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Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19: Outre-Terre, #57
Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19: Outre-Terre, #57
Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19: Outre-Terre, #57
Livre électronique506 pages11 heures

Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19: Outre-Terre, #57

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À propos de ce livre électronique

Le numéro 57 de la revue européenne de géopolitique Outre-Terre est centré sur le problème mondial qu'est la Covid-19. Michel Korinman, directeur de la revue, a réuni 22 auteurs sur diverses problématiques de la pandémie : historique, scientifique, politique, économique et, bien-sûr, géopolitique. "Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19", sorti, le 22 juillet 2020, et fort de 247 pages, couvre la réalité et les enjeux dans plusieurs pays : France, États-Unis, Iran, Israël, Arabie Saoudite, Inde, Singapour, Corée du Sud, Chine, Japon et Afrique du Sud.

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Issue 57 of the European journal of geopolitics Outre-Terre focuses on the global problem of Covid-19. Michel Korinman, director of the journal, brought together 22 authors on various issues of the pandemic: historical, scientific, political, economic and of course, geopolitical. 'Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19', released on July 22, 2020, with 247 pages, covers the reality and the issues in several countries: France, United States, Iran, Israel, Saudi Arabia, India, Singapore, South Korea, China, Japan and South Africa.

LangueFrançais
ÉditeurGhazipur
Date de sortie22 juil. 2020
ISBN9781916005938
Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19: Outre-Terre, #57
Auteur

Michel Korinman

Michel Korinman est professeur émérite, à Paris-Sorbonne, et directeur d’Outre-Terre, revue européenne de géopolitique. Il est notamment l’auteur de Quand l’Allemagne pensait le monde, Paris, Fayard, et de Deutschland über alles. Le pangermanisme 1890-1945, Paris, Fayard. Il a aussi dirigé l'ouvrage MondoVirus, Storia e Geopolitica del Covid-19, publié en italien, chez Bandecchi & Vivaldi, en mai 2020.

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    Aperçu du livre

    Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19 - Michel Korinman

    Couverture de l'epub

    Outre-Terre

    Revue européenne de géopolitique

    N° 57, 2019/2

    Virus planétaire

    Géopolitique de la Covid-19

    Logo de l'éditeur EPA

    Copyright

    © Ghazipur, 2019

    ISBN numérique : 9781916005938

    En couverture : CDC/ Alissa Eckert, MSMI ; Dan Higgins, MAMS

    Composition numérique : 2020

    https://www.ghazipur-publications.com/

    Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales.

    Logo CNL

    Présentation

    Ce numéro de la revue européenne de géopolitique Outre-Terre est centré sur le problème mondial qu'est la Covid-19. Michel Korinman, directeur de la revue, a réuni 22 auteurs sur diverses problématiques de la pandémie : historique, scientifique, politique, économique et bien-sûr, géopolitique. Virus planétaire - Géopolitique de la Covid-19, sorti, le 22 juillet 2020, et fort de 247 pages, couvre la réalité et les enjeux dans plusieurs pays : France, États-Unis, Iran, Israël, Arabie Saoudite, Inde, Singapour, Corée du Sud, Chine, Japon et Afrique du Sud.

    Table des matières

    Le pire des Mondes

    Michel  Korinman

    15 juillet 2020

    Ce qui nous terrifie dans la période, c’est que Dieu ou mieux le pape François ne répondent plus à nos angoisses que par des banalités où l’éthique se rabaisse au niveau de la morale [1] . Les savants observent eux-mêmes in vitro les évolutions d’un virus dont ils découvrent au fur et à mesure le terrible potentiel quand ils ne s’abandonnent pas aux joies (monnayées le cas échéant par l’industrie pharmaceutique) de la dispute universitaire [2] . Les politiques avouent à demi-mot qu’ils sont bien obligés de s’aligner au coup par coup sur les progrès de la science et affichent une sidération que seule égale la crainte de poursuites en justice à venir. Les chiffres pétrifient : de 1,7 à 3,2 millions de morts dans les pays en voie de développement selon l’International Rescue Committee (ICR) lequel a formulé son pronostic sur la base d’informations concernant 34 « États fragiles ou affectés par des conflits » d’Afrique et d’Asie où l’organisation est actuellement active ; selon des calculs reposant sur les modèles épidémiologiques élaborés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Imperial College de Londres, le nombre des personnes infectées dans ces pays pourrait atteindre de 500 millions à un milliard ; ce sont naturellement les territoires en guerre (civile) comme le Yémen, la Syrie et l’Afghanistan qui sont concernés [3] . Question d’une taille gigantesque, que nous invite à nous poser l’œuvre de l’historien Mark Harrison, allons-nous changer de société ou même de civilisation comme ce fut le cas avec l’émergence des États territoriaux à la suite de la peste noire ? [4]  Ou bien le destin nous tiendra-t-il quittes (lat. quietus, tranquille) du réaménagement du capitalisme libéral ? Quant à la catastrophe sanitaire, ce sont jusqu’ici plusieurs sociétés confucéennes, très hiérarchisées et recourant à une « technologie civique » comme en Corée du Sud ou à Taïwan qui ont été les plus efficaces [5] . Dans une sorte de compétition entre les modèles de société, c’est la démocratie occidentale qui s’est inclinée, démentant ainsi l’adage de Churchill sur le moins mauvais système disponible en termes d’organisation ; leçon pour l’Occident ? Ce que l’on peut en tout cas affirmer, c’est que l’orage planétaire de la Covid-19 a précipité des transformations en cours et révélé notre monde à lui-même dans la mesure où tant le détenteur américain de l’hégémonie mondiale que le prétendant chinois à cette hégémonie ont instrumentalisé la pandémie et continuent de le faire.

