Poing levé

Par Yaël Hassan

Junior est un collégien en classe de 4e. Leur professeur de français leur a demandé de rédiger la biographie documentée d’une personnalité qui a tenté de changer le monde. À la lumière de la mort de George Floyd et des nombreuses manifestations antiracistes qui s’ensuivirent à travers le monde, le jeune homme choisit de raconter la vie de Tommie Smith, athlète afro-américain qui s’était distingué par son poing levé aux Jeux olympiques de 1968.

Ce roman s’inscrit dans une temporalité bien particulière : celle du confinement, des cours virtuels, de l’éloignement du collège et de ses contraintes, de la découverte des voisins et des voisines… et peut-être même de l’amour.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Yaël Hassan est née à Paris dans les années 1950. Après avoir passé son enfance en Belgique, son adolescence en France et sa jeunesse en Israël, elle est revenue en France en 1984 pour s’y installer de manière définitive. Victime d’un accident de la route en 1994, elle met à profit le temps d’une très longue immobilisation pour rédiger son premier roman, Un grand-père tombé du ciel, qui remportera de nombreux prix – parmi lesquels le prix du roman jeunesse 1996 du ministère de la Jeunesse et des Sports. Depuis, ses livres ont été lauréats de très nombreux autres prix littéraires (les Incos, le prix Chronos, le prix Sorcières, etc.) et son succès auprès des jeunes lecteurs et lectrices ne s’est jamais démenti.

• Langue: Français
• Éditeur: Le Muscadier
• Date de sortie: 3 juil. 2023
• ISBN: 9782383020462

Aperçu du livre

27 mai 2020

JT de 20 heures – France 2

États-Unis : quatre policiers licenciés

après la mort d’un homme noir

100002010000005C000000457B8C774F90100C4A.png Je suis né le 6 juin 1944 à Clarksville au Texas. Ouais, le 6 juin, le D-day, comme on l’appelle chez nous. Tandis que nos valeureux GI’s débarquaient en Normandie, ma mère, Dora Smith, donnait le jour au septième de ses gamins. Avant moi étaient nés Willie Jewel, James Richard Jr, George, Lucille et les jumelles Sally et Hatty. Après moi, Ernie, Mary, Gladys, Nudy et Elizabeth vinrent encore agrandir la famille. Douze enfants ! Quatorze même si l’on compte les deux autres garçons que Dora avait perdus. Mais bon, ainsi va la vie. D’ailleurs, Dora a bien failli me perdre, moi aussi. J’avais effectivement contracté une saleté de pneumonie peu de temps après ma naissance. Mais, doté d’une solide constitution, j’ai survécu, pour le meilleur et pour le pire. 100002010000005C00000045D978D8904BEDE4D3.png

Junior relit les premières phrases du travail donné conjointement par leur prof de français et celui ­d’histoire-géo – de quoi les occuper pleinement pendant le confinement.

Le sujet : « Biographie documentée d’une personnalité qui a tenté de changer le monde. »

Contrairement à un grand nombre de ses camarades de classe, il n’a eu aucun mal à trouver son héros. Tommie Smith, il le connaît depuis qu’il est tout petit, grâce à son grand-père Marvin, grand amateur de sport en général et d’athlétisme en particulier. Et puis, quand, la veille, il a entendu parler pour la première fois de George Floyd, cet homme noir arrêté à Minneapolis, plaqué au sol et maintenu jusqu’à ce que mort s’ensuive sous le genou d’un policier blanc, c’est à Tommie Smith qu’il a immédiatement pensé.

Junior a aussitôt appelé son grand-père en FaceTime. Celui-ci, à l’heure de sa retraite, est retourné vivre dans sa Marie-Galante natale, après de longues années de bons et loyaux services dans la police nationale, justement.

Junior passe tous ses étés chez ses grands-parents mais, cette année, avec le confinement, il ne pourra probablement pas s’y rendre.

Comme à son habitude, Marvin l’accueille par un joyeux :

— Bonjou Junior. Sa ou fé?

Ce à quoi Junior répond, invariablement :

— Salut, Gran-Pé. Ça baigne !

— Je pense connaître la raison de ton appel, ce jour.

Junior sourit. Son grand-père lit à travers lui comme dans un livre ouvert.

Mais voilà que s’affiche à l’écran, juste derrière la bouille souriante de Marvin, la plantureuse silhouette de Marie, sa grand-mère, un ustensile de cuisine à la main.

— Eh Junior ! Comment va trésor ?

— Bien, Gran-Mé. Et toi ?

— Fatiguée, comme d’habitude, lâche-t-elle en s’esclaffant. Et le virus, là, avec tes sœurs qui le côtoient à l’hôpital, il n’a pas fait de dégât, rassure-moi ?

— Non, Gran-Mé. Il est interdit de séjour chez les Bellerose !

— Tant mieux ! Embrasse la famille ! lâche-t-elle en s’éloignant en direction de la cuisine.

— Tu as vu les images sur les réseaux ? demande alors Junior à son grand-père.

— Pas sur les réseaux. Tu sais que ce n’est pas mon truc. Mais j’ai vu à la télé, oui.

