Cité Danton: La trouille au ventre
Par Mimi
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À propos de ce livre électronique
Subitement placées par l'Assistance publique, les fillettes rejoignent ensuite leurs parents à la Cité Danton, où l'ambiance familiale se dégrade. Le père dévoile une face terrifiante. Les coups pleuvent maintenant sur les enfants, qui vivent dans la misère et la peur quotidienne. La jeune Mimi s'arme de courage. Endossant le rôle de mère, elle soutient et protège tant qu'elle peut ses petites soeurs.
Mimi
Mimi a soixante-dix ans. Mère et grand-mère épanouie, elle vit en Eure-et-Loir. Récit vécu de son enfance, Cité Danton est son premier ouvrage.
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Aperçu du livre
Cité Danton - Mimi
Ce livre est dédié aux enfants malheureux de partout,
À mes enfants, que j’espère heureux,
Et à mes petits-enfants,
À Christine, partie trop vite pour lire ce récit,
Et à mes sœurs.
Je remercie du fond du cœur ma fille Sarah et Lauréline
pour leur aide, leurs conseils et leur soutien. Sans elles,
ce livre n’aurait pas pu voir le jour.
Bonjour, mon vrai prénom est Marie-Louise et je souhaite vous raconter l’histoire, non pas des quatre filles du docteur March, mais des six filles du père Tonio. Je n’ai pas gardé ce prénom, qui est pour moi celui de ma mère, donc je me fais appeler Mimi ou Marie.
II y a des enfants qui rêvent de parents, moi je rêvais de ne pas connaître les miens. Plus précisément, je désirais que ce fût une erreur faite à la clinique le jour de ma naissance. Il va sans dire que mes parents ne devaient pas tarder à se faire connaître.
J’ai fait des rêves avec des parents idéaux pour mes idées de gamine. Des parents aimants et équilibrés m’ont accompagnée dans mes détresses d’enfant, et aussi dans mes manques terribles. Cela a été un très bon refuge pour moi, lorsque la réalité me paraissait trop dure à supporter. Les contes sortis de mon imagination m’ont sûrement préservé un équilibre mental et aussi un optimisme pour la vie.
J’ai toujours été en quête de bonheur, je ne me suis pas noyée dans le malheur. Avoir cinq petites sœurs m’a obligée à être forte en toutes circonstances et m’a aussi beaucoup aidée. Jamais je n’ai ressenti le besoin d’être fille unique. Seule dans cette vie je n’aurais pas résisté longtemps avant de perdre la tête. Notre chance est d’avoir été ensemble et unies. J’espère que les rêves que nous faisions éveillées toutes les six ont aussi apporté un peu de réconfort à mes sœurs.
En écoutant les psychanalystes et autres décortiqueurs de l’enfance maltraitée, j’ai le tournis. Ils ne comprennent pas tout, ils tirent des conclusions. Ils ne peuvent pas être dans le vrai, ils n’étaient pas là. Sur le papier, les situations sont incomplètes ainsi que les problèmes et le ressenti des personnes. Nous, les six filles, nous n’avons pas les mêmes souvenirs, et nous n’avons pas eu les mêmes réactions au moment des drames. Moi j’ai vite pris le rôle du protecteur, donc j’ai toujours été en première ligne pour les coups.
Sommaire
Paris. Mes débuts dans la vie
Mes parents. Retour sur le mariage du siècle
La parenthèse Hendaye
Cité Danton
La vie, enfin
Hendaye, bien des années après
Épilogue et témoignages, par les enfants de Marie
I
Paris
Mes débuts dans la vie
Notre mansarde
Je suis née en région parisienne. Je me souviens très bien de notre chambre de bonne mansardée. Dans le « logement » il y a mes parents et six filles. Pas d’espace perdu ! Dans cette pièce unique, il y a des lits : un grand pour les parents, un tout petit coincé sous un vasistas, et un lit cage superposé pour les autres enfants avec des barreaux comme dans une prison. Pour le mobilier : des tabourets, une table et une plaque de gaz avec une casserole pour le lait posée dessus. La chambre est éclairée par le petit vasistas donnant sur les toits. Je me souviens d’un grand bâtiment de tri postal sur le trottoir d’en face.
