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Introduction au marché intérieur: Libre circulation des marchandises
Introduction au marché intérieur: Libre circulation des marchandises
Introduction au marché intérieur: Libre circulation des marchandises
Livre électronique1 297 pages15 heures

Introduction au marché intérieur: Libre circulation des marchandises

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À propos de ce livre électronique

Le marché intérieur, héritier du marché commun qui a longtemps symbolisé la Communauté européenne, reste une des principales réalisations de l’Union européenne.

Ce quatrième volume de la grande matière « Marché intérieur » du Commentaire J. Mégret porte sur deux thèmes différents mais complémentaires, une introduction au marché intérieur, d’une part, et une étude de la libre circulation des marchandises, d’autre part.

Cette analyse économique, réalisée par l'Institut d'études européennes et divisée en deux grandes parties, souligne que le marché intérieur ne se limite pas aux quatre libertés qui le composent et qu’il ne doit pas être envisagé uniquement comme un espace de libre circulation mais aussi comme un ensemble normatif encadrant les libertés.

EXTRAIT

Le marché intérieur constitue aujourd’hui encore la principale réalisation de l’Union européenne1. Il forme le socle de la construction européenne et représente le creuset à l’intérieur duquel se déploient les activités de l’Union européenne. Héritier du marché commun, auquel on assimilait volontiers la Communauté européenne dans ses origines premières, le marché intérieur représente aujourd’hui un ensemble de plus de cinq cents millions de personnes, à l’intérieur duquel selon le vœu des pères fondateurs de l’Union européenne, la libre circulation des personnes et des marchandises ainsi que des autres facteurs de production, est assurée conformément aux dispositions des traités. C’est probablement le domaine du droit de l’Union qui fait le plus consensus entre les Etats membres. Même les plus minimalistes de la construction européenne s’y retrouvent, dans la mesure où le libre-échange ou la liberté des échanges est censée produire des effets économiques favorables pour tous les partenaires. ontrairement à certaines idées reçues, le marché intérieur n’est pas figé. Il évolue constamment dans le sens d’une sophistication croissante et doit se protéger régulièrement contre les tentatives de retour en arrière des Etats et même d’opérateurs publics et privés, désireux de réintroduire de nouvelles entraves. Le marché intérieur constitue donc une création permanente, qui doit aussi se fixer à échéance régulière de nouveaux objectifs, comme ce fut le cas à l’occasion du vingtième anniversaire de son « ouverture » (chapitre I). Ainsi conçu, le marché intérieur doit non seulement être entendu comme une espace au sens territorial ou géographique du terme mais aussi comme une somme, un ensemble normatif encadrant les libertés fondamentales de circulation et qui bénéficie aux opérateurs économiques européens effectuant cependant des échanges principalement entre les Etats membres (chapitre II).

À PROPOS DE L'AUTEUR

Autour de Claude Blumann, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), coordonnateur de la grande matière « Marché intérieur » et du présent volume, l’ouvrage réunit des spécialistes confirmés de la matière : Brunessen Bertrand, professeure à l’Université de Rennes I, Loïc Grard, professeur à l’Université de Bordeaux, Fabienne Peraldi-Leneuf, professeure à l’Université Paris Sud, Yves Petit, professeur à l’Université de Lorraine, et Christophe Soulard, conseiller à la Cour de cassation.
LangueFrançais
Date de sortie22 mai 2019
ISBN9782800416847
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    Aperçu du livre

    Introduction au marché intérieur - Christophe Soulard

    Avant-propos

    Le présent ouvrage constitue le quatrième volume de la grande matière « Marché intérieur ». Il fait suite à la libre circulation des personnes et des capitaux ainsi que l’harmonisation des législations nationales (premier volume paru en 2006), au marché intérieur et la protection de l’environnement (deuxième volume paru en 2010) ainsi qu’à la politique agricole commune et la politique commune de la pêche (troisième volume paru en 2011).

    Cet ouvrage comporte deux parties distinctes – deux livres distincts – pour reprendre la classification générale dudit ouvrage. La première constitue en réalité une introduction générale au marché intérieur, donc à la grande matière du même nom. Même si cette présentation a lieu au milieu du gué, elle a paru nécessaire pour positionner les différentes libertés de circulation mais aussi et surtout pour montrer que le marché intérieur ne se réduisait pas à ces quatre libertés si fondamentales, anciennes mais toujours renouvelées. L’idée est donc de souligner la spécificité, l’autonomie du marché intérieur par rapport à ses composantes.

    La seconde partie – ou second livre – porte sur ce qui fut longtemps le plus beau fleuron du marché commun et même du marché intérieur : la libre circulation des marchandises. Celle-ci constitue en effet le socle sur lequel s’est fondée non seulement la construction européenne, mais aussi les autres libertés. Celles-ci ont été longtemps à la traîne de leur homologue, qui figure au demeurant en tête de l’énumération classique de ces libertés telle qu’elle résulte aujourd’hui de l’article 26, par. 2, TFUE. Le traité constitutionnel, plus sensible aux préoccupations du moment, avait bien tenté de modifier cet ordre de présentation en plaçant en tête de liste la libre circulation des personnes, mais celui de Lisbonne a préféré en rester aux hiérarchies bien établies.

    Il est vrai qu’aujourd’hui, les questions liées aux personnes, grâce notamment à l’apport de la citoyenneté européenne et au concours des droits fondamentaux de l’Union, attirent plus le regard et notamment celui de la doctrine. Mais il faut savoir résister aux effets de mode et ne pas tomber dans le travers qui consisterait à penser que la libre circulation des marchandises a perdu de son attractivité dans le cadre des libertés fondamentales de circulation et d’intérêt sur le plan scientifique. Ce serait une grossière erreur, tant il est vrai que la construction européenne constitue une chaîne dans laquelle les chaînons les plus anciens sont en même temps les plus solides et probablement les plus résistants. ← 7 | 8 →

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    LIVRE I

    Introduction au marché intérieur

    1. Le marché intérieur constitue aujourd’hui encore la principale réalisation de l’Union européenne¹. Il forme le socle de la construction européenne et représente le creuset à l’intérieur duquel se déploient les activités de l’Union européenne. Héritier du marché commun, auquel on assimilait volontiers la Communauté européenne dans ses origines premières, le marché intérieur représente aujourd’hui un ensemble de plus de cinq cents millions de personnes, à l’intérieur duquel selon le vœu des pères fondateurs de l’Union européenne, la libre circulation des personnes et des marchandises ainsi que des autres facteurs de production, est assurée conformément aux dispositions des traités.

    C’est probablement le domaine du droit de l’Union qui fait le plus consensus entre les Etats membres. Même les plus minimalistes de la construction européenne s’y retrouvent, dans la mesure où le libre-échange ou la liberté des échanges est censée produire des effets économiques favorables pour tous les partenaires.

    2. Contrairement à certaines idées reçues, le marché intérieur n’est pas figé. Il évolue constamment dans le sens d’une sophistication croissante et doit se protéger régulièrement contre les tentatives de retour en arrière des Etats et même d’opérateurs publics et privés, désireux de réintroduire de nouvelles entraves. Le marché intérieur constitue donc une création permanente, qui doit aussi se fixer à échéance régulière de nouveaux objectifs, comme ce fut le cas à l’occasion du vingtième anniversaire de son « ouverture » (chapitre I). ← 9 | 10 →

    Ainsi conçu, le marché intérieur doit non seulement être entendu comme une espace au sens territorial ou géographique du terme mais aussi comme une somme, un ensemble normatif encadrant les libertés fondamentales de circulation et qui bénéficie aux opérateurs économiques européens effectuant cependant des échanges principalement entre les Etats membres (chapitre II).

    A l’intérieur du droit du marché intérieur, un certain nombre de principes généraux émergent et entendent régir les activités économiques qui s’y déploient. Ces principes, comme ceux de liberté ou de non-discrimination dépassent au demeurant le cadre purement économique et ont vocation à acquérir aujourd’hui la qualité de droits fondamentaux (chapitre III).


