Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

À la recherche de miracles: Pèlerines, religion vécue et la Roumanie postcommuniste
À la recherche de miracles: Pèlerines, religion vécue et la Roumanie postcommuniste
À la recherche de miracles: Pèlerines, religion vécue et la Roumanie postcommuniste
Livre électronique357 pages4 heures

À la recherche de miracles: Pèlerines, religion vécue et la Roumanie postcommuniste

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

À la fin de l’année 1989, la Roumanie faisait son chemin vers la démocratie. Depuis, le pays connaît de nombreux changements, dont un renouveau religieux. 

Pourquoi la religion est-elle si présente en Roumanie postcommuniste ? Quels sont les impacts de cette présence accrue de la religion dans la société? C’est sur le terrain, dans des pèlerinages réalisés dans des monastères réputés pour leurs miracles, leurs confesseurs charismatiques et leurs reliques que l’auteure cherche des réponses à ces questions. En observant les croyances et les pratiques des pèlerines et des femmes au quotidien – et sans omettre la conduite des « porteurs de la religion officielle » –, le livre explore quatre thèmes qui constituent autant de facettes de la religion vécue : le sort, le charisme, la matérialité et les reliques. 

À travers ces thèmes, le livre brosse le tableau d’une religion quotidienne dans un contexte orthodoxe et propose une piste explicative sur le renouveau religieux en Roumanie après 1989, ainsi que des transformations sociales propres à la période postcommuniste. 

Publié en Français.

LangueFrançais
Date de sortie21 oct. 2020
ISBN9782760331815
À la recherche de miracles: Pèlerines, religion vécue et la Roumanie postcommuniste
Auteur

Monica Grigore-Dovlete

Monica Grigore-Dovlete est chercheuse à l’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants du Collège de Maisonneuve. À la suite de ses études doctorales en sociologie de l’Université de Montréal, elle a été chercheuse postdoctorale à l’Université d’Ottawa (Projet Religion et Diversité). En 2014, elle a reçu le prix Miklos Tomka de l’organisme International Study of Religion in Eastern and Central Europe (ISORECEA) pour ses recherches sur « The Body, Religion, and Pilgrimage: Beliefs and Practices of Orthodox Romanians ».: 

Auteurs associés

Lié à À la recherche de miracles

Livres électroniques liés

Sciences sociales pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur À la recherche de miracles

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    À la recherche de miracles - Monica Grigore-Dovlete

    À LA RECHERCHE DE MIRACLES

    À LA RECHERCHE DE MIRACLES

    Pèlerines, religion vécue

    et la Roumanie postcommuniste

    Monica Grigore-Dovlete

    Les Presses de l’Université d’Ottawa

    2020

    Les Presses de l’Université d’Ottawa (PUO) sont fières d’être la plus ancienne maison d’édition universitaire francophone au Canada et le plus ancien éditeur universitaire bilingue en Amérique du Nord. Depuis 1936, les PUO enrichissent la vie intellectuelle et culturelle en publiant, en français ou en anglais, des livres évalués par les pairs et primés dans le domaine des arts et lettres et des sciences sociales.

    www.presses.uOttawa.ca

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada et Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Titre: À la recherche de miracles : pèlerines, religion vécue et la Roumanie postcommuniste / Monica Grigore-Dovlete.

    Noms: Grigore-Dovlete, Monica, 1975- auteur.

    Description: Comprend des références bibliographiques et un index.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200237357 | Canadiana (livre numérique) 20200237772 | ISBN 9782760331792 (couverture souple) | ISBN 9782760331839 (couverture rigide) | ISBN 9782760331808 (PDF) | ISBN 9782760331815 (EPUB) |

    ISBN 9782760331822 (Kindle)

    Vedettes-matière: RVM: Église orthodoxe—Roumanie—Histoire—21e siècle | RVM: Pratique religieuse—Roumanie—Histoire—21e siècle | RVM: Pèlerinages chrétiens—Roumanie—Histoire—21e siècle | RVM: Miracles—Aspect religieux—Christianisme | RVM: Roumanie—Histoire religieuse—21e siècle | RVM: Roumanie—Vie religieuse—21e siècle

    Classification: LCC BX693 .G75 2020 | CDD 281.9/498—dc23

    Ce livre a été publié grâce au soutien d’une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines par l’entremise du Prix d’auteurs à l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université d’Ottawa sont reconnaissantes du soutien qu’apportent, à leur programme d’édition, le gouvernement du Canada, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de l’Ontario, Ontario créatif, la Fédération canadienne des sciences humaines par l’entremise du programme Prix d’auteurs pour l’édition savante et l’entre­mise du Conseil de recherches en sciences humaines, et surtout, l’Université d’Ottawa.

