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Trilogie Morte vivante
Trilogie Morte vivante
Trilogie Morte vivante
Livre électronique985 pages16 heures

Trilogie Morte vivante

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À propos de ce livre électronique

À 17 ans, Amber Borden a un sens de l’orientation vraiment nul — tellement nul qu’elle prend un mauvais virage lorsqu’elle revient de son expérience de mort imminente. Elle se retrouve dans le corps de la fille la plus populaire de l’école, qui vient tout juste de tenter de se suicider. Apparemment, ce phénomène bizarre, qui consiste à entrer dans la vie d’une personne — et dans son corps —, porte un nom: Donneur de vie temporaire. Amber, tout à fait incapable de naviguer dans les couloirs de son école, peut-elle découvrir les secrets de sa nouvelle identité tout en retrouvant le chemin vers sa propre vie? Puis, alors qu’elle croit que tout est rentré dans l’ordre, elle se retrouve dans le mauvais corps — encore ! Sa grand-mère décédée, impressionnée par sa performance de la dernière fois, lui aurait donné la permission de recommencer. Mais voilà qu’elle se retrouve avec une gueule de bois en train de regarder la soeur aînée de son petit ami dans le miroir. C’est la semaine de vacances du printemps, et cette dernière se prépare à faire des folies — en même temps qu’un psychopathe et un Condamné des ténèbres la poursuivent. Amber tente une dernière mission sur le plan astral, convaincue que ce sera rapide et facile. Plus de gens à problèmes à aider. Cette fois, c’est dans le corps de sa meilleure amie pour toujours, Alyce, que Amber atterrit. Puisqu’elle la connaît si bien, ce devrait être un jeu d’enfants… non?
LangueFrançais
Date de sortie16 juil. 2015
ISBN9782897526887
Trilogie Morte vivante
Auteur

Linda Joy Singleton

With plots involving twins, cheerleaders, ghosts, psychics and clones, Linda Joy Singleton has published over 25 midgrade and YA books. When she's not writing, she enjoys life in the country with a barnyard of animals including horses, cats, dogs and pigs. She especially loves to hear from readers and speaking at schools and libraries. She collects vintage series books like Nancy Drew, Trixie Belden and Judy Bolton. When Linda is asked why she'd rather write for kids than adults, she says, "I love seeing the world through the heart of a child, where magic is real and every day begins a new adventure. I hope to inspire them to reach for their dreams. Writing for kids is a gift, a responsibility, and an honor."

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    Aperçu du livre

    Trilogie Morte vivante - Linda Joy Singleton

    Copyright © 2015 Éditions AdA Inc. pour la réédition de la série complète

    ISBN papier 978-2-89752-686-3

    ISBN PDF 978-2-89752-687-0

    ISBN ePub 978-2-89752-688-7

    Première impression : 2015

    Dépôt légal : 2015

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    La morte qui marchait

    Copyright © 2008 Linda Joy Singleton

    Titre original anglais : Dead Girl Walking: The Dead Girl Series

    Copyright © 2009 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    ISBN 978-2-89565-953-2

    Première impression : 2009

    Dépôt légal : 2009

    La morte qui dansait

    Copyright © 2009 Linda Joy Singleton

    Titre original anglais : Dead Girl Dancing: The Dead Girl Series

    Copyright © 2009 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    ISBN 978-2-89565-991-4

    Première impression : 2009

    Dépôt légal : 2009

    La morte qui aimait

    Copyright © 2009 Linda Joy Singleton

    Titre original anglais : Dead Girl In Love: The Dead Girl Series

    Copyright © 2010 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    ISBN 978-2-89667-079-6

    Première impression : 2010

    Dépôt légal : 2010

    Cette publication est publiée avec l’accord de Llewellyn Publications, Woodbury, MN.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Renée Thivierge

    Révision linguistique : Isabelle Veillette

    Correction d’épreuves : Anne-Christine Normand, Carine Paradis, Nancy Coulombe

    Design des couvertures : Matthieu Fortin

    Mise en pages : Matthieu Fortin, Sébastien Michaud, Sylvie Valois

    Images des couvertures : © iStockphoto

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Conversion au format ePub par:

    www.laburbain.com

    Remerciements

    Du moment où l’idée de ce livre m’est venue jusqu’à sa publication, il a fallu 20 ans. De nombreuses personnes m’ont aidée pendant ce trajet, et j’aimerais les remercier : mon premier groupe critique, qui a vu la première version de ce livre (d’abord intitulé Turn left at the Milky Way [Tourne à gauche à la Voie lactée]) en 1988 : Micqui Miller, Eloise Barton, Barbara Woodward, Nan Finch et Dorothy Skarles ; la talentueuse auteure Julia DeVillers, qui, pendant un colloque de la SCBWI, au début des années 2000, m’a offert d’extraordinaires suggestions et m’a encouragée à continuer à travailler sur ce livre ; les merveilleuses auteures de mon groupe critique — Patti Newman, Erin Dealey et Connie Goldsmith ; mon éditeur perspicace, Andrew Karre, qui a eu l’idée de transformer ce livre en un premier titre de série, ainsi que d’y ajouter de sombres et vilains personnages ; et Sandy Sullivan, qui a amélioré la dernière ébauche. Merci à tous !

    1

    — 

    Je ne suis pas mieux que morte ! grognai-je quand la route aboutit à un cimetière délabré.

    Donner des coups sur le volant de la Toyota dont ma mère était la troisième propriétaire me fit mal aux mains et n’apporta aucune solution. Ça ne devait certainement pas être le bon chemin. Où donc se trouvaient les pelouses gigantesques parfaitement tondues et les maisons élégantes du Domaine Gossamer ? De toute évidence, j’avais tourné sur la mauvaise rue ; ce qui — considérant l’importance de la journée — pouvait s’avérer être le mauvais virage le plus désastreux de ma vie.

    — Amber, euh, est-ce que nous sommes perdues ? demanda une voix timide.

    Trinidad Sylvenski avait été si tranquille que j’avais presque oublié qu’elle était assise sur le siège du passager. Ses minces épaules s’avancèrent alors qu’elle regardait par la fenêtre. Comme elle était nouvelle étudiante à Halsey High, je ne la connaissais pas beaucoup ; mais si mes plans de carrière se réalisaient, nous deviendrions bientôt bien plus que de très bonnes amies.

    — Perdues ? Absolument pas.

    Une aspirante-agente de spectacles ne devrait jamais admettre avoir peur devant un client potentiel. Je lui lançai un sourire dont le livre L’assurance de la confiance en soi promettait l’efficacité dans toutes circonstances.

    — En es-tu certaine ?

    Trinidad mordit sa lèvre pêche chatoyante.

    — Tu as frappé assez fort sur le volant, et tu as l’air vraiment tendue.

    — Moi ? Pas du tout ! Je sais exactement ce que je fais. Peux-tu me passer la carte ?

    Un autre livre, Persuasion positive, conseillait de toujours montrer une attitude positive.

    — Certainement. Voilà.

    La voix susurrante de Trinidad contrastait vraiment avec sa voix puissante de chanteuse. Je ne l’avais entendu chanter qu’une seule fois, mais c’est tout ce qu’il fallait pour tomber sous le charme. Trouver un talent à l’état brut dans ma propre école était un étonnant coup de chance. J’avais cru qu’il me faudrait des années pour faire ma marque — enfin, au moins jusqu’au collège ou dans un stage dans le monde du spectacle. D’après mes lectures, l’âge de l’agent n’était pas un facteur décisif ; le plus important, c’était de se préparer, de persévérer et de savoir sauter sur une occasion.

    En vérifiant la carte parfumée de lavande, imprimée en caractères violets, je pus trouver l’endroit où nous voulions aller (la maison de Jessica Bradley), mais pas celui où nous nous trouvions (un cimetière qui donnait la chair de poule). C’était comme d’essayer de résoudre un pernicieux problème d’algèbre ; je connaissais la solution, ce que valait le mystérieux X, mais pas la formule pour y parvenir. Mais je continuai de sourire, comme si je maîtrisais bien la situation.

    — Ne devrions-nous pas faire demi-tour et chercher la rue de Jessica ? demanda Trinidad.

    — Excellente idée. Mais nous devrions probablement lui téléphoner pour lui faire savoir que nous serons en retard.