    1Pour des ouvrages de base sur le sujet : A. MATTERA, Le Marché unique européen : ses règles, son fonctionnement, 2e éd., Paris, Jupiter, 1990 ; E. GAILLARD, D. CARREAU, W. LEE, Le marché unique européen, Paris, Pedone, Etudes internationales, 1989 ; J. MOLINIER et N. DE GROVE-VALDEYRON, Droit du marché intérieur, 3e éd., Paris, LGDJ, 2011 ; V. MICHEL (dir.), 1992-2012 : 20 ans du marché intérieur : le marché intérieur entre réalité et utopie, Bruxelles, Bruylant, 2014. Voy. aussi E. DUBOUT et A. MAITROT DE LA MOTTE (dir.), L’unité des libertés de circulation, in varietate concordia, Bruxelles, Bruylant, 2013 ; L. AZOULAI (dir.), L’entrave en droit du marché intérieur, Bruxelles, Bruylant, 2011 ; P. VAN OMMESLAGHE et V. PIESSEVAUX, « Marché intérieur », Répertoire de droit européen, Paris, Dalloz, 1992. Adde les ouvrages généraux de droit matériel de l’Union européenne : C. BLUMANN et L. DUBOUIS, Droit matériel de l’Union européenne, 6e éd., Paris, Montchrestien, 2012 ; M. FALLON, Droit matériel général de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002 ; C. BOUTAYEB, Droit matériel de l’Union européenne, Libertés de mouvement, espace de concurrence et secteur public, 3e éd., Paris, LGDJ, 2014.

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    Chapitre I

    Le développement du marché intérieur

    3. L’expression « marché intérieur » est relativement récente. Elle remonte à l’Acte unique européen et s’inscrit dans le grand projet de la Commission de relancer un marché commun, plutôt empêtré dans ses difficultés de mise en œuvre et incapable de réaliser l’idéal des pionniers de la construction européenne d’un espace de libre circulation sans entraves en Europe. Les articles 8A et 8B, issus de l’Acte unique européen, envisagent la mise en place d’un marché intérieur, mais ne font pas disparaître les dispositions initiales du traité CEE consacrées au marché commun. Il faudra attendre le traité de Lisbonne, soit plus de vingt ans après, pour que le marché intérieur se substitue en totalité au marché commun (I). Mais qu’il s’agisse du marché commun ou du marché intérieur, celui-ci n’est pas une simple donnée de fait. Comme dans l’ordre interne, la liberté, qu’elle soit politique ou économique, ne va pas de soi et il importe d’adopter un certain nombre de normes ou de comportements pour que celle-ci voie le jour et puisse ensuite se maintenir et s’épanouir. A cette fin, les traités ont prévu plusieurs instruments ou outils qui sont ceux de l’harmonisation et de la reconnaissance mutuelle (II).

    I  Du marché commun au marché intérieur

    1  Le marché commun

    4. Cette notion ou plutôt cet objectif est relativement nouveau dans les relations économiques internationales¹. En effet, en droit international économique, lorsque des Etats veulent se rapprocher ou se regrouper, ils disposent de deux modalités : la zone de libre-échange et l’union douanière. La zone de libre échange est la formule minimale puisque les Etats membres s’engagent à faire disparaître les droits de douane (et le cas échéant d’autres entraves restrictives) dans leurs échanges mutuels mais conservent leur liberté vis-à-vis des tiers. Dans le cas de l’Union douanière, l’engagement porte non seulement sur l’élimination des entraves internes mais également sur l’établissement d’un tarif extérieur ou douanier commun. Il y a donc une « communautarisation » des relations douanières extérieures qui postule souvent en conséquence une politique commerciale commune, ce qui est le cas dans la Communauté européenne, même initiale, qui avait d’emblée prévu que le commerce ← 11 | 12 → extérieur serait globalement une compétence exclusive de la Communauté (ex-article 113 CEE).

    5. Le marché commun va plus loin que l’union douanière. Outre son aspect symbolique déjà évoqué qui l’identifie de facto à l’Europe en construction, son domaine s’étend au-delà de la libre circulation des marchandises, à laquelle se limitent généralement les dispositifs précités, jusqu’à l’ensemble des facteurs de production, soit aux services, aux capitaux et aux personnes – le régime dit des quatre libertés. Mais il semble aussi qu’il englobe des législations ou des normes qui peuvent avoir une incidence directe sur son établissement ou son fonctionnement (ex-article 100 CEE), voire aussi un certain nombre de politiques communes prévues par le traité (politique sociale) ou issues de la pratique des institutions et formalisées par la procédure dite d’adaptation figurant alors à l’ex-article 235 CEE.

    En réalité, ces difficultés d’identification d’un domaine proviennent du traité lui-même qui s’est bien gardé d’en donner une définition mais qui, au travers de ses dispositions matérielles, laisse entendre que ce marché commun constitue une entité en soi, qui dépasse l’ensemble de ses composantes – libertés de circulation et autres.

    6. Plusieurs dispositions du traité CEE d’origine attestent de cette dichotomie. Ainsi, l’article 2 qui expose les missions de la Communauté indique que celles-ci sont atteintes par « l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des Etats membres ». Or, ce qui relève du marché commun et ce qui relève du rapprochement des politiques économiques n’est pas précisé.

    Si l’on doit interpréter cette disposition par référence au seul article 145 qui donne compétence au Conseil pour assurer la coordination des politiques économiques générales des Etats membres, le marché commun occuperait toute la place restante, ce qui conduirait à y englober les politiques communes instituées par le traité. Mais sans aller jusque-là, et si l’on intègre à cette seconde mission ce que le traité dénommait la politique économique et la politique sociale (troisième partie, titres II et III), resterait néanmoins à rattacher au marché commun la substance du titre I, qui englobe les règles de concurrence, les dispositions fiscales et le rapprochement des législations, ce qui montre que même dans cette perspective plus restrictive, le marché commun va bien au-delà des seules libertés de circulation.

    D’ailleurs, les dispositions sur l’agriculture (deuxième partie, titre II) soulignent au demeurant bien que marché commun, marché commun agricole et politique agricole commune sont des éléments étroitement liés et coordonnés. Dans le même sens, l’article 3 du traité qui énumère les domaines d’action de la Communauté, ce qui deviendra plus tard les compétences de l’Union, s’il fait clairement apparaître la réalisation des libertés de circulation (points a à c), n’inclut pas l’établissement ou le fonctionnement du marché commun, ce qui signifie en bonne logique que ce marché commun se réalise au travers de ses différentes composantes, mais en même temps qu’il s’en détache. ← 12 | 13 →

    7. Le traité constitutionnel, à plusieurs décennies de distance, a repris cette conception dans la mesure où il présentait le marché intérieur comme un tout (partie III, titre III, chapitre I) dans lequel venaient se fondre les libertés de circulation (sections 2 à 4), mais aussi les règles de concurrence (section 5) et les dispositions fiscales (section 6) ainsi que des dispositions communes (section 7) principalement dédiées à l’harmonisation des législations.

    Cette vision des choses possède sa logique, en ce qu’elle regroupe sous une même rubrique un certain nombre d’actions qui relèvent de ce que l’on a appelé pendant une certaine époque l’intégration négative, par opposition à l’intégration positive formée des politiques communautaires. Elle présente l’inconvénient de réunir de manière quelque peu contrainte les libertés de circulation et la concurrence, alors même que ces deux domaines paraissent assez différents tant dans leur esprit que dans les règles qui président à leur fonctionnement².

    Le traité de Lisbonne adopte une position plus prudente puisque la concurrence, la fiscalité et l’harmonisation des législations sont nettement dissociées du marché intérieur. Cependant, il consacre à ce dernier un titre entier – le titre I de la troisième partie – comprenant seulement deux articles (26 et 27 TFUE), tandis que les libertés de circulation font l’objet d’un traitement séparé (titre II, libre circulation des marchandises ; titre III, l’agriculture ; titre IV, libre circulation des personnes, services et capitaux), une dissociation qui confirme bien l’autonomie du marché intérieur qui ne se réduit pas aux seules quatre libertés traditionnelles.

