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La couleur du cœur
La couleur du cœur
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Livre électronique410 pages4 heures

La couleur du cœur

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À propos de ce livre électronique

Fleure, jeune lycéenne au tempérament rebelle et aux allures de garçon manqué, voit sa vie basculer le jour où elle est projetée dans un monde étrange, peuplé d’événements surnaturels. Commence alors pour elle un véritable parcours initiatique, rythmé par des épreuves redoutables et des combats contre des entités maléfiques. Pour espérer sauver l’humanité, elle devra prouver qu’elle est bien l’Élue et conquérir l’ultime pouvoir : celui de protectrice du monde des humains face aux forces du mal

À PROPOS DE L'AUTEUR

Raymond Procès est poète, romancier, et sociétaire de la Société des poètes français. Pour lui, l’écriture est une manière de dévoiler son imaginaire, de donner corps aux histoires et aux poèmes qui naissent en lui comme des murmures venus de l’univers. Chaque texte est un don qu’il aime offrir, un partage sincère de ce qui l’habite.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie4 août 2025
ISBN9791042279936
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    Aperçu du livre

    La couleur du cœur - Raymond Procès

    Chapitre I

    — La première des choses que tu dois te mettre dans le crâne, c’est que la vie d’une femme se construit à mesure de son épanouissement physique et spirituel.

    — Penses-tu que je pourrai un jour comprendre tous les mystères de l’existence ?

    — Toi seule découvriras la réponse. Tout être à son destin.

    — Mais toi, de ta très longue expérience sur la terre des hommes, crois-tu aujourd’hui connaître la vérité sur toutes choses ?

    — Je n’ai pas une telle prétention !

    — Quelle est donc la leçon que t’a offerte ta vie ?

    — Tu verras que la vie est pourvue d’embûches et qu’aux joies succéderont les peines.

    — Selon toi, il me faut croire à une destinée spéciale ?

    — Tout individu suit une voie toute tracée.

    — Vais-je découvrir le vrai sens de la vie ?

    — Fleure ! Fleure ! Réveille-toi ! C’est la rentrée aujourd’hui, allons debout !

    La porte venait de s’ouvrir, laissant entrer dans la chambre une clarté qui surprit la dormeuse. D’un geste machinal, elle tira le drap et s’en recouvrit la tête. La nuit a passé bien vite, quel rêve étrange ! pensa-t-elle.

    Elle se tapota les joues comme pour sortir d’un état de transe. Elle repoussa, lentement, les couvertures jusqu’à ses pieds, puis s’étira. Le petit réveil posé sur la commode en bois de chêne affichait six heures trente.

    — Déjà ! s’écria-t-elle. Dans moins d’une heure, je suis censée me trouver aux portes du lycée. Quelle galère !

    — Fleure, dépêche-toi ! Tu ne vas tout de même pas arriver en retard le premier jour !

    — Oui, maman, je me prépare !

    En effet, elle devait s’empresser. En ce mois de septembre 1977, elle allait accomplir un acte important. Elle entamait sa dernière année de lycéenne en classe de Terminale. L’obtention du baccalauréat était une phase majeure de sa jeune existence. Elle avait toujours envisagé de faire de longues études à l’université.

    Elle était la seule, ce matin, à se lever. Ses deux petits frères et sa petite sœur dormaient encore, leur rentrée des classes n’avait lieu que le lendemain. Elle s’évertuait, isolée dans la salle de bains, à faire passer le peigne dans son épaisse touffe de cheveux crépus. Tout à sa toilette, la voix de sa mère vint, une nouvelle fois, franchir la paroi de la porte.

    — Fleure, s’il te plaît, viens prendre ton petit déjeuner et tâche de ne rien oublier. Tu as pris ton cahier de textes ?

    — Oui, maman !

    — Dehors, il fait frais. Je t’ai sorti un gilet.

