’avait un fil, hein ? » insista Florian le sportif. L’occasion était trop belle. Camille fut plus prompte à réagir.

    « Oui, c’est ça, une ficelle, tout bête en fait, hein ! »

    Le groupe se dispersa en maugréant car encore une fois, l’exceptionnel, l’irrationnel et le fantastique refusaient de faire une entrée fracassante et salvatrice dans la monotonie de leurs vies et leur quotidien. Dommage pensaient-ils tous, vraiment dommage. Camille n’avait pas lâché la main de Martin. Il s’en rendit compte et saisit soudainement tout le bonheur de cette situation.

    « On se voit à la sortie, ça te dit ? Et tu me montres, OK ? » lui souffla-t-elle à l’oreille. Elle s’était suffisamment rapprochée pour que ses longs cheveux lui caressent la joue.

    « Euh ouais. OK, à la sortie. » fut sa seule et maladroite réponse. Elle fila se ranger avec ses copines qui avaient suivi la scène et en faisaient à présent des commentaires endiablés.

    Martin passa l’essentiel du reste de la journée seul. Il s’isola à la bibliothèque dès qu’il le put pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu se passer, ou au moins s’en souvenir précisément. Un voile de brume pesait sur ses souvenirs. Certaines choses étaient très nettes, comme le discours de Camille, ou tous ces regards ébahis fixés sur lui, mais il n’arrivait à saisir la sensation exacte ressentie lorsqu’il avait pointé l’urne-poubelle du doigt. La logique et la raison œuvraient à lui faire croire qu’il n’était pour rien là-dedans, mais il n’arrivait pas à s’en persuader. Quelque chose avait vibré en lui, comme une onde électrique, un peu celle qu’il avait ressentie la fois où il avait sauté pour la première fois du grand plongeoir, celui de trois mètres. Tous ces regards vers lui encore ce jour-là, avaient bougé quelque chose en lui. Oui, se dit-il, bougé, quelque chose avait bougé en lui.

    Il n’y avait personne à la bibliothèque. Même la documentaliste avait disparu. Martin se saisit d’un feutre et le posa devant lui. Il roula quelques centimètres puis s’immobilisa. Martin le regarda fixement sans trop savoir pourquoi. Le voir bouger lui semblait au moins aussi probable que de voir une licorne entrer dans la pièce. Il soupira, persuadé de sa propre naïveté. Le feutre restait bien collé à sa table par la pesanteur terrestre. Martin se concentra à nouveau. Rien. Il se leva, après tout, il était bien debout la première fois. Toujours rien. Il changea la couleur du feutre, puis il changea de table, puis il essaya avec un crayon de couleur, puis avec un stylo trouvé sur le bureau déserté de la documentaliste, puis avec une gomme, un capuchon, une boulette de papier. Il pointa le feutre avec l’index puis essaya avec tous les autres doigts, brassant l’air par le haut, par le bas, de droite à gauche et inversement. Rien, nada, que dalle. Sur la table à présent recouverte d’objets, rien n’avait manifesté la moindre velléité de mouvement autonome.

    La sonnerie de reprise des cours mit fin à ses tentatives. Il se pressa de tout bien remettre à sa place avant de quitter les lieux, mi agacé mi rassuré. Parce que finalement, faire bouger une corbeille, tout de même, c’était assez inhabituel. Suffisamment en tous cas pour lui causer des ennuis, il en était persuadé. Comme dans ce film où le petit garçon qui découvre un extraterrestre était finalement kidnappé par des militaires pour lui faire subir des expériences interminables et sans doute très douloureuses. Et puis que dirait Madame Laffont si elle découvrait que l’un de ses élèves était capable de faire le clown à distance ? Martin ne connaissait pas le bureau du Principal, mais se voyait très bien le découvrir à cette occasion. Il enfonça les mains dans ses poches et fila se ranger avec les autres. L’après-midi s’offrait à lui, une après-midi qu’il souhaitait, pour une fois, la plus normale possible.

    Et d’ailleurs rien cette après-midi-là ne vint perturber le bon déroulement des enseignements de ses professeurs. Phil adressa bien à Martin quelques regards menaçants, que celui-ci choisit d’ignorer, renvoyant à son destinataire le mépris et l’insignifiance totale que méritait selon lui ce type d’agissement.

    À la sortie, Camille l’attendait comme convenu. Au moins tout ceci lui avait-il permis d’attirer son attention. Il était délégué après tout, élu sur la base d’une promesse d’association avec la belle Camille. Cela lui permettait d’envisager a minima de nombreuses heures de travail en commun. C’était formidable, tout simplement formidable. Elle lui prit la main, encore, et pressa le pas en direction de la forêt.