    Cette présentation, si elle souligne l’autonomie du concept de marché intérieur, reste cependant en partie insatisfaisante en ce qu’elle laisse à penser que ce dernier se situe sur un pied d’égalité avec les libertés de circulation, alors qu’en réalité, il les englobe tout en les dépassant et en intégrant en son sein en particulier l’harmonisation des législations qui, selon les termes de l’article 114 TFUE, vise à réaliser les objectifs de l’article 26 donc du marché intérieur³.

    8. En réalité, toutes les difficultés initiales liées à la difficile délimitation du marché commun tenaient à l’absence de définition. L’ex-article 8 CEE, localisé dans les principes de la Communauté (première partie) alors que les libertés prenaient place dans une deuxième partie intitulée les fondements de la Communauté, se bornait en effet à indiquer que « le marché commun est progressivement établi au cours d’une période de transition de douze années ».

    S’ensuivait le calendrier de cette période dite de transition, elle-même subdivisée en trois sous-périodes de quatre ans. Il y avait là une parfaite illustration des principes de progressivité et d’effet d’entraînement à la base de la construction européenne. En conséquence de quoi, l’article 8 énonçait toute une série d’actions à entreprendre durant chacune des sous-périodes, le passage de l’une à l’autre devant être conditionné par des résultats et des votes au sein du Conseil. Le même article prévoyait aussi ← 13 | 14 → des possibilités de prolongation ou de raccourcissement, avec même l’éventualité de recourir à une instance d’arbitrage en cas de désaccord entre les Etats membres.

    Il est connu que les dispositions permettant d’assurer la mise en place des libertés de circulation n’ont pu être adoptées en totalité durant la période de transition. Si la réalisation de la libre circulation des marchandises, du moins sous l’angle des droits de douane et restrictions quantitatives ainsi que l’établissement du tarif douanier commun, a pu aboutir pour l’essentiel, il en est allé tout autrement pour les autres libertés. La Cour, dans le célèbre arrêt Reyners⁴, a cependant permis de débloquer la situation en reconnaissant l’effet direct de l’ex-article 52 CEE sur le droit d’établissement. Dans une formule toute empreinte de sagesse, elle a indiqué que « en effet, après l’expiration de la période de transition, les directives prévues par le chapitre relatif au droit d’établissement sont devenues superflues pour la mise en œuvre de la règle du traitement national, celle-ci étant désormais consacrée, avec effet direct, par le traité lui-même ; que, pour autant, ces directives n’ont cependant pas perdu tout intérêt, puisqu’elles conservent un champ d’application important dans le domaine des mesures destinées à favoriser l’exercice effectif du droit de libre établissement ».

    9. Cette jurisprudence a permis à la Cour de se montrer ultérieurement plus précise sur la définition du marché commun. Dans un arrêt Schul du 5 mai 1982⁵, elle a indiqué que « la notion de marché commun telle que la Cour l’a dégagée dans une jurisprudence constante, vise à l’élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d’un véritable marché intérieur »⁶.

    Cette définition s’avère riche d’enseignement dans la mesure où elle confirme bien que le marché commun ne se limite pas aux seules libertés de circulation, mais qu’il vise à faire disparaître toutes les entraves dans les échanges entre les Etats membres. Elle montre également que, pour la Cour, la terminologie ne présente qu’un intérêt relatif puisqu’elle n’hésite pas à tenir quasiment pour synonymes les trois expressions de marché commun, marché unique et marché intérieur. Ce qui compte avant tout, c’est la fusion des marchés nationaux dans un ensemble unique qui, vu tant de l’intérieur que de l’extérieur, s’apparente à un seul marché, un grand marché européen se substituant en quelque sorte aux marchés nationaux. On peut voir là d’ailleurs la base de la jurisprudence visant à réduire au strict minimum les situations purement intérieures⁷, en ce qu’elles ont pour objet ou pour effet de maintenir le cloisonnement des marchés, et donc à s’opposer à la réalisation d’un seul marché européen. ← 14 | 15 →

    2  Le marché intérieur

    §1  Le livre blanc de la Commission

    10. C’est le non-aboutissement du marché commun, non seulement en 1970 à l’expiration de la période de transition mais encore dans les années ultérieures, qui explique l’émergence de ce nouveau projet⁸. La nouvelle commission présidée par Jacques Delors s’est fixé comme objectif principal de relancer la construction européenne et notamment un marché commun languissant. L’ambition était de faire disparaître toutes les entraves résiduelles à la libre circulation.

    Celles-ci ont été classées en trois catégories : les barrières physiques, les barrières techniques et les barrières fiscales. Les premières sont constituées principalement par les contrôles douaniers et policiers subsistants tant sur les marchandises que sur les personnes. Les secondes résultent des disparités entre les législations nationales pour tout ce qui concerne les normes ou réglementations en matière de production, fabrication, distribution, commercialisation des produits et les barrières fiscales découlent en priorité des distorsions affectant les taux de TVA et les accises.

    Le projet s’avérait particulièrement ambitieux en raison notamment de son caractère global, alors même que le traitement juridique de ces différentes entraves postulait le recours à des bases juridiques très différentes et au demeurant pas très faciles à mettre en œuvre en raison de l’exigence d’unanimité notamment pour les dispositions fiscales (ex-article 99 CEE) et l’harmonisation des législations (ex-article 100 CEE). S’agissant de la libre circulation des personnes, les procédures pouvaient sembler plus aisées, puisque la majorité qualifiée suffisait pour de nombreuses mesures concernant le droit d’établissement (ex-article 54 CEE) et les services (ex-article 63 CEE). En tout état de cause, continuait à régner le compromis de Luxembourg et, à défaut d’espace judiciaire européen, les compétences de la Communauté en matière de circulation des personnes restaient encore très limitées.

    11. En dépit de la forte médiatisation de ce projet et de l’engagement à ses côtés d’une grande partie des milieux professionnels et économiques voire de l’opinion publique, on pouvait se demander s’il aurait beaucoup plus de chances que son prédécesseur qui n’avait pas permis de sortir de l’apathie générale de la construction européenne dans les années soixante. Il prévoyait certes un échéancier des réalisations avec comme objectif final et comme terme une « ouverture totale » des frontières à l’horizon 1992 mais, en cela, il ne faisait que copier son prédécesseur. Néanmoins, un certain nombre d’atouts ont permis d’envisager une issue plus favorable.

    Tout d’abord, outre un calendrier précis confirmé ensuite par l’Acte unique européen (ex-articles 100A et 100B CEE), le chiffrage du nombre de mesures envisagées. Initialement, le chiffre de 300 mesures – destiné à frapper les imaginations – avait été avancé, ramené ensuite à 376. ← 15 | 16 →

    En deuxième lieu, le projet s’inspirait du principe du moins légiférant, ce qui constituait le cœur de la nouvelle approche. Dans les sociétés avancées que représentent les pays européens, il y a tout lieu de penser que les législations économiques sont assez proches les unes des autres. Dans ces conditions, nul besoin de légiférer. Il suffit de constater l’équivalence de ces législations et d’en assurer ensuite la reconnaissance mutuelle, ce qui leur donnera en conséquence un label de libre circulation. Lorsque cela ne suffit pas et qu’un besoin de réglementation se fait malgré tout sentir, il importe la plupart du temps de renvoyer à des organismes professionnels, des organismes de normalisation qui édicteront des règles souples plus ou moins contraignantes et susceptibles de s’appliquer pour tous les secteurs économiques concernés. Dans l’hypothèse où il faut franchir un cran supplémentaire et faire appel aux pouvoirs publics, alors le législateur (européen) doit s’en tenir à des règles très générales limitées d’ailleurs à quelques préoccupations d’intérêt public en matière de santé publique, de sécurité publique, de protection de l’environnement et des consommateurs.

    En filigrane également, se posait la question du processus décisionnel. La Commission entendait jouer un rôle plus important en matière d’exécution par le biais d’une codification des procédures de comitologie et en voyant confirmée sa qualité d’exécutif de droit commun⁹.