    Sa mère était une femme d’une étonnante vitalité. Elle n’était pas bien grande et, pourtant, elle avait une prestance bien marquée. Elle assumait, sans complexe, ses quarante-cinq ans. Ses longs cheveux noirs de mulâtresse lui tombaient sur les épaules comme pour la parer d’une cape souveraine. Elle avait les yeux, si noirs, qu’il était difficile de soutenir son regard. Elle portait en elle cette merveilleuse gentillesse des femmes qui aiment couver leurs enfants.

    Même si elle ne le faisait pas paraître, Fleure nourrissait une grande affection pour sa mère.

    — Merci maman. Ah ! Les parents, murmura-t-elle en passant de la crème protectrice sur ses mains.

    Sa toilette achevée, la fringante lycéenne se rendit à la cuisine. Elle s’assit près de la table en Formica où un copieux petit déjeuner l’attendait : un grand bol de lait Nestlé concentré dans lequel elle ajouta trois cuillerées à soupe de farine manioc et y versa un demi-litre d’eau chaude bouillante. Elle prit deux tartines de pain sur lesquelles elle étala une épaisse couche de confiture de goyaves.

    Sa marraine de Guadeloupe avait eu une excellente idée en envoyant ce colis rempli de produits exotiques. Elle se ressourçait dans ses racines tropicales au fil de ces petits déjeuners si particuliers.

    — Fleure ! Comment peux-tu avaler tant de farine de manioc et ingurgiter d’une même goulée autant de pain ? C’est un miracle que tu n’aies pas attrapé une indigestion.

    — Rassure-toi, j’ai l’estomac solide. Ne dit-on pas qu’il faut à l’étudiant un repas costaud pour affronter les rudes matinées de classe ?

    — Dans ton cas, tu le bétonnes ton estomac avec un ciment à base de farine manioc !

    Fleure sourit et lécha les derniers restes de crème, accrochés sur les rebords du bol.

    — Hum ! Une bonne chose de faite, affirma-t-elle, et maintenant un petit tour aux W.-C.

    — Fleure ! Montre-toi un peu plus délicate. Je suis certaine qu’en présence de ton père, tu parlerais autrement. Tu as tout du garçon manqué. Tu me désespères.

    — À propos, il est parti à quelle heure ce matin, papa ?

    — Six heures quinze, plus tôt que d’habitude. Au poste, les nouvelles annonçaient la possibilité d’un arrêt de travail du personnel de la S.N.C.F, ce qui va sans doute perturber les horaires des trains.

    — Dommage que le lycée soit si proche et que je n’aie pas à prendre le train. Cela aurait été une occasion de me mettre en retard.

    — Excellent ! Mademoiselle débute l’année avec de bonnes résolutions. As-tu oublié que tu passes ton bac ? C’est la clef qui te permettra de poursuivre tes études à l’université.

    — Eh oui ! confirma Fleure.

    Elle ouvrit la porte d’entrée de l’appartement. Elle tenait à la main sa serviette avec à l’intérieur le précieux cahier de textes. Elle fit un petit signe de la main à sa mère pour lui signifier son départ ; cette dernière s’affairait sur ses fourneaux, pressentant le réveil des autres chérubins.

    — À plus tard maman ! fit Fleure.

    La porte claqua. Elle put entendre une dernière recommandation de la mère.

    — Tu fais attention à toi, hein !

    Elle hocha la tête et pensa que, jamais elle ne changerait. Elle la considérait toujours comme un bébé et, pourtant, elle avait dix-huit ans. Du haut de son mètre soixante-quinze, elle n’avait plus rien du bébé.

    Elle pressa le pas et se dirigea vers le lycée Voltaire qui n’était guère éloigné de la demeure familiale. Elle mettra bien cinq minutes pour atteindre l’établissement scolaire. Cependant, tout à sa marche, une étrange réflexion vint à son esprit : le combat de la femme désireuse d’accomplir sa destinée. C’est aussi, à ce moment, que revint à sa mémoire l’image d’un vieil homme. Elle atteint les portes du lycée.

    Une foule houleuse se rassemblait face au préau où attendaient les différents professeurs, le porte-documents dans une main et dans l’autre, une liste d’élèves.

