En substances: Journal d’un addict en addictologie
Par Julien Roturier
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À propos de ce livre électronique
Finalement, peu de gens se posent réellement la question tant la réponse leur semble évidente : par manque de courage, puisqu’il est manifestement simple de ne pas tomber si bas. « Personnellement, je gère très bien », entend-on souvent de la bouche de personnes dont on ne sait pas trop s’ils sont réellement convaincus ou s’ils ne pratiqueraient pas plutôt une forme de méthode Coué de l’addict à tendance sociale sociable. Moi-même, après vingt ans d’introspection, je ne sais pas encore précisément pourquoi ni comment ça m’est tombé dessus. Quoi qu’il en soit, un autre questionnement a suivi de près la prise de conscience de cet état de fait : Comment devient-on sobre ?
Ce livre ne prétend pas répondre à une question à la fois si capitale et si personnelle. Il raconte néanmoins comment on essaie. Comment j’ai essayé, comment j’ai vu d’autres – beaucoup d’autres – essayer, remonter, rechuter, s’envoler, se détruire, renaître.
Et puis surtout, ce n’est pas la photo de vacances idéale d’une destination de rêve ; c’est l’histoire du trajet.
Parcourez, avec ce témoignage, les questionnements et les réflexions d'un ancien toxicomane lors de son cheminement pour remonter la pente.
EXTRAIT
Alors, comment s’est passé ce premier « vrai » jour sans alcool, vous demandez-vous sans doute, attendant une conclusion à cette première partie que je donne l’impression de repousser sans cesse ? Pour vous répondre simplement : fort bien. Je n’ai pas eu peur d’aller prendre quelques cafés en terrasse ni d’affronter les regards inquisiteurs, pour commencer. Ensuite, femme et mari avons dévalisé les magasins. Affaires de sport, accessoires pour la maison, choses pour prendre soin de nous et de quoi préparer plusieurs fabuleuses soirées à la fois gastronomiques et sobres en amoureux.
Ce que je sais, c’est que j’ai une chance infinie. De multiples amis réels m’ont témoigné leur soutien et/ou leur admiration, que ce soit de vive voix ou par des moyens plus modernes, la fibre optique ayant tendance à remplacer la corde vocale. Maintenant, je peux le dire. Si j’ai vécu en brûlant la chandelle par les deux bouts, comme un privilégié, aujourd’hui j’en suis vraiment un alors même que presque aucun bien matériel ne pourrait me manquer. Si un jour je venais à rechuter ou à seulement sentir l’irrépressible envie de partir en cacahuètes, je ne manquerais pas d’appeler Bletterans. Je n’aurai aucune hésitation à pousser la porte de ce centre pour y découvrir de nouveaux visages et écouter de nouvelles histoires, frissonnant dans le vent à fumer des clopes sous le kiosque ou cramant au soleil en promenade, selon qu’on pourrait être en hiver ou en été. Je retournerai y chercher du soutien et y aider les autres dans la mesure de mes moyens.
Évidemment, j’espère que ça n’arrivera pas. Mais quoi qu’il arrive, j’y retournerai pour organiser des événements, donner un peu de temps... bref, leur rendre un millième de ce qu’ils m’ont donné. Et si d’aventure quelqu’un venait à me parler d’un souci avec la bouteille, le pétard ou la seringue, je saurais où lui conseiller de se rendre. En espérant qu’il pourra y aller plus simplement et plus vite qu’en se fadant Tournus–Mâcon–Bourg-en-Bresse–Lons-le-Saunier–Bletterans avec départ à 6 h 58.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1978 et vivant à Dijon, Julien Roturier se décrit comme « amateur professionnel pluridisciplinaire à mi-temps ». Après avoir vainement tenté un temps de subsister dans la société de consommation en tant que négociateur en produits, services, concepts et autres fumisteries, il a préféré tâcher de vivre – entre autres – de rock’n’roll, d’écriture et de Photoshop.