    En outre, et surtout, il convenait de dépasser le compromis de Luxembourg, source de toutes les paralysies au sein du Conseil, alors seul législateur, en engageant une réforme d’envergure visant d’une part à délaisser ce droit de veto innommé et d’autre part à élargir les domaines de vote à la majorité qualifiée, alors purement théorique au demeurant.

    Enfin, pour atténuer les aspects par trop libéraux du vaste projet de marché unique européen, la Commission proposait l’instauration de politiques nouvelles, dites politiques d’accompagnement, à la césure de l’économique, du social, voire du sociétal, en matière d’environnement et de recherche mais aussi une politique de cohésion économique et sociale en vue de remédier aux déséquilibres régionaux au sein de l’Union et plus globalement à l’ensemble des déséquilibres.

    §2  Consécration du marché intérieur par l’Acte unique européen

    12. S’inspirant très étroitement du livre blanc de la Commission, l’Acte unique européen¹⁰ donne naissance juridiquement au marché intérieur en l’insérant dans le traité CEE aux articles 8A à 8C, puis 100A et 100B. Reprenant le modèle de l’article 8 CEE, l’article 8A commence par indiquer que le marché intérieur doit être établi « progressivement » au cours d’une période expirant le 31 décembre 1992. Mais, dans l’alinéa 2, il va beaucoup plus loin en définissant le marché intérieur comme « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, ← 16 | 17 → des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité ».

    Cette définition permettait de donner enfin une vision synthétique des quatre célèbres libertés de circulation reconnues dès 1957. Le choix du terme « espace » semble assez bienvenu dans la mesure où l’Union européenne, ne dispose pas à proprement parler d’un territoire. Néanmoins ce terme paraît trop réducteur dès lors qu’il semble vouloir limiter ce marché intérieur à un cadre purement géographique, neutre et sans incidences en tant que tel sur les échanges qui se déroulent en son sein.

    Selon Claire-Françoise Durand¹¹, cette formule pouvait conduire à deux interprétations : une interprétation minimaliste en vertu de laquelle la compétence de la Communauté se limiterait à faire disparaître les entraves directes aux libertés de circulation et une interprétation maximaliste consistant à reconnaître aux institutions un pouvoir de réglementation destiné à créer les conditions d’un marché unique. Nul doute aujourd’hui que cette seconde interprétation l’a emporté, eu égard à la densité des réglementations de toute nature adoptées par l’Union qui amènent au demeurant à une très forte diminution des situations purement intérieures pouvant justifier le maintien de réglementations nationales spécifiques, autres que d’application des normes européennes.

    13. L’évocation de la disparition des frontières intérieures – même si le terme frontières doit être pris dans son sens économique – permettait de symboliser le projet européen en soulignant qui plus est son caractère dynamique. Mais il reste que l’abolition des frontières intérieures demeure toute relative dans la mesure où les contrôles policiers subsistent dès lors que l’Union européenne ne dispose pas d’une compétence juridique pour s’y attaquer. Il est certain que la libre circulation des personnes est ressortie grandie de cette définition, dans la mesure où elle devrait bénéficier comme son homologue des marchandises de l’allègement des contrôles de toute nature qui sont exercés aux frontières. Néanmoins, une bonne partie de ces contrôles portant sur la recherche et la poursuite d’infractions pénales, la Communauté ne disposait pas de compétences en ces domaines, même en sollicitant très fortement la procédure d’adaptation de l’ex-article 235 CEE. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en 1985, parallèlement au livre blanc de la Commission, seront conclus les accords de Schengen, alors entre cinq Etats membres seulement, destinés très précisément à faire disparaître l’ensemble des contrôles aux frontières.

    14. Certains commentateurs ont relevé la relative timidité des termes employés, car ces libertés ne sont pas absolues, elles reposent essentiellement sur le traité et restent encadrées par celui-ci, c’est-à-dire par toutes les restrictions et limitations qu’il comporte. ← 17 | 18 →

    Cette limite doit cependant être appréciée dans son contexte, celui du milieu des années quatre-vingt, de plus en plus marquées par une opposition entre certains Etats membres désireux d’aller de l’avant et d’autres plus réticents. Ainsi s’explique que, lors des étapes suivantes visant à renforcer la libre circulation des personnes, avec notamment l’apparition du troisième pilier de l’Union puis sa communautarisation progressive, une rupture se produira menant à faire de « l’espace Schengen » une illustration de la différenciation ou de l’Europe à géométrie variable. Mais, pour sa part, la Cour donnera toujours une interprétation dynamique des libertés de circulation dans le cadre du marché intérieur, y voyant des libertés fondamentales susceptibles de tenir en échec certains droits fondamentaux, lorsque les critères de « proportionnalité » et de « balance des intérêts sont présents ».

    15. Reste qu’avec l’Acte unique, les Etats membres ont souhaité éviter tout débordement et toute utilisation intempestive de cette forte réitération des libertés de circulation. C’est la raison pour laquelle l’article 8A n’est pas destiné à faire naître des droits dans le chef des particuliers. Il se borne à inviter les Etats membres et le législateur communautaire à prendre avant la date symbolique du 31 décembre 1992 les mesures nécessaires pour faire tomber toutes les barrières subsistantes. Une déclaration additionnelle à l’Acte unique européen – la déclaration n° 3 – précise bien que « la fixation de la date du 31 décembre 1992 ne crée pas d’effets juridiques automatiques ». Pour preuve, l’ex-article 100B CEE (abrogé par le traité d’Amsterdam), prévoyait qu’au cours de l’année 1992, un recensement serait opéré avec les Etats membres en vue de faire disparaître, dans la mesure du possible, les entraves résiduelles.

    16. Outre la définition du marché intérieur et la présentation d’un calendrier, l’Acte unique a prévu également des dispositions correctives. La première, figurant à l’ex-article 8C CEE, est une invitation adressée à la Commission, lors de la formulation de ses propositions en vue de la réalisation du marché intérieur, de tenir « compte de l’ampleur de l’effort que certaines économies présentant des différences de développement devront supporter au cours au cours de la période d’établissement du marché intérieur » et de proposer les dispositions appropriées. Il s’agit d’une règle de bon sens qui se justifiait notamment par l’élargissement récent – à l’époque – de la Communauté à des Etats membres (Grèce, Espagne, Portugal) dont le niveau économique s’avérait globalement en retrait par rapport à la moyenne des anciens Etats membres.

    Cette disposition comporte cependant sa propre limite en ce qu’il est également prévu que, lorsque ces mesures correctives prennent la forme de dérogations, « elles doivent avoir un caractère temporaire et apporter le moins de perturbations possibles au fonctionnement du marché commun ».

    Autre contrepartie à d’éventuels assouplissements, l’ex-article 100A, par. 3, CEE prévoit qu’en matière de santé, sécurité, protection de l’environnement et des consommateurs, la Commission doit prendre pour base de ses propositions un niveau de protection élevé. ← 18 | 19 →

    Au total, compte tenu de ces indications contradictoires, la Commission dispose d’une marge de manœuvre très large et son pouvoir de proposition paraît assez peu entamé, d’autant plus que l’ex-article 8B, par. 2, précise bien que le Conseil, sur proposition de la Commission doit veiller à assurer « un progrès équilibré dans l’ensemble des secteurs concernés ».

    §3  Dispositions actuelles

    17. Les révisions successives des traités vont conduire à « délocaliser » tant le marché commun que le marché intérieur, mais sans grand bouleversement de fond.

    18. Ainsi, le traité de Maastricht, instituant l’union économique et monétaire, a déplacé le marché commun de l’article 8 CE à l’article 7, mais sans rien y changer. En revanche, le toilettage et la modernisation des textes opérés par le traité d’Amsterdam ont entraîné l’abrogation de cet article 7 devenu obsolète depuis la fin de la période de transition. Néanmoins, les autres dispositions consacrées au marché commun ont subsisté, de même que le terme lui-même là où il se trouve utilisé. On a alors assisté à une coexistence, sans grande rationalité, du marché commun et du marché intérieur, qui lui prenait place principalement aux articles 14 et 15 CE.

