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Passion francophone: Discours et entretiens 2003-2014
Passion francophone: Discours et entretiens 2003-2014
Passion francophone: Discours et entretiens 2003-2014
Livre électronique702 pages8 heures

Passion francophone: Discours et entretiens 2003-2014

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À propos de ce livre électronique

Abdou Diouf devient Président de la République du Sénégal le 1er janvier 1981, à la suite de la démission du Président Léopold Sédar Senghor. Il y mène jusqu’en 2000, au fil de ses réélections successives, une politique d’ouverture au multipartisme, de libéralisation progressive de l’économie et de décentralisation, contribuant à faire entendre la voix du Sénégal dans le monde. L’autre grande étape de sa carrière est son élection comme Secrétaire général de la Francophonie en octobre 2002 lors du Sommet de Beyrouth. « Il faut, dira-t-il, que cette Organisation ait une âme. » Ardent défenseur de la langue française, de la diversité linguistique et culturelle, il confirme la vocation politique de l’Organisation, et en fait un acteur incontournable sur la scène internationale. Sous son impulsion, la Francophonie renforce son statut de communauté originale : communauté linguistique avec le français en partage, communauté politique des États et gouvernements participant aux Sommets, communauté de valeurs et d’idéaux partagés. De cette originalité, elle tire la force de son message et de sa magistrature d’influence. Abdou Diouf, homme discret pétri d’humanisme, sénégalais par la naissance, citoyen du monde par conviction, s’attache à faire partager sa passion francophone. Il nous fait entendre à travers ses interventions et ses discours - dont quelques-uns ont été rassemblés dans ce recueil - la voix de la Francophonie, la nature de ses engagements au service de la promotion de la langue française, de la diversité linguistique et culturelle, de la démocratie, des droits de l’Homme et de la paix, de l’éducation et du développement durable, en même temps que ses ambitions et ses espoirs pour l’avenir.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie12 nov. 2014
ISBN9782802748564
Passion francophone: Discours et entretiens 2003-2014

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    Aperçu du livre

    Passion francophone - Abdou Diouf

    couverturepagetitre

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

    © Groupe Larcier s.a., 2014

    Éditions Bruylant

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    EAN : 978-2-8027-4856-4

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Introduction

    « Pour(quoi) la Francophonie ? »

    Préface à l’ouvrage collectif « Pour(quoi) la Francophonie ? », sous la direction de Louise Beaudoin et Stéphane Paquin,

    VLB Éditeur, octobre 2008

    […] « La clef de toutes les sciences, écrivait Honoré de Balzac, est sans contredit le point d’interrogation ; nous devons la plupart des grandes découvertes au comment ? Et la sagesse dans la vie consiste peut-être à se demander, à tout propos, pourquoi ? »

    Aussi, quand bien même le fait de scinder l’adverbe interrogatif en un « pour quoi » nous invite à situer notre réflexion au plan des objectifs et de l’avenir, la sagesse veut que l’on pose, en premier lieu, la question du pourquoi, et que l’on revienne par là même aux origines, non pas tant pour souscrire au rite de la rétrospective que pour déterminer, d’entrée de jeu, de quelle Francophonie l’on parle.

    Voilà cinq ans que j’ai l’honneur de présider au destin de la Francophonie ; cinq ans aussi que je m’étonne du fait que la Francophonie soit encore un mot à définition variable. Il y a, certes, la définition première d’Onésime Reclus, une définition de géographe, qui plus est marquée par un contexte historique qui n’est plus de mise, celui des empires coloniaux. Et puis, il y a les définitions contemporaines, ou devrais-je dire les perceptions, dans la mesure où ces conceptions opposent à l’objectivité scientifique du géographe Reclus, une subjectivité largement teintée de préjugés. Avatar du colonialisme pour certains, combat dépassé contre l’anglais pour d’autres, « machin » bureaucratique pour d’autres encore, telles sont, malheureusement, les étiquettes que l’on continue d’apposer à la Francophonie et qui contribuent à déprécier son image.

    Il faut donc, tout d’abord, se rappeler que la Francophonie est née sous l’impulsion de grandes figures – Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Hamani Diori, Norodom Sihanouk – qui ont, précisément, joué un rôle déterminant dans les mouvements d’indépendance. Se rappeler aussi que leur choix de rassembler en une union solidaire des États qui avaient en partage le français fut un choix souverain, et qu’avec l’émergence de la Francophonie, la langue française a cessé d’être la langue de la colonisation et de la sujétion pour devenir la langue de l’émancipation et de la coopération.

    Il faut, en second lieu, être bien conscient que la mission essentielle de la Francophonie en faveur du rayonnement de la langue française doit être comprise à la lumière de cet enjeu et de ce défi majeurs pour l’ensemble de la communauté internationale qu’est le respect de la diversité linguistique et culturelle. Loin de nous l’idée de vouloir remplacer un impérialisme linguistique par un autre. La Francophonie est, avant tout, au service d’un humanisme, lui-même au service de tous. Tel est bien le sens, du reste, des relations étroites que nous avons nouées avec les autres grandes aires linguistiques, avec nos organisations sœurs lusophone, hispanophone, arabophone, et anglophone, afin d’unir nos forces dans ce combat qui concerne toutes les langues et toutes les cultures.

    Il faut, enfin, avoir l’honnêteté de prendre acte des réformes institutionnelles entreprises par la Francophonie au cours de ces dernières années, réformes qui lui ont permis de se doter d’une personnalité juridique clairement fondée, d’une charte rénovée, d’un cadre institutionnel cohérent, mais aussi de vouloir recentrer et rationaliser ses programmes, et de moderniser sa gestion pour toujours plus d’efficacité. Certes, des progrès restent à accomplir, mais prenons le temps de considérer la crise que traversent beaucoup d’organisations internationales : crise de fonctionnement, crise de notoriété, crise de confiance.

    Il faut reconnaître, certes, que le projecteur, dans ce domaine comme dans d’autres, est plus volontiers braqué sur les dysfonctionnements ou les échecs de telle ou telle institution que sur ses réussites, mais aussi que les organisations non gouvernementales, au développement sans précédent, tendent de plus en plus à capter l’attention et l’intérêt des citoyens en quête d’une représentation et d’une démocratie de proximité, dont la tendance grandissante à la supranationalité des décisions tend à les priver.

