Chroniques du Haut Conseil: Sur les traces de la Rouge
Par Jean De Thomas
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Le dos bien raide, appuyé contre le dossier d’un banc de bois sans grand confort, l’agent Arfogil attend, parfaitement immobile. Ses mains moites sont symétriquement posées bien à plat sur ses cuisses.
La matinée s’achève et il n’a toujours pas été introduit devant le Haut Conseil. Il ressent les premiers effets d’une forte agitation teintée d’agacement. Il trouve inadmissible que l’on puisse traiter ainsi un serviteur aussi zélé que lui. La haute opinion que l’homme a de sa personne l’amène tout naturellement à trouver un tel traitement injuste.
Bref, l’agent Arfogil est profondément contrarié...
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Aperçu du livre
Chroniques du Haut Conseil - Jean De Thomas
CHRONIQUES DU HAUT CONSEIL
Sur les traces de la Rouge
Published by Jean de Thomas
Copyright 2018 Jean de Thomas
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Le dos bien raide, appuyé contre le dossier d’un banc de bois sans grand confort, l’agent Arfogil attend, parfaitement immobile. Ses mains moites sont symétriquement posées bien à plat sur ses cuisses.
La matinée s’achève et il n’a toujours pas été introduit devant le Haut Conseil. Il ressent les premiers effets d’une forte agitation teintée d’agacement. Il trouve inadmissible que l’on puisse traiter ainsi un serviteur aussi zélé que lui. La haute opinion que l’homme a de sa personne l’amène tout naturellement à trouver un tel traitement injuste. Bref, l’agent Arfogil est profondément contrarié.
Malheureusement pour lui, il n’a pas d’autres alternatives que de faire montre de patience. Etre convoqué par le Haut Conseil n’est jamais de bon augure, et ce, même pour un agent aussi bien noté que lui.
En tant que fonctionnaire subordonné à l’instance la plus haute du gouvernement des Cinq Cités, ses états d’âme n’ont aucune espèce d’importance.
Désireux d’échapper aux flots de bile et d’amertume qu’il sent monter en lui, L’agent Arfogil reporte toute son attention sur la pièce où il se trouve.
Le Grand Hall, antichambre du Haut Conseil, fut, dès l’origine, conçu pour impressionner tout visiteur amené à s’y aventurer. En l’occurrence, le terme de visiteur n’est pas exactement le plus approprié. Les lieux, malgré leur magnificence, ne sont jamais ouverts à la visite. On ne vient pas ici pour flâner à ses heures perdues. On ne vient ici que sur invitation express.
La salle possède de telles proportions que la silhouette de l’agent Arfogil, tassée sur son banc, lui donne l’allure d’un petit cafard noir perdu dans l’immensité de marbre blanc. L’analogie est de mise car c’est là le sobriquet habituel utilisé par la population lorsqu’elle fait référence aux agents du Haut Conseil. Les Cafards.
Pour l’essentiel, le mobilier qui orne le Grand Hall est constitué de rangées de statues (cinquante-quatre en tout, se répartissant également de part et d’autre de la grande salle). Celles-ci représentent les bustes des divers conseillers qui se sont succédé à la tête du Haut Conseil depuis la fondation du Royaume des Cinq Cités. Pour un œil averti dans le domaine des Arts, L’évolution des styles au fil des siècles saute aux yeux. Les sculptures les plus récentes, taillées dans un marbre noir de Cari, sont époustouflantes de réalisme comparées aux tentatives plus frustres des siècles précédents. Cependant, l’excès de courbes et le maniérisme qui les caractérisent leur ôtent malheureusement tout caractère martial, conférant aux illustres dignitaires représentés des allures de personnages d’opérettes.
C’est bien là un signe des temps, diraient certains. A la rudesse et la force des premiers âges du Royaume se sont substitué la mollesse et la superficialité. On peut en penser ce que l’on veut et philosopher à ce sujet jusqu’à plus soif, l’agent Arfogil s’en moque : il est là pour servir le Haut Conseil et toutes considérations personnelles sur l’état actuel des Institutions n’ont, à ses yeux, pas lieu d’être.