    19. Le traité constitutionnel se proposait de donner au marché intérieur une place beaucoup plus importante dans le texte de base. Celui-ci se voyait dédier tout le chapitre 1 du titre III (politiques et actions internes) de sa troisième partie (articles III-130 à III-176). Les quatre libertés fondamentales étaient présentées et développées à l’intérieur de cet ensemble, de même que les règles de concurrence et celles concernant l’harmonisation des législations nationales. L’élément le plus nouveau résidait dans la présentation des quatre libertés classiques. Traditionnellement, les marchandises figurent en tête, ce qui s’explique par le contexte des années cinquante où l’objectif prioritaire et majeur de la construction européenne est de réaliser l’union douanière, laquelle met avant tout en exergue la libre circulation des marchandises. Avec le traité constitutionnel, les personnes et même les services passaient en tête.

    Ce n’est pas un changement anodin. Il prend acte de l’évolution tant des objectifs que des mentalités en ce sens que le traité constitutionnel entend promouvoir la personne, l’individu dans le droit de l’Union européenne. Il visait aussi à rapprocher l’Europe de ses citoyens, ce dont attestent de nombreuses autres innovations du traité constitutionnel dont en particulier l’intégration de la charte des droits fondamentaux de l’Union dans le corps de la Constitution et en conséquence l’attribution d’une pleine valeur juridique à cet instrument.

    20. Le traité de Lisbonne n’a pas repris ces vastes ambitions. Certes, le marché commun disparaît et le marché intérieur sort du relatif anonymat dans lequel l’avait placé le traité CE. Il obtient même un titre entier : le titre I de la troisième partie du TFUE. Mais ce titre n’englobe plus les libertés de circulation – ce qui paraît contestable compte tenu de la définition même du marché intérieur – et il se réduit à deux articles (26 et 27 TFUE). Signe de l’abandon dans ce domaine aussi de toute référence constitutionnelle et d’une volonté de changement a minima, les marchandises demeurent en tête de la présentation des quatre libertés. ← 19 | 20 →

    La définition du marché intérieur ne subit aucune modification de fond. La clause du développement équilibré de l’ensemble des secteurs concernés (article 26, par. 3, TFUE) demeure inchangée, de même que celle de la prise en compte des difficultés que pourraient rencontrer certains Etats membres pour se hisser aux normes de l’Union (article 27 TFUE)¹². Dans ce dernier cas néanmoins, on peut relever quelques variations dont il paraît difficile de dire si elles sont purement sémantiques ou si elles ont des incidences sur le fond.

    Ainsi, alors que l’ex-article 15 CE évoquait les efforts que ces Etats membres devaient supporter « au cours de la période d’établissement du marché intérieur », l’article 27 TFUE se borne à mentionner les efforts à supporter « pour l’établissement du marché intérieur ». Ce changement peut bien sûr s’expliquer par l’achèvement depuis 1992 de la « période » d’établissement. Mais cela pourrait impliquer que la clause corrective pourrait jouer sans limitation de durée. Cette interprétation doit cependant tenir compte de l’article 26, par. 1, TFUE, qui distingue nettement l’établissement du fonctionnement du marché intérieur. En conséquence, la clause pourrait jouer sans limitation de durée mais uniquement s’il s’agit de l’établissement du marché intérieur. Ceci inclurait la modification des normes de base déjà établies, mais aussi l’adoption de nouvelles normes. En effet, le marché intérieur n’est pas figé et il postule des évolutions et adaptations constantes de la réglementation. En revanche, la clause corrective ne pourrait pas jouer pour le seul fonctionnement du marché intérieur.

    Cette restriction n’est pas évidente si l’on se réfère à l’article 114 TFUE, relatif à la procédure d’harmonisation des législations en vue de la réalisation du marché intérieur, qui distingue aussi l’établissement du fonctionnement du marché intérieur, mais sans faire apparaître de différences matérielles ou procédurales. Dans ces conditions, à supposer même que la clause corrective de l’article 26 ne s’applique que pour l’établissement du marché intérieur, les clauses de sauvegarde et dérogations de l’article 114 (par. 4 à 10)¹³ pourraient être activées pour faire face à des problèmes de fonctionnement.

    §4  Réalisation du marché intérieur

    21. Selon les termes de l’ex-article 14, par. 1, CE, le marché intérieur devait être réalisé progressivement au cours d’une période expirant le 31 décembre 1992. La Commission présidée par Jacques Delors misait sur le facteur temps et l’effet d’entraînement pour réaliser son ambitieux projet, reprenant ainsi les recettes qui avaient bien réussi pour la mise en place de l’Union douanière et de la PAC dans les années soixante. Au final, la Commission devait présenter 282 propositions de règlements ou directives, soumises pour la plupart à la procédure de coopération. Chaque année, la Commission a publié des rapports sur l’état d’avancement du marché intérieur. Durant l’année 1992, comme prévu par l’ex-article 100B, la Commission a procédé au recensement avec chaque Etat membre des dispositions non soumises à une procédure d’harmonisation ← 20 | 21 → des législations. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, le Conseil était en droit de décider de l’équivalence et de la reconnaissance d’une législation d’un Etat membre dans un autre Etat membre. Plus modestement, dans une résolution du 7 décembre 1992 portant « sur les moyens d’assurer le bon fonctionnement du marché unique »¹⁴, le Conseil a surtout pris acte des résultats obtenus et pris l’engagement d’examiner en priorité les initiatives appropriées que la Commission déciderait de présenter dans le but d’assurer le fonctionnement sans heurts du marché unique et d’examiner tous les ans le fonctionnement du marché unique.

    22. En 1992, on estimait qu’environ 95% du programme avait été réalisé. Le plus facile a concerné la libre circulation des marchandises qui, en général, ne soulève pas de difficultés politiques entre les Etats membres, sauf lorsque l’on se trouve en présence de produits peu ordinaires comme l’énergie, où l’on a pu constater que le marché intérieur de l’énergie avait nécessité plusieurs paquets législatifs pour progresser¹⁵. La libre circulation des services a également nécessité de nombreux actes législatifs, pour la plupart sectoriels, l’ensemble étant couronné par la fameuse directive « services » du 12 décembre 2006¹⁶, adoptée dans le contexte troublé du traité constitutionnel et de son échec. Là en revanche où la sensibilité était plus vive, ce qui s’est traduit en général par l’exigence d’unanimité au sein du Conseil, les développements ont été beaucoup plus lents. Cela se vérifie en particulier pour le domaine de la fiscalité et notamment pour la fiscalité directe, où la taxation de l’épargne ou des produits bancaires se heurte à de vives résistances, comme en atteste le projet de coopération renforcée pour mettre en place une taxe sur les transactions financières¹⁷.

    23. Mais il va de soi que les techniques de réalisation du marché intérieur, et notamment la nouvelle procédure d’harmonisation du marché intérieur, ne se voyaient pas limitées à cette seule période, ce qu’une interprétation restrictive de l’ex-article 95 CE par rapport à l’ex-article 94 aurait pu laisser à penser. En effet, outre ← 21 | 22 → qu’à la date précitée, l’ensemble des mesures appropriées n’avaient pu être toutes adoptées, il est évident que le marché intérieur une fois établi suppose une gestion au quotidien comme une actualisation régulière. Celles-ci relèvent de l’ex-article 95 CE d’autant que cette disposition concerne non seulement l’établissement mais aussi le fonctionnement du marché intérieur.

    D’ailleurs, le traité de Lisbonne, tout en reprenant à l’article 26 TFUE l’essentiel de l’ex-article 14 CE, a abrogé son paragraphe premier qui établissait l’échéance de 1992, pour se rallier, à l’article 26, par. 1, TFUE, à une conception intemporelle du marché intérieur. Cet article donne compétence à l’Union pour adopter les mesures « destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur… ».

    24. Le marché intérieur, souvent qualifié de marché unique par la Commission, n’est pas une construction définitive et figée. Il implique une gestion régulière, d’autant que les Etats membres ou les opérateurs économiques savent faire preuve d’ingéniosité pour instaurer de nouvelles barrières ou entraves aux échanges entre Etats membres.