    Et pour lui demander comment sortir de cette maudite impasse. J’avais mal à la tête à force d’essayer de me souvenir de tous ces virages déroutants.

    — Prends mon cellulaire.

    Après avoir fouillé dans son délicat sac à main argenté, ­Trinidad en retira un téléphone décoré de faux diamants. ­J’essayai de ne pas m’extasier alors qu’elle soulevait le clapet.

    — Oups.

    Elle fronça les sourcils.

    — Qu’est-ce qui ne va pas ?

    — Y’a pas de charge. Je suppose que j’ai encore oublié de recharger ma pile. Tu as un téléphone ?

    J’aurais bien aimé. Mais il n’y avait pas d’argent de trop pour faire des frivolités (c’est le nom que donnait maman à tout ce que je voulais depuis la naissance des triplées). Je n’avais donc pas de téléphone, pas de voiture, pas d’argent mis de côté pour mes études universitaires — des trucs qu’on offrait aux autres jeunes comme des bonbons à l’Halloween.

    J’allais confesser mon statut de fille sans téléphone lorsque je me souvins que maman laissait toujours son téléphone dans la Toyota pour le recharger. C’était un téléphone d’affaires, qu’il ne fallait employer que dans les cas d’urgence. Et bien, d’après moi, cette situation se rangeait dans le domaine des « urgences ».

    Mais après avoir vérifié le portable ; devinez…

    Pile complètement chargée. Mais pas de réception.

    — Est-ce que ton téléphone est mort ? chevrota la voix de Trinidad.

    — Non. C’est que je n’ai pas de réception à l’intérieur de la voiture. Mais ce n’est pas un problème. Le signal sera certainement plus fort à l’extérieur. Une fois que j’aurai un signal, je téléphonerai à Jessica, et nous pourrons reprendre le chemin.

    Trinidad cessa de se mordre la lèvre et sourit en affichant d’éblouissantes dents blanches et des fossettes. Grâce à mes conseils, ce mégasourire brillerait un jour sur les pochettes de disque. En supposant que nous arrivions à sortir de cet endroit.

    Sortant de la voiture, je cherchai des signes de vie ou même un panneau de signalisation. Mais tout ce que je pus apercevoir était un sinistre paysage de pierres tombales protégées par une clôture de fer rouillée qui s’étendait sur des kilomètres. Pas même une brise ; comme si le vent était incapable de se frayer un chemin dans ce lieu désolé. Je détestais les routes qui se terminaient sans qu’on s’y attende ; mais je détestais encore plus mon sens de l’orientation. C’était comme une métaphore de ma vie ; même lorsque je croyais savoir où j’allais, il se produisait habituellement quelque chose pour me lancer dans la mauvaise direction.

    Ce jour devait être celui de ma Grande Occasion.

    Invitée à une fête organisée par Jessica Bradley elle-même. Elle n’était pas la fille la plus populaire de l’école (c’était plutôt Leah Montgomery), mais elle était la meilleure amie de Leah — et cela me donnerait un coup de pouce pour l’ascension de ma carrière. Il ne s’agissait pas simplement de devenir populaire. Tout de même, je ne suis pas aussi superficielle. C’est simplement que mon livre Le réseautage fonctionne ! disait que se ­servir de contacts est la clé du succès à Hollywood. Il ne s’agit pas de tricher, mais plutôt d’améliorer ses chances en rencontrant des gens influents.

    Jessica et Leah régnaient en tant que célébrités de l’école. Mais surtout, le père de Leah était actionnaire dans les ­Stardust Studios, et avait donc des contacts dans l’industrie de la musique.

    Voici comment je m’étais dégoté une invitation pour la grande fête de Mlle J :

    Je marchais dans les corridors de l’école, les bras enroulés autour d’un énorme panier-cadeau CHH (Club d’Hospitalité de Halsey), m’apprêtant à souhaiter la bienvenue à la nouvelle étudiante, Trinidad Sylvenski. Au moment où j’avais démarré le club pendant ma première année de secondaire, il comptait trois membres. Je suis maintenant en dernière année, et nous sommes toujours trois membres. Tout le monde adorait les paniers, mais lorsqu’il était question de joindre le club, ils avaient mieux à faire. Notre trio incluait donc mes meilleurs amis, Dustin Cole (un génie de l’informatique) et Alyce Perfetti (la diva de la conception de paniers), et moi-même.

    Comme j’étais celle qui accueillait officiellement les nouveaux étudiants, c’était à moi de remettre à Trinidad son panier « Allô Halsey ! » La période du déjeuner était presque terminée quand je l’avais enfin trouvée en train de quitter la cafétéria avec Jessica. En m’approchant d’elles, j’avais entendu Trinidad dire à Jessica qu’elle ne pouvait aller à sa fête le samedi suivant parce que sa voiture était au garage.

    Aie de l’assurance et saisis les chances fortuites (un conseil de l’un de mes livres).

    Si Leah avait été dans les parages, je n’aurais certes pas eu le sang-froid nécessaire pour dire même un seul mot. Blonde, superbe et riche dans tous les sens du mot, Leah Montgomery était une déesse parmi les étudiants de l’école secondaire. Chaque fois que je m’approchais d’elle, toute ma confiance disparaissait pour se transformer en une douloureuse envie. Heureusement, d’après les rumeurs, Leah avait séché ses cours et était partie de l’école avec son petit ami.

    Jessica m’avait reconnue immédiatement — ou c’était peut-être mon panier ? Elle m’avait dit qu’elle admirait mon travail avec le « club de l’hospitalité », que c’était « tellement chouette » de ma part d’accueillir Trinidad. Puis, elle et Trinidad avaient poussé des oh ! et des ah ! en voyant toutes les friandises à l’intérieur du panier enveloppé de papier luisant : des trucs à gri­gnoter, des fruits, des coupons pour échanger dans des commerces locaux, une brochure « Bienvenue à Halsey ! » et une mignonne réplique en peluche de notre mascotte de l’école, l’hippo Halsey.

    — Tu as besoin d’un moyen de transport samedi ? Pas de problème. Je peux te conduire, avais-je dit avant que mon gène de peur ne commence à agir.

    — Je ne peux te laisser faire ça…, avait commencé à dire ­Trinidad, en même temps que Jessica répondait avec enthousiasme.

    — Oh, certainement ! Quelle formidable idée ! Et Amber, pourquoi ne restes-tu pas pour la fête ? Nous serons en train de faire des plans pour réunir des fonds pour une campagne de ­collecte d’aliments, et tu pourrais nous aider. Bien sûr, nous aurons aussi beaucoup de nourriture là-bas. Notre traiteur est tout à fait génial. Alors, viens chez moi samedi prochain, à midi.

    Puis, elle m’avait tendu une carte avec des direc­tives, comme une reine qui offre une couronne de joyaux à une simple paysanne.

    Nous en étions là : samedi, 12 h 7.

    Et Trinidad et moi passions maintenant notre temps avec des fantômes dans un cimetière.

    Je me promenai en tenant le téléphone de maman au-­dessus de ma tête pour trouver un signal. Autour de la voiture, la zone de réception était complètement morte, mais quand je m’approchai de la grande clôture de fer forgé du cimetière, je réussis à obtenir une barre. Excitée, je baissai le bras — et la barre disparut.

    — Amber, est-ce que le téléphone fonctionne maintenant ?

    Trinidad avait la tête sortie par la fenêtre de la voiture, sa natte noire sinueuse se balançant au-dessus du sol.

    — Presque, répondis-je sur un ton confiant. J’aurai un signal d’un instant à l’autre.

    — Je l’espère. J’ai sauté le petit déjeuner pour pouvoir me gaver à la fête et je suis affamée.

    — Ce ne sera pas long, la rassurai-je, un peu moins confiante.

    Agitant le téléphone, je courais çà et là pour trouver un signal. Partout, le signal était mort, sauf près de la barrière du cimetière. Mais même à cet endroit, la barre ne scintillait que pendant un millième de seconde. Je glissai mon bras à travers un trou dans la barrière : deux barres clignotèrent alors. Hum… le signal le plus fort se trouvait à l’intérieur du cimetière. J’élevai le bras en le tendant, la barrière de métal s’enfonçant dans ma peau ; et je fus récompensée avec une barre de plus. Presque un signal complet !

