"Peut-être, on pense, vraisemblablement, il est possible, sans doute, sans pouvoir l’affirmer, il semblerait… » L’histoire de la bataille (dite) de Poitiers est tant cousue de conditionnels qu’aucun rédacteur en chef digne de ce nom n’accepterait aujourd’hui de la publier. De date et de lieu précis, il n’y a point. De composition et d’effectifs des armées opposées, pas plus. De témoins oculaires, nenni : la Chronique mozarabe (voir encadré), première source sur l’affaire, a été écrite en Espagne par un auteur anonyme, plus de vingt ans au moins après les faits. Elle peut légitimement être soupçonnée en outre de partialité, mais son premier contradicteur possible ne rédige qu’un siècle plus tard, à plus de 3 000 km du lieu (supposé) des combats… Seule certitude: le contingent du franc Charles a vaincu celui de l’émir arabe Abd al-Rahman, tué au combat. C’est pourtant sur ces fondations branlantes qu’a été bâti au fil des siècles le mythe d’un coup d’arrêt infligé à l’islam conquérant par Charles Martel, devenu ainsi champion de la chrétienté.
Cette ténébreuse histoire commence en 636. Les armées arabes animées par la nouvelle foi musulmane battent cette année-là les Byzantins sur le Yarmouk, puis l’Empire sassanide à Qadisiyya. Une fois neutralisés ou soumis les deux empires majeurs qui se (gouverneur) d’al-Andalus, la nouvelle principauté installée à Cordoue par le califat omeyyade de Damas, récupère en 720 un dernier morceau du défunt royaume wisigoth : l’ex-Septimanie romaine et sa capitale, Narbonne.