Sténopé est son premier recueil de nouvelles fantastiques paru en 2014. En 2017 sort Vigor Mortis, second recueil riche de quinze contes philosophiques et horrifiques.
En savoir plus sur Julien Roturier
Tandis que brûlent les koalas: Dystopie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVigor mortis: Quinze histoires de vie et de mort Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
En substances - Julien Roturier
Julien Roturier
En substances
Journal d’un addict en addictologie
Roman
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Julien Roturier
ISBN : 978-2-85113-751-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
Le cloître du couvent de carmes, aile sud.
Avant-propos
Le récit qui suit est entièrement autobiographique pour les éléments me concernant directement, et basé sur des faits réels pour ce qui est des séjours hospitaliers impliquant de tierces personnes. La naissance de ces pages remonte d’abord à un séjour en unité de sevrage à l’Association du Dispensaire de Lutte Contre l’Alcoolisme de Bletterans, dans le Jura, aux mois de janvier et février 2016. Comprenant, après avoir fini et publié un premier jet courant 2016, que l’objectif autothérapeutique – objectif qui s’est imposé a posteriori comme une évidence – était encore loin d’être atteint et surtout que j’avais gravement manqué d’honnêteté en limitant mon récit à cette courte période, j’ai décidé d’en reprendre totalement la rédaction début 2018 au CHU de Dijon, et de tâcher d’y mettre un point final en sortant d’un troisième sevrage, toujours au CHU, en janvier 2019.
À cet effet, j’ai ajouté une nouvelle première partie au récit, partie qui retrace succinctement la façon dont l’alcool et moi nous sommes rencontrés et comment cette substance a fini par avoir dans ma vie plus d’importance que les projets d’avenir. S’enchaînent ensuite, logiquement, les récits concernant les sevrages en eux-mêmes et, je l’espère à l’heure où j’écris ces lignes, une conclusion sur les bénéfices que ces séjours m’ont apportés sur le long terme, ainsi que sur mon état d’esprit actuel, fort d’au moins trois ans de recul sur les événements décrits.
Un mot, d’abord, sur l’ADLCA.
L’ADLCA est une association dont les activités ont beaucoup évolué au fil des ans : de simple dispensaire créé en 1972, la structure est à présent apte à traiter les addictions de toute nature par le moyen de sevrages, cures, postcures et séjours dits « séquentiels » (consistant à effectuer un bref séjour volontaire de soutien sur place afin d’éviter l’imminence d’une rechute), et à proposer aux personnes en grande précarité des contrats aidés dans le but d’une réinsertion sociale et professionnelle progressive. Pour toute information complémentaire sur l’ADLCA, son historique et les diverses solutions thérapeutiques proposées, l’auteur vous invite à visiter leur site internet, www.adlca.fr.
L’unité d’addictologie du CHU de Dijon est récente, âgée de seulement cinq ans à ce jour. Auparavant, bien que située au cœur d’une ville de 280 000 habitants environ, cette « unité » n’était constituée que de deux lits et ses patients se voyaient mélangés aux autres pathologies qui sont du ressort de la psychiatrie. Le tout dans l’ancien hôpital général qui, ironiquement, est en train de devenir la Cité internationale de la gastronomie et... du vin. C’est grâce à la ténacité de quelques médecins et soignants que l’unité a grandi et est devenue indépendante après son transfert au CHU François-Mitterrand, offrant à présent dix lits en unité de court séjour et une section « hôpital de jour » qui propose des activités variées en vue d’aider au maintien de l’abstinence.
S’il est toujours possible que patients ou parents de patients reconnaissent, ou croient reconnaître certains des personnages parfois hauts en couleur dépeints dans ces pages, l’auteur souhaite insister sur le fait qu’il a particulièrement veillé à respecter une certaine confidentialité ou du moins, une discrétion respectueuse à leur égard. Dans ce but, tous les prénoms cités ont été changés ou plus simplement, parfois, volontairement omis.
