Quand le passé heurte le présent
Par Gisèle Viau
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À propos de ce livre électronique
À Montréal, Eugénie tente de se débarrasser des étiquettes honteuses dont on l’a affublée et des contraintes imposées à la suite de la disparition de sa mère.
Or, dans les couloirs de l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal, la beauté saisissante d’Eugénie n’échappe pas aux tentatives de séduction masculine. Au contraire, elle devient un frein additionnel à surmonter. Hantée par sa quête de vérité et d’identité, elle cherche à percer le mystère maternel pour s’affranchir du regard des autres afin d’être enfin elle-même. Eugénie réussira-t-elle à se libérer des traumatismes reliés à son enfance, à s’épanouir malgré les obstacles professionnels et être enfin heureuse?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Gisèle VIAU est une auteure québécoise. Son premier roman "L’emprise insidieuse", publié aux Éditions du Tullinois 2024. En rédigeant ses romans, elle met en lumière le parcours extraordinaire de femmes limitées par des règles contraignantes et qui ont joué, malgré tout, un rôle crucial mais méconnu dans l’histoire du Québec.
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Aperçu du livre
Quand le passé heurte le présent - Gisèle Viau
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives natio-nales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Quand le passé heurte le présent / Gisèle Viau.
Noms: Viau, Gisèle, 1950- auteur.
Identifiants: Canadiana 20250027089 | ISBN 9782898093883
Classification: LCC PS8643.I26 Q36 2025 | CDD C843/.6—dc23
Auteure : Gisèle VIAU
Titre : Quand le passé heurte le présent
Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire cet ouvrage en totalité ou en partie, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation écrite préalable de l’auteure, conformément aux dispo-sitions de la Loi sur le droit d’auteur.
©2025-Éditions du Tullinois
ISBN version papier: 978-2-89809-388-3
ISBN version E-Pub : 978-2-89809-389-0
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives du Canada
Dépôt légal papier : 1er trimestre 2025
Dépôt légal e-Pub : 1er trimestre 2025
Illustration de la couverture : Mario ARSENAULT - Designgo
Photo de l'auteur : Vicky GOSSELIN
Imprimé au Canada
Première impression : Mars 2025
Nous remercions la Société de Développement des Entreprises Culturelles du Québec (SODEC) ainsi que le Gouvernement du Québec pour son programme de crédit d'impôt et pour tous les soutiens accordés à nos publications.
SODEC-QUÉBEC
Dédicace
À ma sœur Jocelyne,
car notre indéfectible lien sororal embellit ma vie.
Aux infirmières,
qui se dévouent corps et âme auprès de leurs patients.
À toutes les familles
affectées par les effets collatéraux de la maladie d’un des leurs.
REMERCIEMENTS
Aux archivistes de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) pour avoir facilité mes recherches historiques.
À Renée-France Cadieux, dont la maman, madame Gisèle Hotte, a étudié à l’école Jeanne-Mance de l’Hôtel-Dieu de Montréal durant le même laps de temps que l’héroïne de ce roman, ainsi que ses deux tantes Andrée et Germaine Hotte, car elles ont apporté leur contribution à la cueillette d’information.
À Francine Pinard, ex-infirmière à l’hôpital Sainte-Justine et à Francine Heyne, ex-infirmière qui a été formée à l’école Jeanne-Mance, parce qu’elles ont accepté de partager avec moi leur vécu à titre d’étudiantes et d’infirmières.
À Marie Jodoin, omnipraticienne retraitée, car elle m’a éclairée sur le cheminement des étudiants en médecine qui optaient pour une spécialité dans les années 1950.
À ma sœur Jocelyne et à mon conjoint Fern pour leurs critiques constructives et leur soutien.
À Monique Richard, Gilles Gagnon, Suzanne Séguin et Paul Chaballe qui ont accepté de parcourir le texte de leur regard scrutateur afin d’y déceler les possibles erreurs linguistiques.