    Il faut reconnaître aussi que le monde a changé plus vite que les organisations vouées à sa gestion. On a vu, en l’espace de quelques années, les grandes utopies s’effondrer, la menace d’une guerre entre les deux blocs s’éloigner, le principe de bipolarité disparaître. Et le nouvel ordre mondial que d’aucuns nous promettaient au lendemain de la guerre froide a laissé place à une situation de vacuité, caractérisée par l’affirmation d’une unique superpuissance, le triomphe du marché et des lois attachées à l’ordre libéral, l’aggravation des inégalités, la multiplication des conflits à l’intérieur même des nations, la montée du terrorisme international, autant de défis nouveaux, inscrits sur fond de mondialisation, que nombre d’organisations internationales n’étaient pas préparées à relever parce que conçues et créées pour répondre aux défis de l’après Seconde Guerre mondiale.

    Cette incapacité à instaurer une gouvernance mondiale véritablement multipolaire, véritablement solidaire, véritablement démocratique et pacifique, est pour beaucoup, sans doute, dans les critiques, le sentiment de défiance, dont font l’objet les organisations internationales, tant d’ailleurs les organisations régionales que le système des Nations unies, et auxquels la Francophonie, bien que de création plus récente, n’échappe pas.

    Et pourtant, il faut bien comprendre que les organisations internationales, si imparfaites soient-elles, demeurent les mieux à même, et les seules en l’état actuel des choses, à pouvoir gérer et encadrer notre interdépendance croissante, tant en termes de coordination, que de négociation ou d’institutionnalisation.

    Elles sont les seules à pouvoir réaliser cette nécessaire synthèse entre des conceptions, des intérêts nationaux souvent divergents, condition préalable à toute politique véritablement multilatérale. Et nous n’avons d’autre choix que de recourir au multilatéralisme si nous voulons lutter efficacement contre la crise alimentaire mondiale, la dégradation de l’environnement, la prolifération d’armes de destruction massive, le trafic de drogue, la criminalité organisée ou le terrorisme international, si nous voulons maîtriser les flux migratoires, ou encore contenir les dérives possibles des progrès de la technologie et de la génétique.

    Les organisations internationales sont les mieux à même, non pas de réduire, seules, les fractures révoltantes qui déforment le monde, mais de rappeler la communauté internationale à ses devoirs, à ses responsabilités, pour l’inciter à s’engager, à agir, à honorer ses promesses en matière d’aide publique au développement ou de réalisation des Objectifs du Millénaire.

    Les organisations internationales sont les mieux à même de servir la paix et la sécurité internationale parce que l’on ne résout rien par la force, qui plus est unilatéralement. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire récente pour nous convaincre que seul un traitement politique négocié, associant l’ensemble des acteurs, avec l’appui et la garantie de la communauté internationale, peut déboucher sur des solutions durables. Disant cela, je ne pense pas seulement à l’ONU, mais aussi aux organisations régionales, et à la Francophonie, qui jouent un rôle croissant en matière de prévention et de règlement des conflits.

    Les organisations internationales sont les mieux à même, enfin, dans un contexte mondialisé où l’on voit émerger de nouveaux pouvoirs qui transcendent les structures étatiques, d’élaborer des normes communes, de développer un état de droit international au service des droits de l’homme et des droits sociaux, du développement durable, de la diversité culturelle et de l’éthique des affaires.

    Toutes ces raisons doivent nous rendre optimistes quant à l’avenir de la Francophonie, organisation internationale désormais reconnue sur l’échiquier mondial, et engagée dans une coopération étroite avec l’ONU, l’Union européenne, l’Union africaine, le Commonwealth, la Ligue des États arabes et d’autres organisations encore.

    Bien plus, je dirais que la Francophonie dispose d’atouts que d’autres organisations n’ont pas. Sa création récente, comme je le soulignais, mais aussi les conditions de sa genèse la dispensent, en quelque sorte, de réformes devenues nécessaires dans beaucoup d’autres institutions au nom de la démocratisation des relations internationales. Cela va bien au-delà de la réforme et de l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU souvent évoqués, cela passe aussi par l’application effective du principe d’égalité entre les États dans toutes les organisations où se mènent des négociations, où s’élaborent des normes, où se prennent des décisions qui engagent l’avenir de tous, et par la prise en compte des acteurs non étatiques de la société internationale contemporaine.

    Cette forme de démocratisation, la Francophonie l’a mise en place dès les origines, en associant, à travers ses opérateurs directs, les universitaires, les maires de grandes villes, un média – TV5 Monde –, mais aussi les parlementaires dans le cadre de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Il faut également mentionner l’important réseau d’organisations internationales non gouvernementales et d’organisations de la société civile qui travaille en collaboration étroite avec elle.

    Cette forme de démocratisation, elle l’a mise en place en accueillant, en son sein, tout à la fois des États et des gouvernements : le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Communauté française de Belgique. Elle l’a mise en place, surtout, en asseyant autour de la même table de concertation, de négociation et de décision des pays membres du G8, et des pays parmi les moins avancés de la planète.

    Par ailleurs, cette démocratisation des relations internationales, la Francophonie la revendique dans toutes les instances. C’est ainsi qu’elle s’attache à favoriser, à travers, par exemple, l’organisation de concertations francophones, en marge des grandes conférences ou négociations internationales, à travers, aussi, la formation de négociateurs, l’ouverture effective des instances internationales aux pays du Sud et leur pleine participation au concert des nations. C’est ainsi qu’elle se bat pour faire respecter le multilinguisme dans les organisations internationales pour promouvoir le droit de chacun à s’informer, à travailler, à s’exprimer dans la langue de son choix, dans une langue qu’il maîtrise. Car de la même manière que la démocratie nationale ne saurait s’accommoder d’un parti unique, la démocratie mondiale ne saurait s’accommoder d’une langue unique.

