Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Histoire des Barberousse: Deux frères pirates maîtres de la Méditerranée
Histoire des Barberousse: Deux frères pirates maîtres de la Méditerranée
Histoire des Barberousse: Deux frères pirates maîtres de la Méditerranée
Livre électronique268 pages4 heures

Histoire des Barberousse: Deux frères pirates maîtres de la Méditerranée

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

De 1470 à 1547, le récit de l'incroyable ascension des frères pirates Barberousse !

Les frères Aroudj et Khaïr Eddin dits Barberousse, régnèrent à Alger au XVIe siècle. À la mort du premier en 1518, son cadet fut proclamé général de la mer et souverain d'Alger par tous les capitaines corsaires. Sélim puis Soliman II mirent à sa disposition les forces navales turques. Leur confiance lui permit d'enchaîner les conquêtes, d'écumer la Méditerranée et de semer la terreur sur ses côtes auprès de la population par des atrocités, des pillages...

Charles Farine, après de minutieuses recherches dans les archives et publications d'historiens arabes et espagnols, publia cet ouvrage en 1869.

Un récit sur la piraterie du XVIe siècle à la fois passionnant et richement documenté.

EXTRAIT

Mais les victoires de Fernand de Cordoue, de Pierre de Navarre, de Ximénès lui-même tournèrent contre le but qu’ils s’étaient proposé, et la piraterie, souvent vaincue, sans cesse renaissante, sembla grandir par ses défaites mêmes. Singulier résultat ! que nous verrons se reproduire sans cesse dans le cours de cette histoire de deux hommes qui, par leur génie, par leur courage, par leurs crimes même, parvinrent, du seuil d’une chaumière, à gravir les marches d’un trône.
Ces deux hommes sont Baba Aroudj et Khaïr-Eddin, plus connus sous le nom des Barberousse.
LangueFrançais
ÉditeurCLAAE
Date de sortie23 févr. 2018
ISBN9782379110467
Histoire des Barberousse: Deux frères pirates maîtres de la Méditerranée

Lié à Histoire des Barberousse

Livres électroniques liés

Aventuriers et explorateurs pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Histoire des Barberousse

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Histoire des Barberousse - Charles Farine

    même.

    I

    1470 – 1500

    Les Maures, chassés de l’Espagne, se réfugient en Afrique et créent la piraterie. — Les Espagnols, pour les contenir, s’emparent des ports du littoral africain. — Origine des Barberousse. — Le sipahi Yakoub se fixe à Mételin et y épouse une veuve chrétienne. — Nombreuse famille. — Aroudj et Khirz. — Enfance inconnue. — Aroudj aide son père dans son commerce de cabotage. — Khirz se fait potier. — Mort de Yakoub. — Aroudj va à Constantinople ; il obtient un emploi dans la marine. — Chef de chiourme d’une galère en course, il est fait prisonnier. — Mort d’Elias. — Conduit à Rhodes, Aroudj refuse d’être racheté par son frère Khirz, dit Khair Eddin. — Esclave, il étudie l’institution des chevaliers de Rhodes et rêve l’organisation d’une puissance rivale. — Aroudj conduit en Karamanie des esclaves rachetés. — Sa fuite pendant une tempête.— Retour à Constantinople. — Misère. — Il devient timonier d’une galère. — Il s’en empare en assassinant le capitaine. — Voyage à Mételin. — Il emmène ses deux frères, Ishak et Khaïr Eddin, pour les attacher à sa fortune.

    Les Maures, chassés du royaume de Grenade, qu’ils avaient possédé pendant sept cents ans, s’étaient réfugiés en Afrique, leur berceau, d’où ils étaient partis, au septième siècle, pour ravager l’Espagne et y établir leur domination. Vaincus par Ferdinand d’Aragon, époux d’Isabelle de Castille, ils regrettaient toujours ces beaux pays d’Andalousie, de Murcie et de Grenade qu’ils avaient enrichis par leur commerce, leur agriculture et leurs travaux d’art ; après avoir vainement tenté de les reconquérir, ils y portèrent le pillage et l’incendie. Ce fut là l’origine de la piraterie.

