Fables de La Fontaine
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Jean de La Fontaine
Jean de La Fontaine, baptized on July 8, 1621 in the Saint-Crépin-hors-les-murs church in Château-Thierry and died on April 13, 1695 in Paris, is a man of letters of the Great Century and one of the main representatives of French classicism. In addition to his Fables and Contes libertines, which established his fame in the 1660s, we owe him various poems, plays and opera librettos which confirm his ambition as a moralist.
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Aperçu du livre
Fables de La Fontaine - Jean de La Fontaine
Jean de La Fontaine
Fables de La Fontaine
Publié par Good Press, 2020
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066074258
Table des matières
LES FABLES
LA CIGALE ET LA FOURMI.
LE CORBEAU ET LE RENARD.
LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF.
LES DEUX MULETS.
LE LOUP ET LE CHIEN.
LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS, EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION.
LA BESACE.
L’HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX.
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.
LE LOUP ET L’AGNEAU.
L’HOMME ET SON IMAGE.
LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES.
LES VOLEURS ET L’ANE.
SIMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX.
LA MORT ET LE MALHEUREUX.
LA MORT ET LE BUCHERON.
L’HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX MAITRESSES.
LE RENARD ET LA CIGOGNE.
L’ENFANT ET LE MAITRE D’ÉCOLE.
LE COQ ET LA PERLE.
LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL.
LE CHÊNE ET LE ROSEAU.
CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE.
CONSEIL TENU PAR LES RATS.
LE LOUP PLAIDANT CONTRE LE RENARD PAR-DEVANT LE SINGE.
LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE.
LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES.
L’OISEAU BLESSÉ D’UNE FLÈCHE.
LA LICE ET SA COMPAGNE.
L’AIGLE ET L’ESCARBOT.
LE LION ET LE MOUCHERON.
L’ANE CHARGÉ D’ÉPONGES ET L’ANE CHARGÉ DE SEL.
LE LION ET LE RAT.
LA COLOMBE ET LA FOURMI.
L’ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS.
LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES.
LE COQ ET LE RENARD.
LE CORBEAU VOULANT IMITER L’AIGLE.
LE PAON SE PLAIGNANT A JUNON.
LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME.
LE LION ET L’ANE CHASSANT .
TESTAMENT EXPLIQUÉ PAR ÉSOPE.
LE MEUNIER, SON FILS ET L’ANE.
LES MEMBRES ET L’ESTOMAC.
LE LOUP DEVENU BERGER.
LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI.
LE RENARD ET LE BOUC.
L’AIGLE, LA LAIE ET LA CHATTE.
L’IVROGNE ET SA FEMME.
LA GOUTTE ET L’ARAIGNÉE.
LE LOUP ET LA CIGOGNE.
LE LION ABATTU PAR L’HOMME.
LE RENARD ET LES RAISINS.
LE CYGNE ET LE CUISINIER.
LES LOUPS ET LES BREBIS.
LE LION DEVENU VIEUX.
PHILOMÈLE ET PROGNÉ.
LA FEMME NOYÉE.
LA BELETTE ENTRÉE DANS UN GRENIER.
LE CHAT ET LE VIEUX RAT.
LE LION AMOUREUX.
LE BERGER ET LA MER.
LA MOUCHE ET LA FOURMI.
LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR.
L’ANE ET LE PETIT CHIEN.
LE COMBAT DES RATS ET DES BELETTES.
LE SINGE ET LE DAUPHIN.
L’HOMME ET L’IDOLE DE BOIS.
LE GEAI PARÉ DES PLUMES DU PAON.
LE CHAMEAU ET LES BATONS FLOTTANTS.
LA GRENOUILLE ET LE RAT.
TRIBUT ENVOYÉ PAR LES ANIMAUX A ALEXANDRE.
LE CHEVAL S’ÉTANT VOULU VENGER DU CERF.
LE RENARD ET LE BUSTE.
LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE CHEVREAU.
LE LOUP, LA MÈRE ET L’ENFANT.
PAROLE DE SOCRATE.
LE VIEILLARD ET SES ENFANTS.
L’ORACLE ET L’IMPIE.
L’AVARE QUI A PERDU SON TRÉSOR.
L’ŒIL DU MAITRE.
L’ALOUETTE ET SES PETITS, AVEC LE MAITRE D’UN CHAMP.
LE BUCHERON ET MERCURE.
LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER.
LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR.
LES OREILLES DU LIÈVRE.
LE RENARD AYANT LA QUEUE COUPÉE.
LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES.
LE SATYRE ET LE PASSANT.
LE CHEVAL ET LE LOUP.
LE LABOUREUR ET SES ENFANTS.
LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE.
LA FORTUNE ET LE JEUNE ENFANT.