À Claude Rey, mon éditeur, pour son bel accompagnement, son positivisme et son sens de l’humour. Un merci tout spécial à Mario Arsenault, ce talentueux concepteur graphique qui a réalisé la page couverture de ce roman.
Merci à vous, chers lecteurs et lectrices pour vos commentaires et encouragements. Vos appréciations donnent des ailes à l’écrivaine que je suis. Mon plus grand souhait est de vous procurer d’agréables moments de lecture en vous permettant d’entrer dans l’univers d’héroïnes qui, dans l’ombre de leur époque et malgré des règles contraignantes, ont joué un rôle important, mais méconnu dans l’histoire du Québec. Je vous suis très reconnaissante.
Gisèle
Chapitre 1
Juin 1957
L’absence de nuage laisse tout le loisir à l’astre du jour de régner en roi et maître dans le ciel. Ses ardents rayons réchauffent le toit du vieux couvent. À l’étage supérieur de cet établissement administré par la communauté des sœurs Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe, les étudiantes de la onzième année effectuent leur dernier examen. Elles suffoquent sous leur blouse blanche à manches longues et leur tunique bleu marine. Le cerveau en ébullition et le corps dégoulinant de sueur, elles sont penchées sur leur copie sous l’œil vigilant d’une religieuse. Sœur Gilberte-Marie, la figure étroite encerclée par une cornette blanche et la silhouette enveloppée d’une épaisse couche de tissu noir, balaie du regard ses élèves. Rien ou presque n’échappe à ses yeux noirs profondément encastrés. De cette vue d’ensemble, où se dégage une étonnante uniformité visuelle, l’une d’entre elles se démarque. Il s’agit d’Eugénie Durand. Ce n’est pas uniquement dû à son charme indéniable si elle attire le regard sévère de la surveillante, mais plutôt à cause de sa nervosité excessive qui l’amène à s’arracher les cheveux. Elle ne cesse de passer sa main droite dans son cuir chevelu en plus d’éponger les gouttes de sueur qui dégoulinent jusqu’au bout de son nez retroussé. Les cheveux qu’elle recueille chaque fois, elle les laisse choir sur le plancher. Mais, sous l’œil courroucé de la nonne, elle met fin abruptement à cette manie qui se manifeste lorsqu’elle vit une crise d’angoisse. Face à un trou de mémoire concernant une formule de chimie, elle s’affole à l’idée de subir un échec. Ceci compromettrait son acceptation à l’école Jeanne-Mance de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Elle tient avec entêtement à suivre la formation en soins infirmiers. C’est la seule chance qui lui permettrait de sortir de cette vie fastidieuse et monotone.
Au terme de cette année scolaire, quelques étudiantes prendront le voile tandis que d’autres décideront de mettre fin à leurs études afin de se préparer à leurs futurs rôles d’épouse et de mère. Mais pour les plus douées et avant-gardistes, les connaissances acquises durant leur cours secondaire les propulseront vers des études supérieures. Eugénie aimerait bien appartenir à cette dernière catégorie. Elle se tue à la tâche, étant guidée par son souci de dépassement personnel, afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles. Elle n’hésite pas à empiéter sur ses heures de sommeil pour se prouver d’abord à elle-même et aux autres qu’elle est dotée d’une bonne capacité intellectuelle. Son enfance malheureuse marquée par l’ostracisme dont elle a été victime l’a amenée à conclure que la seule façon de se sortir de ce merdier, où elle se sent recluse, est de se surpasser dans ses études.