    Tenaille sino-américaine

    Depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2016 a été consacré un tripode : la monopuissance (stratégique et financière) américaine, l’hyperpuissance (en premier lieu économique) du géant chinois et la superpuissance (militaire et géographique) de la Russie. Une reconstitution d’alliances est impossible : d’une part à cause de la russophobie de l’État profond aux USA lequel a par tous les moyens (renseignement) fait obstacle au rapprochement avec Moscou (où on en avait rêvé après Septembre- 2001) [6]  à l’origine voulu par Trump ; d’autre part en vertu de la nature fondamentalement impériale d’une Russie qui n’acceptera jamais le rôle de junior partner que lui réserveraient les Chinois à l’intérieur d’un bloc commun [7] . Et à côté des « trois grands », ce ne sont plus qu’embryons d’empire (Turquie, Iran) lesquels se déploient territorialement en fonction de leurs idéologies et de leurs intérêts.

    Des « alliés » aux vassaux

    Le pilier fondamental de l’ordre international sur lequel reposait l’équilibre du monde vu d’Occident, c’était l’Alliance atlantique. Or, celle-ci épousait la fiction « wilsonienne » d’un égalitarisme de façade entre ses membres Amérique incluse chez qui des débats de moyen terme à propos de l’Ostpolitik ou sous forme aiguë sur les missiles de croisière en 1981-1983 étaient au moins en apparence acceptables. Mais ce qui était compréhensible tant que Washington avait besoin d’un consensus occidental contre Moscou cessa de l’être avec l’implosion de l’Urss en 1991. Déjà sous Obama, puis systématiquement et en profondeur avec Trump, ce mécanisme fut remis en cause. On ne saurait dénier au magnat un parfaite cohérence idéologique puisqu’il préconise un ordre néoféodal assis sur une vaste transaction : le centre impérial protège ses clients en fonction d’une loyauté indéfectible et de prestations financières proportionnées [8] . Une attitude de souverain imposant brutalement ses décisions aux vassaux qui s’est dès le début manifestée clairement dans la politique trumpienne de la Covid-19 : fermeture brutale des frontières aux Européens dénoncés comme porteurs du virus ; OPA sur le laboratoire CureVac, développeur allemand du vaccin anti-corona ; priorité éventuelle de traitement aux Américains dans le cas où Sanofi collaborerait avec la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda), les vaccins étant alors fabriqués aux États-Unis. Il n’y a pas eu de collaboration entre les deux rives de l’Atlantique [9] . L’opposition euro-américaine s’avère crûment dans les Balkans occidentaux : alors que les Vingt-Sept s’étaient accordés les 24-25 mars sur l’ouverture de discussions en vue de l’adhésion de la Macédoine du Nord (laquelle devient au même moment membre de l’Otan [10] ) et de l’Albanie à l’UE, l’action des États-Unis dans la région ne coïncide plus avec celle des Européens [11] ; par exemple au Kosovo où Washington a contribué à la chute du gouvernement d’Albin Kurti (formation nationaliste de gauche anti-corruption) soutenu par Bruxelles, parce que celui-ci posait des conditions au rapprochement avec la Serbie (laquelle connaît des manifestations violentes la nuit du 7 juillet contre l’imposition d’un nouveau couvre-feu anti-Covid-19 par le gouvernement du président Aleksandar Vucic, sorti grand vainqueur des élections du 21 juin avec 63 % des voix et 191 sièges sur 250 au Parlement) [12] . De la même manière, c’est par la presse que l’Otan a été informée de la décision américaine d’un retrait partiel des troupes US en Allemagne, le secrétaire général Jens Stoltenberg refusant par la suite de commenter des « spéculations » ; de fait, Trump a l’intention de limiter le nombre de soldats américains stationnés en territoire allemand à 25 000 (contre 34 500 actuellement), soit d’en retirer d’ici septembre 9 500 dont une partie pourraient être redéployés en Pologne [13] . Sans parler de l’affrontement germano-américain sur le projet Nord Stream 2 et plus généralement la géopolitique pétrolière et gazière, Berlin étant à l’évidence le principal adversaire européen de l’Administration trumpienne (qui devrait cependant se méfier d’une éventuelle dérive de l’Allemagne vers la Russie en cas de dislocation de l’Union européenne).