Pour entrer dans notre chez-nous, il faut emprunter des escaliers, nombreux ! Les locataires des chambres de bonne n’ont pas droit à l’ascenseur. Au début, les couloirs sont beaux, avec de petits tapis rouges, et à mesure qu’on monte, ils deviennent moches, très moches. Terminés les beaux décors. La peinture des murs tombe par plaques. Ça sent déjà la pauvreté.
Je dis les choses comme je m’en souviens, mais je ne suis pas du tout malheureuse alors, la joie est chez nous très présente à cette période de ma vie. Pour moi, pas de tristesse. J’ai l’impression que l’immeuble m’appartient. Surtout quand je dévale les escaliers en faisant tout trembler sur mon passage. C’est amusant de prendre l’ascenseur qui nous est interdit. Encore mieux de faire du bruit dans les beaux escaliers, puis dans les moches. C’est un vrai plaisir, je suis comme une tornade toute joyeuse et très bruyante. Je tiens cela de mon père, il est gai et me paraît jeune – pourtant je suis née en 1951, et mon père en 1904, il y a des années-lumière entre nous. Je suis dans mon monde, celui de l’enfance.
Dans ce temps-là, rien de dramatique. Nous sommes pauvres, moi, je ne le sais pas, et je ne vois pas les disputes que ma mère subit à cause de nos chahuts et de nos cris de petites filles, mon père ne la tape pas devant nous.
Je me trouve aujourd’hui enfermée dans le lit cage de mes petites sœurs. C’est une situation fréquente. Ma mère nous laisse là sans soucis, lorsqu’elle désire sortir seule l’après-midi. Elle part vadrouiller après la tétée de la petite, pendant que mon père travaille. Bien sûr, mon père ne doit pas l’apprendre car elle va voir des « copains ». Je suis enfermée car je suis capable de faire des cascades et autres galipettes ! Ma mère ne veut pas courir le risque que je fasse des bêtises. Moi je reste avec mes rêveries. Mes sœurs dorment. Je m’ennuie un peu alors je cherche des amusements, des choses à faire. Une fois j’ai joué avec un tube de pommade. J’y ai même goûté. J’ai vomi, beurk, pas bon ! Et puis je finis par m’endormir aussi, comme les autres.
Je me souviens d’une très longue journée. La pièce est petite, la table est à portée de main. Sur cette table il y a des bananes. Elles me fascinent de plus en plus. Je suis très gourmande – affamée, déjà ? Non, pas encore, je ne pense pas… Je revois d’ailleurs, en permanence sur la table, un saladier de fruits frais, rempli de bananes et de pommes en général. Il me semble que la faim viendra seulement plus tard, à la Cité Danton ; ma mère alors ne laissera plus jamais traîner de nourriture. En attendant, je me contorsionne pour attraper les bananes, et je passe la tête entre les barreaux du lit. Je touche presque les fruits du bout des doigts… J’ai réussi, je les ai en mains ! Mais, hélas, ma tête est coincée entre ces fichus barreaux. Impossible de me délivrer ! Je me tourne de tous les côtés… Rien à faire. Je me revois encore prise au piège.
J’ai dû m’endormir. Lorsque je me réveille, Maman est là avec notre grand voisin qui me semble très gentil. Ils discutent de la façon de me libérer. Le voisin fait une suggestion : scier les barreaux du lit. Maman refuse tout net, car mon père se mettra en colère s’il apprend que ses enfants restent seules, enfermées toute l’après-midi. Il saura pour les sorties de sa femme. Les colères de mon père ne sont pas des rigolades ! Maman se fait souvent attraper par les cheveux, et il y a des hurlements dans la maison.
Le grand voisin s’approche de moi et me donne de grands coups de genoux sur la tête. Enfin je suis délivrée ! Si je puis dire. Je fais maintenant le rapprochement entre cet épisode douloureux et mes migraines.