    Fleure s’avança vers le groupe, étrangère à la frénésie ambiante.

    Son nom retentit dans la cohue. Elle jaugea le professeur qui la requérait. Un homme, de taille moyenne aux cheveux blonds bouclés, la guettait.

    Il avait une main sur la hanche, écartant de la sorte le revers de sa veste en laine et laissant paraître une ceinture bordeaux retenant un pantalon, à pinces, beige, bien trop large pour son gabarit. Ses grosses lunettes de myope et sa longue barbe broussailleuse lui donnaient un air de scientifique. Sans plus attendre, Fleure rejoignit ce personnage à l’allure singulière.

    Une fois les dernières classes constituées, chacune d’elles se mit en branle.

    Les groupes s’engouffrèrent au sein de l’édifice scolaire haut de deux étages. Le cahier de textes ouvert sur la table, Fleure se tenait la tête avec la main gauche. Elle triturait, avec ses doigts, un stylo à bille. Elle était impatiente.

    — Bonjour à tous ! Je me présente, monsieur Gerbier. Je suis votre professeur principal et aussi le professeur de mathématiques.

    Je l’aurais parié, se dit Fleure.

    — Je vais vous donner votre emploi du temps. Je vous propose de sortir vos cahiers de textes et de noter scrupuleusement les horaires et numéros de salles de classe…

    La matinée se déroula allègrement. M. Gerbier termina son allocution :

    — Je crois avoir fait le tour des questions. Il est grand temps, après une matinée bien remplie, que vous vaquiez à d’autres occupations.

    À ces mots, les élèves, dans une harmonie parfaite, se hâtèrent de ranger, stylos, règles et autres matériels scolaires. En un éclair, ils amorcèrent un repli stratégique vers l’unique sortie de secours.

    Comme pour mettre un frein à l’élan de ces jeunes épris de liberté, M. Gerbier rajouta :

    — Toutefois, mes chers élèves, avant de vous libérer, j’aimerais vous rappeler que, demain matin, vous aurez l’immense honneur de débuter votre année par deux heures de mathématiques en compagnie de votre aimable serviteur.

    Une rumeur de désapprobation s’éleva à l’écoute de l’annonce. On soupçonnait, derrière la barbe de l’espiègle professeur, un sourire plein de malice. Seule Fleure observait la scène avec son détachement habituel. Elle le trouvait sympathique, cet homme…

    Fleure pensait qu’une matinée de reprise de contact avec le système éducatif était bien suffisante. Le retour à la maison prenait un caractère particulier après deux mois de vacances scolaires. Le mois de septembre annonçait un nouveau départ vers d’autres objectifs…

    D’une démarche tranquille, elle arpentait le trottoir qui la menait en direction de cet immeuble de onze étages. Ses parents louaient un appartement de quatre pièces au quatrième étage. Cela faisait dix ans que la famille Roselas résidait en plein centre-ville de la commune d’Épinay-sur-Seine, une banlieue de la région parisienne. Il faut dire que le père de Fleure, M. Iréné Roselas, avait quitté à l’âge de trente ans son île, la Guadeloupe. Après s’être installé dans la Métropole pour des raisons professionnelles, il fit venir tout le reste de la famille. Malgré toutes ces années, Fleure n’avait jamais oublié sa prime enfance dans le village de Fougère à la Guadeloupe.

    Elle atteignit le seuil de la porte d’entrée de l’appartement familial. Des cris stridents parvenaient à ses oreilles. À en juger par la voix de sa mère, tout semblait insinuer que sa sœur et ses frères s’adonnaient à leur jeu favori, la faire enrager.

    Elle appuya sur le bouton de la sonnette et patienta. Derrière la porte, la cohue s’amplifiait. Une voix tonna :

    — Taisez-vous les enfants ! Céleste, Alex, Canelle, cessez de courir partout ! Asseyez-vous un instant dans un coin ! Avez-vous rangé vos affaires de classe ? Demain c’est la rentrée, Dieu soit loué !

