SVHS : Dans votre livre La Maladie du temps (éd. Puf) paru en 2014, vous développez l’idée que la maladie d’Alzheimer fait écho aux angoisses de la société. Est-ce toujours d’actualité ?
En 2022, la maladie mythique est évidemment le Covid-19. Quand j’ai écrit ce livre, je me suis inspiré du travail de l’essayiste américaine Susan Sontag. D’après elle, toutes les époques de l’histoire récente de l’humanité ont eu besoin d’une maladie mythique. Dans les années 70, c’était le cancer, dans les années 80 et 90, le Sida. La maladie fait figure de métaphore : la maladie mythique est celle qui, à un moment donné, cristallise les angoisses des individus et de la société. Pas parce qu’elle tue un grand nombre de personnes, mais parce qu’elle fait écho à l’imaginaire d’une époque. Par exemple, le Sida, dont la transmission est rapide et dont on croyait que le “patient zéro” était un steward, est une maladie mythique car elle représente l’angoisse générée par la mondialisation à cette époque. Il m’a semblé qu’au début des années 2000, Alzheimer avait supplanté le Sida. Elle est une maladie de la mémoire. Or, à ce moment-là, notre société était très inquiète pour sa mémoire. Nous sommes entrés dans l’ère du numérique. Nous confions énormément de choses de notre mémoire (nos photos, nos souvenirs, notre capacité à communiquer) à la technique. Alzheimer devient alors une maladie célèbre, certes parce qu’elle est grave et touche beaucoup de gens, mais aussi parce que, dans notre imaginaire, elle fait écho à ce rapport complexe et anxiogène que nous avons vis-à-vis de la mémoire