*
* *
Le but de ce récit autobiographique, commencé en sevrage au mois de janvier 2016, était à l’origine de simplement tromper l’ennui. Je me suis toutefois rapidement pris au « jeu » qui consiste à être à la fois observateur et observé, en tâchant de rester aussi neutre que mes états mental et physique, variables, ont pu me le permettre. J’ai ainsi préféré insister sur mon ressenti personnel plutôt que sur celui de mes camarades d’infortune (ou de fortune), sur les sentiments profonds desquels je n’ai pu qu’émettre des suppositions, malgré nos nombreuses discussions privées et prises de parole en petits groupes.
Ces tranches de vie ont donc maintenant, à mes yeux, des buts et utilités multiples. Rapidement devenu une forme quotidienne d’autothérapie, mon journal originellement du soir, puis du matin et enfin de n’importe quel moment de la journée pourra parfois paraître décousu. C’est un fidèle reflet de plusieurs caractéristiques de ce genre de séjour, en ce sens que l’on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine forme de perte de contrôle, aussi fort – physiquement et mentalement – soit-on à l’arrivée, et que la multiplication de cette perte de contrôle par le nombre de patients qui la subissent dessine une courbe exponentielle à tendance bordélique.
Ce récit se veut non seulement assez fidèle mais principalement sincère, même si je me suis occasionnellement autorisé une certaine marge de caricature. Je souhaite ardemment que vous y voyiez dans tous les cas, d’abord et avant tout, de la beauté et de l’espoir, que vous soyez confronté de quelque manière au problème de l’addiction, que vous vous y intéressiez pour une raison précise – professionnelle, par exemple – ou que vous aimiez simplement effleurer les fondements du fonctionnement de l’humain en détresse.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, rien ne saurait pour moi constituer une plus belle réussite que de savoir, ou seulement imaginer, que ce court récit aura pu trouver quelque utilité autre que celle du simple divertissement de ses lecteurs. Sachez que, quelles que soient les apparentes gravité et insolubilité de votre (vos) problème(s), il existe des gens qui sont prêts à donner énormément pour la simple satisfaction d’aider leur prochain. S’il vous arrive un jour de devoir, ou vouloir vivre une expérience similaire à la mienne, dites-vous ceci : un beau matin, fût-ce le second ou le trentième, vous croiserez au détour d’un couloir une personne qui vous sourira parce que vos aspect, posture et respect de vous-même auront déjà changé en bien. Peut-être n’y prendrez-vous pas garde. Peut-être votre journée en sera-t-elle au contraire illuminée. Mais si vous prenez un instant pour noter cette subtile et fugace vibration positive sur le visage d’un « étranger », imaginez combien les gens qui vous sont proches seront fiers des efforts que vous aurez déployés. Et si vous n’avez pas le courage de répondre aux questions pressantes que l’on ne manquera pas de vous poser après votre sortie, pourquoi ne pas leur faire lire ces quelques pages ?
Julien Roturier, Bletterans, le jeudi 4 février 2016.
« En 2002, 93 000 hospitalisations ont eu comme diagnostic principal des troubles mentaux et du comportement la consommation d’alcool et en 2003, 100 000 personnes ont consulté dans un centre de cure en alcoologie et 48 000 consultent un médecin pour un sevrage. Vers 2006, environ 5 millions de personnes avaient un problème avec l’alcool, dont 2 millions étaient alcoolodépendantes (soit plus de 7 800 personnes pour 100 000 habitants), dont 600 000 femmes ; d’après une étude récente, chaque Français de 15 ans et plus a consommé en moyenne 13,4 litres d’alcool pur en 2003 (ce qui représente trois verres standards d’alcool par jour et par habitant). »
Chiffres issus de :
données du Programme de médicalisation des systèmes d’information ;
Lutte contre l’alcoolisme, le dispositif spécialisé en 2003, Direction générale de la santé, 2003 ;
Observatoire français des drogues et toxicomanies, Paris, 2005 ;
Julie Lasterade, « L’alcoolisme sur la table », article dans Libération du 07/10/2006.