    En l’espace de quelques minutes, le trio infernal cessa ses coupables méfaits. On aurait pu penser que l’appel au repos eut un réel effet sur les jeunes esprits bouillonnants. Il est vrai que, interloqués par la véhémence du ton, ils se calmèrent dans le seul souci d’éviter un châtiment corporel non souhaité.

    Devant la porte close, Fleure ayant analysé la situation, constatait qu’une fois de plus, que sa sœur et ses frères s’évertuaient à franchir les barrières du raisonnable. Elle sonna à nouveau.

    — J’ai entendu la sonnerie ! Les enfants, arrêtez votre vacarme ! hurla la maman.

    Elle se dirigea vers la porte d’entrée et regarda à travers le judas.

    — Voici votre sœur Fleure.

    Céleste, Alex et Canelle se précipitèrent pour accueillir la grande sœur, comme si celle-ci rentrait après une longue absence.

    — Doucement ! dit la maman.

    — C’était comment l’école ? demanda Alex.

    — T’as retrouvé des copines de l’année dernière ? s’écria Céleste.

    — Ta maîtresse, elle est gentille ? dit la petite dernière.

    Fleure hésitait. Elle ne savait par quel bout commencer. À peine venait-elle d’ouvrir la bouche pour délivrer un début de réponse, que Céleste, Alex et Canelle s’élancèrent vers le salon. La mère, découragée, ferma la porte du salon.

    — Et alors ! fit Fleure, ils auraient au moins pu me laisser répondre à leurs questions.

    — La patience n’a jamais été le fort de tes frères et de Canelle qui agit de la même manière. Je me demande si elle ne devient pas un garçon manqué comme toi.

    — Mais non, maman ! Elle est encore très petite. Je suis certaine qu’elle changera au fil des ans.

    — Et ta matinée, s’est-elle bien passée ?

    — Pas trop mal, j’ai revu plusieurs copines de l’année dernière.

    — Et qui est ton professeur principal ?

    — Le prof de maths, c’est quelqu’un d’original. Il a une façon assez typique de s’habiller. Il parle avec une élocution qui déconcerte.

    — Surprenant, s’étonna la mère. C’est la première fois que tu ressens de l’affection pour un professeur de mathématiques. Il me semble que tu as horreur de cette matière.

    — Je n’ai pas dit que j’appréciais les vertus de l’algèbre. C’est un individu vraiment pas comme tout le monde.

    — Je comprends, acquiesça la mère.

    — Papa n’est pas rentré ?

    — Non, il devrait revenir aux environs de dix-neuf heures trente, si le train respecte son heure d’arrivée.

    — Bon ! Je vais dans ma chambre pour me reposer un moment.

    — Tu as raison. C’est la reprise. Il faut te réhabituer à la routine scolaire.

    ***

    Fleure gagna sa chambre, d’un geste las, elle posa sa serviette sur le lit. Elle s’approcha de la fenêtre, et tira les rideaux pour mieux apprécier la vue qui s’offrait à elle.

    Le jour perdait de sa clarté. Le soleil du mois d’août s’en était allé. Petit à petit, l’automne annonçait sa venue.

    Fleure jeta, debout face à la fenêtre impersonnelle, un regard sur le monde.

    Elle aimait, dans la solitude de sa chambre, s’adonner à la réflexion.

    Soudain, son attention fut attirée par un grincement. Elle chercha l’origine de ce son inhabituel.

    C’était une vieille dame qui tirait un Caddie dont les roues, mal huilées, avaient du mal à tourner.

    La vieille femme était vêtue d’une robe fleurie de tristes couleurs. Une blouse bleue, à peine fermée, la recouvrait. Elle avait à ses pieds des sandales qui laissaient paraître ses orteils noircis par la saleté.

    Fleure était intriguée par l’apparence peu conforme de la femme aux cheveux blancs. Elle l’a suivie des yeux.