    La perspective 2012, marquant le vingtième anniversaire de l’ouverture des frontières¹⁸, a suscité de nombreux projets et réflexions de la part des institutions de l’Union, notamment de la Commission, porteuse et gardienne de la conception originaire. Ainsi a-t-elle présenté le 20 novembre 2007 une communication dénommée « Un marché unique pour le XXIe siècle »¹⁹, puis le 29 juin 2009 une recommandation « concernant les mesures visant à améliorer le fonctionnement du marché unique »²⁰.

    25. L’ancien commissaire européen Mario Monti a rédigé un rapport à la demande de son institution d’origine en vue d’une initiative visant à relancer le marché unique, présenté le 9 mai 2010 sous le titre « Une nouvelle stratégie pour le marché unique »²¹. Le rapport entend lutter contre une certaine « lassitude de l’intégration » et dénoncer l’appartenance au passé du marché unique. Il propose une stratégie globale autour de trois grands ensembles d’initiatives destinées à renforcer le marché unique, faire émerger un consensus sur le renforcement du marché unique et concrétiser le renforcement du marché unique. L’accent est mis sur certains domaines novateurs (l’économie numérique, la croissance verte, etc.). Le souci de simplification et d’allègement de la réglementation est également présent, de même que celui du renforcement de certains contrôles. Ce document concède la nécessité de réglementations « ma non troppo », car il y a déjà 1 521 directives et 976 règlements sur les divers domaines de la politique du marché unique. Mais il accorde aussi une large place à de meilleurs contrôles pour améliorer la confiance des consommateurs et des citoyens en général. ← 22 | 23 →

    26. La Commission, sous l’impulsion du commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, a ensuite présenté une cinquantaine de propositions dans un document intitulé « Vers un acte pour le marché unique » publié le 27 octobre 2010²² et lancé le débat public autour d’elles. Une communication du 13 avril 2011 opère le lien avec la stratégie Europe 2020 et les projets de relance économique sous le titre « Douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance²³. Ces douze leviers mettent surtout l’accent sur la libre circulation des services, sur les aspects sociaux du marché intérieur, sur la protection des consommateurs, sur le renforcement du marché unique numérique, sur la modernisation de la réglementation fiscale, etc. Pour sa part, le Parlement européen a mis l’accent sur la dimension humaine et citoyenne du marché intérieur en adoptant le 20 mai 2010 une résolution intitulée « « Donner un marché unique aux citoyens et aux consommateurs »²⁴.

    Ultérieurement, une seconde communication dénommée « l’acte pour le marché unique II » du 3 octobre 2012²⁵ retient douze actions-clés regroupées en quatre objectifs prioritaires. Les transports et l’énergie viennent en tête suivis par l’encouragement de la mobilité transnationale des citoyens et des entreprises. Ce volet humain du marché intérieur se retrouve dans le troisième objectif centré sur la protection des consommateurs et la cohésion sociale, même si dans ce dernier cas c’est le rapport des citoyens avec les organismes bancaires qui est visé. Pour ce qui est de la libre circulation des marchandises, l’aspect sécuritaire devient prédominant. On lit en effet à l’action n° 11, visant à renforcer la confiance des consommateurs que

    « [d]ans un marché unique où les produits circulent librement entre vingt-sept territoires nationaux, la surveillance du marché doit faire l’objet d’une coordination à haut niveau, pour permettre une intervention rapide couvrant une vaste zone. La surveillance du marché devrait permettre d’identifier et de retirer du marché les produits dangereux ou nocifs et de punir les opérateurs malhonnêtes ou criminels. Elle devrait également avoir un effet dissuasif important ».

    La Commission européenne s’était engagée à présenter toutes les mesures législatives induites par ces propositions avant le printemps 2013 et toutes les mesures non législatives avant la fin de l’année 2013. La plupart des textes législatifs ont été adoptés par le Parlement européen et le Conseil avant les élections de mai 2014. ← 23 | 24 →

    II  Les outils du marché intérieur

    27. Selon A. Mattera, il existe trois instruments prévus par le droit de l’Union pour la réalisation et le bon fonctionnement du marché intérieur. En premier lieu, l’interdiction des restrictions aux libertés fondamentales qu’il estime au nombre de six : aux quatre libertés traditionnellement reconnues, il ajoute la libre circulation des travailleurs salariés et la libre circulation des citoyens. En deuxième lieu, les règles de prévention des restrictions aux échanges de produits et de services, ce qui recouvre notamment la directive 98/34²⁶ et enfin l’harmonisation des législations nationales disparates entre elles²⁷. Cet auteur présente aussi l’harmonisation des législations nationales comme un instrument d’intégration et de reconnaissance mutuelle.

    S’il ne paraît pas toujours aisé de déterminer qui, du marché intérieur ou des libertés de circulation, dispose d’une prééminence intellectuelle, en revanche, il est intéressant de relever que, pour cet auteur comme pour la majorité de la doctrine, l’harmonisation des législations nationales et la reconnaissance mutuelle entretiennent des rapports très étroits et peuvent être considérées toutes deux comme des vecteurs de réalisation du marché intérieur. On observe cependant une certaine instabilité terminologique et conceptuelle en ce qui concerne ces deux techniques (1), qui peut expliquer les incertitudes qui, aujourd’hui encore, entourent le recours à ces techniques (2). Les procédures ont également énormément évolué tant en ce qui concerne l’harmonisation que la reconnaissance mutuelle (3).

    1  Les notions d’harmonisation et de reconnaissance mutuelle

    ²⁸

    28. Le traité CEE, dans sa version originaire, se montre assez laconique sur ces deux techniques. La reconnaissance est pratiquement absente, sous réserve de la référence faite à l’ex-article 47 CE (devenu 53 TFUE) de la reconnaissance mutuelle des diplômes dans le cadre de la liberté d’établissement. En revanche, l’harmonisation se voit reconnaître une place plus importante à l’ex-article 100 CEE qui permet au Conseil statuant à l’unanimité d’arrêter des directives « pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont une incidence directe sur l’établissement et le fonctionnement du marché commun ». Il s’agit bien d’une compétence générale – certains n’hésiteront pas au demeurant à qualifier cette disposition de base juridique générale subsidiaire au même titre que ← 24 | 25 → l’ex-article 235 CEE pour combler d’éventuelles lacunes du traité²⁹ – mais dont l’objet demeure assez flou en raison de l’incertitude pesant sur les législations nationales susceptibles de rentrer dans son champ d’application.

    29. Par la suite, les deux notions vont prendre une place grandissante dans les traités. La reconnaissance mutuelle connaît en effet, avec l’Acte unique européen, un véritable épanouissement. Indépendamment même du livre blanc de la Commission, qui invite à limiter la place de l’harmonisation au profit de la reconnaissance mutuelle laquelle suppose un appareil normatif beaucoup plus succinct³⁰, l’ex-article 100B du traité CEE prévoyait qu’au terme de la période de gestation du marché intérieur, il serait procédé à un recensement des dispositions non harmonisées et que le Conseil pourrait décider de celles devant être reconnues par les autres Etats membres. Plus tard avec l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la reconnaissance mutuelle devient un instrument banal pour les décisions de justice en matière civile (article 81 TFUE) et pénale (article 82 TFUE).

    L’harmonisation connaît une montée en puissance parallèle puisque, avec l’Acte unique européen toujours, un nouveau dispositif (ex-article 100A CEE, article 114 TFUE) est mis en place destiné, lui, à régir les législations ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, l’ancien régime demeurant théoriquement valable pour le marché commun.

    Cependant, l’Acte unique ne clarifie pas certaines hésitations sémantiques qui caractérisent les traités quant à la dénomination, pour ne pas dire la qualification voire la nature de l’opération que recouvre l’harmonisation. En effet, le chapitre spécifiquement consacré à cette question traite du rapprochement des législations. Mais d’autres expressions sont employées dont celle d’harmonisation qui a les faveurs de la doctrine, voire celle de coordination si l’on se réfère aux dispositions sur le droit d’établissement (article 53 TFUE). Le terme coordination revient encore dans des politiques communes où l’intégration reste assez faible. C’est le cas en matière d’emploi (article 150 TFUE) ou pour certains volets de la politique sociale (article 156 TFUE).