    À Alex

    Table des matières

    Liste des figures

    Avant-propos

    Introduction

    La Roumanie croyante

    1.  Au départ, quelques observations…

    2.  Tableau de la religion en Roumanie

    2.1  Et l’Église orthodoxe ?

    3.  Autre tableau : la religion au quotidien

    4.  Organisation de l’ouvrage

    PARTIE I

    INTERPRÉTER

    LA RELIGION VÉCUE

    Chapitre 1

    La religion vécue

    1.  L’approche de la religion vécue

    2.  La religion vécue dans un contexte orthodoxe

    2.1  Une alternative aux approches existantes ?

    2.2  Comment écrire la religion vécue ? Ou que faire de la théologie ?

    2.3  Les quatre facettes de la religion vécue en contexte orthodoxe

    Chapitre 2

    À la recherche de la religion vécue

    1.  L’enquête de terrain : comprendre la religion vécue

    2.  Trois sites

    2.1  Les églises

    2.2  Les pèlerinages

    2.3  L’école

    3.  Les actrices

    PARTIE II

    DÉLINÉER QUATRE FACETTES

    DE LA RELIGION VÉCUE

    Chapitre 3

    Le sort : la maladie de Tamara

    1.  La procession à Bucarest

    2.  L’histoire de Tamara

    2.1  La prise en main

    2.2  La résignation

    3.  Les femmes, les pèlerinages et les reliques

    Chapitre 4

    Le charisme : les tombes des confesseurs, la religion vécue et la religion « officielle »

    1.  Premier arrêt : le monastère Prislop

    1.1  Arsenie Boca, un confesseur charismatique

    1.1.1 Arsenie Boca et les religieuses

    1.1.2 « Les pèlerines et les religieuses à la tombe d’Arsenie Boca »

    2.  Deuxième arrêt, court : le monastère Sihăstria

    2.1  Ilie Cleopa, un autre confesseur « charismatique »

    2.2  Les pèlerines et les moines devant la tombe d’Ilie Cleopa

    3.  Les confesseurs charismatiques et la circulation de la religion vécue

    Chapitre 5

    La matérialité. L’eau bénite :

    une biographie en trois mouvements

    1.  L’eau bénite comme objet d’étude

    1.1  Fragments du quotidien en Roumanie

    1.2  L’eau en tant qu’artéfact

    1.3  Comment étudier l’eau bénite ?

    2.  Trois mouvements

    2.1  L’eau purifie (la création de l’artéfact à l’église)

    2.2  L’eau échappe à l’Église et entre dans la religion vécue

    2.2.1 Les qualités de l’eau

    2.2.2 Un artéfact bricolé

    2.3  L’eau agit dans la vie quotidienne

    2.3.1 Elena : la petite bouteille d’eau bénite et la fraîcheur de son contenu

    2.3.2 Camelia : l’eau bénite qui ne s’altère pas

    3.  Matérialité et religion vécue

    Chapitre 6

    Les « saints des prisons » :

    histoire, mémoire et religion vécue

    L’ermitage de l’« Exaltation de la Sainte Croix »

    (Schitul Înălțarea Sfintei Cruci)

    I.  Les « saints des prisons » et la religion vécue

    des pèlerines

    1.    La dévotion particulière pour les « reliques des saints des prisons » d’Aiud

    1.1      Des ossements aux reliques

    1.2      Les femmes et les « saints des prisons »

    II. Les « saints des prisons » et la religion vécue des porteurs de la religion officielle

    1.    Retour sur le monument commémoratif d’Aiud

    2.    Des « saints » controversés

    3.    Et l’Église dans tout ça ?

    4.    La religion vécue des porteurs de la religion officielle

    En guise de conclusion :