    Nous avons également toutes les raisons d’être optimistes parce que la Francophonie a su prendre acte des bouleversements géopolitiques de ces dernières décennies, elle a su en tirer toutes les conséquences pour elle-même et pour ses pays membres, décidée à adapter la solidarité, qui est au fondement de notre mouvement, aux besoins nouveaux de son exercice, décidée, aussi, du moment où elle a pris conscience de sa magistrature d’influence, à promouvoir un véritable projet de société à l’échelle du monde et à faire valoir une alternative aux menaces potentielles ou avérées qui assombrissent l’horizon planétaire.

    La Francophonie, aujourd’hui, c’est donc non seulement une certaine vision des relations internationales fondée sur le multilatéralisme, mais encore une certaine vision de la coopération fondée sur le dialogue et le respect de la diversité. Et toutes les actions de coopération menées le sont en partenaires, différents certes, mais égaux en dignité, et conscients d’affronter des défis, somme toute, communs. La Francophonie n’a pas, certes, à l’instar d’autres organisations, les moyens d’intervenir dans tous les domaines, et encore moins d’intervenir partout. Cela nous impose des choix, et ces choix sont d’abord dictés par les attentes et les besoins des membres de notre communauté. Ils sont aussi dictés par la recherche de complémentarités avec les autres coopérations bilatérales ou multilatérales déjà à l’œuvre. Ils sont enfin dictés par un désir de rationalité.

    Et la raison nous dit que le développement durable, qui est notre objectif prioritaire, est indissociable d’une politique ambitieuse d’éducation et de formation, que le développement est indissociable de la démocratie, des droits de l’homme et de la paix. Et tels sont bien les grands axes qui guident nos actions.

    À cet égard, l’affirmation de l’action politique et diplomatique de la Francophonie sur la scène internationale, singulièrement depuis le Sommet de Hanoi en 1997, a constitué, sans conteste, un tournant majeur dans l’évolution de notre organisation. Et nos interventions, en ce domaine, me semblent parfaitement emblématiques de l’esprit de dialogue qui nous caractérise. Nous ne pouvons compter sur aucune armée. Quand bien même, nous avons fait un choix : celui de la persuasion et non de la coercition, celui du dialogue et non de la force.

    C’est bien cet esprit de dialogue qui a présidé à l’élaboration et à l’adoption des deux instruments normatifs et de référence qui encadrent désormais l’implication de la Francophonie dans ce domaine. La Déclaration de Bamako structure ainsi, depuis 2000, les actions au service de la démocratie et de la paix, et nous permet de jouer pleinement notre rôle dans l’observation, l’alerte précoce, la diplomatie préventive, la gestion des crises, l’accompagnement des transitions et la consolidation de la paix, en collaboration systématique avec les organisations internationales et régionales.

    La Déclaration de Saint-Boniface sur la prévention des conflits et la sécurité humaine, que nous avons adoptée en 2006, est venue compléter ce dispositif. À travers ce texte, les pays francophones ont souscrit au principe de la responsabilité de protéger, nous invitant, en conséquence, à encore plus de vigilance en matière de violation grave ou massive des droits de l’homme et à un devoir de protection à l’égard des populations civiles, notamment durant les conflits armés.

    C’est aussi cet esprit de dialogue qui préside à nos pratiques. Car, telle que nous l’entendons, l’universalité n’est pas synonyme d’uniformité. Il ne s’agit en aucun cas d’imposer un modèle. Nous nous attachons, bien au contraire, à prendre en compte la diversité des réalités historique, politique, sociale et culturelle, et à favoriser les dynamiques endogènes et l’implication des acteurs nationaux.

    La Francophonie c’est aussi et surtout une certaine vision de l’homme et du monde, c’est aussi et surtout des valeurs, celles que véhicule la langue que nous avons en partage. À cet égard, la langue française constitue à la fois le moyen et la fin de toutes nos actions. Le moyen de nous rencontrer, de nous mieux connaître, de nous mieux comprendre, le moyen d’exprimer notre solidarité et notre fraternité. Quant à la fin, c’est cette volonté partagée de promouvoir un projet de société alternatif à l’échelle du monde. J’en veux pour preuve les États et gouvernements qui nous rejoignent année après année, et qui nous permettent d’élargir notre coopération Nord-Sud à une coopération Est-Ouest, d’engager des collaborations toujours plus étroites avec les autres organisations internationales dont ils sont membres, et par là même de renforcer notre magistrature d’influence en faveur d’une mondialisation maîtrisée, d’une démocratie planétaire solidaire, unie sur l’essentiel, mais respectueuse des différences. Car de notre volonté de préserver l’intégrité et la pluralité des cultures, d’instaurer des relations équilibrées entre elles, dépendra grandement notre capacité à prévenir l’exacerbation des passions identitaires, l’embrasement et l’affrontement des imaginaires, toujours possibles. Bien plus, nous ne prendrons conscience de notre communauté de destin que lorsque nous aurons renoncé à diaboliser les uns, à soupçonner les autres, à nous en remettre à des stéréotypes dangereux, nourris par l’ignorance ou l’arrogance, au profit d’un esprit de dialogue fondé sur le respect mutuel, la connaissance, la tolérance.

    Les consciences sont en éveil, et un pas considérable a été franchi avec l’entrée en vigueur, le 18 mars 2007, à l’Unesco, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Mais se doter d’instruments normatifs ne suffit pas : nous devons aller plus loin, pour traduire les mots en actions. La Francophonie, qui s’est mobilisée de manière exemplaire sur ce dossier, s’y emploie au jour le jour au sein de son propre espace, démontrant ainsi que l’on peut réaliser l’unité dans le respect de la diversité, qu’un monde, comme le souhaitait Léopold Sédar Senghor, « où toutes les civilisations différentes seraient considérées comme égales, d’une égalité non mathématique, mais complémentaire », ne relève pas de l’utopie.

