Nouvelles de Singapour: Récits de voyage
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
À la découverte des traditions et de la culture de Singapour.
Singapour, en Occident, évoque d’abord les riches heures de l’époque coloniale, puis l’insolent succès, depuis les années 1960, d’une place financière et commerciale devenue incontournable. En deux générations, l’indépendance acquise en 1965 sous l’impulsion de Lee Kuan Yew, a profondément transformé l’identité du « Gibraltar d’Extrême-Orient ». Le melting pot singapourien (Européens, Chinois, Malais et Indiens), ayant en partage la langue anglaise et sa culture, ne pouvait pas ne pas en venir au « storytelling ». Car cette cité-État est riche d’histoires individuelles.
Quand on pense Singapour et litérature d’hier, l’image d’Hemingway, sirotant un Singapore Sling au bar de l’hôtel Rafles sous les pales des ventilateurs, s’impose. Mais si l’on pense Singapour et littérature d’aujourd’hui, pour mieux la comprendre, alors il faut lire les auteurs de ce recueil, représentants d’une culture mosaïque en plein devenir.
Laissez-vous emporter dans un formidable voyage grâce aux nouvelles singapouriennes de la collection Miniatures !
À PROPOS DES ÉDITIONS
Créées en 1999, les éditions Magellan & Cie souhaitent donner la parole aux écrivains-voyageurs de toutes les époques.
Marco Polo, Christophe Colomb, Pierre Loti ou Gérard de Nerval, explorateurs pour les uns, auteurs romantiques pour les autres, dévoilent des terres lointaines et moins lointaines. Des confins de l’Amérique latine à la Chine en passant par la Turquie, les quatre coins du monde connu sont explorés.
À ces voix des siècles passés s’associent des auteurs contemporains, maliens, libanais ou corses, et les coups de crayon de carnettistes résolument modernes et audacieux qui expriment et interrogent l’altérité.
EXTRAIT
Lee Geok Chan était l’une de mes élèves en formation préuniversitaire. L’une de celles et ceux pour qui de longues heures d’étude assuraient, tout au plus, une réussite de justesse aux examens. C’était une jeune fille pâle, de petite taille, à l’air sérieux, que l’on voyait toujours avec un livre ou une liasse de notes à la main. Son père était tailleur, sa mère blanchisseuse ; il y avait trois frères et deux soeurs. Geok Chan était la deuxième de la fratrie et l’aînée des filles. Son désir de passer l’examen, de trouver un travail et d’aider sa famille la mettait dans un état permanent de tension nerveuse, si bien qu’on la trouvait à tout moment clignant anxieusement des yeux tandis qu’elle notait mot à mot le cours d’un professeur, copiait les notes du tableau avec une application extrême, ou rédigeait une dissertation avec une concentration d’autant plus remarquable compte tenu du bruit et du laisser-aller total qui régnaient autour d’elle dans la classe.
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Avis sur Nouvelles de Singapour
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Aperçu du livre
Nouvelles de Singapour - Collectif
Avant-propos
Singapour, en Occident, évoque d’abord les riches heures de l’époque coloniale (la littérature et le cinéma international en ont fixé sur le papier ou sur la pellicule d’inoubliables moments), puis l’insolent succès, depuis les années 1960, d’une redoutable place financière (la quatrième du monde) et commerciale. À y regarder d’un peu plus près, ce succès, similaire à celui de Hong Kong, annonçait d’ailleurs le développement à venir de la Chine continentale.
De culture singapourienne, à proprement dire, il n’en est question que depuis quelques années. Le melting pot de cette cité-État (Européens, Chinois, Malais et Indiens), ayant en partage la langue anglaise et sa culture, ne pouvait pas ne pas en venir au storytelling. Car Singapour, où le sens du collectif est une priorité, un devoir, est riche d’histoires individuelles.
Ce territoire insulaire du sud de la Malaisie faisait partie, au début du XVe siècle, d’un sultanat convoité et exploité successivement par différentes puissances coloniales, jusqu’à ce que, coup de génie, l’Anglais Thomas Stamford Bingley Raffles y installe en 1826 un comptoir commercial, profitant de la situation géographique privilégiée de l’île en Asie du Sud-Est. Durant la colonisation britannique, l’immigration se développa. Les Britanniques firent venir dans la région des travailleurs chinois et indiens pour encourager le commerce et travailler dans les plantations d’hévéas. Compte tenu de l’interdiction faite aux étrangers d’acheter des terres agricoles en Malaisie, ces communautés s’installèrent à Singapour, surnommée alors en Occident le « Gibraltar de l’Extrême-Orient ». La population malaise vit dès lors s’installer là Chinois, Indiens et Tamouls du Sri-Lanka, tandis que continuait à se renforcer une minorité d’origine européenne. En 1965, l’île se libérait des Britanniques et accédait à l’indépendance sous la forte influence de Lee Kuan Yew (né en 1923), le père de la Singapour moderne.
Dans la vieille Europe, hormis au Royaume-Uni, on connaît assez peu, voire pas du tout la littérature de Singapour. C’est une erreur, un préjugé, une ignorance, une absence de curiosité. Car ce sont moins les lieux que les hommes et les femmes qui y vivent qui font la littérature. Et si la world fiction (tant vantée par certains) existe, sur la base d’un métissage culturel et linguistique, c’est bien dans de hauts lieux ultra-modernes comme celui-ci qu’elle fleurit aujourd’hui. Accompagnée en cela par un marché du livre en croissance constante.