-oʃo-
Sœur Gilberte-Marie, le lendemain matin, entre de pied ferme dans son local. Elle tient entre ses mains la pile d’examens dûment corrigés. En l’apercevant, ses élèves dressent le torse par souci de ne pas passer outre le règlement selon lequel il faut adopter une bonne position d’écoute. La religieuse, dont les yeux sont rougis par le manque de sommeil, s’apprête à divulguer à voix haute le résultat de l’examen de chacune sans se formaliser le moindrement de blesser leur estime personnelle. Habituées à cette façon de faire, certaines d’entre elles se parent en dedans d’un bouclier psychologique afin de ne pas sombrer dans la déprime à la suite de ce moment angoissant. Elles se préparent au pire, car elles savent pertinemment jusqu’où peut aller la langue acérée de cette institutrice. Autant elle peut utiliser un vocabulaire flatteur et éloquent pour féliciter celles qui obtiennent de bons résultats, autant elle a la capacité de blesser cruellement celles dont les notes sont décevantes. Cette religieuse considère les mauvais résultats comme une attaque personnelle à son travail puisqu’elle s’évertue à offrir à ses élèves une qualité d’enseignement. La tension est donc palpable dans la classe. Eugénie tremble de peur. Elle craint qu’un éventuel échec puisse porter atteinte à son projet de quitter son patelin natal où circulent tant de ragots à son endroit. En plus de s’inquiéter de son sort, elle a une pensée toute spéciale pour son amie Adèle. Elle lui apporte, depuis quelques années, une aide précieuse en mathématique et en science. Leurs rencontres se déroulent toujours au couvent sur la période du dîner, car il lui est interdit d’aller chez elle. Bien que les parents de sa camarade apprécient le soutien qu’Eugénie apporte à leur fille, ils refusent catégoriquement de la recevoir prétextant qu’elle est « la fille d’Hortense ». Ils tiennent mordicus à protéger Adèle de toute mauvaise influence extérieure. La réputation douteuse de la famille Durand invite les parents de son amie à craindre que la tare familiale dont hérite Eugénie puisse contaminer leur fille chérie. L’héritière d’Hortense chasse ses pensées négatives de son esprit en entendant la voix de sœur Gilberte-Marie. Elle se croise les doigts afin d’obtenir un résultat à la hauteur de ses attentes, car malgré son bon cheminement scolaire, elle doute toujours de ses capacités. Les paroles désobligeantes de la religieuse adressées à celles qui ont raté leur test viennent heurter la sensibilité d’Eugénie. Ses pensées se tournent vers son amie. Elle souhaite qu’elle ait bien réussi son dernier examen. Elle observe la démarche vacillante de ses camarades qui doivent se déplacer jusqu’au-devant de la classe pour récupérer leur copie. Ces écervelées, comme le souligne sévèrement la nonne, reviennent à leur pupitre en penchant la tête. La honte qu’elles éprouvent est insupportable. Des reniflements s’ébruitent dans le local. Eugénie a le ventre noué quand elle entend prononcer son prénom. Elle se lève prestement et en prenant possession de son examen, elle entend :
— Bravo pour vos progrès, mademoiselle Durand. Mais si vous aviez été plus concentrée et moins étourdie, vous auriez pu avoir la note parfaite.
— Merci ma sœur, balbutie-t-elle en rougissant comme une pivoine.
Soulagée par les remarques qu’elle reçoit et par solidarité pour ses compagnes, elle demeure impassible aux compliments de son enseignante. En revenant à son siège, elle se martèle intérieurement qu’elle aurait dû se coucher plus tôt la veille de cet examen. Ceci lui aurait sans doute permis d’avoir l’esprit plus alerte. La distribution des copies d’examen se termine par la remise des meilleurs résultats. Les trois élèves les plus talentueuses se dandinent pour aller récupérer leur test sous le concert de louanges de sœur Gilberte-Marie qui ne tarit pas d’éloges sur ses préférées. En revenant à leur bureau, elles affichent un sourire rempli de fierté. Eugénie les envie secrètement. Elle aimerait être aussi calme, confiante, sociable et heureuse qu’elles.