    Justement : à un moment où la guerre commerciale sino-américaine bat son plein, Donald Trump va confronter ses « alliés » à une exigence de deal : la défense de l’Europe contre l’endiguement partagé de l’influence chinoise et le refus de vendre des technologies duales à Pékin. Et pour les États-Unis le processus s’est encore accéléré avec l’irruption de la pandémie : « l’Europe n’est plus une alliée mais un pion sur l’échiquier de leur combat avec la Chine » [14] . La Chine porte une lourde responsabilité dans la propagation de la nouvelle zoonose – comme auparavant pour le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère, 2002-2004) et la grippe aviaire H5N1 (2003-2004) ; elle a fait passer « l’idéologie avant la science » et ainsi perdu trois semaines dans le combat initial contre le virus : arrestation des médecins lanceurs d’alerte ; annonce à l’OMS (contrôlée par elle [15] ) d’une absence de preuve de la transmissibilité de la maladie d’homme à homme ; autorisation d’un banquet patriotique géant de 40 000 personnes. Pékin a parfaitement conscience qu’il lui sera très difficile de démonter les plaintes à l’encontre du gouvernement chinois, l’argument d’une absence de précédent restant faible [16] . Au moins deux hypothèses juridiques sont envisagées par les sénateurs américains du Missouri, du Mississipi, du Tennessee, de l’Arkansas, de Caroline du Sud qui veulent punir les Chinois : la liquidation d’une partie de la dette américaine détenue par la Chine ou bien le non-remboursement des titres arrivés à échéance, ou encore le non-versement des intérêts (équivalant en moyenne à 1,2 %) sur les 1100 milliards de dollars en US Bonds possédés par Pékin ; un découplage des deux économies américaine et chinoise en imposant par la voie législative aux multinationales US leur retrait de Chine. Au moment où Pékin est en état d’alerte en juin après l’apparition d’un nouveau foyer d’infection dans l’immense marché de Xinfandi (sud-ouest de la capitale) qui fournit la mégapole à 90 % en fruits, légumes, viande et poisson, les premières mises en cause partent des États-Unis (class actions en Floride, en Californie, au Nevada, en Pennsylvanie et au Texas) ; certes la République populaire se réfugie évidemment derrière l’immunité judiciaire dont jouissent les États étrangers selon le Foreign Sovereign Immunities Act américain, mais la présentation publique du dossier devant les tribunaux US lui infligera des dommages énormes en termes d’image ; et puis le Missouri a déjà fait valoir en avril qu’il comptait agir non seulement contre le gouvernement chinois, mais également contre le PCC et les organismes de santé de Wuhan et du Hubei [17] . Le Président, en période préélectorale, ne peut d’ailleurs négliger le sondage du Pew Research Center en date du 22 avril : 66 % des Américains se méfient de la Chine [18] . Dès le lundi 27 avril, il a proclamé sa volonté d’exiger des réparations à hauteur de centaines de milliards de dollars à Pékin. Or, si par miracle la Chine acceptait de payer, ce serait reconnaître la faute et battre sa coulpe.