Face à lui, le visage de Sire Dorleanü, décédé récemment, semble le fixer intensément du regard. Comme l’agent Arfogil l’observe avec attention, il note qu’à l’inverse de la plupart des statues les plus récentes, l’aspect sévère et martial du personnage s’impose malgré le style baroque et fade en vogue.
L’homme fut brillant dans sa gouvernance, aussi dévoué à la bonne marche du Royaume qu’impitoyable avec ses ennemis. Malheureusement, la perte de son jeune fils dans des conditions demeurées obscures et tragiques eut raison de sa superbe et, brisé par le chagrin, l’homme ne fut pas long à le rejoindre dans la tombe.
Les mauvaises langues se sont gaussées du fait qu’un tel Grand Homme, prompt à réduire au silence par le meurtre ou la torture toute personne montrant des velléités à se dresser contre les intérêts du Royaume, ait pu se laisser aller à son chagrin au point d’y laisser la vie. Il va sans dire que les familles de ses très nombreuses victimes, elles, dansèrent littéralement de joie à l’annonce de son trépas.
De par sa position subalterne, L’agent Arfogil n’eut jamais à faire directement au magistrat. Il est cependant au courant dans le détail des évènements qui entraînèrent la disparition de son fils. Et pour cause.
Voici quelques temps, il fut mandaté en personne par le Haut Conseil afin d’enquêter sur la disparition inexplicable d’un vieux magicien. Avant de disparaître, celui-ci laissa un livre rédigé de sa main dans lequel il racontait une bien étrange et funeste histoire. L’homme était le seul survivant d’un groupe d’individus ayant affronté un danger mortel. Cette mission fut menée sous la houlette d’un agent (en l’occurrence une agente) du Haut Conseil, personne quasiment considérée comme une légende par ses pairs. Ce qui n’est pas peu dire quand on connait le caractère misogyne de cette administration. Le fils cadet de Sire Dorleanü accompagnait l’agent Elvide, plus connu sous le sobriquet de Dame Elvide, lorsque tous deux trouvèrent la mort dans d’épouvantables circonstances.
Une fois récupéré et conformément à la règle en vigueur qui s’impose lorsque des agents en mission sont concernés, le livre fut placé sous scellés et stocké dans les Archives du Haut Conseil.
A ce jour, l’Agent Arfogil est donc le seul dépositaire connu de ce secret. C’est là une responsabilité écrasante pour un agent subalterne, et il sait à quoi il doit s’attendre si, d’aventure, il révélait les détails de ce qu’il sait. La punition serait… Définitive.
Cependant, les actions en ce bas monde n’étant jamais totalement négatives, l’agent Arfogil en tira quelques avantages. Sa conscience professionnelle et son sens de la procédure finirent par attirer favorablement l’attention de ses supérieurs. Au grand dam de ses collègues, de la part desquels il s’attira une rancune tenace.
L’agent Arfogil possède dorénavant un bureau personnel et ses propres indics, acquérant de ce fait un certain pouvoir et, surtout, beaucoup d’autonomie.
Un méchant rayon de soleil entreprend d’éblouir l’homme. Le verre dépoli de la haute fenêtre, agissant comme une loupe, en amplifie la luminosité et la chaleur, si bien que son long visage osseux commence à être sillonné d’une multitude de gouttelettes de sueur. Celles-ci, prenant naissance dans son épaisse chevelure brune, dégoulinent dans son justaucorps de cuir noir, accentuant ainsi l’inconfort de sa position.
Ne pouvant résister plus longtemps à ce lâche assaut, l’agent se résout à se décaler de quelques centimètres sur sa droite. Le pli naturellement amer de sa bouche s’accentue encore un peu plus.
Alors qu’il est sur le point de lâcher un soupir, signalant ainsi la reddition de son ego face à une force supérieure, la lourde porte de bronze à deux battants s’ouvre.