-oʃo-
Lorsque la cloche du couvent retentit pour mettre fin à cette journée de classe, la plupart des pensionnaires se retirent à l’ombre des grands érables qui encerclent la cour, tandis que les externes se dirigent vers leur demeure respective. Ce merveilleux moment de la journée, tant apprécié par les jeunes, leur permet de se rencontrer. Eugénie et Adèle, satisfaites du résultat de leur examen, marchent en babillant jusqu’à ce que leur chemin se sépare. Le long de ce trajet, les deux piétonnes partagent la route avec des garçons de leur âge à la sortie du collège. Elles ralentissent le pas pour s’approcher de Bernard, le frère d’Adèle. Ce dernier a l’habitude de dévisager la belle Eugénie. Le corps svelte de la jeune fille, sa longue chevelure châtaine et ses yeux pers l’attirent irrésistiblement. Il se contente de lui envoyer des regards enflammés, mais sans plus. Eugénie aimerait bien qu’il en soit autrement. Dans ses rêves les plus fous, elle souhaite que Bernard puisse redoubler d’audace en l’invitant à marcher avec elle main dans la main, à patiner, à échanger, à manger, à écouter de la musique et à faire différentes activités comme le font les jeunes de leur âge. Mais dans son for intérieur, elle sait fort bien que ses désirs ne se réaliseront jamais. Le frère de son amie ne dépassera pas la ligne de l’interdit imposée par ses parents.
En revenant à la maison, elle ouvre la porte et en parcourant la pièce du regard, elle constate le désordre ambiant. Son père et son frère ne font pas attention. Ils ne font aucun effort pour ranger leurs vêtements de travail de la ferme et laissent traîner la vaisselle dans le fond de l’évier, car ils sont persuadés que l’entretien d’une résidence appartient aux femmes. À défaut de la présence maternelle, Eugénie doit mettre la main à la pâte, ce qui lui enlève beaucoup de temps pour étudier.
Découragée devant ce spectacle désolant qu’elle retrouve à chaque fin d’après-midi, elle échappe un sanglot. Elle se laisse choir sur son lit en pénétrant dans sa chambre. Recroquevillée sur sa courtepointe, elle permet à son esprit de vagabonder, en se remémorant la figure maternelle. Elle aurait tant aimé être cajolée et consolée par elle durant les périodes difficiles. L’absence de sa mère avait assombri des moments précieux de son enfance comme l’accueil chaleureux d’une maman au retour de l’école, l’apprentissage de la lecture, la première communion, la confirmation, l’entrée au couvent pour entreprendre sa huitième année, l’arrivée impromptue de ses premières règles et le tumulte intérieur causé par son adolescence. Son départ abrupt avait provoqué tant d’émoi dans la maison, chez les Giroux et au niveau de la paroisse. L’éternel conflit entre sa grand-mère Imelda et son père Émilien s’était aggravé. Entendre leurs nombreuses prises de bec était devenu intenable pour Eugénie. Les rumeurs galvaudées par des voisins alimentaient les conversations des paroissiens. Étant mise à part, la fratrie d’Émilien Durand vivait en vase clos en allant à la basse messe le dimanche afin d’éviter les remontrances de leur bon curé.
En épongeant les larmes qui inondent ses joues, Eugénie courbe l’échine et se met à la tâche en espérant un avenir meilleur. Elle désire par-dessus tout effacer le sceau de la honte qui lui colle à la peau. Elle ouvre la radio pour chasser la mélancolie dont elle est enveloppée. En entendant la voix d’Édith Piaf, qui interprète La vie en rose, ses pensées s’envolent vers l’inaccessible Bernard.