    Maintenant, si je pouvais appuyer sur quelques boutons et activer la fonction haut-parleur, je pourrais téléphoner à Jessica. Si elle ne pouvait m’aider, j’essaierais de joindre Dustin. Il était toujours devant son ordinateur, à un clic près de Google.

    Mon bras me faisait mal, mais je continuai à m’étirer, mes doigts se contorsionnant autour du téléphone. Un coup de pouce sur une des touches, et l’écran s’alluma. Tout ce qu’il me restait à faire, c’était sept chiffres et…

    Le téléphone glissa de ma main.

    — Non ! hurlai-je, me penchant vers l’avant et me frappant la tête sur la barrière.

    — Qu’est-ce qui ne va pas ? cria Trinidad de la voiture.

    — Rien. Tout va très bien. Ça va juste prendre un peu plus de temps.

    Je me frottai la tête.

    — Dépêche-toi, d’accord ? Cet endroit me donne la chair de poule !

    Moi aussi.

    — J’ai la situation bien en main, criai-je.

    Bon Dieu que j’ai mal à la tête.

    — Pourquoi n’écoutes-tu pas ton iPod ? J’en ai juste pour quelques minutes.

    Je me retournai pour voir où était tombé le téléphone — et je mis brusquement ma main sur ma bouche pour assourdir mon halètement. Au lieu de tomber directement au sol, le téléphone devait avoir bondi sur un arbuste, pour ensuite rouler sur le talus, qui fut sans doute, dans le passé, une allée pavée. Je pus apercevoir un coin du téléphone qui dépassait derrière une plaque de béton brisée. Complètement hors d’atteinte.

    Oups, pensai-je. Maman va me tuer.

    Je devais récupérer le téléphone.

    Même si la barrière rouillée parut délabrée, la serrure brillait comme si elle était neuve. Je tirai, remuai, et donnai de grands coups, mais rien ne bougea. Il n’y avait aucun bris dans la clôture de fer forgé. Tout ce qui restait à faire, c’était de grimper. Impossible. La barrière avait au moins trois mètres de haut, le double de ma taille, et la gymnastique était la matière où j’étais la plus nulle.

    Puis, en un clin d’œil, j’imaginai le visage de maman alors que j’essayais de lui expliquer de quelle façon son téléphone avait abouti dans un cimetière verrouillé. L’idée était suffisamment effrayante pour me donner une poussée d’énergie Super-Amber.

    Respirant profondément, je tendis le bras très haut et j’attrapai une barre de fer. J’essayai d’attraper une autre barre, puis encore une autre, jusqu’à ce que mes pieds pendent à quelques centimètres au-dessus du sol. Mais mes bras étaient déjà en train d’abandonner. Je donnai donc un coup de pied dans une tentative pitoyable pour balancer mon corps vers le haut. J’en­tendis un bruit sourd. Ma jambe s’était cognée contre la barrière. Je criai de douleur, et mes mains glissèrent. J’atterris directement sur mon derrière.

    Diagnostic : meurtrie, un peu endolorie, mais pas prête à abandonner.

    Je pensai que des filles comme Trinidad et Jessica hausseraient les épaules après la perte d’un téléphone. « J’en achèterai un autre », diraient-elles. Facile pour elles, pensai-je. Ce serait le paradis de ne pas s’inquiéter à propos de l’argent et d’agiter mes cartes de crédit comme s’il s’agissait de baguettes magiques.

    Il y a deux ans, ma vie ressemblait un peu à cela. J’étais la fille unique et adorée de parents qui étaient tous les deux professionnels, et nous habitions une copropriété près d’un lac. Mais quand mes parents avaient décidé d’avoir un bébé, ils avaient vendu la copropriété, et nous avions déménagé dans la banlieue ennuyeuse. Maman avait quitté son emploi, et l’argent était devenu un peu plus serré. Quand j’avais découvert que mes parents avaient dépensé mon fonds d’éducation pour supporter le coût des traitements de fertilité, je m’étais promené avec les mots « Sans avenir » écrits avec un rouge à lèvres sur mon front, répétant sans cesse : « Des frites avec ça ? » Mon amie Alyce m’avait accusée de trop dramatiser, et je ne la contredis jamais.

    Je ne pouvais compter sur personne pour mon avenir. Il n’en tenait qu’à moi.

    Je nettoyai donc mon derrière poussiéreux et je regardai autour de moi. Ça aurait été fantastique d’avoir une échelle, mais je n’avais pas cette chance. Je repérai une vieille planche appuyée contre un chêne difforme. Le gravier crissa sous mes sandales à bout ouvert, alors que je repoussais soigneusement les mauvaises herbes. La planche était couverte d’insectes, de mousse et de crottes écœurantes. Je ne voulais même pas y penser. Je nettoyai un coin avec des feuilles, puis je traînai la longue planche à travers les mauvaises herbes pour l’appuyer contre la barrière.

    Moitié marchant, moitié rampant, je grimpai sur mon échelle de fortune. Arrivée au sommet, je me balançai pour enfourcher le fer arrondi, comme si je montais sur une selle, une jambe pendant sur chacun des côtés. Me tenant fermement, je restai recroquevillée pendant un moment, respirant très fort.

    Lorsque je pus recommencer à respirer normalement, je levai la tête pour examiner les alentours. Pas si mal, c’était même plutôt génial si vous aimiez les vieilles pierres tombales et les monuments en forme d’anges, de saints et de temples. Il n’y avait ni vases de fleurs ni autres offrandes laissées par des êtres chers. Évidemment, ce cimetière était tellement vieux que même les êtres chers s’étaient transformés en poussière et en os. Si Alyce avait été ici, elle aurait pris des photographies pour sa « Collection Morbide ». Elle collectionnait des images représentant l’aspect sinistre de la vie, et aspirait à devenir une artiste fameuse et affamée, ou à s’enrichir en publiant un recueil de photographies à succès.

    Mais avoir du plaisir n’avait pour moi rien à voir avec la morbidité — et le sol me semblait tellement loin. Du côté du cimetière, il y avait des morceaux pointus de béton provenant d’un trottoir en ruine. Il serait suicidaire de sauter de ce côté. Maman pourrait épargner pour s’acheter un autre téléphone, mais moi, je ne pourrais pas m’acheter un nouveau corps chez Wal-Mart.

    Vaincue, je me préparai à redescendre. Mais je balançai ma jambe avec trop de force, et elle frappa la planche qui m’avait servi d’échelle. La planche vacilla, glissa sur le côté, et atterrit dans un nuage de poussière.

    Que ferais-je à présent ? Coincée sur le dessus de la barrière, je m’effondrai contre le fer froid. J’avais perdu la chance de ma vie. Je ne pourrais jamais arriver à temps chez Jessica maintenant, et je passerais pour une perdante à ses yeux. Trinidad n’accepterait plus jamais de voyager en voiture avec moi ni ne considérerait aucune autre de mes offres.

    Diagnostic : déprimée et prête à abandonner.

    Je devrais tout simplement sauter et en finir maintenant — sauf que je détestais les gâchis et je n’aimais pas du tout l’idée de finir comme une crêpe sur le béton. Je pourrais attendre que Trinidad s’aperçoive que j’avais des problèmes ou sauter du côté où le sol était le plus doux, devant la barrière. Si je réussissais à atterrir sur mon ample derrière, j’avais 50 % de chances de survivre.

    J’avais presque rassemblé le courage de sauter quand j’entendis un bruit qui changerait la direction de ma vie à jamais.

    Le téléphone cellulaire de maman !

    Il sonnait.

    Très surprise, je pivotai brusquement sur mon perchoir en direction du bruit. Mauvaise manœuvre ! Mes hanches changèrent de position, s’inclinant d’un côté, et je perdis l’équilibre. Ma jambe se déroba sous mon corps, mes mains glissèrent, puis battirent l’air.

    Je hurlai en tombant vers le béton.

    2

    Quand j’ouvris les yeux, ma première émotion fut la surprise. Je ne sais trop comment, j’avais manqué le béton et j’avais atterri sur un buisson piquant.

    Bonne nouvelle : j’étais vivante.

    Mauvaise nouvelle : le buisson était rempli d’orties.