    En proposant une certaine vision des relations internationales, de la coopération, de la mondialisation, dans laquelle tous les hommes puissent se reconnaître et se projeter, la Francophonie affiche clairement et fièrement le « pour quoi » et le « pour qui » de sa raison d’être et d’agir. Il n’en demeure pas moins que nous devons continuer à réfléchir sur le « comment » afin d’être toujours plus efficaces même si notre avenir dépend, d’abord, de la volonté qu’auront les États et gouvernements de donner à la Francophonie les moyens de ses ambitions. […]

    CHAPITRE I

    Militer pour la diversité linguistique et culturelle dans un environnement mondialisé

    Promouvoir la langue française, véhicule de la vision d’un monde non aligné

    Se revendiquer « indignés linguistiques »

    La culture, un enjeu politique global

    Multipolarité culturelle : des passerelles vers l’action

    Réinventer un dialogue interculturel et interconfessionnel

    Promouvoir la langue française, véhicule de la vision d’un monde non aligné

    « Senghor est actuel. Il est par excellence un homme de demain, un poète et un penseur de la Vie et de l’Espoir »

    « Léopold Sédar Senghor et les jeunes : vers une civilisation de l’Universel », Conseil économique et social

    Paris, le 5 décembre 2006

    En donnant pour thème à votre manifestation : « Léopold Sédar Senghor et les jeunes : vers une civilisation de l’Universel », vous vous attachez à montrer que, cent ans après sa naissance et cinq ans après sa disparition, le « poète président » sénégalais est plus que jamais présent parmi nous. « Les Morts ne sont pas morts », dit-on en Afrique : les quelque deux mille manifestations organisées cette année en sa mémoire, dans le monde entier, témoignent à l’évidence qu’il est en effet notre contemporain, et un « contemporain capital ».

    Plongeant jusqu’aux racines de la culture négro-africaine, mais ouverts aux souffles fécondants de l’Esprit, dans la quête de « l’âme noire » et l’attente également passionnée de « la civilisation de l’Universel », son œuvre et sa pensée, ses rêves et ses passions, sont au cœur de notre modernité : pour nous tous, ils sont un viatique pour les temps à venir.

    Je voudrais ici faire écouter une nouvelle fois cette « voix singulière qui chante dans l’ombre [de la mort] », mais qui chante « avec la vieille voix de la jeunesse des mondes ». Et retracer rapidement l’itinéraire d’une vie exemplaire pour en tirer quelques réflexions pour les temps présents, au risque d’anticiper peut-être sur vos débats de la journée.

    Comme, malheureusement, bon nombre d’adolescents d’aujourd’hui, Senghor a connu la révolte et, pire encore, la haine, ce « serpent de la haine » pour lequel, en son for intérieur, il n’a pourtant que haine. À seize ans, en effet, il se dresse contre le mépris dans lequel son professeur, le Père Lalouse, tient sa culture sérère. Il prend alors conscience que, quelles que soient les origines raciales et sociales, les langues, les cultures et les religions, hommes et femmes sont également dignes et ont droit au même respect. Que le respect n’est pas à sens unique et que nous devons tous faire effort pour « comprendre » ce qui ne nous « comprend » pas. Que notre force n’est pas de dominer autrui, mais de savoir l’écouter et que, à l’opposé, la violence est expression de la faiblesse, de la frustration ou du « mal-être ».

    Aux jeunes tentés de s’enfermer dans l’affrontement et le conflit, Senghor donne l’exemple d’un homme qui a réussi à triompher de ceux-ci. Au prix d’un travail personnel considérable et d’un effort constant, il a choisi de choisir, d’« assimiler sans être assimilé », conscient qu’il était que la jeunesse n’est ni un état ni un privilège, mais ce temps difficile où il faut se préparer à être.

    Au cours de ses « années ardentes », il a dénoncé implacablement les abus, mensonges et exactions de la colonisation, mais ce fut pour mieux les dépasser et fonder avec les anciens colonisateurs des relations fraternelles. Oui, il a su abandonner « la négritude-ghetto », et accepter et aimer ceux qui l’avaient rejeté et méprisé. Est-il plus belle leçon d’intelligence et d’humanité ? Et comment ne pas voir que, si l’homme d’État qu’il fut est de nos jours respecté de tous – et même souvent de ses anciens détracteurs –, c’est parce qu’il aima et chercha passionnément la paix ?

    Grandeur d’un homme, grandeur de l’homme à ainsi bâtir sur les décombres et, sans perdre la mémoire des tragédies passées, à édifier avec ses adversaires ou ennemis d’hier « la Cité de demain » !

    L’autre leçon que nous laisse Senghor et qu’il me plaît de vous rappeler ici est qu’il ne peut y avoir de développement social authentique et durable et d’« épanouissement de l’individu en personne » sans reconnaissance préalable des cultures dans leur singularité, dans leur diversité et dans leur totalité. Aucune forme de mondialisation ne saurait justifier une substitution ou un effacement de personnalité propre.

    En vivant la négritude comme une passion, Senghor n’a eu de cesse de faire précisément reconnaître les cultures du monde noir par l’ensemble de la communauté internationale, et en premier lieu par les anciennes puissances coloniales.

    La gloire du poète visionnaire qu’il fut, du « Dyâli », on peut la voir dans son élection à l’Académie française qui consacra, au travers de sa personne, « la négritude rédimée » et, après sa mort, dans l’ouverture du musée du quai Branly qui officialisa enfin l’entrée définitive des arts dits « premiers » dans un musée imaginaire véritablement mondial parce qu’inclusif de toutes les cultures.

    Nous pouvons surtout la mesurer, cette gloire, à l’aune du succès remporté par l’Unesco, avec le soutien actif de la Francophonie, pour que soit adoptée et mise en œuvre la Convention sur la diversité culturelle. Celle-ci trouve en effet son origine et son fondement dans la pensée même de Senghor. Il fut en effet le premier peut-être à comprendre que le respect de cette diversité allait devenir un enjeu politique majeur et que la notion de culture, regroupant langues, religions, rites, codes sociaux et univers mentaux, allait se trouver au cœur de la politique.

    Alors même que Mac Luhan pouvait faire croire que les technologies de la communication allaient donner naissance au « village global », Senghor comprenait qu’il ne pourrait pas y avoir de civilisation « globale », mais une « civilisation de l’Universel » qui rassemble les cultures sans les fusionner et reconnaît l’altérité comme base du respect mutuel.