    le communisme ou l’inversion normative

    Conclusion

    Transformation sociale

    et étude du quotidien

    Glossaire

    Références

    Index

    Liste des figures

    Avant-propos

    Ce livre conclut un long voyage que j’ai commencé lors de mes études doctorales en sociologie à l’Université de Montréal. À son origine se trouvent quelques observations faites dans une église orthodoxe à Montréal et pendant mes derniers voyages en Roumanie, en 2007 et 2008. L’incompréhension de la conduite religieuse des Roumains, qui me semblait contradictoire, faisait surgir d’autant plus de questions que j’appartiens à cette culture depuis ma naissance. Il serait cependant inexact d’affirmer que j’ai toujours eu un intérêt pour la religion. Mon changement d’attitude s’est produit après un éloignement physique et spirituel de la Roumanie dû à l’émigration ¹. Jusqu’à ce moment-là, en tant que Roumaine de culte orthodoxe, je participais au rituel comme les autres Roumains sans me poser de questions sur les pratiques et les croyances religieuses qui entraient et sortaient, sans cérémonie, dans le quotidien. Après quatre ans vécus au Canada, la religion est devenue un sujet d’étude particulièrement pertinent pour moi ; au fil du temps, il s’est transformé en projet de recherche.

    Cet ouvrage est donc le résultat d’une thèse ethnographique que j’ai soutenue en 2015, et dont les traces se retrouvent surtout dans le deuxième chapitre, où est expliqué le travail de la chercheuse sur le terrain. J’ai estimé qu’il était important d’offrir à mes lecteurs les détails d’une enquête de terrain basée principalement sur l’observation participante et qui a l’ambition de rester très proche des gens et de leur religion. Ainsi, cet ouvrage est une invitation à découvrir les orthodoxes roumains et leur religion à travers le regard de la sociologue qui se retrouve devant une énigme qui l’intrigue et qu’elle veut élucider. Il s’agit aussi d’une invitation à suspendre toute question sur ce que sont le sacré, le profane, la superstition ou la « vraie » religion afin de suivre les laïcs et le clergé dans leur « recherche de miracles ». Quel est le résultat de cet exercice ? Il reste à découvrir la réponse ensemble.

    La manière dont ce livre est écrit témoigne d’un espoir, celui de s’adresser à la fois aux experts de la religion et aux non-experts. Cependant, trouver l’équilibre entre les deux n’est pas simple. Les experts de la religion aimeraient peut-être trouver ici un survol plus vaste des théories sur la religion. Ceux qui s’intéressent à l’orthodoxie souhaiteraient peut-être obtenir plus d’explications théologiques ou des détails sur l’histoire de l’Église orthodoxe roumaine. Ceux qui se trouvent concernés par l’évolution du monde postcommuniste aimeraient peut-être en apprendre davantage sur les politiques qui ont façonné la Roumanie après 1989. Je l’annonce dès le départ : au centre de ma démarche se trouve la religion vécue des individus à qui j’ai voulu donner une voix. Mon objectif ne consiste pas à identifier des ressemblances ou des différences entre les doctrines de l’Église et ce que les gens font au quotidien, mais plutôt à comprendre la dynamique des relations « entre le ciel et la terre » (Orsi, 2005, p. 2) ainsi que l’impact de cette dynamique sur la société roumaine postcommuniste. J’ose imaginer que la démarche réflexive et ethnographique que je propose dans ce livre satisfera en partie la curiosité des lecteurs.

    Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué, par leurs conseils et leur soutien, à la réalisation de cet ouvrage. Mes premières pensées vont à Barbara Thériault. Ce livre est le résultat d’un dialogue continu, à la fois réel et imaginaire, avec celle qui a été ma directrice de thèse. D’elle, j’ai appris à faire une « autre » sociologie, une sociologie qui se veut stimulante et captivante. Je la remercie pour ses nombreuses lectures de ma thèse, pour ses suggestions, pour sa grande confiance en moi, de même que pour son amitié. Ce livre lui doit beaucoup. Je remercie également les professeures Valérie Amiraux, Lavinia Stan et Lori G. Beaman pour leurs conseils, leurs remarques et leurs encouragements. En particulier, je tiens à exprimer ma reconnaissance à Lavinia Stan qui, dès le début de mes études doctorales, m’a encouragée à poursuivre tout en répondant inlassablement à mes questions. Toujours prête à offrir des solutions, elle m’a aidée, ainsi que Milena Zaharia, à commencer mon travail de terrain en Roumanie.