    La Chine de la rhétorique impériale à l’impérialisme tout court

    De fait, Le PCC pratique alors l’« inversion accusatoire » qui consiste à projeter ses responsabilités sur autrui. C’est en premier lieu la contre-attaque massive : la pandémie a son origine dans le laboratoire de Fort Detrick (Maryland) en 2019 et ce sont des militaires américains qui ont répandu le virus à Wuhan lors des VIIe jeux militaires mondiaux en octobre [19] . Xi Jinping mobilise les 97 % de Chinois âgés de 18-35 ans patriotes qui n’ont pas connu le maoïsme, la Révolution culturelle et le Grand Bond en avant et chez qui « le travail d’amnésie d’État » a refoulé Tian’anmen (tabou) [20] . Sur le front diplomatique se déchaînent ses nouveaux ambassadeurs de choc, les Wolf Warriors, dont la nouvelle doctrine exige qu’ils combattent les valeurs occidentales en Occident au bénéfice des intérêts chinois [21] . En France, l’ambassade de Chine calomnie sur son site les personnels soignants des maisons de retraite [22] , ce qui vaut à son titulaire une convocation au Quai d’Orsay. En Suède, les démentis chinois quant au « virus du PCC » ont souverainement déplu et on y a fermé le dernier Institut Confucius pour faire obstacle à la propagande. En Allemagne, le ministère de l’Intérieur confirme que le gouvernement « n’a pas donné suite » aux demandes chinoises d’enjolivement du rôle de Pékin. En Australie, l’ambassadeur Cheng Jingye menace le pays de boycott (vin et viande de bœuf dont la Chine est le premier importateur) [23] , de retrait des étudiants et d’annulation du tourisme (les deux sources les plus importantes de rentrées du pays), si Canberra continue (« pour plaire à Washington ») d’exiger une commission d’enquête internationale et indépendante sur la pandémie, l’épisode de Wuhan et le rôle de l’OMS. Et Pékin d’imposer des droits de douane punitifs à hauteur de 80,5 % sur l’orge australienne et de suspendre en partie l’importation de viande de bœuf (quatre grands abattoirs produisant le tiers du marché) [24]  . Les observateurs particulièrement soucieux d’objectivité mettront en avant le « provincialisme » d’une direction chinoise en définitive coupée du monde et qui exporte sans ambages ses méthodes de politique intérieure par le biais de sa diplomatie. Mais il y a, à côté de l’impérialisme rhétorique, l’impérialisme tout court. En pleine crise de la Covid-19, Pékin annonce le 18 avril 2020 la création de deux nouvelles circonscriptions administratives : Xisha dans les Paracels, Hoàng Sa en vietnamien (plus les Zhongsha Qundao dont le Banc Macclesfield constitue la majeure partie) ; et Nansha, Truong Sa, dans les îles Spratley ; les deux archipels étant revendiqués aussi dans le premier cas par Taïwan et le Viêt-nam, dans le second par Brunei, la Malaysia, les Philippines, Taïwan et le Viêt-nam. Rappelons que la « ville-préfecture de Sansha » (dont dépendent 280 îlots et récifs submergés) sur l’île de Yongxing (Woody island, île Boisée), appartenant à l’archipel Xisha occupé en 1974, avait été créée en juillet 2012 ; Pékin y aurait installé début 2016 des missiles sol-air, soit un système de défense aérienne de type HQ-9 d’une portée d’environ 200 km. Le Global Times, l’organe international du PCC, recommande certes d’éviter toute « surinterprétation » et ramène la démarche à une simple procédure d’aménagement territorial, parfaitement légitime en territoire « chinois », surtout dès lors que l’île de Yongxing a la particularité d’être entourée de deux millions de km² d’eaux (le plus vaste territoire municipal de Chine) ; le rehaussement administratif (subdivision en districts) et la rénovation des infrastructures y seraient purement et simplement destinées à améliorer la vie des habitants, Sansha ayant pour vocation de devenir un centre clé du tourisme chinois [25] . Le Viêt-nam n’est pas dupe et a élevé une vive protestation contre semblable intervention en « Mer Orientale » (mer de Chine méridionale dans la toponymie vietnamienne, mer des Philippines occidentales pour les Philippins) [26] . Mieux : le 2 avril, un navire garde-côtes a heurté et coulé un bateau de pêche vietnamien ; à la mi-avril le navire océanographique Haiyang Dizhi 8 et au moins un bateau de la garde côtière chinoise ont été repérés à 158 km au large du Viêt-nam, c’est-à-dire dans la zone économique exclusive (ZEE) vietnamienne ; puis le même navire est entré le 16 du mois, cette fois accompagné par plus de 10 navires de la milice maritime et des garde-côtes chinois, dans la ZEE malaysienne à 324 km des côtes près du site d’exploration du bateau de forage West Capella affrété par le groupe pétrolier Petronas (État malaysien) [27] . Tout ceci au moment même (mars-mai) où l’équipage de l’imposant porte-avions USS Theodore Roosevelt a dû être partiellement évacué sur l’île de Guam (grande base navale américaine), dans le Pacifique, pour contamination au Covid-19. Comme si Pékin instrumentalisait la pandémie au coronavirus pour avancer dans sa construction impériale. À la veille de l’investiture de la présidente Tsai Ing-wen, « championne de l’identité démocratique » triomphalement réélue avec plus de 57 % des voix aux élections présidentielles du 11 janvier, pour un second mandat le 20 mai à Taipei et en plein succès taïwanais dans la lutte contre la Covid-19, un avion de reconnaissance chinois Y8 pénètre dans la zone d’identification aérienne de Taïwan ; du point de vue de Pékin, l’île représente le défi absolu au modèle « un pays, deux systèmes » ; les nationalistes appellent sur les réseaux sociaux chinois à l’invasion en profitant de la paralysie des deux porte-avions US (avec l’USS Ronald Reagan) et Pékin met en garde Tsai Ing-wen dont la République populaire redoute qu’elle ne se lance dans la fuite en avant de l’indépendance. Mais les Chinois restent prudents et se concentrent pour l’essentiel sur la création d’un « second front » à revers, soit la constitution d’un groupe aéroporté d’ici 2025 [28] . De même pour la tactique de « saucissonnage » de Pékin sur l’Himalaya lors de l’affrontement indo-chinois de juin 2020, les troupes chinoises commençant à se retirer (pour combien de temps ?) de la vallée de la Galwan au Ladakh début juillet [29] . On peut pour finir s’attendre à des problèmes sérieux entre la République populaire et les autres riverains du Mékong (artère vitale pour 60 millions d’hommes) : Laos, Cambodge, Thaïlande et Viêt-nam ; la Chine qui a construit en trois décennies onze barrages sur le cours supérieur décide arbitrairement du volume en eau qui rejoint les autres riverains ; comme en mer de Chine méridionale, les Chinois agissent au mépris d’une quelconque coopération pour une gestion intégrée des ressources en eau entre les pays du bassin inférieur du fleuve et ont créé contre la Commission du Mékong (MRC) de 1995 leur propre Lancang-Mekong Cooperation [30] .