    La Francophonie, dont il fut l’un des pères fondateurs, a ainsi pour vocation de devenir le laboratoire de la diversité culturelle : il nous faut montrer que les différences culturelles entre nos pays sont conciliables avec le partage d’une langue et de ses valeurs. Là est le véritable défi francophone et, si tous ensemble nous le relevons victorieusement, nous aurons fait la preuve qu’un autre monde est véritablement possible et que, au prix d’un paradoxe qui n’est qu’apparent, nos différences, loin de nous séparer, nous unissent et nous enrichissent. Dans une « Lettre ouverte à la Jeunesse » qu’il rédige en 1985, à la demande de l’ACCT, aujourd’hui l’Organisation internationale de la Francophonie, Senghor traçait la route que nous suivons toujours. « Le but ultime [de la Francophonie], écrivait-il, est de créer une civilisation de symbiose, où chaque continent, chaque race, chaque nation apportera ses valeurs originaires de civilisation, irremplaçables. C’est cela le sens de la Francophonie où la langue et la civilisation françaises joueront un rôle majeur, mais pas unique, à côté des langues et civilisations arabes, négro-africaines, indo-chinoises, sans oublier naturellement les civilisations belge, canadienne et suisse ».

    Sans doute la Francophonie se doit-elle de répondre aux vœux de Senghor et se faire, sur ses recommandations, « le modèle et le moteur de la civilisation de l’Universel », de cette civilisation qui « sera faite des valeurs complémentaires de tous les continents et de tous les peuples ». Mais, plus immédiatement, en cherchant à préserver et à promouvoir la diversité culturelle, c’est bien « les barrières de la paix » qu’elle s’emploie à dresser aux côtés de l’Unesco. Qui ne voit en effet aujourd’hui que l’origine des violences, individuelles ou collectives, se trouve dans la peur de voir disparaître les cultures identitaires au profit d’hégémonismes de taille planétaire ?

    C’est contre la tentation communautariste que Senghor a pensé la négritude. « Enracinement et ouverture », apport de « valeurs essentielles » et appel à des « éléments fécondants » venus d’ailleurs, mais librement assimilés, elle refuse, dans l’idée qu’il s’en fait, un repliement sur soi qui serait immanquablement enfermement dans sa pauvreté, réaction de peur ou immunisation face à la vie.

    « La civilisation de l’Universel » est peut-être une utopie, mais il faut croire alors, avec Victor Hugo, que « l’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain » et que demain, justement, nous verrons « les civilisations se respecter et s’enrichir de leurs différences pour converger vers l’Universel ».

    En fait, il ne dépend que de vous, jeunes francophones, que l’utopie de Senghor devienne une réalité, votre réalité. « Il s’agit concrètement, pour chacun, pour chacune, de vous enraciner profondément dans les valeurs irremplaçables de votre civilisation originaire, puis de vous ouvrir aux valeurs fécondantes des autres civilisations complémentaires. » Il vous suffit de considérer l’exemple de sa vie pour vous apercevoir que cette phrase, écrite en 1985, a valeur de précepte.

    « J’ai toujours eu raison vingt ou trente ans avant les autres », me disait-il parfois. De fait, je m’aperçois à présent combien sa conception de « la civilisation de l’Universel » anticipait sur certaines avancées de la philosophie contemporaine. Je pense ici au jeune philosophe italien Roberto Esposito, qui n’hésite pas à affirmer que « communauté » ne signifie pas identité, mais altérité. « Est commun, écrit-il, non pas ce qui est privé et particulier, mais ce qui est public et général, et même tendanciellement universel […]. Cela veut dire que ce qui est à l’origine de l’idée de communauté […], c’est quelque chose qui nous pousse non pas à nous enfermer en nous-mêmes, mais plutôt à sortir de notre intérêt particulier […]. La communauté est véritablement telle seulement si elle est communauté de dissemblables […] ».

    À lire ces lignes, on s’aperçoit combien Senghor est actuel. Il est par excellence un homme de demain, un poète et un penseur de la Vie et de l’Espoir.

    Animiste et chrétien, théoricien, mais surtout poète de la négritude, il n’a de cesse de manifester la « communialité » du Négro-Africain avec les forces de la Vie. Intellectuel qui ne s’est pas dérobé, le moment venu, devant « le risque de la vie publique » – c’est Hannah Arendt qui parle ainsi, estimant que « ce risque n’est possible que si l’on a confiance aux gens » – il entend, en poète, soumettre le réel à l’ordre de son rêve de liberté et de fraternité universelles. Face à un monde chaotique et violent dont il a personnellement éprouvé la folie et les fureurs, il se veut porteur de « l’espoir du Monde » et se fixe pour « tâche d’éveiller [son] peuple aux futurs flamboyants ».

    Le recevant en 1984 à l’Académie française, Edgar Faure ne s’y trompe pas : « Votre civilisation de l’Universel, déclare-t-il, n’est pas seulement un théorème, elle est annonce, elle est offrande à la jeunesse, à toute la jeunesse ». Puisse toute la jeunesse écouter à présent ce professeur d’espérance qui l’invite à « enlacer la terre d’une ceinture de mains fraternelles » et lui donne « la force de regarder demain », comme l’écrivait Aimé [Moi, laminaire, Paris, Seuil, 1982]. Messager de bon augure, il proclame qu’il n’est d’avenir que dans la générosité des cœurs, le respect des particularités et l’ouverture aux autres – que « le bonheur d’être différents mais ensemble » est possible et qu’il n’est finalement d’espoir que dans la fraternité.

    « Le français est une chance ! »

    Message à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie,

    le 20 mars 2012

    Pour nous toutes et nous tous qui avons choisi de nous rassembler au sein de la Francophonie, le français, c’est en effet cette chance insigne qui nous est offerte de pouvoir entrer en contact par-delà les frontières et les océans, non pas seulement pour communiquer entre nous avec l’assurance de nous comprendre, mais aussi et surtout pour agir solidairement, pour réfléchir, ensemble, aux défis du présent et du futur, pour partager nos craintes, nos espoirs et nos ambitions, dans la détresse comme dans l’allégresse.