Chapitre 2
Septembre 1947
La cloche sonne mettant fin à cette journée d’école. Du haut de ses six ans, Eugénie se lève en adressant un sourire timide à sa nouvelle institutrice. Son regard empreint d’inquiétude parcourt la classe à la recherche de sa précieuse amie qui a accepté de la prendre sous son aile. Une main frôle son épaule au moment de franchir la porte pour accueillir le soleil. Rassurée de sentir la présence de la grande Francine à ses côtés, elle lui tend affectueusement la main. Elles partagent leurs impressions concernant ce premier jour de classe tout en longeant la rivière Richelieu. Elles se laissent dépasser par les frères Desrosiers qui, d’un pas alerte, vont rejoindre leur père afin de lui prêter main-forte sur la ferme. Le badinage des deux écolières s’interrompt et leurs mains se délaissent lorsque l’aînée arrive à destination. Avant d’emprunter l’allée qui la conduira à sa résidence, elle se penche et pointe son index vers la demeure de sa protégée. « Tu n’as qu’à continuer tout droit et tu apercevras à ta gauche ta belle maison recouverte de papier brique rougeâtre », lui intime-t-elle gentiment.
Eugénie poursuit sa route de plus belle. Elle accélère le pas malgré la douleur que ses souliers neufs lui infligent. Toute à sa hâte de se soustraire à cette chaleur, elle rêve du moment où elle retrouvera son jeune frère Louis. Ses facéties et ses mimiques lui ont tant manqué pendant la journée. Chemin faisant, elle aperçoit au loin une silhouette qui vient en sa direction. Les contours de cette personne, nimbés de lumière, brouillent les traits de sa figure. En avançant, elle observe les agissements étranges de la marcheuse. Sans doute à cause de la chaleur, cette piétonne se dépouille graduellement de ses vêtements qu’elle éparpille ici et là sur la route. Et tout à coup, le cœur de la fillette se met à palpiter à une vitesse folle. Elle reconnaît la chevelure blonde de cette exhibitionniste. Sans se soucier de la calèche qui la dépasse, elle crie de toutes ses forces : « Maman, maman ! » Perturbée par autant d’émotions et reprenant son souffle : « Que faites-vous ? Il faut vous rhabiller, maman », ordonne-t-elle nerveusement. Les yeux du cocher, en apercevant la scène, semblent sortir de leur orbite devant ce terrible malaise. Il tourne donc son attention du côté opposé, craignant sans doute la punition divine devant un spectacle aussi impudique. Préoccupée à ramasser un à un les vêtements maternels tout éparpillés, elle ne cesse de répéter : « Maman, qu’avez-vous ? Ça ne se fait pas. Il y a plein de gens qui vous regardent par les fenêtres. » Un sentiment de honte s’empare d’elle. Déterminée à protéger cette femme qu’elle aime, elle étouffe ses sanglots. Elle tente d’entrer en contact avec cette personne qui lui a donné la vie, mais sans succès. Son regard est vide. Ses yeux sont hagards. Elle fait fi des consignes de sa fillette lui ordonnant de couvrir ses parties intimes. Elle est ailleurs, mais où ? se demande-t-elle. Eugénie réussit tant bien que mal à la convaincre d’enfiler son jupon dissimulant ainsi les zones les plus secrètes de son anatomie. Elle éprouve de la difficulté à respirer. Assaillie par la peur, elle craint que sa maman soit ridiculisée. Ne comprenant pas ces agissements bizarres, elle aimerait pouvoir trouver un endroit où aller se cacher. Se rendre invisible aux yeux des voisins et au regard de tous. Effacer cette scène disgracieuse et dégradante à tout jamais. Ne plus en entendre parler. C’est ce qu’elle désire par-dessus tout. Dieu du ciel, aidez-moi. Arrangez-vous donc pour que maman ne fasse pas rire d’elle. Y faudrait surtout pas que monsieur le curé sache ce qu’elle a fait, implore-t-elle. Instinctivement, elle prend la main agitée de sa mère et la conduit telle une enfant vers la maison familiale. Déstabilisée par cet événement inédit, elle poursuit le trajet dans un silence total. Tous les mots qu’elle aimerait prononcer restent coincés au fond de sa gorge.