    La douleur se déclencha en moi comme si l’on m’assé­nait des coups de couteau. Je bondis pour m’éloigner du buisson. Un rapide inventaire de mon corps : aucun os cassé, mais la blouse vert menthe que j’avais achetée avec l’argent durement gagné de garde d’enfants était mortellement ruinée. Et de minuscules bosses rouges se gonflaient, créant d’affreuses zébrures sur mes bras et mes jambes.

    Mais je ne pouvais m’attarder à cela, car le téléphone sonnait.

    Était-ce mes parents ? Dustin ou Alyce ? La police psychique qui venait à ma rescousse ?

    Boitillant et me grattant, je me frayai un chemin sur la route en pente. Au moment où j’attrapais le téléphone, la sonnerie cessa ; ce silence fut plus douloureux que les orties cinglantes. La barre de réception clignota. Pour une meilleure réception, il me faudrait prendre un peu de hauteur. Une statue d’ange sur un podium de granite escarpé, mais équipé d’escaliers, me sembla prometteuse. Alors que j’atteignais l’ange, le soleil jeta un coup d’œil à travers les sombres nuages, et le téléphone de maman clignota. Ce devait être un bon présage du ciel, ou de ma Mamie Greta — j’avais souvent l’impression qu’elle me surveillait.

    Avant que je ne puisse composer le numéro d’urgence, le téléphone sonna de nouveau.

    J’appuyai sur le bouton vert de réponse.

    — Qui est-ce ? Dustin ? Maman, papa, qui que vous soyez, vous devez m’aider !

    Mais la voix qui répondit ne m’était pas familière. Ni même humaine.

    — Bon après-midi, je vous appelle de Ledbottom ­International, courtier en prêts hypothécaires. Je peux vous faire épargner une tonne d’argent en vous offrant un taux réduit limité pour…, ronronna un enregistrement.

    Je. Ne. Pouvais. Pas. Le. Croire.

    Frappant brusquement le bouton de déconnexion, je commençai à composer le numéro de Jessica quand j’entendis un hurlement. Je levai les yeux vers la voiture et je vis Trinidad qui s’arrachait son iPod pour ensuite se précipiter vers moi. Elle avait finalement remarqué que j’avais des problèmes — bien que trop tard.

    — Oh, mon Dieu ! Amber !

    Incrédule, elle regarda fixement à travers la barrière.

    — Qu’est-ce que tu fais ?

    — J’ai finalement un signal de téléphone, répondis-je en agitant faiblement le téléphone.

    Elle me regarda, bouche bée, en voyant mes vêtements sales et déchirés, et l’éruption de bosses rouges. Mes cheveux bruns trop frisés étaient aussi un désastre. Je dus paraître ridicule, perchée sur le halo de l’ange, les bras tendus comme un oiseau géant. Ce n’est pas l’image professionnelle que je préférais.

    — Je vais téléphoner à mon ami Dustin, lui dis-je rapidement pour éviter toute autre question. Il travaille à temps partiel pour un serrurier et il pourra déverrouiller la barrière. Je suis désolée que nous soyons en retard pour la fête, mais nous devrions arriver à temps pour le dessert — de toute façon, c’est toujours la meilleure partie d’un repas.

    — Euh… certainement. La fête.

    Elle hocha la tête vers moi comme si elle craignait de faire un mouvement brusque qui aurait pu me faire basculer par-­dessus le bord. Elle tendit la main vers le bas et ramassa une feuille qui s’était coincée sur ses sandales argentées à courroies croisées.

    — Hum… je vais m’asseoir dans la voiture et écouter de la musique jusqu’à ce que tu sois… hum… prête.

    En soupirant, je me penchai contre l’aile de l’ange de pierre et j’appelai Dustin.

    — Hé, Amber.

    Il répondit immédiatement, sa voix monocorde indiquant qu’il ne répondait que distraitement. Je l’imaginais dans ce qu’il appelait son « quartier général », encloisonné par des étagères qui débordaient de romans de science-fiction et de politique, son regard collé à l’un de ses moniteurs, alors qu’il pivotait dans sa chaise, poussant d’un coup de pied des papiers et des emballages de collation.

    — Dustin, Dieu merci, tu es là !

    — À quel autre endroit pourrais-je être ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

    — Moi.

    Je regardai fixement au loin, loin en bas, au sol.

    — Ne me pose pas de questions.

    Mais il en posa quand même, et je lui racontai l’histoire.

    — D’accord, cesse de rire, continuai-je. C’est sérieux.

    — Oui bien sûr, c’est certain, dit-il, riant toujours.

    — Mais c’est sérieux. Trinidad croit que je suis folle.

    — Ne l’es-tu pas ? Mais d’une façon intéressante.

    — Merci beaucoup d’être aussi sympathique.

    J’avais mal au bras à force de tenir le téléphone à un angle peu commode.

    — Oh, j’ai beaucoup de sympathie, mais tu dois admettre que c’est drôle. Un jour, toi aussi tu en riras.

    — Jamais. Cesse de rire. Dépêche-toi et sors-moi d’ici !

    — Ouais, ouais. Je quitte déjà ma chambre pour me diriger à l’extérieur. Je prends ma voiture. Je démarre le moteur. Je serai là dans 20 minutes.

    — Tu sais comment te rendre ici ? demandai-je, étonnée.

    — Certainement, l’ancien cimetière Gossamer. C’était un grand site historique jusqu’à ce qu’ils le ferment et refassent les routes pour qu’ils puissent installer le Domaine Gossamer.

    Ils faisait référence aux politiciens, ou au mot qu’avait inventé Alyce, et que Dustin préférait : « les Corromputiens ». Il détestait les politiciens et il écrivait régulièrement des commentaires sur les blogues antigouvernementaux.

    Dustin continua à parler tout en conduisant, lançant des noms de rues qui ne signifiaient rien pour moi.

    Quinze minutes plus tard, il arriva dans sa Prius. Il se dirigea simplement vers la clôture et tira de sa poche un énorme anneau de clés (un don de son emploi de serrurier à temps partiel). Il essaya plus de 20 clés avant qu’on puisse entendre un clic et enfin ouvrir la porte du cimetière.

    Trinidad applaudit.

    — C’était incroyable.

    — Je t’ai dit que Dustin me ferait sortir.

    Je serrai rapidement Dustin dans mes bras.

    — Merci d’être mon héros. Si jamais je gagne la loterie, je t’en dois la moitié. Maintenant, nous pouvons nous rendre à la fête.

    Dustin me regarda simplement avec une expression remplie de pitié. Il ne fit pas de blagues sur mon manque d’orientation ou sur mon apparence. Mais son regard en disait long, étant même accompagné de notes de bas de page. Sa pitié flagrante me mis en colère, et j’eus envie de lui faire remarquer ses chaussettes mal assorties, une brune et l’autre noire. Mais je ne tomberais jamais aussi bas, d’autant plus qu’il faisait tout son possible pour cacher son secret. Il était daltonien.

    — Est-ce que j’ai si mauvaise allure ? grimaçai-je en regardant mes jeans déchirés et ma blouse tachée de terre.

    — Mauvaise allure serait un compliment.

    — Il a raison.

    Trinidad pointa mes bras.

    — Qu’est-ce que c’est, ces bosses ? Une éruption ?

    — Des orties, répondis-je en me frottant le bras. Ouch.

    — Tu devrais voir un médecin, dit Trinidad d’un ton sympathique. Tu ferais mieux de rentrer à la maison tout de suite. Une fête, ce n’est pas si important — nous pourrions y aller une autre fois.

    — Nous y allons. Je vais bien.

    Je me forçai de cesser de me gratter.

    — Tu vas à une fête dans cet état ? demanda Dustin, incrédule.

    Si nous avions été seuls, je lui aurais expliqué honnê­tement l’importance de cette fête pour mon avenir. C’était peut-être la dernière fois que j’aurais une telle chance. Peut-être lut-il ma pensée, car il soupira et offrit de nous conduire à la maison de Jessica.

    — Je ne veux pas risquer que vous vous perdiez encore une fois et que vous finissiez dans cette émission de télévision de personnes disparues, dit-il.

    Il me donna même la chemise qu’il portait — littéralement.

    — C’est trop long pour toi, mais au moins c’est propre et les manches vont couvrir tes bras bosselés.

    — Merci, Dustin. Tu es le meilleur.