    Or, les Chinois se trompent s’ils pensent que leur montée en hyperpuissance va s’opérer sans difficultés. D’abord, s’ils doivent satisfaire leur opinion publique nationaliste chauffée à blanc (Hongkong), ils ne peuvent courir le risque d’une rupture : un découplage technologique minerait leur statut d’usine du monde ; malgré des résultats impressionnants en intelligence artificielle ou sur la 5G, il leur faut encore acquérir leur autonomie par exemple dans les semi-conducteurs. Surtout : un quelconque dérapage militaire serait périlleux [31] . Les choses tournant au roman de guerre façon Tom Clancy puisque la marine américaine confirme avoir envoyé le navire d’assaut amphibie USS America, le croiseur USS Bunkel Hill et le destroyer lance-missiles USS Barry en mer de Chine méridionale [32] . Qui plus est : Washington vient pour la première fois de récuser explicitement le 13 juillet (secrétaire d’État Mike Pompeo) les prétentions chinoises en mer de Chine méridionale comme « absolument contraires au droit » [33] . Et l’Otan, depuis le sommet de Londres en décembre 2019 (70e anniversaire de l’Alliance), confortée par la crise sanitaire et le rôle que Pékin y a joué, s’inquiète fût-ce prudemment des activités militaires chinoises ; bien que sa finalité première reste la sécurité de la zone transatlantique, la Chine « s’est rapprochée du périmètre » de l’organisation avec notamment ses avancées en matière de cybernétique et de haute technologie (la 5G) [34] . Et puis les Chinois ont eux-mêmes amené leurs partenaires à réviser leurs alliances commerciales dans le sens d’une moindre dépendance vis-à-vis de Pékin. Toute une campagne de relocalisation (reshoring) des entreprises hors de Chine et de recomposition économique du monde dont les effets restent naturellement à vérifier se met en place, le département d’État lançant un « Réseau de prospérité économique de partenaires de confiance » dans les pays amis : Australie, Inde, Japon, Corée du Sud, Inde et Viêt-nam ; les leaders US savent parfaitement que 40 % des Américains déclarent ne plus vouloir acheter des produits chinois et 78 % être prêts à payer plus cher pour des produits fabriqués ailleurs qu’en Chine [35] . Voilà qui risque de porter un immense préjudice au gigantesque projet de « nouvelles routes de la soie », voire de cyber routes de la soie (Huawei), destiné dans l’esprit du président Xi Jinping à rétablir une centralité de la Chine (populaire) dans le monde. D’ailleurs, Boris Johnson n’a-t-il pas annoncé une volonté d’accueillir les Hongkongais désireux de rejoindre le Royaume-Uni dès lors que Pékin leur a imposé sa législation sur la sécurité nationale (et finalement décidé d’évincer Huawei du développement de la nouvelle norme de téléphonie mobile 5G [36] ) ? L’Australie suspendant son traité d’extradition avec Hongkong et facilitant elle aussi l’installation des résidents hongkongais.