    J’aimerais aussi exprimer ma reconnaissance au groupe de lecture du Centre d’études allemandes et européennes de l’Université de Montréal (UdeM), où j’ai amorcé la lecture du livre de Jan Assmann, Moïse l’Égyptien. Un essai d’histoire de la mémoire (2001). Les réflexions, les questions et les incompréhensions que certains collègues de lecture ont exprimées m’ont aidée à mieux comprendre ce texte qui, au final, permet d’interpréter, et ensuite d’expliquer la forte présence de la religion dans la société roumaine postcommuniste. Je remercie également le Centre canadien d’études allemandes et européennes pour son soutien financier. Ma reconnaissance va aussi à Sara Teinturier, qui a lu le manuscrit à plusieurs reprises et qui a accepté gentiment les brefs délais que je lui ai donnés pour faire la révision linguistique.

    Ma gratitude va aux membres de ma famille, Cătălina Dovlete et Ruxanda Delighioz, qui m’ont particulièrement aidée durant mon travail de terrain en m’informant de l’actualité religieuse roumaine. Merci pour tous les livres envoyés au Canada et pour le voyage sur les traces des « saints des prisons » ayant été réalisé dans le seul but de photographier leurs « reliques » ! Pour diverses raisons, je n’avais pu, en 2012, immortaliser l’image des restes humains exposés dans l’ossuaire d’Aiud. Je remercie aussi Alexandru Dovlete, qui a su m’encourager, m’écouter et me remonter le moral avec patience durant les nombreux moments de découragement qui ont ponctué la rédaction de ma thèse et celle du livre. Enfin, mes derniers remerciements vont à toutes les femmes que j’ai rencontrées en Roumanie et qui ont accepté de discuter avec moi. Elles m’ont laissé des souvenirs précieux. Surtout, elles ont rendu possible l’écriture de ce livre.

    Montréal, le 15 février 2020

    1. Par « éloignement », j’entends d’abord l’éloignement géographique.

    Introduction

    La Roumanie croyante

    1. Au départ, quelques observations…

    En ces jours de la Semaine sainte de 2012, Bucarest était surtout une ville en pleine préparation pour la grande fête de Pâques. Des odeurs de nourriture traditionnelle se mélangeaient dans le couloir de l’immeuble où je demeurais. À travers les fenêtres ouvertes, on voyait des femmes en train de nettoyer leur appartement et on entendait le bruit régulier du frappement des tapis avec un bâton depuis l’arrière de l’immeuble. Dans l’autobus ou au supermarché, les conversations des femmes tournaient autour des préparations pour la fête : l’état d’avancement du grand ménage, la décoration des œufs, la préparation de la nourriture traditionnelle ou le programme pour la nuit et le jour de Pâques. Le Vendredi saint, les cimetières étaient remplis de femmes qui entretenaient les tombes de leurs proches. Elles y déposaient des fleurs fraîches et allumaient des cierges. Les églises étaient remplies de fidèles qui voulaient se confesser avant Pâques. Les journaux télévisés alimentaient cette atmosphère : sur le terrain, des reporters relataient les préparatifs de la grande fête. Deux types de nouvelles semblaient retenir leur attention : les pratiques religieuses des croyants à l’église et les achats réalisés en vue de célébrer Pâques. Ces reportages ne manquaient pas d’ironie, de sensationnalisme et de mépris : ainsi, les pratiques à l’église et les emplettes semblaient démesurées aux yeux des journalistes.

    Les soirées étaient réservées aux célébrations à l’Église orthodoxe qui, depuis le Jeudi saint, officiait des cérémonies importantes. Le vendredi soir, on avait célébré l’office de mise au tombeau du Christ (prohod). Les églises étaient remplies, surtout de femmes. À la fin de l’office, les croyants s’empressaient de prendre les fleurs déposées le matin même près de l’icône reproduisant la mise au tombeau du Christ (epitaf). Pour eux, ces fleurs étaient imprégnées par la sainteté de l’icône. Une fois apportées à la maison, elles étaient un gage de protection pour leur famille.