    Les Espagnols, de leur côté, pour refouler ces envahisseurs et arrêter leurs dévastations, résolurent de s’emparer de tous les ports d’où s’élançaient, sur leurs chébeks, ces hardis corsaires ; c’est ainsi que le grand cardinal Ximénès, dans le but de rendre la sécurité au littoral, porta la guerre en Afrique, et les villes de Mers-el-Kébir, Oran, Bougie, Bône, tombèrent aux mains des Espagnols.

    Mais les victoires de Fernand de Cordoue, de Pierre de Navarre, de Ximénès lui-même tournèrent contre le but qu’ils s’étaient proposé, et la piraterie, souvent vaincue, sans cesse renaissante, sembla grandir par ses défaites mêmes. Singulier résultat ! que nous verrons se reproduire sans cesse dans le cours de cette histoire de deux hommes qui, par leur génie, par leur courage, par leurs crimes même, parvinrent, du seuil d’une chaumière, à gravir les marches d’un trône.

    Ces deux hommes sont Baba Aroudj et Khaïr-Eddin, plus connus sous le nom des Barberousse.

    Un sipahi roumiliote, du nom d’Yakoub, d’Yennid-Jewardar, vivait à Constantinople vers le milieu du quinzième siècle ; il assista comme soldat à la conquête de Mételin par Mahomet II, et demeura dans l’île avec la garnison qu’y laissa le sultan1 Yakoub, qui était renégat ; il épousa, dans la ville de Bonava, où il avait fixé sa résidence, la veuve d’un prêtre grec. Cette femme, nommée Catalina, lui donna six enfants, deux filles, qui suivirent la religion de leur mère, et firent leurs vœux dans un couvent de Mételin2 et quatre garçons, qui, comme leur père, devinrent musulmans ; c’étaient Elias, Ishak, Aroudj et Khirz, surnommé plus tard Khaïr-Eddin3.

    C’est de ces deux derniers que nous voulons retracer l’histoire, aussi remplie de nobles actions que souillée de crimes odieux ; aventuriers grandioses qui, dans ce seizième siècle troublé par tant de guerres acharnées, par tant de forfaits de toute sorte, ont laissé un renom que le temps n’a pas effacé. Le nom des deux aînés, Elias et Ishak, n’a survécu que grâce aux noms de leurs cadets, et ce que l’on sait d’eux se résume en quelques mots.

    Yacoub, qui faisait sur la côte et dans les îles de l’archipel un petit commerce de cabotage, fit apprendre à ses fils des professions diverses. Ishak devint charpentier ; Elias s’adonna à l’étude du Koran ; Khirz devint potier et Aroudj accompagna son père dans ses courses ; il prit bientôt goût à ce métier, qui, sous le nom de commerce, déguise toujours un peu de piraterie. Les premières années d’Aroudj et de Khaïr Eddin sont inconnues, les historiens arabes ou espagnols qui ont parlé d’eux ne disent rien de leur enfance ; ils se bornent à dépeindre le caractère énergique, hardi de Aroudj : dressé, dès ses plus jeunes ans, au rude métier de la mer, il se joue du péril et s’essaye sur de frêles barques de pêcheurs à braver la tempête, à lutter contre les hommes et les éléments ; aussi ses premières courses sont-elles signalées par d’audacieux coups de main. Il prélude par de folles aventures aux luttes qui illustreront sa vie. Mais avec une frêle barque qui constitue toute sa fortune, que peut-il tenter de grand ? Comment échapper à la surveillance de ces chevaliers de Rhodes, qui, du haut de leur île assise à l’entrée de l’archipel, semblent une sentinelle placée là pour le défendre ! Aussi, quand son père meurt, il abandonne sa barque, se rend à Constantinople et sollicite, comme fils d’un ancien serviteur, un emploi dans la marine ; il l’obtient et devient bientôt comite ou chef de la chiourme d’une galère destinée à aller combattre cette puissance déjà redoutable qui, interceptant la Méditerranée, ferme le chemin de l’Afrique, de l’Egypte et de la Syrie.