    C’est la chance de pouvoir expérimenter, concrètement, à travers la littérature, la chanson, les arts vivants, ce que la diversité des expressions culturelles a de stimulant, d’enrichissant, de fécondant.

    C’est la chance de pouvoir former des réseaux performants d’universitaires, de chercheurs, d’experts, de professionnels, de maires, de parlementaires, pour que le dialogue et la coopération au service du développement durable ne relèvent plus de la décision des seuls États, mais de l’engagement militant des peuples, de la société civile, des citoyens.

    C’est la chance de pouvoir confronter nos expériences et de mutualiser nos expertises pour que prospère l’État de droit, pour que s’enracine la culture de la démocratie et des droits de l’homme, pour que progresse la paix, tant au sein des nations que dans les relations entre États.

    C’est la chance de pouvoir nous concerter pour faire prévaloir les intérêts de tous, et singulièrement de ceux que l’on a pris l’habitude de ne plus entendre.

    Alors en cette période de crises profondes et multiformes, de mutations violentes et déstabilisatrices, en cette période où les liens de solidarité tendent à se déliter au profit du chacun-pour-soi, en cette période où grandit la tentation de stigmatiser ce qui nous différencie les uns des autres au lieu de retourner aux sources de notre humanité commune, en cette période où la détresse et l’indignation de la jeunesse contre ce qui a été et ce qui est, ne suffisent pas à concrétiser ce qui devrait être, ce qui pourrait être…

    Savourons cette chance, non pas comme un acquis, mais comme un défi à relever jour après jour, comme un puissant moyen d’action, comme un formidable levier pour faire émerger une autre vision du monde et du destin qui nous lie, une vision acceptable par tous, équitable pour tous.

    Cette chance, offrons-la surtout, en gage d’amitié et en signe de ralliement, à toutes celles et tous ceux, toujours plus nombreux, qui choisissent d’apprendre le français pour s’ouvrir au monde.

    Que cette journée internationale de la Francophonie soit donc l’occasion de célébrer, dans la joie et l’espérance, notre chance, notre volonté et notre fierté de parler le français !

    « Parler français est déjà en soi un acte politique fort, une manière de réaffirmer sa solidarité et sa fraternité avec tous les francophones, une manière d’accéder à la citoyenneté mondiale »

    Discours à la clôture des Entretiens de Royaumont : « Aimer la France »

    Royaumont, le 3 décembre 2011

    […] Je voudrais vous dire, d’entrée de jeu, que je suis très sensible à la thématique que vous avez retenue cette année – « Aimer la France » – et à la déclinaison que vous en avez proposé. Non seulement parce que la France est, pour mille raisons, chère à mon cœur, mais aussi parce que vous nous invitez à porter un regard créatif et stimulant sur l’avenir.

    À un moment où les mots de crise, de dette, de déficit, de rigueur, de chômage ont envahi l’espace politique et médiatique notamment en Europe.

    À un moment où l’avenir, pour beaucoup de citoyens, singulièrement pour la jeunesse, semble condamné à n’être que la projection d’un présent instable, suspendu aux décisions des agences de notation ou aux fluctuations des places boursières.

    À un moment où grandit la tentation, tant à l’échelle des individus que des États, de faire prévaloir leur individualité ou leurs intérêts propres, où grandit la tentation du repli sur soi, de l’égoïsme assumé, du racisme insidieux.

    À un moment où s’emballent le temps et l’histoire, où se défont les équilibres géopolitiques et les rapports de puissance d’antan, où s’effondrent des régimes que l’on pensait inébranlables, où se déplacent les centres de décision, sans que l’on entrevoie encore ce que sera la nouvelle configuration politique, économique, culturelle et environnementale du monde.

    À un moment où les peuples savent nettement ce dont ils ne veulent plus, sans tout à fait savoir ce qu’ils veulent vraiment, et sans savoir, surtout, comment y parvenir, vous nous invitez à réapprendre à aimer, ce qui est l’essence même de l’homme, à remettre l’humain au cœur de nos réflexions, de nos actions, de nos ambitions.

    Vous nous invitez à défendre et à promouvoir ce que l’on est et ce que l’on a, sa culture, ses valeurs, ses traditions, ses savoir-faire.

    Vous nous invitez, aussi, à nous ouvrir à l’Autre dans ses ressemblances comme dans ses différences, à prendre toute la mesure de l’espace mondialisé et de notre interdépendance.

    Vous nous invitez à retrouver la maîtrise du temps, à dépasser l’instant présent et l’indignation du moment, pour mieux nous projeter dans le futur et nous engager sur le long terme.

    Qui oserait nier que nous sommes parvenus à la fin d’une époque ? Et que l’enjeu n’est plus tant de sauver le monde, tel qu’il est, que de le réinventer, non pas à coup de demi-mesures, de solutions à court terme ou de recettes empruntées au passé, mais en mettant en œuvre des transformations aussi profondes et durables qu’innovantes.

    Disant cela, je n’ai pas seulement à l’esprit des solutions techniques ou des réformes structurelles arides. Car ce serait se priver de tout ce que cette nécessaire refondation peut avoir d’exaltant, pour n’en retenir que l’aspect nécessairement douloureux.

    Il ne s’agit pas pour autant de vendre du rêve, mais de redonner confiance en l’avenir, en suscitant et en élaborant une vision mobilisatrice largement partagée, fondée sur la conviction que l’on peut et que l’on doit changer le cours des choses à la lumière de valeurs fortement réaffirmées et d’idéaux retrouvés, à la lumière d’un humanisme pour le XXIe siècle qu’il reste à faire prévaloir.

    C’est l’approche que vous avez choisie de privilégier lors de ces entretiens, c’est l’approche que la Francophonie s’attache, depuis quarante ans, à mettre en œuvre dans ses activités opérationnelles et normatives, comme dans l’exercice de sa magistrature d’influence sur la scène internationale. Car nous n’avons pas attendu la crise inédite que traverse le monde pour militer en faveur de cet humanisme intégral.