    Le samedi soir, peu avant minuit, les rues de Bucarest étaient noires de monde : les fidèles se rendaient à l’église pour « prendre de la flamme de la résurrection » (a lua lumina de Înviere). Aller à l’église la nuit de Pâques signifie avant tout participer à la première partie de la Vigile pascale (qui dure environ 40 minutes). La cérémonie se déroule à l’extérieur de l’église. Les moments les plus importants de l’office sont le partage de la flamme de la résurrection alors que le clergé chante « Venez prendre la lumière à la Lumière sans déclin et glorifiez le Christ ressuscité d’entre les morts » et l’échange d’exclamations entre le prêtre et le peuple « Christ est ressuscité ! – En vérité, Il est ressuscité ² ! ». En fait, la cérémonie dure jusqu’au matin, mais beaucoup de Roumains préfèrent retourner à la maison avec les cierges allumés et commencer à célébrer la fête de Pâques. Les prêtres semblent habitués à cette coutume ; ainsi, aucun mot n’est dit pour retenir les croyants à l’église.

    C’était la Semaine sainte orthodoxe. Je retournais en Roumanie après quatre ans d’absence et, pour la première fois, pour faire de l’ethnographie. Je savais que cette période était importante pour les orthodoxes : de nombreuses pratiques religieuses et traditionnelles marquent le carême et Pâques. Ces pratiques m’étaient certes familières, mais deux événements ont attiré mon attention lors de la Vigile pascale. D’abord, un changement s’était produit dans le rituel habituel depuis ma dernière visite à l’église en Roumanie : le prêtre a offert, à minuit, le pain bénit (Sfintele Paști), c’est-à-dire les traditionnels morceaux de pain aspergés de vin et d’eau bénite ; en général, ils étaient donnés le matin, à la fin de la messe de Réssurection. Ensuite, le sermon du prêtre a pris, ce soir-là, la tournure d’un discours nationaliste aux accents antisémites. Cette année, un groupe d’acteurs avait organisé pour la première fois, dans les rues de Bucarest, une mise en scène du « Chemin de Croix ³ ». L’événement avait visiblement agacé le prêtre ; il ne s’agissait pas, disait-il, d’une pratique orthodoxe. De plus, la présence de plusieurs acteurs d’origine juive représentait, selon lui, une insulte à l’endroit du christianisme ⁴. Son sermon s’est terminé par une critique de l’Union européenne qui cherchait, d’après lui, à imposer à la Roumanie des valeurs comme la liberté de religion et les droits fondamentaux des personnes LGBTQA+, ce qui n’était pas sans conséquence pour les traditions orthodoxes. Dans la cour de l’église, le discours du prêtre a été reçu comme un acte de courage et il a soulevé l’admiration du public (notes de terrain, 14 avril 2012).

    Ces premières observations que j’ai faites pendant la Semaine sainte se révèlent importantes. Elles m’ont permis d’entrer en contact avec la religion en Roumanie et de brosser un premier tableau de la situation. La vie semblait tourner autour de la fête de Pâques : les préparations à la maison et les visites au cimetière, les pratiques religieuses à l’église et l’intérêt des médias pour la fête projetaient les Bucarestois dans un temps hors du quotidien. La religion s’amalgamait à la tradition. La participation aux cérémonies religieuses semblait revêtir des motivations spirituelles, mais aussi pragmatiques : les fleurs récoltées le Vendredi saint à l’église protégeraient la famille, la lumière sacrée « apporterait » la nuit de Pâques à la maison. En apparence, aucune règle stricte ne s’imposait lors de ces pratiques. Les prêtres trouvaient des moyens pour accommoder le rituel de l’Église à celui des fidèles. En fait, le sermon du prêtre durant la Vigile pascale suggérait que les influences venues de l’Europe de l’Ouest étaient plus dangereuses pour l’orthodoxie que les aléas de la pratique des rituels. La religion des orthodoxes roumains m’apparaissait ainsi ambiguë, ambivalente et inscrite dans une relation dynamique avec la réalité quotidienne des individus et, en général, celle de la société. Cet ouvrage est donc consacré à l’étude de cette religion dont la croissance se poursuit depuis la chute du communisme, en décembre 1989. Plus précisément, je m’intéresse aux pratiques et aux croyances religieuses telles qu’elles sont vécues par les « non-experts », mais aussi par les « experts », afin de comprendre l’impact de ces pratiques et de ces croyances sur la société roumaine postcommuniste.