    Elle tirait son impressionnant Caddie au milieu de la chaussée sans prêter attention aux voitures. Pourquoi se comportait-elle ainsi ? Fleure porta son regard plus avant, et aperçut un pigeon étendu au milieu de la route. Le volatil gisait, inerte sur le bitume. La clocharde aux cheveux argentés s’empara des restes du pauvre animal. Elle l’enveloppa, avec un soin méticuleux, d’un papier journal. Elle rangea l’oiseau au fond du vieux Caddie rouillé. Une fois la chose accomplie, elle reprit sa quête sans marquer la moindre émotion.

    Étrange parade que celle-là ! pensa Fleure, est-il plus grande misère que celle-ci ? Combien de mères misères, tirant le fardeau d’une existence souillée, peuplent la terre ? Un être humain, semblable au vautour charognard, nettoie les rues citadines d’un cadavre inutile pour en faire sa pitance !

    Fleure ressentait un sentiment d’écœurement. Elle, à la sensibilité exacerbée, comprenait mal l’injustice de ce monde.

    Pourquoi suis-je sans cesse en train de me poser des questions ? Quel besoin ai-je de vouloir tout remettre en cause ?

    Alors qu’elle essayait d’exorciser ce démon de curiosité, son esprit entreprenant l’emporta une nouvelle fois loin de la réalité.

    Elle se voyait étrangement habillée. Elle portait à ses pieds une paire de bottes noires, bien plus grande que sa pointure. Elle avait un caleçon noir, qui arrivait au-dessus des genoux. Elle portait à sa taille une énorme ceinture noire, à travers laquelle brillait la lame d’une machette. À son cou s’enroulait un lance-pierres dont la crosse en bois de goyave reposait sur sa poitrine et sur sa tête se fichait un vieux chapeau de paille. Pour finir, elle tenait dans sa main droite un long bâton. Autour d’elle se dressait une forêt à la végétation luxuriante.

    Oui, ça y est ! Je me rappelle ! fit-elle. Je suis à la Guadeloupe. Il y a bien longtemps, lorsque j’étais enfant. Je me souviens que je m’habillai de la sorte avant de partir à la chasse aux oiseaux dans la forêt, derrière notre habitation. Quelle heureuse époque ! Je marchai seule, maîtresse du monde et de mes pas, au milieu de la nature accueillante. Les arbres fruitiers étendaient avec aise leurs branchages chargés de fleurs et de fruits au-dessus de ma tête.

    Je traversai, tranquille, la forêt ; je savourai, à grandes bouchées, des mangues cueillies au hasard du chemin pour assouvir une fringale passagère. J’imitai le chant des oiseaux ; les cris du ramier, de la grosse grive, de la perdrix, du sucrier, de l’ortolan, n’avaient aucun secret pour moi. Je chassai les oiseaux, mais mon grand plaisir se bornait à l’admiration des fleurs : des hibiscus, des fuchsias sauvages, des orchidées, tout un amas de richesse illuminait la forêt et portait son étincellement en moi.

    Fleure souriait, éblouie par ce souvenir. Un soleil tropical brillait dans sa tête. Tout d’un coup, le sourire de satisfaction s’effaça. Son visage devint grave. Son regard voyageait toujours en dehors de la réalité. La réminiscence d’une image contraignante venait de refaire surface.

    Elle se revoit armée d’un lance-pierres. Elle vise. Elle tire. Un oiseau perché sur la branche d’un manguier reçoit le projectile, perd l’équilibre et tombe. Elle se voit ramassant l’animal. L’oiseau n’est que blessé. Alors que fait-elle ? Avec la crosse du lance-pierres, elle frappe à plusieurs reprises sur la tête de la bête. Après un sursaut de vie, l’animal laisse tomber sa tête, la langue pendante à travers son bec.

    Quelle cruauté ! se dit-elle. Comment ai-je pu commettre un tel acte de barbarie ?

    Elle se rappelle que, depuis ce jour, elle n’avait plus jamais chassé ni tué le moindre animal. L’image et les cris plaintifs de l’oiseau résonnaient encore sur sa conscience à l’heure présente.

    Elle paraissait frappée d’une atonie subite. Elle quitta son poste d’observation et s’affala sur le lit. Les yeux rivés au plafond, une impression d’absence totale se profilait sur son visage.

