Je n'ai jamais rêvé de devenir écrivain
Par Patrice Gicquel
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À propos de ce livre électronique
Ses précédents livres ont abordé des thèmes variés : histoire, biographie, roman d'aventure, témoignage, roman policier...
Dans ce nouvel ouvrage mêlant souvenirs et anecdotes, Patrice GICQUEL nous dévoile enfin son parcours exemplaire de réussite.
Membre de la Société des gens de lettres, il est entre autres le premier écrivain sourd né de parents sourds.
"Je n'ai jamais rêvé de devenir écrivain" est un récit à la fois sincère et touchant, absolument unique et différent.
Patrice Gicquel
Patrice GICQUEL est né en Bretagne, où il vit avec sa femme et leurs deux enfants.
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Aperçu du livre
Je n'ai jamais rêvé de devenir écrivain - Patrice Gicquel
EPILOGUE
PROLOGUE
5 mars 2001
Cher monsieur,
Les éditions L’Harmattan m’ont fait parvenir votre tapuscrit sur le vélo et les sourds.
Je l’ai parcouru et je vous donne feu vert pour publication dans la collection que je dirige : « Espaces et temps du sport ».
Dans l’attente de vos nouvelles,
Bien cordialement,
Pierre ARNAUD
Je suis soulagé et rassuré.
Je suis écrivain.
Oh ! J’en vois qui déjà s’écrient que « ce n’est pas possible »…
Je me doute de ce que vous pensez.
- Comment un sourd peut-il écrire un livre ?
- Non mais…
On n’a jamais entendu parler d’un écrivain sourd, vous dîtes-vous ?
Allons, allons… un peu de calme, s’il vous plaît.
D’abord, sachez que rien ne me prédestinait à être écrivain.
Au départ, je voulais être coureur cycliste professionnel, ou journaliste sportif, ou bien dessinateur de bande dessinée.
Et pourtant…
Si aujourd’hui, je prends la plume, c’est pour montrer à tout le monde qu’on ne naît pas écrivain, on le devient.
Voilà, maintenant…
Installez-vous dans un fauteuil près de la fenêtre.
Ou que diriez-vous d’un transat de toile dans votre jardin préféré ?
Ou bien tout simplement, de votre lit avec un bon coussin.
On n’est pas bien, là ?
Vous y êtes ?
Alors allons-y sans tarder car nous sommes au début d’une aventure dont j’ignorais qu’elle allait me prendre une bonne partie de ma vie.
PREMIERE PARTIE
1
Il est parfois difficile de remonter le fil du temps pour écrire sur ma famille et sur les instants de mon enfance.
Heureusement, il y a les photos et les lettres qui peuvent réveiller ma mémoire endormie depuis un certain temps.
*
Rennes, 24 novembre 1968,
9 heures
Je suis né sourd.
Profond.
Comme mes parents.
Génétique ou héréditaire ?
Hasard ou pas ?
Personne ne le sait.
La surdité de ma mère, Danielle, serait dûe à des essais de traitements médicaux que les Allemands faisaient subir à leurs prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ceux, qui étaient dans le même camp que Théophile, – mon grand-père maternel que je n’ai jamais vu de son vivant –, ont eu des enfants morts-nés, aveugles et handicapés.
C’est à Prémont dans l’Aisne que Théophile épouse une jeune fille de dix-neuf ans, Léa.
Dix ans plus tard, ma mère naît à Deauville.
À sept ans, elle entre à l’internat du Bon Sauveur de Caen.
Elle obtiendra avec succès son CAP de couture avant de devenir bobineuse dans une société de blanchisserie, de tissage et de confection aux côtés de ses parents.
Son père a été contremaître jusqu’à sa mort brutale : une congestion cérébrale à l’âge de soixante ans.
Tout petit, mon père, André, issu d’une famille bretonne et paysanne à Bourg-des-Comptes, criait beaucoup et n’arrivait pas à parler.
Ceci jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans.
Personne n’y faisait attention sauf Anne-Marie, mon arrière-grand-mère qui alerta Jules et Lucie, les parents de mon père.
- André n’entend pas, j’en suis sûre.
Drôle de coïncidence : le cousin de ma grand-mère était sourd.