    Durant le travail de terrain, j’ai rencontré à plusieurs reprises quelques caractéristiques de la religion que j’avais remarquées pendant la Semaine sainte. Parmi ces attributs, ce sont surtout ceux perçus comme étant contradictoires qui faisaient de la religion un sujet sensationnaliste pour les médias et un objet d’étude pour les sociologues.

    2. Tableau de la religion en Roumanie

    Dans le plus récent recensement (2011), 86,5 % des citoyens roumains se déclaraient orthodoxes ⁵. Les études sociologiques quantitatives, en particulier les données recueillies dans le cadre du programme European Values Survey, dénotent une intensification de la religiosité et de la pratique religieuse en Roumanie depuis 1990. Ainsi, en 1990, 92 % des Roumains déclaraient croire en Dieu ; en 2011, ils étaient 94 % à affirmer cette croyance et 96 % en 2015 (Pickel, 2009, p. 22 ; Stahl, 2018, p. 99) ⁶. Les Roumains respectent également davantage les journées du jeûne selon le calendrier orthodoxe et ils se rendent plus souvent à l’église : alors qu’en 1993, 30,6 % de la population roumaine dit fréquenter une église plusieurs fois par mois (Gheorghiu, 2003, p. 117), ce chiffre atteint 46 % en 2005 et dès lors, il reste constant (Stahl, 2018, p. 89) ⁷. La sociologue Irina Stahl note qu’entre 1998 et 2012, il y a une croissance de 10 points dans le pourcentage de ceux qui déclarent que Dieu est « très important » et « important » dans leur vie (2018, p. 100-101). Selon elle, des indices de l’essor de la pratique religieuse s’observent aussi dans la forte popularité de rituels, comme la commémoration des défunts, l’allumage des bougies, des rituels de guérison ou la vénération de saints. La permanence des pratiques religieuses des Roumains est aussi confirmée par les études qualitatives. L’historienne et politologue Antonela Capelle-Pogăcean constate par exemple que « [d]ans les grandes villes, on aperçoit […] des passants pressés faire le signe de la croix devant les églises orthodoxes, des chauffeurs de taxis ou de bus afficher dans leurs cabines l’icône de la Vierge. Les cultes de saints réunissent les pèlerins par milliers » (2008, p. 177-178).

    Les chiffres tirés des enquêtes d’opinion, comme les observations recueillies sur le terrain, ne manquent pas d’intriguer les chercheurs qui écrivent sur la Roumanie. La religion des Roumains ne semble pas correspondre aux définitions formulées – à partir d’un mélange de réflexions théologiques et théoriques – selon lesquelles il ne devrait pas exister un écart entre la croyance déclarée, la pratique religieuse et l’observation de valeurs chrétiennes ⁸. De nombreuses analyses se penchent sur les explications possibles de cette évolution. Leurs auteurs cherchent l’origine de cette divergence dans les difficultés économiques, sociales et politiques de la période de transition vers le régime démocratique, dans les réalités démographiques et historiques du pays (une population rurale prédominante) ou dans une forte cohésion entre l’orthodoxie et l’identité roumaine. La question de la « revitalisation religieuse » en Roumanie est intéressante et elle a orienté mes recherches pendant longtemps. Cependant, au fil de mes lectures, une interrogation ne cessait de croître face à la perception des observateurs du phénomène à l’étude, qu’ils estimaient qu’il relève d’une « fausse religiosité ». Les chercheurs étaient préoccupés par la présence d’une religion ambivalente, ce que j’ai pu constater moi-même durant mes premières observations sur le terrain.

    Par exemple, la sociologue Manuela Gheorghe exprimait, en 2006, son malaise en ce qui a trait à la revitalisation révélée par les statistiques. Selon elle, l’attitude de plusieurs Roumains ne correspondait pas à sa propre définition d’un « croyant » :

    Être croyant signifie non seulement l’affirmation de l’appartenance à un culte ou à une religion, mais cela signifie tout autant mener sa vie selon les normes imposées par […] la religion et la croyance. […] Il est impossible d’être chrétien sans vivre en conformité avec les [valeurs] chrétiennes : respecter la vraie croyance, la morale chrétienne, le culte divin ou,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1