    Voilà quarante ans que nous avons eu l’idée originale et novatrice de créer une communauté, fondée, non pas sur un espace géographique, des intérêts communs, des accords économiques ou des alliances militaires, mais sur le partage d’une langue et de valeurs.

    Et c’est bien au nom de ces valeurs et de ces idéaux partagés, de ces affinités électives, que nous avons, depuis lors, renforcé notre unité dans le respect de nos diversités, pour contribuer à l’émergence d’un monde plus équitable, plus démocratique, plus pacifique.

    Voilà des années que nous agissons, guidés par l’idée que la fracture économique, éducative, sanitaire, numérique, entre pays développés et pays en développement est intolérable, plaidant sans cesse pour la nécessité et l’urgence, d’honorer les engagements régulièrement pris, mais rarement tenus, plaidant, comme encore lors du dernier G20, pour la création de financements innovants, idée courageusement défendue par le président de la République française. Il n’y va pas seulement de notre devoir de solidarité, mais de la stabilité du monde.

    Voilà des années que nous agissons, guidés par l’idée que toutes les vies se valent, que tous les conflits méritent une égale attention, que tous les pays en crise méritent la même implication de la communauté internationale, et que la responsabilité de protéger vaut pour tous, partout, en dehors de tout intérêt stratégique ou économique.

    Voilà des années que nous agissons, guidés par l’idée que la démocratie est indissociable du développement et de la paix, mais qu’elle ne s’impose pas, et que l’État de droit ne se décrète pas, que la démocratie est le résultat d’un long processus d’appropriation et d’adaptation aux réalités historiques, culturelles, sociologiques.

    Voilà des années que nous agissons, guidés par l’idée qu’il est urgent d’instaurer une véritable démocratie entre les États, car si les citoyens des vieilles démocraties ont de plus en plus le sentiment, comme l’affirme Jürgen Habermas, que « la mondialisation [marque] l’effondrement du pouvoir d’achat des bulletins de vote », ils doivent savoir que, depuis trop longtemps, ce sont des pays, des régions entières qui sont exclus de l’élaboration des normes, des négociations et des prises de décision qui, pourtant, engagent l’avenir de toute la planète.

    Voilà des années que nous agissons, guidés par l’idée que la diversité culturelle n’est pas vouée à être synonyme de menace et d’affrontement, qu’elle est au contraire un bien de l’humanité à préserver et à cultiver, qu’elle est potentiellement source d’enrichissement mutuel et d’innovation, pour peu que l’on veuille bien reconnaître l’égale dignité de toutes les cultures.

    Ce sont ces convictions qui nous animent et qui constituent en quelque sorte notre « label », celui d’une communauté qui a fait le choix de privilégier le dialogue, la concertation, le partenariat d’égal à égal, l’échange d’expériences et d’expertises, notamment à travers la force que constituent nos réseaux en français : réseaux de parlementaires, de maires, d’universités. Je pourrais vous parler, aussi, du Forum francophone des affaires […], du réseau des cours constitutionnelles, des barreaux, des commissions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, des hautes juridictions de cassation, des cours des comptes, des compétences en matière électorale, des régulateurs de médias, des experts-comptables, du notariat et d’autres encore.

    Ce maillage à travers les cinq continents est un atout irremplaçable qui nous permet de transcender les barrières géographiques, politiques, économiques, sociales, mais dont on ne mesure pas assez le pouvoir d’influence, et ce, au moment même où les réseaux sociaux prennent l’importance que nous savons.

    La Francophonie sait tout ce qu’elle doit à la France et la Francophonie aime la langue française parce qu’elle est tout à la fois notre outil privilégié de communication et de coopération, notre signe de reconnaissance, le substrat des valeurs que nous promouvons, le label de notre manière d’être au monde et d’envisager le monde. Alors vous comprendrez mieux, sans doute, que nous soyons si attachés à ce que la langue française continue d’être enseignée et parlée sur les cinq continents, à ce qu’elle demeure une grande langue de communication internationale, à ce qu’elle demeure la langue de la culture, des médias, du droit, des affaires, de la recherche scientifique, à ce qu’elle demeure la langue officielle ou de travail à l’ONU, à l’Union européenne, et dans tant d’autres organisations internationales.

    Vous comprendrez, aussi, dans ces conditions, que je ne me livre aucunement à un combat rétrograde contre l’anglais lorsque je déplore le comportement de certains porte-voix éminents de l’élite française, de certains fonctionnaires internationaux, hommes d’affaires, chercheurs, qui ont, sans état d’âme, renoncé à parler le français dans les réunions internationales, et parfois en France, même lorsque rien ne les y oblige.

    J’aimerais qu’ils sachent ce que le français représente pour ces enfants d’Afrique qui, grâce à la Francophonie, ont accès pour la première fois au livre ou à Internet, pour ces populations en sortie de crise ou en situation de post-conflit qui voient la Francophonie les accompagner sur le chemin de la transition démocratique, de la stabilité et de la paix, pour ces artistes du Sud qui, grâce à la Francophonie, peuvent, pour la première fois, être produits, publiés, largement diffusés. J’aimerais qu’ils sachent que, dans certaines régions du monde, le français est synonyme de résistance, que dans d’autres, il sonne comme un défi lancé à la dictature parce qu’encore et toujours ressenti comme la langue des droits de l’homme et de la liberté. J’aimerais qu’ils soient convaincus que parler français est déjà en soi un acte politique fort, une manière de réaffirmer sa solidarité et sa fraternité avec tous les francophones, une manière d’accéder à la citoyenneté mondiale.

    Je ne peux résister, pour conclure, à vous livrer quelques extraits d’un conte d’Alphonse Daudet, La dernière classe. L’action se passe en 1870 dans un petit village alsacien. Dans un climat chargé d’émotion, l’instituteur fait, pour la dernière fois, la classe en français, l’ordre étant venu de ne plus enseigner que la langue du vainqueur dans les écoles d’Alsace et de Lorraine. Le jeune héros, à qui le maître demande de réciter la fameuse règle des participes en est incapable. Et le maître de commenter : « Je ne te gronderai pas mon petit Frantz, tu dois être assez puni… voilà ce que c’est. Tous les jours on se dit : j’ai bien le temps. J’apprendrai demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire : Comment ! Vous prétendez être français et vous ne savez ni parler, ni écrire votre langue […].

