C’est écrit sur ses lèvres: Nouvelle

Par Brigitte Aubonnet

Être adolescent, ce n’est pas tous les jours facile. Être adolescent et sourd, encore moins. Et quand on est adolescent, sourd et qu’on a des parents qui décident tout pour vous, c’est carrément très compliqué !

Valériane et Ludovic, deux adolescents sourds, se rencontrent lors d’une réunion de parents de jeunes sourds. Une histoire d’amour débute entre eux… mais l’opposition parentale ne tarde pas à se manifester.

Comment les deux adolescents vont-ils faire pour vivre leur amour et pour tenter de construire leur indépendance ?

À PROPOS DE L'AUTEURE

Brigitte Aubonnet a publié deux recueils de nouvelles et deux romans, et a participé à plusieurs ouvrages collectifs. En 1993, elle a créé, avec Serge Cabrol, la revue Encres Vagabondes – désormais en accès libre sur Internet (www.encres-vagabondes.com) –, devenue une institution en termes de revue littéraire. Aujourd’hui, elle anime des rencontres avec des écrivains en médiathèques et en prison ; elle exerce comme orthophoniste, très impliquée dans le domaine de la surdité.

• Langue: Français
• Éditeur: Le Muscadier
• Date de sortie: 17 févr. 2020
• ISBN: 9791096935536

Aperçu du livre

L'auteur

Pour Amandine, Lucie et Sœn

Se parler, comment ?

Je l’aime. Il m’aime. J’ai quinze ans et demi et lui seize ans et demi. Les demis on s’en fiche à notre âge. On est assez grands pour vivre comme on l’entend – enfin… façon de parler. Je suis sourde. On me le dit et on me le répète depuis l’enfance. Je suis sourde et je le resterai jusqu’à la fin de ma vie. Lui aussi est sourd, il le sait, et le sera jusqu’à la fin de sa vie.

C’est bon, on a compris…

Non seulement ils nous trouvent trop jeunes pour sortir ensemble, mais en plus on est sourds. Imaginez comme ils ont la trouille, les parents. Les craintes à la puissance dix.

Ils ont toujours eu peur que je n’entende pas arriver une voiture. Maintenant, quand je prends le RER, ils ont peur que je n’entende pas un message et que je me retrouve au dépôt. Je sais quand même regarder autour de moi et je peux demander ce qui se passe. Je suis sourde mais je parle. Je suis sourde et j’entends. Pas tout. Pas tout le temps, mais j’entends. Alors pourquoi s’inquiéter pour moi ? Je ne suis plus une enfant. J’ai quinze ans et demi. J’ai beau le leur crier, ils n’entendent rien, ne comprennent rien. Je les déteste. Ils restent insensibles à ce que je leur dis. Je veux vivre ma vie. Tout le monde m’affirme qu’ils sont super sympas, qu’ils sont engagés pour les autres. Les autres c’est bien, mais je compte aussi moi. Ils ont toujours peur. Me mettre sous cloche n’est pas la meilleure façon de me préparer à être indépendante.

Je suis amoureuse. Ce n’est pas une maladie. Ils n’ont pas le droit de m’enfermer dans ma chambre. En quarantaine, comme une pestiférée. L’amour n’est pas contagieux. Je l’aime. Il m’aime. C’est super.

J’ai rencontré Ludo lors d’une journée à laquelle nos parents participaient, il y a un an déjà. Comme ça, plus tard, on n’aura pas besoin de faire les présentations. Le problème, c’est qu’ils ne s’entendent pas. Décidément, je suis dans un monde où personne n’entend personne.

Je suis en seconde. Ludo aussi. En intégration – enfin depuis peu on doit dire en inclusion, c’est-à-dire que je suis la seule sourde dans la classe. Une prothèse sur l’oreille droite, un implant cochléaire sur l’oreille gauche, je suis appareillée. Deux oreilles prêtes à l’emploi. Interdiction de chômer, j’ai l’obligation de les utiliser mais j’ai ma botte secrète : quand on me soûle je coupe tout et je retrouve mon silence. C’est un superpouvoir. Plus de bruit dans le train – quand un bébé hurle, je lis tranquille et la tête des autres voyageurs me fait pitié. Pas de chance pour eux. Quand on m’engueule, je me débranche. Désactivée du monde, le bonheur…

Mon lycée est normal, lui. Ludo est dans un lycée spécialisé. Ils sont tous sourds et ils utilisent la LSF – la langue des signes française. Ils signent avec leurs mains, créatrices de mots, en les bougeant devant leur visage ou leur corps. Ludo n’a pas d’implants, lui et ses amis portent seulement des aides auditives (ou pas).

Lors de la réunion Nos adolescents sourds, quel avenir ?,