    Mais en sens inverse, les Américains s’illusionnent s’ils s’imaginent pouvoir ruiner la Chine comme ils sont en train de s’y employer avec l’Iran. Même si avec une contraction de 6,8 % du PIB au premier trimestre 2020 (une première depuis l’époque maoïste) le gouvernement chinois se confronte au chômage de masse – plus de 200 millions de personnes dont la plupart dans les services seraient sans emploi, un petite partie d’entre elles ayant touché une sorte d’assurance – donc à une éventuelle crise sociale [37]  ; même si Pékin s’inquiète énormément d’une possible nouvelle vague d’épidémie, cette fois dans le Heilongjiang au nord-est qui longe la Russie [38]  ; même si la chute brutale des prix du pétrole a ruiné des centaines de milliers de petits spéculateurs (3,9 milliards d’euros de pertes) manipulés par la Bank of China [39] . Il n’est que de consulter les articles de presse financière en avril : des gestionnaires de patrimoine comme Nordea 1 – Emerging Stars Equity Fund ou Martin Currie Investment Management Limited (division de Legg Mason Asset Management Australia Limited) pensent que les mesures d’endiguement de la Covid-19 adoptées par la Chine – tout comme par la Corée du Sud et Taïwan ! – ont été couronnées de succès et que ces économies reviendront bientôt à la normale ; ce qui vaut également pour la Chambre de commerce américaine en Chine [40] . De même, l’indice CSI 300 des Bourses de Shanghai et de Shenzhen, composé des principales capitalisations boursières du pays, n’a perdu que 5 % contre une perte de 17 % au MSCI Developed Markets Indexes qui mesure la performance des marchés boursiers de pays économiquement développés ; cela tient pour l’essentiel au fait que dans l’esprit des investisseurs Pékin va rapidement présenter un énorme paquet de mesures de croissance (encore que le sauvetage par l’État ne sera probablement pas lancé avant que le pouvoir ait la certitude d’une fin de crise) [41] . Plus encore, un pays comme Singapour aura du mal à se sortir du dilemme : si l’Amérique garantit la sécurité, c’est la montée en puissance économique de la Chine qui assure la croissance ; la cité-État – population aux trois quarts chinoise – étant au demeurant présentée par certains analystes comme une base arrière masquée de la Chine [42] . Attention également aux pays membres respectifs en cas de désagrégation de l’Europe unie. En particulier à l’Italie. Sondage en date de l’institut SWG réalisé du 20 mars au 12 avril. Pays amis : 52 % à la Chine (+42 % par rapport à 2019), la Russie à 32 % (+17 %) à égalité avec les États-Unis (-12 %) ; pays ennemis : l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les USA ( !) à respectivement 45 %, 38 %, 17 % et 16 %. Alliances à venir : Pékin en tête à 36 % contre Washington à 30 % (on passe évidemment sur les contradictions). L’idée qui vient à l’esprit, c’est que la péninsule pourrait se « yougoslaviser » en sens inverse, soit en équilibre instable entre les affinités chinoises sur le plan économique de la One Belt, One Road et l’installation des sociétés chinoises dans les ports du Nord-Est italien, d’une part, et la participation formelle à l’Otan, de l’autre [43] .

    En somme : le rest of the world (Russie mise à part) se trouve enfermé dans une sorte de pat dangereux entre Amérique et Chine. Au passage, on ne voit pas vraiment ce qu’apportent dans le contexte les grandes lois générales du type « piège de Thucydide » : la puissance dominante recourant par nécessité à la force pour contenir une puissance nouvelle obligatoirement agressive [44] . Ce qui compte c’est la synthèse produite par le think tank Cicir, affilié au ministère chinois de la Sécurité, qui parle d’un sentiment de condamnation internationale semblable à celui suscité naguère par Tian’anmen (1989) et de la nécessité de se préparer à un conflit armé (provoqué par qui ?) [45] . La guerre tout court ?