    Je m’élevai sur la pointe des pieds pour lui donner un baiser sur la joue. Bien en fait, sur le menton, étant donné que je ne pouvais atteindre sa joue. Il rougit. Il nous était arrivé à un moment donné de sortir ensemble, mais c’était comme sortir avec mon père. Dustin était d’une maturité exceptionnelle — comme une personne de 40 ans plutôt que de 17, comme s’il aurait plutôt fallu calculer son âge comme on le fait avec les chiens.

    Le trajet vers le Domaine Gossamer fut étonnamment rapide. J’étais beaucoup plus près que je ne l’avais cru, n’ayant manqué la rue de Jessica que par un virage à gauche. Elle n’habitait pas dans une maison, mais plutôt dans un manoir de pierres blanches étincelantes avec des pelouses parfaitement tondues, des bosquets en forme d’animaux et une fontaine de style grec jaillissant au centre d’une allée circulaire.

    En s’éloignant en voiture, Dustin me fit signe que tout allait bien.

    Je ne mentirai pas en disant que je me sentais à l’aise parmi toutes ces richesses et toute cette élégance. Mais je pourrais m’y habituer. Tout de même, si j’avais habité une si grande maison, j’aurais probablement perdu mon chemin vers ma propre chambre, ce qui voulait dire beaucoup de marche — et je détestais toutes les formes d’exercice.

    Alors que j’affichais un grand sourire de confiance, ­Trinidad et moi grimpâmes une montagne de marches de granite poli. Mais quand j’atteignis la porte de Jessica Bradley, mes mains commencèrent à trembler.

    Pour dissimuler ma nervosité, je pratiquai en silence un rituel qui me calmait toujours : la mélopée de chance de Mamie Greta. Ma grand-mère était partie depuis à peine plus d’un an, mais elle me manquait tellement. Quand je pensais à elle, je devenais triste, mais heureuse en même temps, car elle avait été tellement extraordinaire. Elle me disait que si je travaillais fort et que j’écoutais mon cœur, je pourrais tout réussir. Une semaine avant sa mort, elle m’avait dit qu’elle avait le pressentiment que mes rêves se réaliseraient.

    — Impossible, lui avais-je affirmé, parce que je venais tout juste de découvrir que mes parents s’étaient servis des fonds destinés à mes études universitaires pour payer les frais de traitements de fertilité.

    Ils m’avaient promis de remettre l’argent, mais c’était fou à quel point les triplées coûtaient cher.

    — Aie confiance, avait répondu ma grand-mère. Je suis en communication directe avec la sagesse de l’autre côté et je sais qu’il y a de grandes choses dans ton avenir.

    De grandes choses ? Voulait-elle dire que j’obtiendrais une bourse pour étudier dans une université prestigieuse et que je réussirais ma carrière d’agente de spectacle ? Que je ne serais pas coincée à vivre à la maison pour toujours, à prendre soin des triplées ou à retourner des hamburgers ?

    Puis Mamie m’avait tendu un bracelet entrelacé aux couleurs de l’arc-en-ciel, le genre de truc qu’on peut acheter dans un magasin à un dollar.

    — C’est un bracelet porte-bonheur, avait-elle expliqué en me faisant un clin d’œil malicieux. Tourne-le trois fois et répète le chant magique.

    — Quel chant ? lui avais-je demandé, entrant dans son jeu.

    Elle s’était penchée si près que je pouvais sentir son rince-bouche au thé des bois. Lorsqu’elle avait murmuré un poème familier qui parlait d’un ours dans mon oreille, j’avais retenu un petit rire. Il n’y avait que Mamie pour choisir un chant aussi à l’eau de rose.

    — Tourne le bracelet deux fois vers la droite, puis une fois vers la gauche, et scelle la chance par un baiser.

    Je me sentais vraiment stupide d’embrasser un bracelet, mais je l’avais fait pour faire plaisir à Mamie.

    Puis elle m’avait rappelé que c’était notre secret et qu’il ne fallait en parler à personne.

    — Je ne le dirai à personne, avais-je promis, sauf à Alyce.

    Mamie avait gloussé.

    — Bien sûr. Tu ne le dis à personne, sauf Alyce.

    Quand nous nous étions embrassées, je n’avais aucune idée que c’était la dernière fois que je serrais ma grand-mère dans mes bras.

    Maintenant, alors que je fixais le bracelet, je sentis l’odeur des roses — le parfum de Mamie. Je tournai le bracelet deux fois à droite puis une fois à gauche, je murmurai le chant, puis je tournai le dos à Trinidad pour qu’elle ne me voie pas sceller la magie par un baiser.

    Et c’était la chose la plus insensée — mais j’eus l’impression d’entendre la voix de Mamie me dire : « Aie confiance. » Je sentis le courage monter en moi.

    Ce qui se passa ensuite n’est qu’une confusion éblouissante…

    Une domestique nous conduisit dans un imposant « foyer » avec des portraits bordés de cadres dorés, une patère, et un élégant miroir ovale sur le mur. Elle cocha nos noms sur une liste officielle, puis nous escorta le long d’un plancher de marbre tacheté d’or, en passant devant une salle à manger formelle éclairée d’un chandelier de cristal de la taille d’un réfrigérateur. Un escalier tournant en acajou formait une voûte au-dessus de nos têtes.

    Les talons de la domestique claquaient sur les carreaux avec un son creux, tandis que mes sandales résonnaient et laissaient une trace sale. S’il vous plaît, que personne ne le remarque, priai-je.

    On nous conduisit vers un patio de jardin avec de charmants paniers de fleurs suspendus et des banderoles dorées en papier crêpé. Des tables rondes recouvertes de nappes blanches et décorées de chandelles étaient installées sur la pelouse en gazon synthétique. Des tables disparaissaient sous des mets exotiques délicats et des fontaines d’où jaillissait un punch rosé. Vraiment cool !

    Un groupe de musiciens jouait sur un podium de ciment où dansaient quelques jeunes. La plupart des invités avaient mon âge, mais il y avait aussi des adultes, pour la forme. Les invités, réunis en petits groupes, parlaient et riaient, ou étaient assis aux tables avec des plats débordants de nourriture. Je reconnus quelques jeunes de l’école, soit parce que nous avions été dans la même classe, ou parce que je les avais accueillis avec un panier CHH.

    — Trinidad ! Amber !

    Je me retournai pour faire face à Jessica Bradley, superbe dans une robe bain de soleil saphir qui mettait en valeur ses yeux bleus et sa douce peau olive. Agitant sa main où brillaient plusieurs bracelets, elle s’approcha de nous avec grâce, projetant vers nos joues des baisers en vol. Je me pinçai presque pour m’assurer que je ne rêvais pas. On aurait vraiment dit un moment glamour dans un film.

    — Vous êtes arrivées ! Je suis tellement heureuse, dit Jessica avec une sincérité qui me mit à l’aise.

    Enfin, presque. J’étais bien plus habituée aux fêtes de famille qui se tenaient dans un salon bondé. Un château, des domestiques, des traiteurs… Wow ! Pourquoi ma vraie vie ne pouvait-elle pas ressembler à cela ?

    — Salut, Jessica, répondis-je en me grattant à la dérobée. Désolée. Nous sommes en retard. Ce n’est pas la faute de ­Trinidad. J’ai tourné au mauvais endroit et…

    — Pas besoin d’expliquer, interrompit-elle en hochant la tête, faisant ainsi osciller ses boucles noires. Tout le monde est en retard. C’est impoli et démodé d’arriver à temps.

    — Hé bien, tout pour ne pas être impolies, plaisantai-je.

    Jessica se retourna vers Trinidad.

    — Tu es superbe ; c’est un original de Kiana, n’est-ce pas ?

    — Ouais, répondit Trinidad. Kiana est tellement nouvelle, je ne peux croire que tu reconnaisses ses créations !

    — Je connais tous les créateurs de mode importants. J’ai failli acheter un ensemble semblable, mais on ne l’avait qu’en jaune, ce qui est tragique sur moi. Mais sur toi, c’est fantastique ; et j’adore les fils brillants incor­porés à ta natte.

    — Merci.

    Semblant tout à fait à l’aise, Trinidad fit éclater son sourire de future diva.

    — Amber, dit Jessica en se tournant vers moi. Tu… hum… as un style tellement unique. Je n’aurais jamais le courage de porter une chemise de gars, mais ça a l’air tellement… original sur toi.

    — Euh… merci.