    « Camille, je ne peux pas partir trop loin, mes parents veulent que je rentre directement après l’école…

    — Moi aussi » le coupa-t-elle « mais on ne peut faire ça ici, viens, allons à la Châtaigneraie, tu sais, dans le tronc du gros arbre, on sera tranquilles, tu pourras me montrer, allez ! Faisons vite alors ! »

    Honnête avec lui-même, Martin ne voyait pas bien comment dire non à cette fille. Camille le tenait par la main et l’entraînait loin de sa maison. Après tout, ce n’était pas ça, la vie ? À un moment, partir ? Martin, aussi grisé qu’il fût, ne se sentait cependant pas encore assez mûr pour renoncer au confort douillet de sa vie d’enfant. Mais cette escapade dans le monde des grands, de ceux qui peuvent faire ce qu’ils veulent quand ils veulent, lui plaisait bien. Lui plaisait beaucoup même. Il se laissa entraîner.

    Lorsqu’ils franchirent l’entrée du parc de la Châtaigneraie, il se souvint soudain que l’emballement de sa promise n’était pas motivé par sa belle personne – ou alors pas que – mais par sa volonté farouche d’expérimenter à nouveau une capacité supposée extraordinaire : déplacer les poubelles à distance. Laquelle capacité était supposée détenue par lui-même après qu’il en ait fait la démonstration plus tôt dans la matinée. Or, de cette capacité supposée, Martin ne savait rien, mais alors rien du tout. À peine se souvenait-il d’une vague sensation agréable lorsque la corbeille avait glissé sur le bureau. Quant à vouloir reproduire cette prouesse, c’était un peu comme demander à Madame Laffont de faire rire ses élèves : c’était arrivé une fois il y a plusieurs années, mais elle ne l’avait pas fait exprès. L’épingle qui retenait ses cheveux avait sauté, libérant une sorte de touffe ébouriffée à mi-chemin entre un champignon atomique et une barbe à papa avachie. Personne n’a jamais demandé à Madame Laffont de refaire sauter son épingle, mais Camille, elle, voulait que Martin fasse à nouveau glisser une poubelle. Et pour Martin, les choses étaient finalement assez claires : si l’intérêt – et pourquoi pas l’amour – de cette si jolie fille était à ce prix, alors il devait le tenter, essayer de toutes ces forces même si en la matière ses premiers essais à la bibliothèque s’étaient avérés infructueux. Il avait tellement envie d’y croire, mais alors tellement, si elle avait su…

    Au centre de la Châtaigneraie se trouvait un arbre facilement centenaire dont le tronc, d’une largeur incroyable, était creux à partir de sa mi-hauteur. Habitués des lieux, Camille et Martin parvinrent à s’y hisser sans difficulté. Une odeur de terre humide et de bois pourri baignait la petite alcôve dans laquelle ils pénétrèrent, bulle d’intimité à trois mètres du sol dans laquelle deux ou trois enfants pouvaient se tenir debout sans se gêner. Martin se frotta les mains et passa la tête par l’ouverture. Il avait de là une vision panoramique sur le parc. Celle-là même qui lui avait permis, quelques années auparavant, de voir son père débarquer par surprise quand il avait compris par la maman de Théodore qu’ils s’étaient donné rendez-vous ici même pour rejouer la bataille d’Endor. Ce jour-là, Martin avait appris un nouveau mot, tétanos, quand son père avait pointé avec colère les gros clous rouillés plantés dans l’écorce de l’arbre. Il se pencha et tourna la tête des deux côtés : aucun père à l’horizon cette fois-ci. Camille le regardait intensément. Elle se frotta le nez du revers de sa main, qu’elle avait eu la bonne idée de protéger d’une mitaine en laine grise.

    « Bonne idée, les mitaines », lança Martin qui restait inquiet des gros clous rouillés. Elle considéra ses deux mains quelques secondes en les agitant comme deux marionnettes.

    « Ouais ! En plus comme ça, j’ai le style !

    — Oui, ça te va bien.

    — Il s’est passé quoi, tout à l’heure ? C’était le vent, comme la prof l’a dit ?

    — Je ne pense pas… je ne sais pas. C’est peut-être Lorie qui a tapé dans le bureau, ce ne serait pas la première fois qu’elle mentirait à la prof.

    — Je suis allé la voir après la cantine, elle m’a juré que ce n’était pas elle. »

    Martin frissonna. Il faisait humide, dans ce trou. Il releva la capuche de son sweat.

    — En fait il m’est arrivé un truc bizarre tout à l’heure, pendant l’élection, je me sentais… je ne sais pas… électrique… j’avais l’impression de vibrer de l’intérieur. »

    Il leva la tête vers Camille, il avait envie qu’elle lui dise la même chose, qu’elle avait elle aussi ressenti une sensation étrange et que tout ceci, finalement, n’était que l’excitation de l’élection. Elle n’en fit rien.

    « Comment ça, électrique ?

    — Je te l’ai dit, je vibrais, j’avais l’impression de vibrer en tous les cas. Et puis ensuite… »

    Martin s’interrompit en soupirant.

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