    30. Cette diversité sémantique pourrait laisser penser à une gradation dans l’intensité de l’opération³¹. La coordination serait ainsi le degré minimum de l’action commune et le rapprochement, comme l’harmonisation, représenteraient une forme plus élaborée. Dans le premier cas, il s’agirait simplement de rendre les législations nationales compatibles les unes avec les autres en éliminant également les dispositions contraires au droit de l’Union en ce qu’elles généreraient en particulier des discriminations directes ou indirectes, alors que l’harmonisation et le rapprochement – termes que les traités semblent considérer comme synonymes³² si l’on en croit par exemple leur ← 25 | 26 → emploi indifférencié par l’article 114 TFUE – conduiraient à un apport substantiel et à des modifications de fond. Parfois même, la coordination est présentée comme une alternative à l’interdiction de toute harmonisation des législations nationales ou à des pouvoirs normatifs limités des institutions de l’Union. C’est le cas dans le domaine de la politique industrielle (article 173, par. 2 et 3, TFUE) ou de la politique sociale (article 156 TFUE).

    31. Mais en réalité, ces termes ne paraissent pas préjuger d’un contenu ou de l’intensité normative des actes adoptés. Le choix de la directive ou du règlement comme instrument juridique n’est pas non plus décisif tant il apparaît qu’aujourd’hui la différence entre les deux types d’actes s’avère purement formelle.

    Pour preuve, les premières normes d’harmonisation fondées sur l’ex-article 100 CEE ne pouvaient revêtir que l’instrument de la directive, mais les nécessaires compromis entre les Etats membres qui devaient alors s’accorder à l’unanimité conduisaient à des actes juridiquement particulièrement lourds et lents à élaborer, ce qui constitue d’ailleurs une des causes de la nouvelle approche et du livre blanc de 1985. En conséquence de quoi au demeurant, les directives d’harmonisation aboutissaient à ce que l’on qualifie d’harmonisation totale, c’est-à-dire en réalité à une substitution normative totale par rapport aux législations nationales lesquelles disparaissent complètement et ne peuvent même plus réapparaître en raison de la captation par l’Union (phénomène de préemption) de toute la compétence en la matière.

    A l’inverse de cette thèse uniformisatrice, on avance souvent le constat que la plupart du temps, la norme d’harmonisation n’est pas, en raison de sa complexité, susceptible de couvrir tout le champ normatif du domaine considéré, et qu’il demeure toujours en conséquence une certaine marge de compétence normative – dans les domaines non harmonisés – au profit des Etats membres³³.

    32. La reconnaissance mutuelle, en tant que concept, donne lieu à des divergences théoriques. S’agit-il d’une situation naturelle ou d’un produit de la réglementation ? Selon la première thèse, la reconnaissance mutuelle résulte du fait qu’un Etat en laissant pénétrer sur son territoire des produits en provenance de l’extérieur accepte implicitement la conformité de ceux-ci avec ses propres normes et tout aussi implicitement l’équivalence des législations en vertu desquelles ils ont été produits. Ceci rejoint aussi le principe de confiance mutuelle qui se trouve à la base de la nouvelle approche et plus largement de la construction européenne. Inversement, on peut estimer que la reconnaissance mutuelle est toujours une situation créée par une réglementation européenne. Ce sont les directives adoptées sur tel ou tel produit ou telle ou telle catégorie de produits qui proclament la reconnaissance mutuelle ou prescrivent les conditions pour qu’une telle reconnaissance mutuelle ait lieu³⁴ et permettent ainsi qu’un échange économique puisse se dérouler sans entraves. ← 26 | 27 →

    En réalité, les deux thèses comportent une part de vérité. Soumettre un échange entre Etats membres à une condition s’apparentant à une formalité juridique irait à l’encontre de l’idée même de marché intérieur libre et ouvert. L’élimination des droits de douane et des autres obstacles aux échanges, la suppression plus récente et plus difficile des contrôles douaniers sur les marchandises, l’obligation faite aux Etats membres de reconnaître les contrôles techniques ou sanitaires sur les produits effectués dans le pays d’origine plaident dans le même sens. De même, on ne voit pas bien pourquoi les traités auraient prévu des raisons précises permettant de justifier des atteintes à la libre circulation (article 36 TFUE), si celle-ci devait systématiquement se prouver a priori par un texte législatif. Mais, d’un autre côté, la sophistication croissante des produits et les modifications constantes des réglementations les encadrant emportent des conséquences négatives sur la poursuite d’un flux d’échanges naturel. Cela explique les réglementations mises en place par l’Union visant à prévenir les nouvelles entraves aux échanges, notamment la directive 98/34³⁵ ou le règlement 764/2008³⁶. Ainsi, les nouvelles législations nationales fixant des exigences plus contraignantes pour la fabrication des produits doivent passer au crible de ces procédures communautaires et se terminent souvent par l’adoption d’une norme commune pouvant prendre la forme d’une directive imposant la reconnaissance mutuelle des législations nationales.

    La reconnaissance mutuelle aurait donc bien été au départ une situation naturelle mais qu’il conviendrait par la suite de maintenir à force de directives successives.

    33. Ici apparaît d’ailleurs le lien théorique entre harmonisation et reconnaissance mutuelle. Puisqu’un recours à une norme commune pour instituer ou maintenir la reconnaissance mutuelle a été nécessaire, il faut en déduire que le législateur européen aurait bien pu adopter une norme d’harmonisation. Ceci conforte l’idée que, dans une telle perspective – celle d’une reconnaissance mutuelle qui ne joue pas de plein droit mais qui découle d’une intervention législative –, ladite reconnaissance mutuelle, une reconnaissance mutuelle décrétée en quelque sorte, ne représente alors que le degré minimum de l’harmonisation. Il n’y aurait donc pas de différence de nature entre les deux instruments mais seulement une différence de degré. Il s’agirait d’une différence dans l’intensité normative de l’acte.

    Néanmoins, le choix de la technique législative ne serait pas neutre. Harmoniser représenterait une société qui mise avant tout sur la réglementation et qui privilégie une certaine forme d’interventionnisme, un interventionnisme réglementaire avec à la clé une recherche d’uniformité. La reconnaissance mutuelle traduirait en revanche une société plus libérale qui accepte la diversité et souhaite réglementer a minima. ← 27 | 28 → Cette reconnaissance mutuelle correspondrait mieux à l’évolution actuelle de l’Union européenne, dans laquelle à force d’élargissements, l’unité s’est quelque peu diluée, et celle-ci ne pourrait être préservée que par l’acceptation des différences³⁷.

    2  Le recours à l’harmonisation et à la reconnaissance mutuelle

    34. L’Acte unique européen, dans le cadre de l’ex-article 100B CEE, opérait un lien explicite entre l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle. Il se situait dans la perspective de l’échéance du 31 décembre 1992 et prévoyait qu’au cours de l’année 1992, la Commission procéderait avec les Etats membres à un recensement des législations nationales restant à harmoniser et ferait des propositions en ce sens. Le Conseil pouvait aussi décider, statuant à la majorité qualifiée, que « des dispositions en vigueur dans un Etat membre doivent être reconnues comme équivalentes à celles appliquées dans un autre Etat membre », ce qui au passage donnait une impression de bilatéralisme là où l’on s’attendait à l’adoption de solutions communes.

    Mais, en tout état de cause, l’échéance du 31 décembre 1992 n’avait aucun caractère automatique et n’entraînait pas l’inapplication de législations nationales restrictives. Pour éviter toute mauvaise surprise résultant d’une hypothétique volonté de la Cour d’accélérer le mouvement, la déclaration n° 3 relative à l’article 8A du traité indiquait clairement que « la fixation de la date du 31 décembre 1992 n’entraîne pas d’effets juridiques automatiques », ce que la Cour confirmera elle-même dans l’arrêt Wisjenbeck³⁸ où elle considère que l’ouverture des frontières à cette date symbolique ne rend pas caducs les documents que les Etats membres peuvent exiger au franchissement des frontières internes de l’Union, ni les contrôles résiduels.