    Dans une course près de l’île de Candie, la galère turque est surprise par deux vaisseaux de Rhodes et bientôt prise à l’abordage par une manœuvre habile, elle est forcée d’amener son pavillon devant des forces supérieures et de rendre les armes. Tous les musulmans réduits en esclavage furent vendus aux enchères, et Aroudj échut à deux chevaliers.

    Cependant Khirz, le potier, apprend la nouvelle de la captivité de son frère ; sans se laisser aller à la douleur comme une femme, il songe à le délivrer. Il charge un marchand chrétien qui faisait le commerce avec Rhodes de traiter de la rançon de son frère, et il lui donne dix mille drachmes pour la payer. Le chrétien s’embarque, et Khirz l’accompagne jusqu’à Boudroun, situé à quelques milles de Rhodes.

    Le marchand chrétien aborde dans l’île, découvre Aroudj, et trouve l’occasion de lui faire part de la mission dont l’a chargé son frère mais Aroudj, heureux du souvenir plus encore que du secours, refuse la rançon que lui envoie Khirz et lui fait dire qu’il saura bien, sans qu’il en coûte rien, échapper à l’esclavage. Khirz, après ce refus, retourna à Mételin. Aroudj, jeune, fier, intelligent, ne s’était pas laissé abattre par cette disgrâce ; prisonnier des chrétiens, il profitait de l’espèce de liberté que lui laissaient ses maîtres, pour apprendre l’italien, la langue franque, et surtout étudier l’organisation, le fond, le but de cette institution religieuse et militaire qui le tenait en esclavage.

    L’ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, connus d’abord sous le nom de Frères hospitaliers, remontait aux premières croisades ; chassés de la Palestine par le Soudan d’Egypte, les chevaliers s’étaient quelque temps réfugiés dans l’île de Chypre, puis, s’emparant de Rhodes, ils étaient devenus, de simples religieux voués au soin des malades, une puissance militaire qui, au dire d’un de leurs grands maîtres, Raymond du Puy, « avait mis l’épée à la main pour assaillir, terrasser, fouler aux pieds les mahométans et tous ceux qui se forlignent du droit chemin de la foi ».

    Plus tard, donnant l’essor à leurs visées ambitieuses, sous prétexte de détruire les corsaires de la Méditerranée, ils créèrent, grâce à leurs richesses, une marine destinée à sillonner les mers de l’archipel et à porter la terreur et la dévastation sur les côtes de la Turquie d’Asie, leur voisine.

    Aroudj s’était attiré, par sa jeunesse, par ses manières enjouées, la bienveillance des grands personnages de l’île. L’un d’eux, bailli de l’ordre, voulant améliorer son sort en l’achetant, ne réussit qu’à rendre sa servitude plus cruelle et à exciter contre lui les mauvaises dispositions de l’un de ses maîtres qui avait appris le refus d’Aroudj de la rançon que lui offrait son frère4.

    Les sentiments de haine du jeune esclave durent redoubler de violence, en présence des mauvais traitements qu’il subissait et c’est ainsi, dans la solitude du bagne, dans les insomnies de la nuit, qu’il dut rêver la création d’une puissance rivale à opposer, comme une digue, aux envahissements, aux déprédations des ennemis de l’Islam. L’île de Mételin, sa patrie, avait été ravagée par les chevaliers de Rhodes, et il l’avait appris, sans pouvoir venger cet affront, enchaîné qu’il était au banc d’une galère mais cette âme ardente, énergique, dut le ressentir vivement et songer à exercer un jour de rudes représailles ; il commençait cependant à désespérer de conquérir sa liberté, lorsque le hasard lui en fournit l’occasion. Un frère du sultan Sélim, gouverneur de la Karamanie, résidait à Satalie. Le prince Kir-Kir-Khan était généreux, charitable, et, désirant tirer des musulmans de l’esclavage, il traita de la rançon de quarante d’entre eux détenus dans les bagnes de l’ordre de Saint-Jean.