LES MÉDECINS.
LA POULE AUX ŒUFS D’OR.
L’ANE PORTANT DES RELIQUES.
LE CERF ET LA VIGNE.
LE SERPENT ET LA LIME.
LE LIÈVRE ET LA PERDRIX.
L’AIGLE ET LE HIBOU.
LE LION S’EN ALLANT EN GUERRE.
L’OURS ET LES DEUX COMPAGNONS.
L’ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION.
LE PATRE ET LE LION.
LE LION ET LE CHASSEUR.
PHÉBUS ET BORÉE.
JUPITER ET LE MÉTAYER.
LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU.
LE RENARD, LE SINGE ET LES ANIMAUX.
LE MULET SE VANTANT DE SA GÉNÉALOGIE.
LE VIEILLARD ET L’ANE.
LE CERF SE VOYANT DANS L’EAU.
LE LIÈVRE ET LA TORTUE.
L’ANE ET SES MAITRES.
LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.
LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.
LE LION MALADE ET LE RENARD.
L’OISELEUR, L’AUTOUR ET L’ALOUETTE.
LE CHEVAL ET L’ANE.
LE CHIEN QUI LACHE SA PROIE POUR L’OMBRE.
LE CHARTIER EMBOURBÉ.
LE CHARLATAN.
LA DISCORDE.
LA JEUNE VEUVE.
ÉPILOGUE
AVERTISSEMENT
MADAME DE MONTESPAN
LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.
LE MAL MARIÉ.
LE RAT QUI S’EST RETIRÉ DU MONDE.
LE HÉRON.
LA FILLE.
LES SOUHAITS [48] .
LA COUR DU LION.
LES VAUTOURS ET LES PIGEONS.
LE COCHE ET LA MOUCHE.
LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.
LE CURÉ ET LE MORT [50] .
L’HOMME QUI COURT APRÈS LA FORTUNE, ET L’HOMME QUI L’ATTEND DANS SON LIT.
LES DEUX COQS.
L’INGRATITUDE ET L’INJUSTICE DES HOMMES ENVERS LA FORTUNE.
LES DEVINERESSES [52] .
LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN.
LA TÊTE ET LA QUEUE DU SERPENT.
UN ANIMAL DANS LA LUNE [56] .
LA MORT ET LE MOURANT.
LE SAVETIER ET LE FINANCIER.
LE LION, LE LOUP ET LE RENARD.
LE POUVOIR DES FABLES.
L’HOMME ET LA PUCE.
LES FEMMES ET LE SECRET.
LE CHIEN QUI PORTE A SON COU LE DÎNÉ DE SON MAÎTRE.
LE RIEUR ET LES POISSONS.
LE RAT ET L’HUÎTRE.
L’OURS ET L’AMATEUR DES JARDINS.
LES DEUX AMIS.
LE COCHON, LA CHÈVRE ET LE MOUTON.
TIRCIS ET AMARANTE.
LES OBSÈQUES DE LA LIONNE.
LE RAT ET L’ÉLÉPHANT.
L’HOROSCOPE.
L’ANE ET LE CHIEN.
LE BASSA ET LE MARCHAND.
L’AVANTAGE DE LA SCIENCE.
JUPITER ET LES TONNERRES.
LE FAUCON ET LE CHAPON.
LE CHAT ET LE RAT.
LE TORRENT ET LA RIVIÈRE.
L’ÉDUCATION.
LES DEUX CHIENS ET L’ANE MORT.
DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS [60] .
LE LOUP ET LE CHASSEUR.
LE DÉPOSITAIRE INFIDÈLE.
LES DEUX PIGEONS.
LE SINGE ET LE LÉOPARD.
LE GLAND ET LA CITROUILLE.
L’ÉCOLIER, LE PÉDANT ET LE MAITRE D’UN JARDIN.
LE STATUAIRE ET LA STATUE DE JUPITER.
LA SOURIS MÉTAMORPHOSÉE EN FILLE.
LE FOU QUI VEND LA SAGESSE.
L’HUITRE ET LES PLAIDEURS.
LE LOUP ET LE CHIEN MAIGRE.
RIEN DE TROP.
LE CIERGE.
JUPITER ET LE PASSAGER.
LE CHAT ET LE RENARD.
LE MARI, LA FEMME ET LE VOLEUR.
LE TRÉSOR ET LES DEUX HOMMES.
LE SINGE ET LE CHAT.
LE MILAN ET LE ROSSIGNOL.
LE BERGER ET SON TROUPEAU.
LES DEUX RATS, LE RENARD ET L’ŒUF.
L’HOMME ET LA COULEUVRE.
LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS.
LES POISSONS ET LE CORMORAN.
L’ENFOUISSEUR ET SON COMPÈRE.
LE LOUP ET LES BERGERS.