    Je suppose.

    — Je suis tellement contente que tu sois venue. Pas seulement parce que tu as emmené Trinidad — ce qui était incroyablement gentil de ta part —, mais avec toute ton expérience dans le club de paniers, je suis certaine que tu apporteras beaucoup d’idées créatives au comité de planification de notre œuvre de charité. C’est important de recueillir de la nourriture pour les jeunes qui ont faim. Je sens que c’est notre devoir de faire tout notre possible. N’es-tu pas d’accord ?

    — Absolument.

    — Comme elle est nouvelle, je vais aller présenter Trinidad aux invités. Amber, mets-toi à l’aise et profite du buffet.

    Jessica fit un signe de la main vers une table remplie d’assiettes et de plats différents. Puis, elle se précipita vers un type blond nommé Tristan, que je reconnus parce qu’il était dans ma classe de trigonométrie — un sale type arrogant qui essayait de copier sur moi pendant les examens.

    Je me versai un verre de punch rosé à la fontaine et je me promenai parmi les gens, souriant et rappelant à des camarades de classe qui j’étais. Je recevais des regards sans expression. Je n’avais jamais de difficulté à parler avec Alyce et Dustin, et j’aurais aimé qu’ils soient ici. Mais ils dédaignaient la « haute société » ; ce genre d’occasion n’était assurément pas leur type de fête préféré. Je n’étais pas non plus certaine que ce fut le mien — même si le livre Devenir votre destin conseillait de vivre de nouvelles expériences.

    Le buffet fut une délicieuse nouvelle expérience. Je grignotai des cuisses de poulet épicées et des nouilles orientales pendant que j’examinais les alentours pour trouver un visage amical. À l’autre bout de la pelouse, sous un belvédère, je repérai Trinidad avec Jessica et quelques-uns de ses amis. Je me dirigeais vers elles quand je remarquai que les chaises étaient toutes occupées. Ce pouvait être gênant. Je m’affalai donc près d’une femme bavarde, avec des cheveux bien coiffés aux reflets bleu argenté. Leisl, comme elle m’a demandé de l’appeler, était la grand-tante de Jessica. Après 20 minutes à écouter ses histoires, je m’enfuis vers le buffet de desserts.

    Confession : j’ai une passion pour le chocolat. J’ai un besoin impérieux, une grande soif, une obsession pour le chocolat — c’est pourquoi la taille de mes vêtements a deux chiffres. C’est une obsession honteuse, une lutte constante. Une fois que je commence à manger du chocolat, abandonnez tout espoir. Je ne peux pas m’arrêter.

    — Essaie les truffes aux pacanes.

    Je me retournai pour faire face à un type de taille moyenne avec des boucles brunes serrées et des yeux noisette. Pourquoi me semblait-il si familier ? Il devait fréquenter la même école que moi, mais j’étais incapable de me souvenir de son nom.

    — D’accord, répondis-je, déposant une truffe aux pacanes dans ma bouche.

    Riche chocolat au lait et noix croustillantes. Le bonbon fondait dans ma bouche.

    Le type hochait la tête, et mâchait sa propre bouchée chocolatée. Il pointa vers un plat rempli de carrés blancs tachetés de points rouges. Je hochai aussi la tête, j’avalai le trésor au chocolat, et j’essayai un des carrés blancs.

    Je gémis de plaisir.

    — Oh, c’est teeeellement bon.

    — Une fine connaisseuse de chocolat.

    — Ces desserts sont sensationnels. Il y en a tellement en un seul endroit !

    Son regard parcourut la table.

    — Il y a 37 assiettes avec environ 25 bonbons sur chaque assiette, en tenant compte de la diversité des tailles, ça nous donne environ…

    — Exactement 925 bonbons, terminai-je.

    Ses yeux noisette s’ouvrirent grand ; il était, de toute évidence, impressionné.

    — Je suis maniaque des maths, admis-je.

    — Toi aussi ?

    — Les mathématiques sont logiques.

    — Et il n’y a pas grand-chose d’autre de logique, dit-il en hochant la tête.

    — De plus, être bonne en chiffres me sera utile quand je commencerai ma…

    Je me couvris la bouche, choquée d’avoir presque confié mon ambition secrète à un étranger.

    — Commencerai quoi ?

    Il pencha sa tête brune bouclée.

    — Rien.

    — Allez… tu ne peux pas me laisser comme ça, face à une équation inconnue. Ce soir, je ne pourrai pas dormir à essayer d’imaginer la réponse.

    Je ris, le trouvant encore plus sympathique. Il dégageait une dignité tranquille et de l’intelligence ; quelqu’un à qui l’on pouvait se fier. Jetant un regard aux alentours pour m’assurer que personne ne regardait, je baissai la voix :

    — Je serai agente de spectacle ; je m’occuperai de personnalités, de contrats, de finances.

    — Tu seras extraordinaire là-dedans, je le sens.

    — Tu crois ? demandai-je, ridiculement charmée.

    — Tout à fait. Pourquoi agente ? La plupart des gens veulent être la prochaine American Idol, pas une personne derrière la scène.

    — Parce que j’ai toujours aimé la musique et… bien… je ne sais pas pourquoi je te dis tout ça… mais pour être honnête, je n’ai aucun talent. Je ne sais pas chanter, jouer ou danser. Mais j’aime aider les gens et je reconnais le talent quand je le vois.

    — Pour moi, ça semble un talent cool, plus excitant que de vendre des voitures comme mon père — ce à quoi s’attend ma famille.

    — Mais est-ce ce que tu veux ?

    — Non, mais je ne sais pas ce que je veux — à part d’autre chocolat.

    Il lécha le caramel de sa lèvre et fit un geste vers la table de dessert.

    — Il y a près de mille bonbons parmi lesquels choisir. Quel est le prochain ?

    — Je n’en ai aucune idée.

    — Essayons-les tous.

    Je fis appel à ma retenue et je hochai la tête.

    — Je dois arrêter. Sinon, je le regretterai plus tard.

    — Pourquoi ? Le meilleur de cette fête, c’est le chocolat. Du moins, ce l’était.

    Il lança un sourire vraiment gentil qui illuminait son visage, autrement très moyen. Hum, est-ce qu’il était en train de flirter avec moi ?

    Je regardai au loin, mon cœur battant plus vite, et je pointai une assiette de chocolats avec des bandes noir et blanc.

    — D’accord, juste un de plus… Mais lequel ? Ceux-ci ressemblent à des bonbons zèbres.

    — Bonbons zèbres ?

    Il sourit.

    — C’est un bon nom.

    — Et toi, as-tu un nom ? Je veux dire, je sais que tu as un nom, tout le monde en a un, ce que je veux dire, c’est… comment t’appelles-tu ?

    — Eli. Et tu es Amber.

    Mes joues se mirent à brûler.

    — Est-ce que je te connais ?

    — Quand mon frère et moi sommes partis de cette ennuyeuse école privée et que nous avons commencé à Halsey, tu nous as offert un panier de bienvenue génial.

    — C’est vrai ?

    Je l’examinai, mais j’avais un trou de mémoire.

    — Je me souviens généralement des noms, mais je ne me souviens pas…

    — Ça m’arrive souvent quand je suis avec mon frère.

    Il tendit le bras pour prendre l’un des chocolats zébrés noir et blanc.

    — Essaie un zèbre. On les appelle habituellement des chocolats dominos, mais zèbre est encore mieux. Maintenant, c’est comme ça que je les appellerai.

    Il souleva un « zèbre » jusqu’à mes lèvres. À nouveau, je me sentis troublée, et j’hésitai. Mais j’entrouvris légèrement les lèvres, enroulant ma langue autour du bonbon. Le doux chocolat au lait glissa sur mes papilles et descendit dans ma gorge.

    — Bon ? demanda-t-il doucement.

    — Miammm, fut ma réponse.

    Nos yeux se croisèrent au-dessus de la table de desserts. Nous partageâmes un moment de compréhension chocolatée. Aussi cliché que cela puisse paraître, on aurait dit que nous étions les seuls à la fête. Le son de la musique s’éclipsa, et je n’entendis plus que les battements rapides de mon cœur, accompagnés par la richesse du chocolat fondant.