    Le grand maître arma une galère pour transporter à Satalie les libérés. Aroudj, moins heureux que ses anciens compagnons de chaîne, était au banc des rameurs. La galère voguait vers la terre ferme sur une mer tranquille et, la nuit venue, elle mouillait près de Castelrosso. Bientôt un vent, furieux s’élève, la galère chasse sur ses ancres et menace de périr corps et biens. La tempête redouble pendant toute la nuit, les vagues envahissent et balayent le pont du navire. Bientôt le désordre est partout. Chacun songe à sauver sa vie ; la voix du capitaine n’est plus écoutée ; les comites eux-mêmes refusent d’obéir ; les esclaves enchaînés à leurs bancs poussent des cris de détresse et augmentent l’effroi et la confusion. Aroudj parvient à briser sa chaîne et, dans les efforts qu’il fait, il se blesse au pied ; mais il n’hésite pas cependant à sauter à la mer, et luttant contre la vague qui vingt fois l’engloutit, l’aveugle, le plonge au fond de l’abîme, il atteint le rivage, s’accroche à un rocher et parvient, demi-mort, à s’y cramponner. Des paysans charitables le recueillirent, le cachèrent aux yeux des comites envoyés à sa poursuite, dès que, la tempête calmée, on s’était aperçu de sa disparition ; bientôt Aroudj, voyant la galère reprendre sa route, remerciait Dieu de sa délivrance et gagnait Satalie, s’embarquait de là pour Alexandrie, puis arrivait à Constantinople, où ses malheurs, loin d’exciter la pitié, ne faisaient qu’irriter les trésoriers de la marine, qui lui reprochaient la perte de son vaisseau. Aroudj, malgré son énergique volonté, dut avoir à ce moment de longues heures de doute, de désespoir. En proie à la misère, à la faim même, on le voit, tour à tour, journalier, portefaix, conducteur de barque. Enfin il réussit à devenir timonier à bord d’un petit navire et d’un brigantin armés en course et conduits par deux patrons ; l’un d’eux mourait à Ténédos pendant une relâche, et Aroudj, dont l’ardente intelligence avait été appréciée par le chef qui restait, vit grandir son autorité et devint lieutenant du bord. Aussitôt il en profite pour exciter une révolte dans l’équipage, et bientôt son audace, sa confiance dans le succès, les promesses de fortune, de liberté qu’il fait briller aux yeux de malheureux esclaves, lui attirent des partisans mais il lui faut supprimer l’obstacle qui le sépare du premier rang : un double crime le fait maître du navire et du brigantin. Le patron endormi est frappé d’un coup de hache, et, le pont lavé, le cadavre jeté à la mer, toute trace du meurtre disparaît. Le timonier du brigantin est enchaîné à fond de cale, les gens de l’équipage proclament Aroudj capitaine et saluent de leurs hourras son premier forfait. Il court à Mételin chercher ses frères pour les associer à sa fortune naissante, fait d’Ishak son lieutenant, de Khirz, ou Khaïr Eddin le capitaine de la galiote, dit adieu à sa mère, à qui il promet une fortune, et c’est du modeste berceau de son enfance, de cette petite île perdue dans l’archipel, que partent ces corsaires, alors à peine âgés de vingt à vingt-cinq ans, pour entreprendre contre la chrétienté cette lutte gigantesque qui fera leur gloire et portera, d’âge en âge, leur nom détesté jusqu’à nous.

    __________________

    1. Histoire des Ottomans.

    2. L’ancienne île de Lesbos, Mytilène.

    3. Bien de la religion. Voir Sandoval, Historia del imperador Carlos V.

    4. Gazzewal, les Pieux exploits de Aroudj et Khaïr Eddin, manuscrit de la Bibliothèque impériale, traduction Sander Rang et Ferdinand Denis.

    II

    1470 – 1500

    Aroudj fait des prises sur les côtes d’Espagne. — Rencontre à Négrepont d’une galiote turque. — Combat, abordage et prise. — Hivernage à l’île de Gelves. — Il reprend la mer au printemps. — Combat de trois jours contre un vaisseau espagnol. — Abordage. — Aroudj s’en empare. — Il se rend à Tunis pour demander au sultan un refuge dans ses ports. — Le sultan promet sa protection. — Entrée à Tunis. — Marche triomphale. — Réception au palais. — Le sultan donne un vaisseau à Aroudj. — Deux mois passés à Tunis. — Départ. — Prise d’un vaisseau hollandais. — Rentrée à Tunis pour vendre sa cargaison.