Source :
Wikipédia, article « Alcoolisme », paragraphe « En France » au 5 janvier 2018.
— Première partie –
He's lost control
199... - 2016
Dijon, Tournus
Bonjour, je m’appelle Julien et je suis alcoolique.
Qu’on choisisse le terme le plus ingrat (poivrot, sacoche, ivrogne) ou le plus politiquement correct, le résultat est le même. Je bois depuis mes seize, dix-sept ans.
J’ai d’abord aimé la perte de contrôle provoquée par le produit. La tête qui s’envole, l’esprit qui vagabonde. Puis j’ai aimé le sentiment de force, de normalité : enfin j’avais trouvé quelque chose qui me permettait de faire « comme tout le monde » et d’être un fêtard lambda. Contrairement à l’effet que le cannabis allait finir par produire sur moi quelques années plus tard, l’alcool ne m’a jamais rendu parano, bien au contraire. Bourré ? Et alors... Défoncé ? Tant mieux : c’est ça, faire la fête. Et bien sûr, courage d’aborder une fille, courage de l’embrasser, courage – surtout – de me mettre littéralement à nu devant elle.
Ce n’est qu’après avoir été malade de surconsommation des dizaines de fois que j’ai commencé à discerner d’autres problèmes que le seul impact immédiat sur la santé. Des maux de tête et de cœur des lendemains qui chantent faux et beaucoup trop fort je suis passé à la galère des ardoises, des loyers impayés, de la famille taxée de gré ou de force pour assouvir mon besoin compulsif de penser à autre chose et autrement.
Adolescent, j’ai trouvé un moyen de ne pas trop me faire bousculer et d’être entouré. Très mal, évidemment, mais entouré tout de même. On était dans les années 1990 et la mode des consoles de jeu faisait son grand retour après un creux de vague assez prononcé. Ainsi ai-je allègrement profité de la séparation parentale pour me faire offrir à peu près tout ce qui pouvait se brancher sur le secteur d’une part et sur une télévision d’autre part, ou encore tenir dans une (grosse) poche.
L’argument était tout trouvé. Il me suffisait de faire jouer la culpabilité de l’un et de l’autre, alternativement. Non, je n’étais pas à ce point cynique à douze ans ; je réaliserai seulement bien plus tard que c’est ainsi que je fonctionnais. Bref : en tout cas, ça marchait et je me suis rapidement retrouvé à la tête d’une impressionnante collection de bricoles numériques de toutes tailles et couleurs, en entamant au passage sérieusement les modestes revenus de ma mère qui avait dû retrouver un boulot à cinquante ans pour assurer un avenir au dernier de ses enfants resté à la maison.
C’est à cette époque que j’ai découvert le sentiment terriblement mitigé et destructeur qui naît de ce qu’on appelle la compulsion. L’irrépressible envie de posséder quelque chose ou d’être quelque chose, voire d’être à travers la possession, envie immédiatement suivie d’un écrasant sentiment d’échec et de culpabilité – juste revers de celle que je faisais ressentir à mes parents mais qui, loin de constituer une forme d’équilibre, ne faisait que s’y ajouter.
Je filais vers les magasins le cœur battant d’excitation, à l’idée de rentrer le sac plein de nouveaux jouets. Dans le sac aussi, un chèque dont nous dirons élégamment qu’il était « détourné » du carnet maternel. Oui, c’est ainsi qu’a pris corps l’habitude de dépenser n’importe quel pognon, qu’il soit le mien ou non, dans le but de réaliser au plus vite mes fantasmes de possession matérielle et de statut social, sans penser aux conséquences.
Au retour, le sac n’était pas seulement plus lourd des quelques centaines de grammes d’une nouvelle cartouche de jeu ou d’un nouvel accessoire. Il était lesté des regrets et de la honte que j’avais réussi à faire taire depuis l’arrivée subite de la compulsion.
Rien ni