    Alors […] le maître se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison […] »

    N’attendons pas que la langue française soit en danger pour l’aimer, la promouvoir et la parler avec fierté.

    « Une langue qu’on n’enseigne plus est une langue qu’on tue »

    Discours à l’ouverture du 12e Congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français

    Québec, le 21 juillet 2008

    […] Les chiffres vous concernant, nous les connaissons tous : 80 000 enseignants, 172 associations, 130 pays. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils disent l’extraordinaire puissance du réseau que vous constituez pour le développement et le rayonnement de la langue française. Ils disent la place irremplaçable que vous occupez au sein de notre mouvement. Mais si impressionnants soient-ils, je veux avant tout voir, derrière ces chiffres, des femmes et des hommes, venus de tous les continents, des femmes et des hommes animés par une même passion, investis d’une même mission, pétris des mêmes valeurs.

    C’est cette émotion qui me pousse à aller, avec vous, au-delà des mots et des évidences. Vous êtes certes, d’abord, des professeurs de français, qui enseignez la langue, la culture, la civilisation, même s’il faut, là déjà, introduire une précision d’importance pour dire que vous ne contribuez pas seulement à mieux faire connaître la culture française, mais plus largement la culture d’expression française.

    Tel est bien l’un des enjeux dont vous aurez à débattre durant ce congrès que vous avez voulu, fort justement, placer sous le signe des identités francophones. Car ce pluriel nous interpelle, et nous rappelle surtout que la langue française vit et s’enrichit sans cesse de l’imaginaire, du talent, de la culture, en un mot de l’identité des écrivains et des artistes qui ont choisi de s’en emparer pour exprimer leur art. Elle s’enrichit sans cesse des accents, des idiomes, des créations sémantiques de toutes celles et tous ceux qui l’accueillent dans leur environnement géographique, historique, social, politique ou culturel, dans des contextes où le statut même de la langue varie, qu’elle soit langue maternelle, langue seconde ou langue étrangère.

    Faire vivre les identités francophones, c’est donc faire vivre la diversité de la Francophonie et la diversité du monde.

    Mais je veux aller plus loin encore pour vous dire que vous êtes des professeurs d’espérance. Car une langue qu’on n’enseigne plus est une langue qu’on tue.

    Et c’est en très grande partie grâce à vous si le français est, aujourd’hui encore, enseigné sur les cinq continents. Le nombre de ses locuteurs va même croissant. Et il demeure une langue de communication internationale, dotée d’un statut de langue officielle ou de travail dans nombre d’organisations multilatérales.

    Dans ce contexte, je compte sur vous pour tordre le cou à certaines idées reçues, notamment celle selon laquelle la langue française serait une langue difficile, réservée à une élite intellectuelle et culturelle.

    Je compte sur vous pour enseigner un français en prise directe avec les réalités de la société contemporaine, un français moderne et utile, qui favorise l’intégration sociale et le développement économique, un français qui s’approprie pleinement les technologies de l’information et de la communication, un français qui puisse répondre aux attentes de la jeunesse et lui ouvrir des perspectives pour l’avenir.

    Comptez sur nous, en retour, sur l’OIF et sur les opérateurs directs de la Francophonie, et notamment l’Agence universitaire et TV5 Monde, pour que le français reste une langue de scolarisation et de formation, la langue de l’éducation de base, de la formation professionnelle et technique, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

    Comptez sur nous pour que le français reste la langue de la société de l’information.

    Comptez sur nous pour que le français reste la langue du développement durable et de la solidarité.

    Comptez sur nous pour que le français reste la langue de la démocratie et de l’État de droit, de la prévention et de la résolution des conflits, de la promotion et de la diffusion des droits de l’Homme.

    Mais je veux aller plus loin encore pour vous dire que vous êtes des professeurs de dialogue et de tolérance, parce qu’apprendre une langue, c’est se donner le moyen le plus pacifique et le plus efficace qui soit de rencontrer et de découvrir l’Autre, – l’étranger – dans ses modes de vie et de pensée, dans ses valeurs, ses croyances, ses traditions, ses émotions, ses rêves.

    C’est se donner le moyen de rejoindre une histoire et une mémoire, d’apprécier tout ce qui nous rapproche et de comprendre tout ce qui nous sépare.

    C’est se donner le moyen de renoncer à diaboliser, à soupçonner ou à mépriser l’Autre, c’est renoncer à des stéréotypes dangereux, nourris par l’ignorance ou l’arrogance, qui ont si souvent nui à la paix entre les peuples, et qui, aujourd’hui encore, attisent les conflits à l’intérieur même de certaines nations.

    C’est se donner le moyen de porter un regard identique sur le monde et de regarder, ensemble, dans la même direction, parce qu’une langue partagée peut créer des liens aussi forts que les liens du sang. Apprendre et parler une langue, c’est, en dernière analyse, faire acte d’amour.

    Je veux aller plus loin encore pour vous dire que vous êtes des professeurs de solidarité, parce que cette compréhension, cette fraternité entre les hommes que favorise l’apprentissage d’une langue est le meilleur garant de la solidarité de l’humanité, de cette solidarité indissociable de la communauté de destin dans laquelle nous a entraînés – qu’on le veuille ou non – la mondialisation et la globalisation des grands défis alimentaires, environnementaux, sanitaires, économiques ou migratoires qui se posent à nous.

    Je veux aller plus loin encore pour vous dire que vous êtes des professeurs de liberté – ce droit premier – sans lequel il serait illusoire de vouloir prétendre à l’effectivité de tous les autres, parce que la liberté est indissociable de la dignité.

    À cet égard, la liberté d’exprimer ses opinions, de faire valoir ses intérêts dans toutes les négociations internationales ou de créer dans la langue de son choix, dans la langue que l’on maîtrise le mieux, est un droit fondamental, parce qu’indissociable de la reconnaissance de l’égale dignité de toutes les langues et de toutes les cultures.

    C’est dans

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