    N.B. Selon un rapport du chercheur Adrian Zenz, la Chine pratiquerait une campagne de stérilisation de masse sur une partie de la minorité (principalement musulmane et parlant une langue turcique, apparentée au turc) ouïghoure dans les préfectures de Kashgar et Hotan (Xinjiang) où cette dernière domine ; du fait de cette politique ethnoraciale, le taux de natalité y aurait chuté de 60 % [46] . Si cela s’avérait, mais encore faudrait-il avoir un accès non censuré aux zones à fins d’enquête indépendante et impartiale, il s’agirait d’un « génocide démographique ». Une analyse des réactions au sein du monde musulman et singulièrement en Turquie serait utile.

    L’Afrique en Europe ?

    Nous devons tous prendre connaissance des remarques de David Beasley, directeur exécutif du Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations Unies (Genève) dans son intervention fin avril lors d’une session virtuelle du Conseil de sécurité sur le maintien de la paix et de la sécurité à travers la protection des civils affectés par des famines dues à des conflits [47] . Cette année, ce sont plusieurs famines de taille biblique qui menacent. L’année 2020 ne sera pas que l’année de la pandémie de la Covid-19, elle sera aussi l’année de la plus grave crise humanitaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Déjà, avant la pandémie, on comptait dans le monde 821 millions de personnes souffrant chroniquement de malnutrition. 135 millions étant au bord de la famine ou pire. Mais avec les mesures adoptées pour endiguer la Covid-19, 130 millions s’y sont ajoutées. C’est-à-dire que ce sont 265 millions de personnes qui pourraient mourir de faim d’ici la fin de l’année 2020. Le pire étant la situation d’une trentaine de pays, tous africains. Ce furent jadis le Biafra (1967-1970), l’Éthiopie (1984-1985), la Somalie (1992) ; le continent marche aujourd’hui vers une nouvelle catastrophe. En dehors de la pandémie il y a la nouvelle vague des criquets pèlerins qui menace de ruiner les récoltes de céréales prévues en juin dans la Corne de l’Afrique (un essaim de 1 km² étant capable d’engloutir la ration journalière de 35 000 personnes), laquelle ne peut être combattue vu que le pesticide n’est pas livré faute de transports aériens [48] . Les économies des pays industrialisés sont réduites à la paralysie ; les autres pays africains ont fermé leurs frontières et proclamé l’état d’urgence afin de contenir le virus. Aucune assistance, donc, en perspective, à part celle des organisations humanitaires.

    Or, les mesures adoptées contre la Covid-19 risquent déjà par elles-mêmes de provoquer de véritables catastrophes économiques. Même la locomotive sud-africaine, un pays relativement aisé par rapport à d’autres, est confrontée comme le montre Dawie Roodt, chief economist de l’Efficient Group Dawie Roodt, à un épouvantable dilemme : avec le lockdown, le pays enregistrera probablement plus de 300 000 morts de pure et simple misère ; mais sans le confinement, on peut s’attendre à ce que le double, 600 000 personnes, soient très rapidement victimes en cas de contamination de tous les Sud-Africains avec un taux de mortalité de 1 % de la population [49] . Selon David Beasley, par contre, le danger est que plus de gens soient victimes de l’effondrement économique que du virus à proprement parler. Et nombreux sont les Africains auxquels le prix à payer pour l’endiguement de la Covid-19 apparaît comme trop élevé ; d’autant que les infrastructures sanitaires sont souvent à peu près inexistantes : 120 lits en soins intensifs pour presque 200 millions de Nigérians en 2017, 55 pour 43 millions d’Ougandais. Émeutes à Nairobi, pillages de supermarchés en Afrique du Sud, barricades au Nigeria. L’autocrate Paul Kagame, au Rwanda, a dû renoncer tout de suite à sa politique d’« endiguement total ». Dans l’Afrique du coronavirus, les paysans sont au demeurant confrontés à des problèmes logistiques pour écouler leur production, de même que les travailleurs informels, soit 85 % de l’emploi, ne peuvent vendre leur force de travail.