Quand on pense à Singapour et à la littérature d’hier, l’image d’Ernest Hemingway sirotant au bar de l’hôtel Raffles un Singapore Sling (mélange de gin, Cherry Brandy, jus d’ananas, jus de citron vert, Cointreau, Bénédictine, grenadine, angostura, servi avec une tranche d’ananas et une cerise confite), sous les pales des ventilateurs, dans la moiteur tropicale, s’impose. Si l’on pense Singapour et littérature d’aujourd’hui, pour en avoir une idée plus juste et sortir de ses préjugés, alors il faut lire ici Alfian bin Sa’at, Kirpal Singh, Catherine Lim, Lim Thean Soo, Tan Mei Ching et Wena Poon.
Pierre Astier
L’ÉLÈVE LEE GEOK CHAN
par Catherine Lim
Traduit de l’anglais par Claire Mulkai
Lee Geok Chan était l’une de mes élèves en formation préuniversitaire. L’une de celles et ceux pour qui de longues heures d’étude assuraient, tout au plus, une réussite de justesse aux examens. C’était une jeune fille pâle, de petite taille, à l’air sérieux, que l’on voyait toujours avec un livre ou une liasse de notes à la main. Son père était tailleur, sa mère blanchisseuse ; il y avait trois frères et deux sœurs. Geok Chan était la deuxième de la fratrie et l’aînée des filles.
Son désir de passer l’examen, de trouver un travail et d’aider sa famille la mettait dans un état permanent de tension nerveuse, si bien qu’on la trouvait à tout moment clignant anxieusement des yeux tandis qu’elle notait mot à mot le cours d’un professeur, copiait les notes du tableau avec une application extrême, ou rédigeait une dissertation avec une concentration d’autant plus remarquable compte tenu du bruit et du laisser-aller total qui régnaient autour d’elle dans la classe.
Je trouvais toujours difficile de devoir dire à Geok Chan, en réponse à sa demande timide sur la manière dont elle pourrait améliorer son expression écrite, que son anglais était plutôt faible, son usage des mots fréquemment impropre, et qu’elle s’écartait souvent du sujet. Elle acquiesçait docilement d’un signe de tête, mais en même temps la déception se lisait clairement sur son visage. Les cours supplémentaires ne semblaient pas avoir servi à grand-chose et, de semaine en semaine, il me devenait particulièrement pénible de lui tendre une copie, de la voir s’en saisir avec impatience pour vérifier la note, puis d’observer l’expression abattue sur le mince et pâle visage.
Comme tant d’autres, Geok Chan préparait l’examen du A-Level¹ pour la fin de l’année. Au cours des derniers mois avant l’examen, elle venait souvent me voir avec un petit sourire nerveux et me tendait un paquet de dissertations à corriger.
L’une de ces dissertations retint mon attention. Elle était meilleure que les autres ; en fait, c’était la meilleure qu’elle eût jamais écrite, et il y avait encore de l’espoir, pour elle, si elle était capable de produire quelque chose de ce genre à l’examen. J’ai oublié les termes exacts du sujet qu’elle avait choisi je ne sais où, mais cela concernait le bonheur. Geok Chan avait écrit avec simplicité et conviction sur sa conception du bonheur ; certains passages étaient, à mon avis, d’un lyrisme remarquable. Je me rendis compte soudain que, libérée des contraintes des sujets de dissertation conventionnels, elle écrivait avec aisance et un plaisir évident.
Je l’appelai et fis des commentaires élogieux sur sa dissertation. Elle rayonnait de fierté. « Si j’écris comme cela pour le General Paper², est-ce que j’obtiendrai un crédit ? », voulut-elle savoir. Je dus l’avertir, non sans tristesse, que les sujets de dissertation du General Paper n’étaient pas de nature à permettre cette spontanéité. Je l’encourageai cependant à continuer d’exprimer ses sentiments intimes.
« Ils sont en moi tout le temps. Je n’arrivais pas à les exprimer avant, maintenant je pense que j’en suis capable », dit-elle en clignant des yeux, non avec nervosité, mais avec une sorte de joie fébrile.
Le matin de l’examen, Geok Chan a été tuée dans un accident de la route. Elle marchait sur le trottoir, juste devant l’école, et s’apprêtait à franchir les grilles quand un camion est arrivé à toute allure, a franchi comme un fou le terre-plein central et a percuté la jeune fille. Elle est morte sur le coup. C’était la mort la plus cruelle que j’aie jamais connue ; mes collègues et moi avons longtemps pleuré la disparition de cette fille bien, sérieuse, qui avait toujours fait de son mieux, et dont la seule ambition était de gagner assez d’argent pour aider sa famille.
La dissertation sur le bonheur qui m’avait surprise par sa force et son lyrisme se trouvait au milieu d’une pile de copies non corrigées sur mon bureau, presque comme un souvenir, car Geok Chan avait repris toutes ses autres dissertations et m’avait en quelque sorte confié celle-ci. Quand je suis allée voir ses parents, lesquels étaient trop accablés de chagrin pour dire quoi que ce soit, j’ai emporté cette dissertation avec moi et l’ai remise à son frère aîné, qui s’est contenté de la mettre de côté avec les autres affaires d’école de sa sœur, entassées sur une petite table en bois, dans le modeste logement social de deux pièces.
Le souvenir de ce petit corps sous des feuilles de papier journal, sur la chaussée, continua de me perturber pendant des jours et des jours. Le sang avait coulé abondamment ; j’avais jeté un rapide coup d’œil avant de me détourner et de revenir en hâte dans la salle des professeurs, d’où nous avions été appelés par les cris frénétiques des élèves témoins de l’horrible accident. Mais la