    Puis, il baissa les yeux et enleva d’une chiquenaude un morceau de bonbon qui était tombé sur ses pantalons noirs. Il cogna son coude sur la table, et les assiettes firent du bruit. Il frotta la tache sur ses pantalons, mais elle grossit encore plus.

    Une expression bizarre passa sur son visage.

    — Je… je dois partir.

    Avant que j’aie le temps de lui demander ce qui n’allait pas, il se retourna et disparut à l’intérieur, à travers les portes françaises.

    Pourquoi était-il parti ? Avais-je fait ou dit quelque chose qui l’avait offensé ?

    Déçue, je me retournai vers la table à desserts.

    Et je tendis la main vers le chocolat.

    3

    Après qu’Eli fut parti, la fête n’était plus aussi enchanteresse.

    J’avais tout simplement envie de rentrer à la maison — cela me surprit. Qu’en était-il de toutes mes ambitions d’établir des liens avec des gens influents ? Facile, en théorie, mais au beau milieu de l’action, je me sentais malhonnête. J’avais décidé de trouver Trinidad pour voir si elle était prête à partir.

    En m’approchant du belvédère, j’entendis qu’on prononçait mon nom. Curieuse, je m’arrêtai un moment derrière un immense arrangement floral. Jetant un coup d’œil à travers les orchidées, je pouvais apercevoir Trinidad avec Jessica et d’autres personnes de la bande de Leah : Kat, Tristan et Moniqua.

    — … j’ai failli ne pas venir, mais c’est Amber qui m’a emmenée, dit Trinidad.

    Elle était assise tellement proche de Tristan qu’il partageait pratiquement sa chaise avec elle. Qu’est-ce que cela pouvait signifier ?

    — Amber, c’est la hippie dans l’affreuse chemise de gars ? demanda Kat avec un rire moqueur.

    Kat ne se souvenait-elle pas que je l’avais accueillie il y a deux ans avec un panier CHH, et qu’elle m’avait dit que j’étais la plus gentille fille de toute l’école ? Je suppose que non.

    — Ouais, c’est elle, répondit Jessica.

    — Beurk… un cauchemar côté mode !

    La queue de cheval blonde de Kat tombait sur ses épaules pendant qu’elle croisait ses longues jambes couvertes de denim. Ses bottes de cowboy parsemées de faux diamants étincelaient.

    — Au début, quand elle est entrée, je l’ai prise pour… genre… une sans-abri. Je me demandais si je devais appeler les policiers ou lui donner de l’argent pour s’acheter des vêtements décents.

    — Donner de l’argent aux pauvres de la mode, plaisanta ­Jessica. Notre prochain projet caritatif.

    — Une perte de temps, ajouta Kat. C’est évidemment une cause perdue.

    — Amber est une gentille fille, avança Trinidad pour me défendre. Ce n’est pas sa faute si elle porte cette affreuse chemise. Quand elle est venue me prendre en voiture, elle paraissait bien, mais elle a ruiné sa blouse en tombant dans le cimetière.

    — Dans le cimetière ! Es-tu sérieuse ?

    Je reconnus la voix de Moniqua parce qu’elle riait toujours très fort quand je trébuchais dans le cours de gym. Alors que Kat pouvait être « vache » à en être même agaçante, Moniqua était simplement mesquine.

    Trinidad avait la décence de montrer qu’elle avait honte.

    — Pourrions-nous discuter d’autre chose ? J’aurais dû ne rien dire.

    — Mais maintenant, tu l’as fait, et nous voulons savoir, insista Moniqua. Que faisait-elle dans un cimetière ?

    — Hum… je ne crois pas qu’elle aimerait que j’en parle.

    Ça, c’est sûr, songeai-je.

    — Mais ça reste entre nous.

    Kat tapota la main de Trinidad.

    — Fais-moi confiance ; nous ne répéterons rien de ce que tu nous dis. Est-ce quelque chose d’illégal ? Amber était-elle en train d’accomplir un rituel satanique ?

    — Rien de tout ça ! Bien… peut-être que je devrais expliquer.

    Trinidad regarda les autres avec hésitation, puis elle haussa les épaules.

    — Nous sommes entre amis… donc ça ne peut pas faire de mal…

    Non ! Je me précipitai presque pour placer ma main sur la bouche de Trinidad. Mais de toute façon, il aurait été trop tard. Trinidad prouvait que le chant n’était pas son unique talent — elle était en train de faire passer mon humiliante expérience pour une aventure macabre remplie de stupidité. Elle était en train de rire avec ses nouveaux amis… alors que moi, à l’intérieur, je mourais.

    — Je ne suis pas surprise qu’elle soit perturbée, ajouta ­Tristan alors qu’il se rapprochait encore plus de Trinidad. Amber est dans ma classe de trigo et elle passe son temps à essayer de copier sur moi. Pourquoi l’as-tu invitée, Jess ?

    — Elle était toute du genre « je veux vous aider ». Alors que pouvais-je dire ?

    Jessica tendis les bras en haussant les épaules.

    — Elle s’est presque agenouillée pour me supplier. Vous savez ce qu’on dit : charité bien ordonnée commence par soi-même.

    — Tu es teeellement gentille, s’exclama Kat. Leah n’inviterait jamais une perdante à une de ses fêtes.

    — Leah n’est pas ici, et elle n’a pas retourné mes messages textes ni mes courriels.

    Jessica fit une moue de dépit.

    — J’ai entendu dire qu’elle et Chad ont séché les cours, mais ne pensez-vous pas qu’elle aurait au moins pu m’en parler ? Je ne sais pas ce qui se passe avec Leah dernièrement. Elle est tellement… distante.

    — Pas avec Chad, je parie, dit Kat en riant.

    — Ce qu’ils font ne m’intéresse absolument pas. Et Leah n’a pas à me dire quoi faire, donc si je veux qu’Amber soit dans le comité de collecte de fonds, elle y sera.

    — Mais elle est si pathétique, comment allons-nous nous y prendre avec elle ? grogna Moniqua.

    — Ne vous inquiétez pas, répondit Jessica avec entrain. Amber peut s’occuper de tous les sales trucs, comme peindre des affiches.

    — Notre propre esclave débile, ajouta Kat en riant.

    — Ça ne me semble pas juste.

    Trinidad se mit à remuer sur sa chaise comme si elle était mal à l’aise.

    — Mais je suppose que ça ne dérangera pas Amber, puisqu’elle veut aider. Elle sera fantastique comme membre de votre comité.

    — Ouais, une fantastique emmerdeuse, grogna Tristan. Vraiment, Trinidad, comment as-tu pu sur­vivre à te faire conduire en voiture jusqu’ici par cette fille ? Au moins, tu ne seras pas obligée de rentrer avec elle. Je te reconduirai là où tu veux.

    — Ooh !

    Kat claqua des mains.

    — Tristan et Trinidad ; avec de tels noms, on dirait que vous étiez destinés à vous rencontrer.

    — Qu’est-ce que tu en penses, Trin ?

    Tristan entoura doucement la minuscule taille de Trinidad de son bras.

    — Laisse tomber la paumée, et je te ramène chez toi dans mon Hummer ; éventuellement.

    — Tu as un Hummer ? Wow, c’est vraiment génial. Mais je ne sais pas… je veux dire… il faut que je vérifie d’abord avec Amber. Elle a été incroyablement gentille avec moi.

    — Elle est toujours gentille, d’une manière ardente et révoltante, se plaignit Moniqua. Cela me rend malade de voir qu’elle ne se rend pas compte de ce qui se passe. Son club de paniers est une grosse plaisanterie. Elle le prend au sérieux, mais tout le monde se moque de son club. Nous, on les appelle les ratés des paniers.

    — C’était peut-être une erreur de l’inviter, dit Jessica en fronçant les sourcils. Mais elle veut tellement faire plaisir. Nous nous arrangerons pour l’occuper et l’enlever de notre chemin.

    L’enlever de leur chemin ? Comme si j’étais une maladie !

    Je me sentis couverte de honte et j’avais les larmes aux yeux. J’avais eu tellement hâte de venir à cette fête. Je m’étais servie de mon argent de garde d’enfants pour acheter la blouse qui était maintenant ruinée, et j’avais préparé une liste d’idées de collectes de fonds pour impressionner Jessica. J’avais supporté de me perdre en chemin, d’escalader une barrière de cimetière, et j’avais enduré des orties piquantes.

    Et pour quoi ?