    Rien qu’en Éthiopie, au Soudan du Sud, au Kenya, en Somalie, en Ouganda, au Rwanda, au Burundi, à Djibouti et en Érythrée, le nombre des personnes touchés par la famine pourrait passer de 20 à 43 millions. Et comme l’approvisionnement en médicaments ne s’effectue pas non plus, des régions entières sont anéanties : comme l’Est de la République démocratique du Congo (frontière avec le Rwanda fermée depuis des semaines) où les gens succombent à une épidémie de rougeole. Étant donné que les plaquettes et les filets anti-moustiques manquent, le nombre de victimes africaines de la malaria pourrait passer selon l’OMS de 400 000 à 800 000. La situation étant aggravée en Afrique de l’Ouest par le terrorisme islamique qui s’étend à de plus en plus de territoires ; des organisations comme Oxfam, Care ou Save the Children s’y attendent à une augmentation des personnes souffrant de malnutrition de 17 à 50 millions d’ici le mois d’août.

    Phénomène essentiel : la chute historique des revenus de la diaspora, source clé du financement qui dépasse même les investissements directs étrangers, à hauteur de 19,7 % selon la Banque Mondiale, soit 445 milliards de dollars. Des pays comme Haïti, le Népal et la Somalie étant particulièrement touchés.

    Et puis les producteurs de pétrole, très dépendants de leurs exportations, subissent de plein fouet l’effondrement historique des prix. Avec des pays comme le Nigeria, l’Algérie et l’Angola, ou encore les pays producteurs d’Afrique centrale, qui peineront vu les dévaluations de leur monnaie à financer leurs importations bien que le prix des céréales ait baissé [50] . Dans un pays à très bas revenus comme le Soudan du Sud, la chute abrupte des prix du pétrole aura un impact significatif puisqu’il s’agit de 98,8 % de ses exportations.

    Cas particulièrement significatif, celui de l’Éthiopie où le cauchemar du million de victimes de la famine sous le communiste Mengistu Haile Mariam dans les années 1980 est toujours en mémoire. La population a explosé : 110 millions d’habitants, si bien qu’il ne reste pas beaucoup de terres à exploiter pour les paysans ; sans compter les deux millions de réfugiés de pays en guerre civile comme le Soudan du Sud ou la Somalie. 50 respirateurs et 150 lits en soins intensifs [51] . L’effondrement du tourisme qui comptait pour 47 % des ressources provenant de l’étranger sera particulièrement dommageable.

    En somme, le directeur Beasley avait introduit son discours par une captatio benevolentiae, s’excusant de parler brutalement. On peut dire qu’il était tout excusé. Mais s’il a raison, cela veut dire que l’immigration africaine en Europe ne cessera plus, voire qu’elle va s’accélérer et s’intensifier. Un « dilemme migratoire « pour les États européens qui d’une part ne pourront pas condamner à mort des cohortes d’Africains, mais auront de l’autre d’immenses difficultés à les accueillir vu l’hostilité des populations majoritaires. D’autant que les segments infectés par la Covid-19 provoqueront inéluctablement des conflits avec les locaux : comme en témoignent les affrontements de fin juin, pour le moment contenus, de Mondragone, province de Caserte dans la Campanie italienne, avec un foyer épidémique identifié chez les travailleurs agricoles bulgares ( ! ) [52] . Dans ce cadre, une émergence de la véritable extrême droite, à ne pas confondre sinon délibérément avec la droite « populiste », n’est pas à exclure.

    Rendons pour finir justice à l’un des pays ayant pour le moment avec quelques autres terrassé le virus, mais qui est resté ignoré dans les médias internationaux parce que communiste et occulté par l’ombre du géant chinois : le Viêt-nam avec 342 cas de contamination et 0 décès au 18 juin. Un des pays avec l’un des programmes de lutte les mieux organisés du monde : première évaluation du risque début janvier, fermeture de la frontière avec la Chine dès le 1er février, mesures de quarantaine dans certaines communes à partir de la mi-février, confinement généralisé début avril, allègement des mesures de confinement le 22 avril. Mobilisation par le parti communiste à travers des campagnes de masse et obligation de déclarer son état sanitaire sur une application smartphone, accompagnée de sanctions en cas de faux renseignements [53] .


    Notes de l'article

    [1]   Voir revanche le très intéressant débat théologique au sein de l’Evangelische Kirche in Deutschland (EKD), soit le regroupement fédéral des églises luthériennes, réformées et unies en Allemagne, sur la « responsabilité divine » de la pandémie : châtiment ou non ? cf. Reinhard Bingener, « Corona und die Frage nach Gott », Frankfurter Allgemeine Zeitung ( FAZ ), 8 juin 2020. Quant aux responsabilités de Pékin en la matière (comme sur Hongkong),

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