    — Exigence du nouveau sultan. — Refus d’Aroudj. — Alliance avec les corsaires de Gelves. — Descente dans les îles de la Méditerranée. — Prises, pillages. — Rencontre de deux galères du pape. — Aroudj feint de fuir. — La capitane lui donne chasse. — Aroudj engage le combat et amène bientôt son pavillon. — Transbordé avec ses soldats sur le pont de la capitane, il recommence le combat. — Les chrétiens sont vaincus.

    — Ruse d’Aroudj pour s’emparer de la deuxième galère. — Poursuivi par la flotte espagnole, il se réfugie à Tunis.

    Aroudj ne devait plus songer à rentrer à Constantinople, où il aurait eu à rendre compte de ses actions ; aussi se dirige-t-il d’abord sur les côtes d’Espagne, où il fait quelques prises ; puis il se trouve, près de Négrepont, en face d’une galiote turque. Aroudj, en ce moment, est l’ennemi du Turc comme du chrétien ; toute proie lui est bonne. Il livre le combat, s’empare de la galiote, y jette un nombre suffisant de matelots pour la manœuvrer, et ne laisse la vie qu’au capitaine, qui le supplie de ne pas le tuer, et qui consent à devenir son esclave ; la mauvaise saison venue, il va hiverner dans l’île de Gelves mais il ne reste pas inactif, il exerce ses soldats, ses matelots, au maniement du sabre, à l’abordage puis, le printemps venu, entouré d’un équipage aguerri, il quitte l’abri hospitalier de cette île de pirates. Son escadrille, composée de trois voiles, se dirige vers la Sicile.

    Aroudj le corsaire a déclaré la guerre à l’univers entier, mais c’est aux chrétiens qu’il portera les plus rudes coups. En vue de Lipari, un navire qui transportait à Naples soixante gentilshommes espagnols et leur suite au nombre de plus de trois cents, apparaît à l’horizon. Aroudj fond sur lui, l’attaque, le crible de boulets, de balles et de flèches, pendant que Khaïr Eddin, de son côté, tente vainement l’abordage ; plusieurs assauts sont ainsi repoussés, et le combat dure trois jours sans avantages signalés. Les Espagnols cèdent cependant au nombre : Aroudj, des premiers, saute, le sabre au poing, sur le pont du navire et brave la mousqueterie des Espagnols réfugiés sur l’avant du vaisseau ; les injures, les menaces, une blessure même, ne sauraient l’intimider. Khaïr Eddin parvient à jeter les grappins sur le vaisseau ennemi, à se lier à lui, et bientôt les équipages réunis forcent les Espagnols à se rendre à merci. Aroudj fait un butin considérable ; habile à profiter des avantages que lui offre la fortune, il se dirige vers Tunis avec sa flottille, aborde à la Goulette, et va demander au sultan Muley Mahomet le droit de refuge dans ses ports ; le sultan promet sa protection et permet aux corsaires d’entrer dans sa capitale.

    Au jour fixé pour cette pompe triomphale, Khaïr Eddin se dirige vers Tunis ; Aroudj, blessé dans le dernier combat, ne peut songer à le suivre ; les caronades de ses vaisseaux tonnent en longues salves, les forts de la Goulette leur répondent et les canons de Tunis, comme un écho lointain, saluent les corsaires victorieux.