    — Fleure ! Le dîner est servi !

    La voix de sa mère la tira de sa léthargie. Les petites crampes d’estomac et les gargouillements de son système digestif lui rappelèrent la sensation de faim. Elle se présenta à la salle à manger où la table était mise et déjà entourée de la famille.

    — Tiens ! Bonsoir, papa, je ne t’ai pas entendu rentrer.

    — Cela ne m’étonne pas. Je suppose que tu rêvassais. Ta maman m’a dit que tu te sentais fatiguée.

    — La rentrée des classes, ce n’est jamais évident pour le moral ! répondit Fleure.

    — Allez, viens manger ! Tu reprendras des forces, ma jeune amie. L’année scolaire ne fait que commencer.

    — C’est bien vrai papa ! dit Fleure.

    Elle se mit à la droite de son père. Le dîner fut servi et chacun se gava, assuré qu’il était plus important pour l’instant de remplir un estomac vide.

    ***

    Chapitre II

    La première semaine de rentrée des classes débutait. Dans la douce pénombre d’un couloir de lycée se mouvaient de petites têtes pensantes d’adolescents.

    Fleure progressait nonchalamment le long du triste couloir qui la menait à l’ennui. C’est alors qu’un doute l’étreignit. Quel était le numéro de la salle des tourments ? Elle fit une halte et sortit de la serviette son cahier de textes. « Salle 102, deux heures de maths ! »

    Après lecture du numéro gagnant, elle leva les yeux sur la porte placée face à elle, elle vit marquée : « salle 104. »

    Elle avait dépassé la salle fatidique. Elle rebroussa chemin. Parvenue à destination, elle s’apprêtait à ouvrir la porte quand, d’un mouvement brusque, elle tourna la tête au bruit sourd que venait d’émettre le claquement d’une porte dans son dos.

    Elle demeura en arrêt devant l’apparition d’une créature de rêve. C’était le plus beau garçon, qu’elle n’avait jamais vu. Son cœur battait à tout rompre, comme s’il voulait s’échapper de sa poitrine. Elle ne voulait plus cligner les paupières, pour ne rien perdre de ce spectacle étourdissant qui se déroulait devant ses yeux. Le regard du bel inconnu la paralysait. N’avait-elle jamais imaginé qu’une telle rencontre ait pu se concevoir ?

    Elle le regarda entrer dans la salle de cours. Bien que ladite salle ne se trouvât qu’à quelques mètres d’elle. Elle ne bougea pas. Ses membres ne répondaient plus aux stimuli de ses muscles. À penser qu’elle ne sera pas dans le même cours que le jeune garçon, lui fit oublier le sien. Elle se sentit tirée par le bras et se retrouva au milieu de ses camarades. Encore abasourdie, elle n’entendait pas le professeur qui l’invitait à prendre un siège. Devant son manque de réaction, celui-ci réitéra sa proposition et la convia à prendre place dans l’assemblée. Elle s’exécuta tel un automate.

    Installée au fond de la classe, des questions l’assaillaient. Avait-elle rêvé ? Était-il réel ? Un mélange d’angoisse et de félicité la déroutait.

    Elle ne remarqua pas que la salle se vidait. Le cours était terminé et de la souffrance de l’alchimie de l’algèbre, elle n’avait subi aucune influence. Bien étrangère à ces considérations d’élèves studieux, elle pensa qu’elle pourrait le revoir à la sortie de son cours. Elle se précipita dans le couloir, peine perdue, la salle, où le jeune homme s’était manifesté, était déserte.

    Il ne devait avoir qu’une heure de cours, se répéta-t-elle de dépit.

    Elle traînait le pas. Elle suivait le long cortège des lycéens harassés qui, après une bonne journée d’étude, regagnaient la quiétude du foyer.