Face à lui, un chambellan à l’air aussi austère qu’un croque-mort se tient maintenant au garde-à-vous, tête baissée et silencieux. L’homme, obséquieux au possible, tend le bras mollement en direction de la pièce dont il vient d’émerger, signifiant ainsi à l’agent Arfogil qu’il est attendu à l’intérieur.
Celui-ci se dresse d’un bond comme mû par un ressort, prend la peine d’ajuster sa tunique et pénètre d’un pas décidé dans la salle du Haut Conseil.
* * * *
Il se fait tard. Les ombres du couchant s’étirent sur la petite place aux maisons à pignons, désertée prématurément par la lumière d’un pâle soleil de novembre. Il vient à peine de sonner cinq heures que déjà l’on devine les premières bougies s’allumer derrière les vitres aux petits carreaux multicolores des habitations.
Rien n’est plus déprimant que d’habiter en ville. Ici, point d’espace pour voir le soleil se coucher lentement à l’horizon, teintant de sang les nuages du crépuscule. Mais, en ce qui concerne le forgeron, rien n’est tout simplement plus déprimant que de vivre dans cette ville-là.
On pourrait imaginer qu’après quinze ans à officier dans la cité, le maître-forgeron eut fini par s’y sentir un peu chez lui.
Mais un étranger ne peut pas réellement se sentir chez lui à Wesserleek. Impossible. Ici, un étranger reste un étranger toute sa vie. Certes, son travail est reconnu et sa clientèle nombreuse, attirée par la qualité de son ouvrage. Mais d’amis, il n’en a point. On peut d’ailleurs se demander ce qui a pu pousser un homme comme lui à venir s’installer dans un tel environnement.
Sa vie est réglée comme une horloge de précision. Le jour, il mène ses affaires et la nuit, et bien, il regagne son petit logis à l’étage, situé au-dessus de l’atelier. Seul. De surcroît, il n’est pas homme à perdre son temps dans les tavernes.
Ces établissements sont pourtant des lieux propices où glaner des informations. Les ragots, les paroles lancées à tort et à travers sous l’emprise de l’alcool : Une myriade de petites sources de détails qui peuvent rapidement se transformer en une rivière d’informations à qui sait en tirer parti.
Malheureusement, ce sont aussi des lieux dangereux pour qui désire garder prudemment sa couverture. Debout au comptoir ou assis seul à une table, il sait qu’il attirerait bien vite l’attention des gens les moins suspicieux de la ville. Et Dieu c’est si les gens le sont par nature, suspicieux, à Wesserleek !
La chose aurait été jouable s’il avait fréquenté les cercles de jeux. Les habitants de cette ville raffolent de parties de cartes et de dés, surtout si les mises y sont conséquentes. Et l’appât du gain endort la vigilance, c’est bien connu. Mais cela reste malgré tout un pari risqué. Si d’aventure l’un des joueurs se mettait à avoir des soupçons de triche de la part d’un de ses partenaires de jeux, il y aurait de fortes chances pour que ceux-ci se portent sur lui. Pour l’unique et seule raison qu’il n’est pas du coin. Cela semble être le seul critère d’évaluation ici. A croire qu’à Wesserleek, on peut être la pire des crapules ou des aigres-fins, du moment que l’on est natif de la Cité, cela ne dérange pas vraiment grand monde. On aime régler ses histoires en famille, dans cette ville !!
Non, décidément, cela serait trop risqué.
Alors, ces informations, il les ramasse par petits bouts. Tout ce qu’un client ou un fournisseur peut lâcher comme rien, lui, il le récupère, comme un ferrailleur se baisserait pour ramasser un vieux clou rouillé. Comme on dit, ça peut servir. L’essentiel étant que tout doit venir de l’Autre. Jamais au grand jamais, il ne pose une question ni ne répond à une question par une autre question.
Ces petits clous rouillés d’informations, il a fini au fil du temps, par en ramasser des caisses entières. Et c’est à cela qu’il occupe ses soirées dans la solitude de sa petite