    Aroudj s’était plu à choisir parmi les richesses que renfermait le vaisseau espagnol et à composer un présent digne du sultan. Ce sont des faucons, des molosses, des lévriers, des esclaves, des étoffes précieuses, des vases d’or et d’argent ; il fait vêtir de riches habits cinquante jeunes gens qui conduiront les chiens en laisse ; quatre-vingts Turcs porteront les faucons sur le poing, ce qui fait dire à l’auteur des Pieux exploits d’Aroudj et de Khaïr Eddin que, « par cette disposition du cortège, chrétiens et musulmans s’avançaient offrant un symbole qui convenait à chacun d’eux ; le chien avec le chrétien, le faucon, emblème de la noblesse et de la fierté avec les musulmans. Puis venaient quatre jeunes filles prises sur le vaisseau capturé, qui, vêtues de somptueux atours, montées sur des mules richement harnachées, sont destinées au harem du sultan. La musique suit, sonnant ses airs les plus guerriers, et derrière elle marche l’équipage armé agitant l’étendard vert du Prophète et le guidon rouge d’Aroudj. Les matelots portent les effets précieux, les brocarts de soie lamée d’or, les draps d’Espagne qui sont le complément du présent offert à Muley Mahomet. Ce riche cortège, que conduit un officier, s’avance dans les rues de Tunis, suivi d’une foule bruyante, entre au palais ; l’officier fait ranger les esclaves dans une des cours, et après avoir offert au sultan l’hommage de ses maîtres, et raconté leurs exploits, il attend respectueusement sa réponse.

    Muley ne se lasse pas d’admirer ces richesses il remercie le ciel qui favorise les entreprises des corsaires et les loue du zèle qui les anime pour la gloire de leur religion ; il fait ensuite distribuer deux mille sequins aux musulmans qui ont porté le présent, revêt d’un cafetan d’honneur l’officier qui l’a conduit et envoie à Aroudj une aigrette en diamants, pareille à celle dont les sultans ornent leur coiffure ; enfin il lui écrit pour lui permettre de choisir dans ses arsenaux le vaisseau qui lui paraîtra le plus propre à la course.

    Aroudj donna à son équipage une part du butin ; c’était le moyen le plus sûr de s’attacher ces hommes sans foi ni loi qui composaient sa petite armée, puis il passa deux mois à Tunis, partageant sa vie entre le travail de réparation de sa flottille et les plaisirs que lui offrait la fortune. L’on vit alors ces fils d’un pauvre raïs de Mételin servis par de nobles hidalgos et le potier, qui naguère fabriquait de ses mains de grossières amphores, boire dans des vases d’or les vins d’Espagne que leur versaient les blanches mains de deux jeunes filles prises avec leur père sur le vaisseau.

    Ils partirent, emmenant la galère dont le sultan Muley leur avait fait présent, et ils recommencèrent à écumer la mer. Un vaisseau hollandais, chargé de marchandises anglaises et allemandes, devint bientôt leur proie ; il fallut alors retourner à Tunis pour opérer la vente du navire et de la cargaison. Un nouveau sultan de la dynastie des Hafs avait remplacé Muley Mahomet, son frère ; il émit la prétention de partager tout le butin que feraient les corsaires, en échange de la protection qu’il leur accordait. Aroudj résiste à cette exigence et part déterminé à chercher un refuge plus désintéressé. Il choisit l’île de Gelves qu’habitaient des corsaires comme lui, forme avec eux une alliance offensive et défensive avec leur concours, il fait des descentes sur tout le littoral de la Méditerranée ; Majorque, Minorque, la Sicile, deviennent ses tributaires ; il pille les châteaux, brûle les villages, enlève les habitants valides, comble ses entreponts d’esclaves, puis s’enfuit, dans la retraite qu’il s’est choisie, échanger son butin contre de l’or, pour courir à de nouveaux exploits.

    Nous aurons trop souvent l’occasion, dans le cours de cette vie singulière, de raconter des épisodes hardis ou sanglants pour nous y appesantir ici ; on verra trop souvent ce soldat énergique tenter des entreprises téméraires, braver les dangers, surmonter avec audace les obstacles pour atteindre un but qu’il voit dans un avenir lointain ; mais ses projets ne sont pas mûrs encore, ses victoires n’ont pas jeté une lueur assez vive sur sa vie passée pour l’effacer sous leur rayonnement ; on sent encore en lui le pirate qui ne vit que de violences et de rapines, et il aspire à devenir un conquérant.

    Un coup de main, tenté avec une présence d’esprit et une ténacité singulières, mit le comble à son renom de capitaine habile,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1