En pénétrant dans la maison, elle tire la belle Hortense par le bras et la dirige tout droit vers sa chambre. L’obscurité envahit la pièce lorsqu’elle ferme les volets. La nouvelle écolière invite sa mère à se reposer pendant qu’elle s’occupera de Louis. Le gamin surgit à l’instant même. Il saute dans les bras de sa grande sœur. Elle lui donne des bécots et met son doigt à la verticale sur sa bouche afin de le faire taire.
— Maman est fatiguée. Elle doit se reposer, murmure-t-elle à son oreille.
— M’man dodo ?
— Oui, elle va faire un beau dodo. Pour ne pas faire de bruit, on va aller dehors.
L’aînée installe son petit frère de trois ans dans la voiture à quatre roues. Il aime se faire trimballer dans ce bolide construit par son père Émilien. Durant le trajet, Eugénie met sa main gauche en visière au-dessus de ses yeux afin de détecter l’endroit où se trouve son paternel. Elle le découvre plus loin à sa gauche en train de réparer une clôture. Elle accélère le pas pour le retrouver au plus vite. Il lui tient à cœur de partager son lourd secret. Mais elle craint toutefois que cette révélation puisse provoquer encore plus de chicane entre ses parents. Elle est souvent témoin de vives engueulades entre eux. Plus elle approche de son père, plus elle appréhende sa réaction et son cœur cogne à vive allure contre sa poitrine. En apercevant l’arrivée inattendue de ses deux enfants, Émilien se retourne et dépose sa masse qu’il utilise pour ancrer ses pieux plus profondément dans le sol. Cet homme, aux larges épaules et aux muscles saillants, adresse un petit sourire moqueur à ses deux garnements. Ses yeux verts et ses cheveux blonds aux reflets roux se retrouvent dans la physionomie de son fils. En enlevant sa casquette, il essuie de sa main gauche les gouttes de sueur qui dégoulinent sur son front. Il s’approche d’eux et demande :
— Pis ma grande, comment a été ta première journée d’école ?
Au moment où Eugénie veut lui répondre, elle éclate en sanglots. Avoir assisté au dénudement de sa mère sur la route la traumatise. Les images qu’elle repasse en boucle dans sa tête lui sont insoutenables. Ces visions lui vrillent les entrailles. Émilien use d’une tendresse inhabituelle en prenant dans ses bras sa fille qui lui semble bien malheureuse. Les épanchements affectifs le rendent plutôt inconfortable. Pour ajouter au drame, voilà que Louis imite sa grande sœur dont il a du mal à se détacher. Pris au dépourvu, le père de famille chasse son air bourru et adoucit sa voix.
— Voyons ma « Nini », raconte à ton papa ce qui ne va pas ? dit-il en épongeant les larmes de sa fille avec son vieux mouchoir de poche.
— C’est, c’est maman, hoquette-t-elle en reniflant.
— Qu’a-t-elle encore fait ta mère ?
— En revenant de l’école, je l’ai aperçue sur la route. Elle enlevait tout le linge qu’elle portait sur son dos.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu es en train de me raconter ?
— Vous avez bien compris. J’ai ramassé ses vêtements qui traînaient au bord du chemin et j’ai réussi à lui faire mettre son jupon. J’étais tellement gênée de voir que ma mère était presque nue devant le cocher. Il y a sûrement des gens qui l’ont vue à travers leurs fenêtres.
— Heureusement que tu as pu l’aider à se rhabiller, ma grande fille.
— Pourquoi agit-elle ainsi ?
— Elle est malade.
— Mais il faut la faire soigner. Le docteur a sûrement un remède à lui donner.
— J’ai bien peur que le problème de ta mère soit dans sa tête.
— Et ça change quoi ?
— C’est plus compliqué à soigner et à guérir. Sèche tes larmes. Retourne vite à la maison avec ton frère et va t’occuper de ta mère. Après la traite des vaches, j’irai vous retrouver. Nous allons essayer de trouver une solution.
— Merci papa !