    L’humiliation totale.

    J’aurais voulu devenir invisible et partir furtivement. Mais je ne pouvais pas laisser tomber Trinidad, même si elle le méritait. La colère me poussa à sortir de ma cachette. Je quittai donc l’arrière du plant en pot pour me placer à un endroit où tout le monde pouvait me voir, puis je m’avançai d’un pas lourd vers la table.

    Les bras croisés sur ma poitrine, je fis face à Trinidad.

    — Je m’en vais, lui dis-je de la voix la plus calme possible.

    — Aussi tôt ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

    Trinidad repoussa la main de Tristan qui était sur son bras, et elle se leva.

    — Amber, es-tu malade ?

    — Oh, tu parles que je suis malade. De l’hypocrisie.

    — Que veux-tu dire ?

    — Je ne suis l’esclave débile de personne. Tu peux rentrer chez toi avec lui.

    Je pointai Tristan, refusant de prononcer son nom.

    — Étais-tu en train de nous espionner ?

    Tristan plissa les yeux.

    Je lui lançai un regard noir, m’accrochant à la colère pour ne pas pleurer.

    — Tu nous as entendus ? demanda Jessica, qui paraissait un peu effrayée. Nous étions simplement en train de dire n’importe quoi. Je suis désolée, nous ne voulions pas…

    — Ne perds pas ton temps, Jess, interrompit Moniqua. Ne lui fais pas d’excuses. Les oreilles indiscrètes n’entendent que ce qu’elles méritent.

    — Ouais, convins-je avec tristesse. La vérité.

    Puis je quittai la fête.

    • • •

    Je pleurais tellement que j’avais de la difficulté à voir à travers le pare-brise.

    Pour cesser de penser, je mis la radio au plus fort et je chantai à pleins poumons. Je ne connaissais même pas les paroles de la chanson ; je bousillais donc les paroles… comme je bousillais toute ma vie. J’espérais qu’un camion s’écrase sur moi ou qu’un éclair frappe ma voiture. Mais il n’y avait même pas un nuage, encore moins de la foudre dans le ciel, et tous les camions sur la route étaient assez sages pour m’éviter.

    Je fus presque surprise d’arriver saine et sauve à la maison.

    Seulement, je ne pouvais trouver la force nécessaire pour sortir de la voiture. Pourquoi me déranger ? Ma vie était finie. Le simple fait de toujours respirer n’était qu’une cruelle ironie.

    Il n’était pas question d’avancer ou de reculer, mais simplement de rester assise ici dans la région des limbes. Je ne pouvais supporter de parler à qui que ce soit ; il était donc hors de question d’entrer dans la maison. Il suffisait à maman de jeter un coup d’œil à mon visage pour savoir que j’étais bouleversée ; elle m’assommerait de questions. Puis, elle raconterait toute l’histoire à mon père et insisterait pour en discuter dans une réunion de famille.

    Je restai donc simplement assise dans la voiture, avec le moteur qui tournait encore, me noyant dans des pensées noires et désespérées.

    Je jetai un coup d’œil à mon bracelet porte-bonheur, essayant de l’arracher de mon poignet.

    Il m’avait apporté beaucoup de chance — juste de la mauvaise chance.

    Dès lundi matin, les rumeurs et les potins se répandraient dans l’école. Ratés des paniers, ratés des paniers ! Était-ce vraiment ce que tout le monde pensait de mon club ? De moi ? Alyce et ­Dustin étaient-ils mes seuls vrais amis ? Est-ce que tout le monde riait de moi comme si j’étais une plaisanterie pathétique ? Je ne pourrais jamais retourner à l’école. Il me faudrait transférer dans une autre école ou décrocher. Mais si je décrochais, cela voudrait dire que je n’irais jamais à l’université et que je n’aurais jamais de belle carrière. Si je demandais à maman de me faire la classe à la maison, elle refuserait tout simplement, puisqu’elle avait déjà un mal fou à s’occuper d’élever les triplées. Alors que pouvais-je faire ?

    Je ne pouvais pas simplement laisser l’école — mais comment pourrais-je y rester ?

    Entendant une voiture, je levai les yeux vers le camion de la poste qui ralentissait devant ma maison. La factrice, Sheila, me vit et me salua. Elle et moi étions devenues amies après que j’eus envoyé des tonnes de demandes de bourses et que je courais à sa rencontre chaque jour. Mais aujourd’hui, je ne voulais pas lui parler et l’entendre se plaindre de son mal de dos chronique et me raconter que son beau-frère était retourné en prison. Je me penchai donc dans la voiture et priai pour qu’elle parte.

    Sheila me salua à nouveau et cria mon nom.

    Juste ce dont je n’avais pas besoin.

    Mais elle continua de crier pour attirer mon attention. Si je ne répondais pas, mes parents sortiraient de la maison. J’essuyai mes larmes, arrangeai mes cheveux pour cacher partiellement mon visage, et m’avançai avec un semblant de sourire.

    — Amber, regarde mes nouvelles roues ! me dit joyeusement Sheila.

    — Tu as fini par obtenir un autre camion de poste, lui dis-je avec un enjouement forcé. Génial.

    — N’est-il pas beau ? Sauf que c’est une transmission manuelle et que l’embrayage est peu détraqué. Je suis encore en train de m’habituer. Mais assez parlé de moi.

    Elle tendit le bras pour chercher une lettre sur ses genoux.

    — J’ai de bonnes nouvelles pour toi. La bourse que tu attendais !

    Probablement qu’ils me refusent, pensai-je. Mais je ne voulais pas gâcher la bonne humeur de Sheila. Je continuai donc à sourire et je pris la lettre.

    — Bien, ouvre-la, insista Sheila.

    J’hésitai, puis je haussai les épaules et je déchirai l’enveloppe.

    Les premières lignes me sautèrent au visage : Félicitations ! Nous sommes heureux de vous offrir…

    Oh mon Dieu ! J’ai obtenu la bourse !

    En un instant, je sautai et criai de joie. Sheila rit et me félicita, puis elle me dit qu’il fallait qu’elle termine sa tournée. J’entendis un affreux bruit d’embrayage tandis que sa voiture faisait un mouvement saccadé vers l’avant, avec les pneus qui crissaient.

    Je lus la lettre, puis je la relus. Félicitations. Nous sommes heureux de vous offrir une bourse à l’université de votre choix dans l’État de la Californie. Nous avons évalué votre candidature…

    Je suis certaine que mes yeux étaient aussi grands et aussi ronds que tous ces charmants zéros. Je tombai presque à genoux pour embrasser le pavé.

    Totalement, totalement incroyable ! Tous mes rêves se réalisaient et m’arrivaient soigneusement pliés dans une enveloppe. Mamie Greta avait tellement raison. J’avais un avenir — et il était exceptionnel ! Je pourrais aller n’importe où et être tout ce que je voulais.

    J’étais en train de serrer la lettre dans mes bras, poussée par le désir de me précipiter pour raconter la bonne nouvelle à mes parents, quand j’entendis un vrombissement de moteur, des roues qui crissaient et un hurlement.

    Puis, le nouveau camion postal de Sheila, qui roulait dangereusement en marche arrière, inarrêtable, fonça directement sur moi.

    Et je mourus.

    4

    Une lumière dorée brillait avec tellement de force que j’aurais dû avoir mal aux yeux, mais non. Rien ne me faisait mal.

    Ça ne me piquait même pas.

    Entourée de nuages de lumière éblouissante, je ressentais une joie incroyable, étonnante. Je n’étais nulle part en particulier, mais d’une certaine manière j’étais partout ; cela n’avait aucun sens.

    Rêver. Ouais, je devais rêver. Je flottais, je volais, une envolée de doux rêves. Il y avait aussi de la musique, un orchestre de musique angélique, pure comme du cristal. Quand les nuages se dissipèrent, je vis une femme qui glissait vers moi, les bras tendus, un large sourire éclairant son visage. Un sourire qui m’était si cher et que je ne m’attendais pas à revoir. Du moins, pas sur la Terre.

    Était-il possible que je sois… ?

    — Pas tout à fait, dit Mamie Greta, me serrant les mains et scrutant les profondeurs de mon cœur.

    Bizarrement, elle n’avait aucune ride, et ses cheveux étaient brun foncé, plutôt que gris argenté. Elle portait des pantalons beiges

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