L’ARAIGNÉE ET L’HIRONDELLE.
LA PERDRIX ET LES COQS.
LE CHIEN A QUI ON A COUPÉ LES OREILLES.
LE BERGER ET LE ROI.
LES POISSONS ET LE BERGER QUI JOUE DE LA FLUTE.
LES DEUX PERROQUETS, LE ROI ET SON FILS.
LA LIONNE ET L’OURSE.
LES DEUX AVENTURIERS ET LE TALISMAN.
LES LAPINS.
LE MARCHAND, LE GENTILHOMME, LE PATRE ET LE FILS DE ROI.
LE LION.
LES DIEUX VOULANT INSTRUIRE UN FILS DE JUPITER.
LE FERMIER, LE CHIEN ET LE RENARD.
LE SONGE D’UN HABITANT DU MOGOL.
LE LION, LE SINGE ET LES DEUX ANES.
LE LOUP ET LE RENARD.
LE PAYSAN DU DANUBE.
LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES.
LES SOURIS ET LE CHAT-HUANT.
ÉPILOGUE
MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE
LES COMPAGNONS D’ULYSSE.
LE CHAT ET LES DEUX MOINEAUX.
LE THÉSAURISEUR ET LE SINGE.
LES DEUX CHÈVRES.
LE VIEUX CHAT ET LA JEUNE SOURIS.
LE CERF MALADE.
LA CHAUVE-SOURIS, LE BUISSON ET LE CANARD.
LA QUERELLE DES CHIENS ET DES CHATS, ET CELLE DES CHATS ET DES SOURIS.
LE LOUP ET LE RENARD.
L’ÉCREVISSE ET SA FILLE.
L’AIGLE ET LA PIE.
LE MILAN, LE ROI ET LE CHASSEUR.
LE RENARD, LES MOUCHES ET LE HÉRISSON.
L’AMOUR ET LA FOLIE.
LE CORBEAU, LA GAZELLE, LA TORTUE ET LE RAT.
LA FORÊT ET LE BUCHERON.
LE RENARD, LE LOUP ET LE CHEVAL.
LE RENARD ET LES POULETS D’INDE.
LE SINGE.
LE PHILOSOPHE SCYTHE.
L’ÉLÉPHANT ET LE SINGE DE JUPITER.
UN FOU ET UN SAGE.
LE RENARD ANGLOIS.
LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.
LA LIGUE DES RATS.
DAPHNIS ET ALCIMADURE.
LE JUGE ARBITRE, L’HOSPITALIER ET LE SOLITAIRE.
ÉPITAPHE DE LA FONTAINE
TABLE DES FABLES
LES FABLES
Table des matières
I
LA CIGALE ET LA FOURMI.
Table des matières
La cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue:
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle:
Je vous paîrai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal.
La fourmi n’est pas prêteuse;
C’est là son moindre défaut:
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.—
Nuit et jour à tout venant
Je chantois, ne vous déplaise.—
Vous chantiez! j’en suis fort aise.
Hé bien! dansez maintenant.
II
LE CORBEAU ET LE RENARD.
Table des matières
Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage.
Maître renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage:
Hé bonjour, monsieur du corbeau.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.
A ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie;
Et, pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit, et dit: Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendroit plus.
III
LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF.
Table des matières
Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’étoit pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille
Pour égaler l’animal en grosseur;
Disant: Regardez bien, ma sœur;
Est-ce assez? dites-moi, n’y suis-je point encore?—
Nenni.—M’y voici donc?—Point du tout.—M’y voilà?—
Vous n’en approchez point. La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
IV
LES DEUX MULETS.
Table des matières
Deux mulets cheminoient, l’un d’avoine chargé,
L’autre portant l’argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchoit d’un pas relevé,
Et faisoit sonner sa sonnette,
Quand, l’ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l’argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l’arrête.
Le mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups; il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avoit promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j’y tombe et je péris!—
Ami, lui dit son camarade,
Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi;
Si tu n’avois servi qu’un meunier, comme moi,
Tu ne serois pas si malade.
V
LE LOUP ET LE CHIEN.
Table des matières
Un loup n’avoit que les os et la peau,
Tant les chiens faisoient bonne garde;
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli[1], qui s’étoit fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l’eût fait volontiers:
Mais il falloit livrer bataille,
Et le mâtin étoit de taille
A se défendre hardiment.
Le loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien:
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi? rien d’assuré! point de franche lippée!
Tout à la pointe de l’épée!
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.
Le loup reprit: Que me faudra-t-il faire?—
Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portant bâtons et mendiants;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire:
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs[2] de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.