Après le départ de ses enfants, Émilien prend une pause. Il s’assoit à l’arrière de sa charrette. Il songe aux propos de son aînée lorsqu’il est laissé à lui-même au beau milieu de ses champs. Il est assommé par cette révélation. Sous la carapace de cet homme viril et impulsif se cache un être sensible. Il plonge dans ses pensées les plus sombres et laisse libre cours à sa peine. Le mouchoir encore imbibé des pleurs d’Eugénie vient à son secours. Le père de famille s’inquiète de la suite des événements. Jusqu’à présent, il avait réussi à garder sous le toit familial les changements d’humeur et les crises de son épouse. Maintenant, il appréhende déjà la réaction de ses voisins. S’il fallait qu’elle devienne la risée de la paroisse. L’incident d’aujourd’hui risque de faire les choux gras des langues acerbes, songe-t-il. Plusieurs scénarios surgissent dans son esprit : l’éventualité que son épouse soit étiquetée comme « folle », qu’elle soit montrée du doigt et ostracisée, que ses enfants reçoivent des sobriquets à l’école.
Malgré la tristesse que provoque ce moment d’introspection, Émilien parvient à esquisser un léger sourire. Il se rappelle la première fois où il avait croisé la belle Hortense. Il fut conquis dès le premier regard. Ses yeux bleu-gris et son charme envoûtant réussirent à l’embraser de la tête aux pieds. Il en rêvait jour et nuit. Si auparavant aller effectuer des travaux d’entretien chez monsieur Giroux lui apparaissait comme une corvée, après cette rencontre, il espérait avec impatience une récidive de la part de son patron. Ensorcelé, il aimait la scruter à son insu. Cette fille, il l’avait dans la peau, et ce, malgré toutes les entourloupettes que sa sœur Antoinette avait mises en œuvre pour le séduire. Cette maîtresse d’école revêche n’avait eu aucune emprise sur lui. Toutes les tentatives que cette fille sans scrupule avait élaborées pour le faire tomber dans ses filets l’avaient laissé indifférent. Au grand dam de cette dernière, Émilien n’avait eu d’yeux que pour la belle Hortense. Certes, il est vrai que la beauté d’Hortense supplantait toutes les autres jeunes filles.
En s’épongeant les yeux à nouveau et en reniflant, il replonge dans ses souvenirs. Et s’il n’y avait pas eu cette guerre et cette course au mariage, il aurait pris le temps de mieux connaître la femme qui faisait battre son cœur. Il l’aurait fréquentée pendant au moins une année ou deux. Ce laps de temps lui aurait sans doute permis de découvrir le côté sombre de sa personnalité. À un moment donné, son malaise intérieur et ses sautes d’humeur auraient fait surface. Cette prise de conscience m’aurait-elle mené à rompre avec cette jeune fille que tout homme normalement constitué désirait malgré lui ? se demande-t-il.
Le jeune père se relève, dépose son mouchoir de coton tout mouillé au fond de sa poche et va caresser doucement le chanfrein de son cheval. Il aimerait bien agir ainsi avec sa douce, mais il craint de se faire mordre ou de déclencher une nouvelle crise. Il se sent sur le qui-vive devant les réactions imprévisibles de son épouse. Puis, il s’assoit dans sa voiture à deux roues et donne un coup de rênes sur la croupe de l’étalon afin de retourner aux bâtiments. Pendant le trajet, il songe à sa belle-mère Imelda qui ne cesse de lui cracher son venin, le rendant responsable du comportement incontrôlable de sa fille. Cette dame, il la déteste. Elle leur rend des visites toujours à l’improviste qui se terminent inévitablement par un affrontement corsé. En sa présence non désirée, il se met sur la défensive et devient agressif. Sa belle-mère en profite pour lui mettre sur le nez que son caractère belliqueux est la cause de l’état lamentable d’Hortense. Elle lui crache à la figure des méchancetés abominables, et ce, devant ses enfants. Cette mégère lui vomit tout son fiel chaque fois que se présente une occasion. Elle traite son gendre avec mépris et condescendance. Cette femme froide et acariâtre aurait souhaité que la plus belle de ses filles puisse épouser un notable possédant un pécule bien garni. Mais non, il a fallu qu’Hortense s’amourache de cet agriculteur colérique sans grande envergure. Lorsqu’il est question d’argent, les yeux d’Imelda brillent de convoitise.