Contrairement à sa sœur aînée, Pierrette et à son frère, Jean-Yves, mon père fut le seul sourd de la famille à pénétrer dans une communauté, celle des Sœurs de Rillé à Fougères.
Pour apprendre à parler, à lire et à écrire.
À dix-sept ans, tout juste diplômé d’un CAP de menuisier qu’il a eu en intégration avec les entendants, il commencera à travailler comme agent d’entretien dans la communauté de Rillé.
Il y restera presque quatre ans.
Par la suite, il trouvera un travail mieux rémunéré dans une entreprise de menuiserie à Rennes.
Parallèlement, il pratiquera le football dans son village natal.
*
En général, les sourds se marient entre eux.
Ainsi, mon père rencontra ma mère lors d’un mariage de leurs amis respectifs.
2
Je pleure.
Beaucoup.
J’ai trois ans.
Je viens d’entrer dans une école catholique et mixte, à Fougères.
Je suis seul face à des personnes inconnues : les religieuses et d’autres élèves sourds.
La séparation avec mes parents a été douloureuse.
*
À la maison, maman était constamment présente et surprotectrice avec moi.
Je la voyais s’occuper de tout : le ménage, la cuisine, la vaisselle, la couture, le tricot, le lavage des vêtements – à la main ! –.
Elle m’avait aussi appris à dessiner, à comprendre le sens des mots grâce aux images et à lire la parole sur les lèvres.
Quand j’étais bébé, mon père se réveillait souvent la nuit par peur de me trouver étouffé par les pleurs.
*
À l’internat, le soir, quand c’est l’heure de se coucher dans un grand dortoir avec plusieurs lits, je me sens triste.
Je m’assieds longtemps au bord du lit.
Je n’arrive pas à m’endormir.
À cet âge, on a besoin d’amour, de tendresse et d’affection.
Mais ce n’est pas possible avec les nonnes.
À elles, on ne peut pas confier nos angoisses et nos questions.
Petit à petit, l’institution se transforme avec l’arrivée des premiers professeurs laïcs et des éducateurs.
Par contre, la méthode orale s’impose traditionnellement dans l’enseignement.
Heureusement, les professionnels de l’école nous laissent nous exprimer gestuellement, en dehors des classes !
*
Jusqu’à l’âge de dix ans, je ne rentrais que le samedi midi par le car, et mon père me raccompagnait le dimanche soir.
Un jour et demi à la maison : c’était trop court pour profiter de ma chambre et de mes jouets préférés.
Maintenant, je suis ravi de pouvoir prolonger mes week-ends en famille, du vendredi soir au lundi matin.
Ces deux jours sont précieux pour moi.
Pour certains de mes camarades qui habitaient loin de l’école, c’était encore plus difficile car ils ne voyaient les leurs que tous les quinze jours.
*
À l’école, je déteste les séances d’orthophonie pour apprendre à parler.
Un jour, Sœur Geneviève, à l’allure mince et chaussée de petites lunettes rondes, me parle d’une opération à la langue :
- Si tu ne peux pas bien dire le C, on sera obligé de couper le filet en dessous de la langue pour qu’elle devienne plus mobile.
Du coup, j’ai le cœur qui bat à cent à l’heure.
Ma première crise de panique.
Je décide de tout raconter à mes parents.
À la maison, maman tente de me rassurer et ça me fait du bien.
Je finirai par savoir que c’était « pour rire ».
En revanche, je n’ai pas trop de problème au niveau de la lecture labiale. Tout petit déjà, je lisais naturellement sur les lèvres de mon père, qui avait souvent une cigarette à sa bouche.
*
Quand j’entre au collège, le rythme change par rapport à l’enfance.
Nous sommes douze dans la classe d’Yvette, notre professeur de sixième.
Elle est dynamique, ordonnée et sévère.
Elle articule bien en parlant, elle écrit souvent au tableau pour que nous puissions comprendre plus facilement.
Des fois, elle se met en colère et est de mauvaise humeur quand certains de mes camarades de classe ont du mal à suivre le rythme imposé.
De mon côté, n’ayant pas de problème de compréhension, ni d’écriture ni de lecture, je ne sais pas pourquoi je ne me sens pas toujours à l’aise avec elle.
L’année suivante, en cinquième, c’est l’inverse. Avec mes camarades de classe, nous faisons les pitres, sous le regard désabusé