    Fleure déambulait sur le chemin qui la ramenait à la maison. Une intime conviction lui assurait que la journée n’apparaissait pas aussi anodine que d’ordinaire. Elle ne pouvait pas cerner les véritables données du problème. De toute sa sainte jeunesse, c’était la première fois qu’un individu suscitait en elle un intérêt si immodéré…

    Elle effectua une entrée discrète dans l’appartement familial. Un petit bonsoir furtif à sa mère qui préparait le dîner, et la voici aussitôt allongée sur son lit. Le regard perdu dans les nues. Le bel inconnu l’obsédait.

    La voix de sa mère la surprit et l’extirpa de son évidente torpeur.

    — Le dîner est prêt !

    Il était l’heure de prendre place à table et de satisfaire ce besoin obligatoire de manger pour vivre. En contradiction avec l’adage, son estomac ne semblait pas être en mesure d’accueillir la prodigalité des mets exposés. Son manque d’appétit marqua l’entourage. Elle prétexta une grande fatigue à sa maman, qui s’inquiétait déjà. Elle retourna dans sa chambre, assurée qu’elle se préparait une longue nuit de veille.

    Au petit matin, son objectif principal était de se mettre à la recherche du mystérieux élève. Elle prit le chemin du lycée, se sentant investie d’une mission capitale.

    Sa montre indiquait sept heures quarante-cinq lorsqu’elle parvint aux portes du lycée. Elle s’était mise en tête une stratégie très simple : elle devait, dans un laps de temps restreint, monter la garde devant l’entrée principale et passer en revue toutes les têtes se présentant.

    Les minutes s’égrenaient. Aux environs de huit heures quinze, ses investigations étaient toujours infructueuses. Ayant dévisagé une bonne partie de l’effectif masculin, elle doutait du bien-fondé de son action. La sonnerie annonça le début des cours. Ses illusions s’envolèrent.

    Elle se rendit, résignée, au premier cours de la matinée. Elle naviguait de salle en salle, l’esprit hors de tout.

    La matinée fondit comme neige au soleil et reprendre des forces par un bon déjeuner était autorisé. L’estomac noué d’insatisfaction, elle ne pouvait pas avaler une quelconque nourriture.

    ***

    En début d’après-midi, elle monta l’escalier du premier étage à la recherche de la salle 108 où ses camarades et elle consacreront deux heures à l’étude de l’espagnol. Elle cheminait, la tête baissée, dans l’inévitable couloir sombre. Elle était certaine de vivre un après-midi consternant. Pourtant, le miracle se produisit une seconde fois. Devant ses yeux effarés, il se tenait adossé au mur, juste à côté de la salle 108. Elle ne voulait pas y croire.

    — Non ! Impossible ! lança-t-elle.

    Il se posait là, plus beau que le soleil levant. Sans un mot, elle avança vers la suave créature, poussée par une force étrange. Elle se préparait à aborder la superbe personne. Prête à l’action, elle sentit la pression d’une main s’abattre sur son épaule.

    Alice, une petite camarade d’origine asiatique, signifiait ainsi son arrivée.

    — Alors ma grande ! dit-elle. Il paraît que le prof d’espagnol est vachement sympa !

    Quel manque de chance ! pensa Fleure. Oui, rétorqua-t-elle, fortement agacée…

    Le professeur d’espagnol entra, chacun prit place où il le désirait. Fleure cherchait du regard la position du troublant jeune garçon. Elle se dirigea vers lui, mais c’était sans compter sur le geste attentionné de son compagnon d’aventure qui, d’un rire exubérant, la traîna au fond de la classe.

    Elle subissait l’assaut verbal d’Alice qui lui faisait, détails en prime, étalage de l’acquisition d’une nouvelle chaîne stéréo.

    Alice mesurait un mètre soixante. Elle avait des épaules robustes qui lui concédaient une carrure d’athlète. Ses yeux, très noirs, jetaient par moments de petites étincelles d’espièglerie. Ses camarades aimaient bien lui passer les mains dans les cheveux qui étaient d’un noir corbeau et raides, comme le crin des chevaux. Elle possédait un petit visage rond de bébé. C’était une fille turbulente, pleine de sagacité, qui s’intéressait beaucoup à l’électronique. Elle avait, surtout, une grande passion pour le football. Elle était la copine de

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