— Tu as pensé à Tommie toi aussi ?

— À lui, bien sûr, et à tous les autres… Mais, tu sais, Junior, des pourris, des salauds, il y en a partout, et la police ne fait pas exception. Surtout là-bas, aux Amériques.

Le vieil homme soupire avant de poursuivre :

— Comme quoi, la route est encore longue… Interminable, même.

— Gran-Pé, pour le collège, je dois faire un travail. Raconter la vie d’une personnalité qui a tenté de changer le monde et…

Le rire de Marvin l’interrompt.

— Oh ! je sais d’ores et déjà qui tu as choisi, mon cher Junior.

Le jeune homme sourit.

— Dis-moi, je croyais que l’école ne reprendrait pas avant septembre en métropole ?

— Oui, mais c’est pour nous occuper pendant le confinement, je suppose. En tout cas, ils nous ont demandé de faire ce boulot, pour le moment.

— Je comprends. Alors, mets-toi au travail, mon grand. Car la vie de Tommie Smith, c’est quelque chose.

— Je sais, Gran-Pé. J’ai téléchargé son autobiographie. Mais elle n’existe qu’en anglais, alors je galère un peu.

— Tu devrais aussi consulter le livre de Pierre-Louis Basse, 19 secondes et 83 centièmes.1 Il y consacre de longs extraits, à notre champion. Et le bouquin de Lilian Thuram2, Mes étoiles noires, où tu trouveras quelques lignes intéressantes, également.

— OK, j’ai noté. Merci Gran-Pé. Tu vas bien sinon ?

— Je vais bien. On s’la coule douce, ici, tu sais. Gran-Mé et moi on évite de sortir. On fait juste les courses. Mieux vaut rester prudents à nos âges.

— Oui, soyez prudents, Gran-Pé.

— Je t’embrasse, fiston. Salue la famille ! Et n’hésite pas à faire appel à moi. L’autobiographie de Tommie, j’aurais pu l’écrire moi-même.

Un immense éclat de rire ponctue ses propos, et Junior se déconnecte avec un pincement au cœur. Marvin lui manque tant.

En raccrochant, il reste songeur, un long moment.

En tant que policier, a-t-il eu, lui aussi, parfois recours à la violence pour neutraliser quelqu’un ? Certainement. Ça faisait partie du job. Mais lui-même, à l’époque seul policier noir de sa brigade, a-t-il subi des propos racistes ? Il ne lui a jamais posé la question. Il faudra qu’il le fasse, se dit-il.

« Junior, à table ! » entend-il crier depuis le rez-de-chaussée du petit pavillon de banlieue où il vit avec ses parents et ses deux sœurs aînées, les jumelles Kéziah et Kenza, toutes deux élèves infirmières.

Leur mère, Firmine, tient un salon de coiffure et d’esthé­tique au centre-ville, tandis que Will, leur père, est kiné dans un cabinet médical. Si tous deux, du fait du confinement, n’ont plus aucune activité, ça n’a pas été le cas de leurs filles, réquisitionnées depuis le début de la crise sanitaire pour prêter main-forte à l’hôpital. Et celles-ci n’ont pas chômé durant le pic de la pandémie. Elles en ont même sacrement bavé, les pauvres !

— Vous avez le bonjour de Gran-Pé, lance Junior à la cantonade en rejoignant le reste de la famille.

— Il va bien ? demande Firmine.

— Oui, il a l’air en pleine forme. Il vous salue. Et Gran-Mé vous embrasse.

Dans la cuisine où ils prennent leurs repas, la télé est allumée en permanence. Pour rien au monde les parents ne manqueraient leur JT de 20 heures sur la 2. Aussitôt s’affichent les images des manifestations qui ont éclaté à travers tous les États-Unis, consécutives à la mort de George Floyd.

La famille Bellerose écoute les infos dans un silence monacal. Junior, lui, pense à Tommie Smith et au devoir demandé par leur prof de français. Comment rendre celui-ci aussi original que passionnant ? Il regrette de ne pas pouvoir le présenter oralement à ses camarades de classe. Junior est un peu cabotin, il aime briller. Surtout aux yeux des filles. C’est, par ailleurs, un excellent élève. Il a d’ores et déjà choisi son futur métier. Il sera avocat. Ce qui fait bien rire son grand-père Marvin, qui en a connu, lui, des avocats, durant ses années de service dans la police.

« Mais pourquoi pas ? lui a-t-il dit. Parmi les avocats, il y a de tout, du meilleur au pire. Et j’espère bien que tu feras partie des meilleurs, des grands, des ténors du barreau ! »

Junior y compte bien. Il ne fait pas les choses à moitié. C’est un perfectionniste.

28 mai 2020

JT de 20 heures – France 2

Déconfinement : la France passe majoritairement en vert

100002010000005C000000457B8C774F90100C4A.png Je suis un gars de la campagne. Jusqu’à mes dix-neuf ans, je n’ai jamais vécu dans ce qui ressemblerait à une ville. Même si c’était un sacré bled comparé à Acworth où mes parents se sont installés par