Qu’est-ce là? lui dit-il.—Rien.—Quoi! rien?—Peu de chose.—
Mais encor?—Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.—
Attaché! dit le loup: vous ne courez donc pas
Où vous voulez?—Pas toujours; mais qu’importe?—
Il importe si bien que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor.
VI
LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS, EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION.
Table des matières
La génisse, la chèvre et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.
Eux venus, le lion par ses ongles compta;
Et dit: Nous sommes quatre à partager la proie.
Puis en autant de parts le cerf il dépeça;
Prit pour lui la première en qualité de sire.
Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,
C’est que je m’appelle lion:
A cela l’on n’a rien à dire.
La seconde, par droit, me doit échoir encor:
Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,
Je l’étranglerai tout d’abord.
VII
LA BESACE.
Table des matières
Jupiter dit un jour: Que tout ce qui respire
S’en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur;
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur:
Je mettrai remède à la chose.
Venez, singe; parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Êtes-vous satisfait?—Moi, dit-il; pourquoi non?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché;
Mais pour mon frère l’ours, on ne l’a qu’ébauché:
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre.
L’ours venant là-dessus, on crut qu’il s’alloit plaindre.
Tant s’en faut: de sa forme il se loua très-fort;
Glosa sur l’éléphant, dit qu’on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles;
Que c’étoit une masse informe et sans beauté.
L’éléphant étant écouté,
Tout sage qu’il étoit, dit des choses pareilles:
Il jugea qu’à son appétit
Dame baleine étoit trop grosse.
Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant pour elle un colosse.
Jupin les renvoya s’étant censurés tous;
Du reste, contents d’eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes:
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain
Nous créa besaciers[3] tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui:
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
VIII
L’HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX.
Table des matières
Une hirondelle en ses voyages
Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyoit jusqu’aux moindres orages,
Et devant qu’ils fussent éclos,
Les annonçoit aux matelots.
Il arriva qu’au temps que la chanvre se sème,
Elle vit un manant[4] en couvrir maints sillons.
Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons;
Je vous plains, car, pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n’est pas loin,
Que ce qu’elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper;
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison:
Gare la cage ou le chaudron!
C’est pourquoi, leur dit l’hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi.
Les oiseaux se moquèrent d’elle:
Ils trouvoient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière fut verte,
L’hirondelle leur dit: Arrachez brin à brin
Ce qu’a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.—
Prophète de malheur! babillarde! dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudroit mille personnes
Pour éplucher tout ce canton.
La chanvre étant tout à fait crue,
L’hirondelle ajouta: Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.
Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu’à leurs blés
Les gens n’étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre;
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits oiseaux,
Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis ou changez de climat:
Imitez le canard, la grue et la bécasse.
Mais vous n’êtes pas en état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d’aller chercher d’autres mondes,
C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr:
C’est de vous renfermer au trou de quelque mur.
Les oisillons loin de l’entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvroit la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres:
Maint oisillon se vit esclave retenu.
Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
IX
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.
Table des matières
Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’ortolans.
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête:
Rien ne manquoit au festin;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étoient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit:
Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire.
Rats en campagne aussitôt;
Et le citadin de dire:
Achevons tout notre rôt.
C’est assez, dit le rustique;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi;
Mais rien ne vient m’interrompre,
Je mange tout à loisir.
Adieu donc. Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre!
X
LE LOUP ET L’AGNEAU.
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La raison du plus fort est toujours la meilleure;
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un agneau se désaltéroit
Dans le courant d’une onde pure.
Un loup survient à jeun, qui cherchoit aventure,
Et que la faim en ces lieux attiroit.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:
Tu seras châtié de ta témérité.—
Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’elle;
Et que, par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.—
Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.—
Comment l’aurois-je fait si je n’étois pas né?
Reprit l’agneau; je tette encor ma mère.—
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.—
Je n’en ai point.—C’est donc quelqu’un des tiens;
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l’a dit: il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts,
Le loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
XI
L’HOMME ET SON IMAGE.
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POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD
[5].
Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde:
Il accusoit toujours les miroirs d’être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentoit partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut imaginer,
N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:
Il s’y voit, il se fâche; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau;
Mais quoi! le canal est si beau,
Qu’il ne le quitte qu’avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir.
Notre âme, c’est cet homme amoureux de lui-même;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;
Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.
XII
LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES.
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Un envoyé du grand-seigneur
Préféroit, dit l’histoire, un jour chez l’empereur,
Les forces de son maître à celles de l’empire.
Un Allemand se mit à dire:
Notre prince a des dépendants
Qui, de leur chef, sont si puissants
Que chacun d’eux pourroit soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,
Lui dit: Je sais par renommée
Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir
D’une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J’étois dans un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d’une hydre au travers d’une haie.
Mon sang commence à se glacer;
Et je crois qu’à moins on s’effraie.
Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l’animal
Ne put venir vers moi,