Pensif, Émilien songe à tous les moyens qu’il a utilisés pour aborder de façon saine sa dulcinée. À son grand désarroi, il admet que la bienveillance, la douceur et les petites attentions n’ont pas obtenu les résultats escomptés. Il aimerait bien découvrir la stratégie gagnante qui règlerait ces agissements étranges. Il se sent coupable d’assombrir l’enfance de ses rejetons qui devraient vivre heureux dans une forme d’insouciance. Le seul espoir qui lui reste, ce sont les paroles de sa belle-sœur Alice qui est mariée avec son frère Hubert. Selon elle, Hortense se comportait de façon bizarre avec elle avant son mariage avec Émilien. Ces paroles, il s’y accroche désespérément. Plus il se rapproche de la maison, plus sa pression artérielle monte. Il craint la suite des événements. Il aimerait tellement vivre en parfaite harmonie avec Hortense tout comme Alice et Hubert. Il avait imaginé une vie matrimoniale remplie d’amour en étant des complices à tous les niveaux partageant les joies et les peines que le quotidien leur apporterait.
-oʃo-
Le lendemain matin, Émilien se retrouve plus tôt que d’habitude en compagnie de ses bêtes qu’il prend soin de traire et de nourrir. Il accélère le pas lorsque sa besogne est terminée pour aller rejoindre sa petite famille afin de déjeuner avec eux. Il pénètre dans la maison en ayant les traits tirés et les yeux rougis par le manque de sommeil. En parcourant la pièce du regard, il aperçoit Hortense occupée à coiffer Eugénie dans la salle de bain. Elle lui attache les cheveux du dessus de la tête avec un élastique et tresse cette couette en y ajoutant un ruban bleu tout comme sa robe. Puis, la maman appuie sa figure contre celle de sa fille afin de pouvoir admirer leur reflet dans le miroir.
— Tu vas être la plus jolie à l’école aujourd’hui. Tous les regards seront tournés vers toi, Eugénie, s’exclame-t-elle en lui collant un bisou sur son petit nez retroussé.
— Merci maman !
— Pis moi, j’peux pas aller à l’école avec Nini ?
— Non Louis, t’es trop petit encore, répond Émilien.
Le père de famille se réjouit de constater que son épouse a retrouvé son état normal. En la voyant agir de façon aussi affectueuse avec ses enfants, il se demande si elle ne fait pas amende honorable à la suite à l’incident de la veille. Elle se sent sans doute coupable, songe-t-il.
Après avoir ingurgité un copieux déjeuner, Émilien, toujours aussi inquiet, propose à son aînée de l’accompagner sur la route jusqu’à la résidence de la grande Francine. C’est donc main dans la main que le père et la fille déambulent sur le chemin. Lorsqu’ils rencontrent la jeune adolescente, Émilien lui confie la main de sa fillette. Il se sent incapable de demander à cette demoiselle de prendre soin de sa fille, mais celle-ci, en percevant le malaise et devant les yeux humides du papa de sa protégée, bafouille :
— Soyez sans crainte, monsieur Durand, je vais prendre soin de votre belle Eugénie comme si elle était ma petite sœur.
— C’est gentil Francine.
Eugénie se rend à l’école le cœur lourd, car elle redoute les remarques désobligeantes des autres élèves. Durant le trajet, son accompagnatrice lui parle de tout et de rien pour lui changer les idées et la faire rire. Elle lui raconte sa bévue de la veille. En concoctant un gâteau, elle avait commis l’erreur d’ajouter une tasse de sel à la place du sucre. Elle s’amuse à imiter les réactions de son frère. Cette anecdote arrache un