    35. Si ce n’est ce moment exceptionnel, les traités dans leurs différentes versions successives n’indiquent pas dans quelles conditions juridiques ou économiques il y a lieu à recourir à l’harmonisation ou à la reconnaissance mutuelle. A défaut de précision positive, certaines indications négatives doivent être prises en compte. Ainsi, au fur et à mesure que s’affirmait dans les textes constitutifs une délimitation des compétences de l’Union, ont émergé un certain nombre de domaines dans lesquels celle-ci se voyait interdire tout pouvoir d’harmonisation des législations nationales. Ces domaines s’inscrivent dans les compétences d’appui, de coordination et de complément, héritées du traité constitutionnel (article I-17) et qui figurent aujourd’hui à l’article 6 du TFUE (santé humaine, industrie, culture, tourisme, éducation, formation professionnelle et sport, etc.) ; ce qui n’exclut pas un certain nombre d’autres domaines (emploi : article 149, al. 2, TFUE). Selon l’article 2, par. 5, al. 2, TFUE, les mesures prises par l’Union dans ces domaines « ne peuvent pas comporter d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres ». ← 28 | 29 →

    Pour éviter toute tentation de dérive et se prémunir de la jurisprudence intégrationniste de la Cour de justice, les Etats membres ont obtenu via le traité de Lisbonne, reprenant au demeurant là encore le traité constitutionnel (article I-18), une modification de la procédure dite d’adaptation (de flexibilité selon le traité constitutionnel) en vertu de laquelle cette disposition ne peut être utilisée pour harmoniser les législations nationales là où les traités interdisent une telle opération (article 352, par. 3, TFUE).

    36. Il reste que ces barrières paraissent bien poreuses et la Cour de justice a su montrer à diverses reprises qu’elle n’y attachait pas une importance considérable. Le maniement judicieux de la théorie des bases juridiques peut permettre en effet de rattacher une question à plusieurs facettes à une base juridique ouvrant des compétences plus larges à l’Union. L’affaire de la directive sur l’interdiction de la publicité pour les produits du tabac a conduit dans un premier temps la Cour à annuler ce texte car empiétant sur les compétences des Etats membres³⁹ et à en valider ensuite une version remaniée en se fondant sur les exigences et la base juridique beaucoup plus souple du marché intérieur⁴⁰.

    37. Selon l’article 114 TFUE, le législateur européen « arrête les mesures (…) qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur » et, selon l’article 115, le Conseil « arrête les directives (…) qui ont une incidence directe sur l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». Indiscutablement, la nouvelle rédaction issue du TFUE clarifie l’articulation entre les deux procédures d’harmonisation. Dans le premier cas, il s’agit d’harmoniser des législations nationales qui sont au cœur même du marché intérieur, qui en constituent en quelque sorte la substance essentielle ; dans le second cas, il s’agit de celles qui se trouvent à la périphérie, mais qui, si elles restaient disparates, risqueraient de nuire à la réalisation ou au fonctionnement de ce marché intérieur.

    Mais, dans les deux cas, l’emploi de l’indicatif par les deux articles signifie bien qu’il y a une obligation pour le législateur ordinaire ou spécial de sortir du silence et d’adopter les normes requises pour mettre en place et gérer le marché intérieur ou pour harmoniser celles qui ont une incidence directe sur lui. Pour autant, il reste que l’objet même de l’obligation s’avère particulièrement vague et implique une telle marge de manœuvre que l’obligation d’agir semble extrêmement théorique et peu sanctionnable, y compris par le recours en carence.

    38. La jurisprudence est cependant venue régler un certain nombre de cas. Ainsi, dans la célèbre affaire Cassis de Dijon⁴¹, la Cour a estimé que, contrairement à une prétention allemande, l’harmonisation des législations nationales ne constituait pas un préalable lorsque les législations nationales étaient par trop disparates. Les exigences ← 29 | 30 → de la libre circulation doivent primer en tout état de cause et, lorsque divergence de législation nationale il y a, la reconnaissance mutuelle doit pallier l’absence de normes communes, sauf à l’Etat membre concerné de montrer que sa législation nationale se justifie par une exigence impérative d’intérêt général, telle la protection des consommateurs ou de l’environnement⁴².

    Mais cet arrêt, s’il consacre la libre circulation comme exigence supérieure, rend encore plus problématique la réponse à la question de l’obligation ou simplement de l’opportunité de légiférer. Un certain nombre de travaux⁴³ ont tendu à montrer qu’il y avait un lien entre les mesures auto-protectrices adoptées par les Etats, soit sur la base de l’article 36 TFUE soit au titre des exigences impératives d’intérêt général, et l’activation du processus d’harmonisation⁴⁴. Ce serait pour prévenir le recours à ces mesures protectrices que l’Union aurait intérêt à légiférer. Mais, si l’argument paraît recevable pour les raisons d’intérêt général évoquées à l’article 36, car celles-ci restent très marquées par l’idée de police administrative, sanitaire ou économique, il en va différemment des exigences d’intérêt général, dont la liste ne cesse de s’allonger⁴⁵ et qui découlent tout simplement des pouvoirs de réglementation de l’économie dont l’Etat conserve en principe la maîtrise sur son territoire. Il n’y a donc pas a priori de champ matériel de l’harmonisation.

    39. Si une approche par domaine ne s’avère donc pas fondée, en revanche la Cour de justice semble séduite par une sorte de théorie de l’effet. Ce constat résulte implicitement de sa jurisprudence en matière de compétences et de son corollaire en matière de bases juridiques. Ainsi, dans son célèbre arrêt sur l’interdiction de la publicité en faveur du tabac⁴⁶, la Cour a dénié toute compétence à l’Union pour légiférer d’une manière générale dans le champ du marché intérieur, d’autant plus que celui-ci ne relève pas des compétences exclusives mais des compétences partagées, avec donc recours au principe de subsidiarité⁴⁷.

    Le cadre juridique du recours à l’harmonisation se voit posé avec beaucoup de subtilité et de nuance par la Cour de justice. Ainsi, ce qui semble la norme plancher, de telles mesures sont nécessaires lorsque « les disparités entre les ordres juridiques des Etats membres (…) risqueraient d’entraver la libre circulation des marchandises au sein de [l’Union] »⁴⁸. Mais, allant plus loin, il s’agit aussi, par le biais de l’harmonisation de l’article 114, « d’améliorer les conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur ». ← 30 | 31 →

    Toutefois, « la simple constatation de disparités entre les réglementations nationales ainsi que du risque abstrait d’entraves aux libertés fondamentales ou de distorsions de concurrence susceptibles d’en découler ne suffit pas »⁴⁹. Encore que « le recours à l’article 100A (devenu 114 TFUE) comme base juridique est possible en vue de prévenir l’apparition d’obstacles futurs aux échanges résultant de l’évolution hétérogène des législations nationales ». Mais l’apparition de tels obstacles doit être vraisemblable et la mesure en cause doit avoir pour objet leur prévention. De plus, quand bien même le législateur européen aurait harmonisé l’ensemble du secteur, celui-ci reste compétent pour adapter les normes déjà arrêtées en fonction de l’évolution du contexte juridique et économique⁵⁰.

    Autrement dit, l’harmonisation doit d’abord éviter d’aggraver la situation, c’est une sorte de clause de standstill. Elle doit ensuite permettre d’améliorer la situation d’échange, étant entendu que le législateur peut s’attaquer à des obstacles futurs, mais ceux-ci ne doivent pas être purement hypothétiques. On retrouve ici dans une certaine mesure la jurisprudence sur les mesures d’effet équivalent. L’entrave peut être potentielle ou future mais elle ne doit pas être purement aléatoire, peu important au demeurant qu’elle soit minime⁵¹.

    40. Cette jurisprudence permet aussi de faire le lien entre l’harmonisation et le principe de subsidiarité. En effet, dans un certain nombre d’arrêts, où le principe de subsidiarité se voit invoqué⁵² par les requérants, la Cour argumente assez peu sur ce terrain renvoyant à ses développements sur celui de l’harmonisation. Si en effet le législateur européen s’est senti habilité à adopter une norme d’harmonisation, c’est

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