Je me rappelle, une fois Maman se fait rouspéter par mon père. Elle court dans le couloir et j’entends des bruits de verre cassé puis le voisin discuter avec eux. Plus tard, il dit que Maman a failli passer par le vasistas. Drôle de se rappeler cette scène car je n’étais pas vieille.
Tout ça vous plante le décor et l’ambiance à la maison !
*
En aparté…
Je ne sais pas encore si j’écris un livre. À chaque fois que je raconte des histoires de mon enfance, les gens m’écoutent. Souvent on me dit qu’avec ce que j’ai vécu je devrais en écrire un… Alors je tente. Et si je ne fais pas un livre, les pages noircies pourront rester dans un tiroir, à la portée des curieux.
Il n’est pas toujours facile de se replonger dans le passé. Pour un récit court ou une période précise d’accord, mais pour tout un pan de vie, voilà qui devient plus ardu. Petite, l’envie de tenir un journal me prenait parfois. Comme je regrette de ne pas l’avoir fait ! Il me serait très utile maintenant !
Je vais essayer d’organiser le récit de mon enfance, mais certains souvenirs sont imprécis dans le temps et je ne pourrai pas toujours respecter la chronologie des faits. Des ambiances peuvent aussi être liées entre elles dans mon esprit, sans rapport avec le déroulement des événements. Il y a en plus des souvenirs très marquants, hélas ! Et puis, une idée peut en entraîner une autre…
Comment aussi raconter mes souvenirs sans lasser le lecteur ? Moi j’aime les histoires qui commencent tout de suite, et qui captivent, mais ce n’est pas si simple pour celui qui écrit !
Et comment raconter mon passé sans donner au lecteur – surtout à mes sœurs, les actrices, et même à moi-même – l’impression ou le sentiment de faire de la délation, de me venger en quelque sorte, à retardement ? Là n’est pas mon but ! C’était notre vie, et il y a les circonstances de la vie !
Je ressens le besoin de sortir mes souvenirs d’enfance au grand jour pour ne pas partir avec le moment venu. Je ne veux pas de mauvais mystères, surtout avec mes enfants. Bien entendu, je me suis déjà racontée à mes proches, mais je veux maintenant prendre le temps de poser mon vécu sur le papier et d’y mettre un peu d’ordre, sans toutefois me tordre l’esprit et chercher à savoir le pourquoi du comment : je livre mes souvenirs, et non un commentaire sur mon passé.
Ce livre, c’est surtout un cri du cœur, un appel pour que les enfants soient entendus. Le monde n’était à mon époque que pour les parents, contrairement aux bonbons Haribo ! De nos jours, les choses ont-elles vraiment changé ? Il me semble que les enfants et les adolescents ne parviennent pas souvent à se faire entendre lorsqu’ils ont des problèmes. La voix des adultes prime sur la leur. Certes, un changement se fait, mais trop lentement. Il faut respecter tout le monde, même les plus faibles, les plus vulnérables, et donner à tous le droit de s’expliquer.
*
Retour chez nous
Nous revoici au 53 boulevard de Strasbourg, métro Château d’Eau. Une grande porte cochère en bois épais avec une poignée brillante est notre entrée. La porte s’ouvre manuellement et aussitôt la sonnette se déclenche. Bien sûr la concierge surgit de la loge. Je me demande encore si un fil ne relie pas la sonnette à son bras, car elle est toujours là lorsque la porte s’ouvre avant même que la sonnette ait retenti.
Notre concierge est grande et grosse, monumentale à mes yeux de fillette. Son mari est petit et maigre. J’ai souvent vu des concierges grosses – ou bien des grosses dames qui avaient l’air de concierges. En fin de matinée, une fois les escaliers nettoyés, les rampes astiquées, elles sortent toutes devant les portes cochères. Pas une porte sans sa gardienne ! Elles ont toutes le verbe haut et de la bonne humeur à répandre partout. Elles se racontent des histoires de ménage, de patrons aussi. Elles me font penser aux escargots après la pluie. Où sont-elles maintenant ?
Notre concierge a l’air très sévère. Pourtant elle n’est pas méchante avec nous. Au contraire, elle nous parle gentiment et